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La langue amazighe: commençons par le commencement.
Par: Aziz CHELLAF

Avec les dernières évolutions concernant la question de l’enseignement de la langue amazighe, on ne peut qu’être frappé par la lenteur avec laquelle on traite la question; un grand fossé entre le discours et la réalité. Avec tout ce qu’on peut reprocher à l’IRCAM et ensuite les autres écueils des administrations (ministère de l’éducation nationale, de communication), tous laissent penser qu’on ne s’est pas encore détaché de l’esprit des années 60 et 70 sur la question amazighe malgré la clarté de discours d’Ajdir. Les esprits de mauvaises intentions «mettent la pierre dans les chausseurs» pour ennuyer l’avancement d’une langue qui «persiste mais ne résiste pas» selon les propos de Mammeri1. Avec les rumeurs sur une préparation en cours d’une révision constitutionnelle dans le pays, la reconnaissance constitutionnelle de cette langue serait une solution au problème de l’inertie que connaît l’avancement de cette initiative. Une reconnaissance constitutionnelle de pays comme peuple amzigho-arabe à identité multiple avec comme langues nationales l’amazighe et l’arabe. Tel est le commencement.
1.Il ne faut pas faire de l’appel à un enseignement de la langue amazighe un discours démagogique. On ne doit pas prêcher un enseignement, de l’amazigh aux enfants de tous les Marocains si ceux-ci ne peuvent pas voir par ce biais un moyen de gagner leur vie de demain. Aucun enseignement de cette langue ne peut réussir si l’objectif n’est autre que leur faire apprendre cette langue, sans qu’elle soit un moyen leur permettant d’intégrer la vie active. Autrement dit, l’enseignement de l’amazigh restera sans un sens concret, comme le veut nos adversaires, si l’objectif de cet enseignement reste ici sans suite, c’est à dire si l’État ne transforme pas son système de communication. La langue amazighe doit donc, pour atteindre ses fins, ouvrir la chance pour l’avenir de nos enfants, et pour que cela soit vrai, il faut que les institutions de l’État (tribunaux, écoles, universités, hôpitaux…) admettent cette langue en leur sein. A contrario, si ces institutions restent exclusivement réservées à la langue ou aux langues dominantes, un tel enseignement restera sans effet.
2.De surcroît, ce qui fait une langue et permettra son évolution est, entre autres choses: Primo, sa pratique au quotidien y compris dans les institutions de l’État. Autrement parlé, si cette langue ne bénéficie pas de tous les droits au même titre que l’arabe, elle ne pourra remplir convenablement sa mission dans notre société de demain. Secondo, une langue est un fait social. C’est à dire qu’il y a des hommes et des femmes derrière une langue. Si une langue a été imposée au détriment d’une autre, c’est parce que un groupe a été dominant sur les autres. Les deux riment dans le même sens: toute évolution de notre langue ne peut se faire sans une évolution des gens ou des groupes qui la parlent. Si un tel mouvement en avant est garanti, cela va de soi pour la langue à condition que le groupe y soit attaché. Cela dit, il faut agir aussi sur le groupe ou tout le peuple pour agir sur la langue.
3.Avec toute l’évolution actuelle entamée par l’IRCAM dans son effort de la standardisation de la langue amazighe, et face à l’insatisfaction de certains, accusant l’institut de ne rien faire ou de peu faire, la crise actuelle avec l’arrivée de cette langue à la ‘gorge de la bouteille’ pose la question de savoir s’il existe réellement une volonté politique dans le pays pour faire avancer les choses. Même avec le traitement de la question par l’IRCAM d’une façon très lente, le politique n’arrive pas (ou plutôt ne veut pas) suivre. Et ce n’est pas pour de bonnes causes, mais pour des considérations de mauvaise foi. D’ou ce fossé entre le discours et les faits, mais aussi cette déception de certains de ses défenseurs. Sur le plan du travail proprement dit de cet institut, il est vrai qu’il s’agit en fait de voir si on préfère dire que le verre est à demi vide ou plutôt à demi plein. Admettons le, l’Institut n’a pas un rôle primordial dans cet enseignement. Sa mission n’est ni celle de ministère de l’éducation, ni celle de ministère de la communication. Le travail de cet institut peut être réduit au néant si de tels organismes et autres ne souhaitent pas donner suite à ces travaux.
4.Justement, telle qu’il est confirmé par la récente démission de certains membres de l’IRCAM, la tendance ne va pas dans le bon sens. Et pour cause certains manquent d’une vraie volonté politique pour appliquer les lois. On le voit actuellement avec une politique de ministère de l’éducation nationale toujours attachée à une politique qui n’a plus une raison d’être depuis le discours d’Ajdir. Une politique consistant à faire de l’amazighe une langue facilitant l’apprentissage de l’arabe. Bien sûr, ce refus est drapé dans des prétextes mensongers. La langue qui doit être intégrée convenablement dans le système éducatif marocain conformément au programme tracé traîne encore. Le ministère, dans une volonté délibérée de priver l’amazigh de tous les moyens invoque, à tort, le manque de moyens. Ce qu’un autre ministère invoque à son tour comme prétexte à son refus de répondre aux lois, mais cela n’empêche pas le ministère de la communication de créer des chaînes de télévisions.
5.Bref, ce qu’on peut retenir de tout cela, comme l’exprime à l’évidence la démission courageuse de certains membres de l’IRCAM, est qu’à la tête de certains ministères demeurent des gens ayant une orientation de refus de toute amazighité. Un esprit des années d’antan qui ne veut pas tourner la page d’hier malgré la clarté de discours sur cette langue. Des gens qui considèrent que les lois n’ont pas de place que s’ils le décident. Leur objectif est d’attirer d’abord l’attention sur ce fait et, en sus qu’ils ne sont pas d’accord avec une politique qui manque d’une volonté de concrétiser les choses. En bref, une politique d’effort maximal mais rien de contraignant.
6.En effet, la solution du problème réside ailleurs. S’il n’existe pas de doute sur la nécessité de cet enseignement et donc sur la place de la langue amazighe dans notre pays en tant que patrimoine de tous les Marocains, il faut la doter d’une assise juridique incontestable. Une reconnaissance qui fera d’elle une langue à part entière dans notre pays avec les mêmes droits que sa semblable l’arabe. Il ne faut pas se tromper: c’est cette assise constitutionnelle incontestable qui va lui permettre un épanouissement correct, sûr et complet.
7.Par ailleurs, une telle reconnaissance a soulevé, il y a quelques temps, une esquisse d’un débat dont les détracteurs de cette reconnaissance montrent leurs motifs justifiant leur désaccord avec cette proposition. Des propos proches des accusations staliniennes de l’extrême gauche des années 70. Une telle reconnaissance pose le problème de l’unité nationale qui suppose qu’on doit s’unir par et pour la même langue: la langue arabe, garante de l’unité nationale… Mais il y a également un autre motif consistant à minorer l’entité amazighe. Selon cette vision, les Imazighns ne sont qu’une minorité comparable aux autres minorités de pays, ce qui est la caractéristique d’un peuple de métissage de plusieurs cultures et civilisations méditerranéennes. Mais au nom de quel(s) critère(s) on minore une entité pour hausser une autre? Les statistiques qui diminuent le nombre de cette composante ne prennent en considération que le critère de la langue. En effet, rien n’est simple que de considérer qu’à part ceux qui connaissent encore un des trois ‘dialectes’ de pays (donc pas encore arabisés), le reste est ‘Arabes’. A vrai dire, une telle estimation est plus difficile à faire même avec une association de divers éléments. Le plus important de tous ces éléments dans toute évaluation est l’élément historique, qui prend en considération que le peuple marocain est à la base, un peuple amazigh . A l’aide de cet élément le Middle East Institute considère que «The Kingdom of Morocco in North Africa is reputed to be the third oldest nation in Africa, after Egypt and Ethiopia», et ajoute que «The history of the region comprising present-day Morocco has been shaped by the interaction of the original Berber population with several ancient civilizations (Phoenician, Carthaginian, Hellenic, Roman) and other more recent cultures (Arab, Portuguese, French, Spanish) » Sur la question de nombre des uns et des autres, il conclu que « About three-quarters of all present-day Moroccans are of Berber descent, while Arabs, who first arrived in the 7th century, form the second largest ethnic group»2. 
8.Par ailleurs tout le Mouvement Culturel Amazigh refuse une telle approche simpliste de l’union nationale se fondant sur une seule et unique langue constitutionnelle. La diversité linguistique n’est pas un écueil à une telle union. En effet, c’est encore les conceptions classiques qui insistent plus sur ces éléments (langue, religion, race, etc) par contre, les conceptions les plus ouvertes considèrent l’unité de la nation une question plus complexe. Elles considèrent ces élément précités comme secondaires par rapport à un autre élément déterminant à savoir, le sentiment de «vouloir vivre ensemble». ce qui tout à fait admet les différences et les considère comme une richesse et non un obstacle.
9.Une fois encore le Mouvement Culturel Amazigh considère aussi que la langue n’a pas cessé de nous unir; simplement au lieu que ça soit une seule langue, elles seront deux. Cela dit, que nos détracteurs peuvent être rassurés, si vraiment, leur visée est l’unité nationale. En effet, selon Kateb Yacine, plus on a de langues dans le pays, plus on «aura de dimension, mieux ça vaudra! Parce que, de toute façon, nous aurons toujours des langues communes »3. Donc, on quoi cela altère l’unité de pays car si auparavant on est uni par une seule langue on l’est aujourd’hui par deux langues.
10.Or, pour répondre à ceux qui revendiquent une seule langue pour servir l’unité du pays, est ce qu’on doit s’unir pour tuer une langue et une composante de soi par voie de conséquence? Ou au contraire, on doit s’unir pour la faire vivre? C’est en répondant à cette question que les pseudo-nationalistes apparaissent sur leur vrai visage, des faux patriotes. Ici, on découvre un grand paradoxe dans leur conception des choses: des ennemis, sans le vouloir, de notre patrie. En effet, comment sous prétexte de l’unité nier l’essence de notre patrie? Ces gens ne veulent pas que le peuple s’éveille et prend conscience de lui-même car cela mettra fin à leurs privilèges au sein de l’État. Cela, en fin de compte, ils pensent à leur pouvoir et non pas au bien-être de ce peuple pour qu’ils forgent une nouvelle identité, celle qui n’est pas la sienne. Dans cette identité qu’ils essayent de lui fabriquer, on les trouve complices de puissances étrangères qui se guident par une idéologie déterminée. Celle qui n’est pas la notre car elle ne répond pas à nos attentes et ne nous exprime pas dans notre diversité. La prise de conscience de peuple de ce constat, ils ne le veulent pas. On est dans un niveau où c’est encore le haut qui choisit (ou impose) pour le bas. Autrement dit, une espèce de ‘démocratie’ à l’envers, ou par le haut.
11.Quoi qu’il en soit, les défenseurs persévérants de cette conception d’une seule langue savent pertinemment la légèreté de leur soubassement. Ils avaient refusé le statut médiocre de langue nationale à cette langue, et pour le même motif lui refusent actuellement le statut de langue constitutionnelle.
Notes
1 Cité par Camille et Yves Lacoste, Maghreb peuples et civilisations, 2004, P. 92
2 Voir http://www.mideasti.org/countries/countries.php?name=morocco. La traduction est la suivante dans l’ordre des citations dans le texte « le Royaume du Maroc en Afrique du Nord est réputé être la troisième nation la plus ancienne en Afrique, après l’Egypte et l’Ethiopie » ; «l’histoire de la région comportant le Maroc actuel a été formé par l’interaction de l’originale population berbère avec plusieurs civilisations antiques (Phoeniciane, Carthaginoise, hellénique, romaine) et d’autres cultures plus récentes (Arabe, Portugaise, Française, espagnole) » ; « environ trois quarts de tous les Marocains actuels sont de descendance berbère, alors que les Arabes, dont les premiers arrivaient au 7ème siècle, forment le deuxième plus grand groupe ethnique »
3 Kateb Yacine, Le poète comme un boxeur : Entretiens 1958-1989, Editions du Seuil, 1994, p. 54. Pour lui, il faut tendre au « berbère » la langue arabe, il faut que sa langue soit tendue aux autres et qu’il puisse s’exprimer « sans être immédiatement taxé de régionalisme, sans être accusé d’étroitesse ».
 

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