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Femmes rurales amazighes et développement Par: Anaruz SAADANI (KHENIFRA) Introduction: La question de la femme revêt de nos jours une importance cardinale dans les préoccupations fondamentales des sociétés. L’intérêt qu’on y porte trouve sa justification dans la nécessité de prendre en considération ses spécificités dans les enjeux de développement. La présente étude porte particulièrement sur les femmes amazighes qui vivent dans le milieu rural et mènent une existence de marginalité. L’objectif que nous avons tracé est de porter un éclairage sur la situation de ces femmes en essayant de déterminer les contours de leur existence, c’est ce que nous allons voir dans le premier axe. Pour le deuxième axe, nous nous intéressons aux différents modes d’interactions entre les femmes rurales amazighes et l’environnement. Quant au dernier, nous allons traiter la question cruciale portant sur la femme rurale amazighe et le développement. I- la situation de la femme dans le milieu rural: 1- aspects statistiques: En 1960, les femmes rurales représentaient 70.4% de l’ensemble des femmes marocaines. Ce pourcentage est continuellement en baisse, il se situait à 64.2% et 57.4% respectivement en 1971 et 1982. En 1994, elles ne représentent que 50,3% à cause de l’exode rural qui touchait plus les femmes que les hommes dans certaines régions. La première caractéristique qui distingue la population féminine rurale est son extrême jeunesse: 44,3% des femmes rurales sont âgées de moins de 15 ans contre 37,4% en milieu urbain. La jeunesse de la population rurale trouve d’abord son explication dans le niveau de fécondité encore élevé. En 1991, le taux de féminisation de la population active est de 39,1%. la femme rurale active est celle qui exerce une activité rémunérée hors de son foyer (activité agricole ou non agricole), ou exécute des tâches relevant de l’exploitation familiale, ou encore s’adonne à des travaux à domicile. 2- les conditions de la vie: la situation de la femme rurale amazighe dépend de type de communauté à laquelle elle appartient: petite, peuplée ou isolée. Elle dépend également de plusieurs facteurs: accès aux services sociaux, le niveau de formation, le poids des traditions, l’age…. Les femmes rurales sont reléguées aux espaces domestiques. Ce qui les empêche d’accéder à la sphère sociale et politique. Elles sont également confrontées à des problèmes cruciaux pour accéder aux besoins élémentaires et indispensables pour l’amélioration de leur condition et celle de leur famille. a- la santé: On peut définir le concept de santé comme l’état de bien-être physique, mental et social. Il est déterminé par plusieurs facteurs: l’entourage, l’habitat, l’alimentation, le temps libre, les relations sociales, l’autonomie, le travail… Dans le milieu rural, vu la médiocrité de l’habitat de l’alimentation, le surcharge de travail, et vu l’état de délabrement des structures sanitaires et l’insuffisance du personnel en qualité et en quantité, le sous-équipement des dispensaires –«un dispensaire rural pour 19925 habitat»(1) - la santé n’est que luxe et leurre. Et ce sont les femmes qui sont le plus touchées par ce manque vu leurs conditions difficiles et leur vulnérabilité durant le grossesse et l’accouchement. De ce manque de soins résulte une espérance de vie ne dépassant pas 63 ans, un taux de mortalité plus élevé. b- l’habitat: En milieu rural, les logements sont généralement construits en pisé et manquent d’équipements nécessaires. «6% de foyers ruraux sont raccordées au réseau public d’alimentation en eau potable, 12% disposent de l’électricité et 2 ménages sur 3 ne disposent pas d’égouts ou de fosses sceptiques pour l’évacuation des eaux usées». c- l’éducation: 87% de femmes rurales sont analphabètes en 1991 contre 49% d’urbaines. Le taux de fréquentation scolaire est de 28%. Les chances de scolarisation des filles sont moindres, et même lorsque la fille est scolarisée, elle dépasse rarement le niveau du primaire pour ensuite abandonner. La famille reste pour les jeunes filles rurales, en l’absence de centres professionnels, un lieu privilégié d’apprentissage. Cette situation qui ne peu assurer qu’un savoir-faire rudimentaire, n’a pas la possibilité de garantir une qualification professionnelle à la jeune fille. d- les activités: les femmes rurales amazighes sont impliquées dans le processus de production agraire et pastorale qui constitue la pièce maîtresse de la vie rurale. En effet la participation de la femme rurale à l’activité économique est plus importante en comparaison avec la femme urbaine. Elle prend en charge plusieurs tâches au quotidien. En plus des tâches domestiques: nourriture, logement, habits, éducation et entretien des enfants, la femme rurale amazighe réalise d’importantes activités économiques telles que la culture de subsistance, la production de bien et de services, soit pour la consommation de la famille, soit pour le marché (le tissage…). Les femmes rurales travaillent dans les champs, s’occupent du bétail et de la volaille, approvisionnent le ménage en eau et en bois, transportent les ordures et le fumier. «le travail constitue l’élément principal dans la pièce d’identité de la femme rurale»(2). le contexte socio-culturel rural impose à la femme une vie surchargée de travail. Il est à signaler que les femme rurales amazighes sont au centre de la vie symbolique de la communauté: rituels religieux, cérémonies de mariage, fêtes maraboutiques ou agraires. Dans toutes les situations de la vie, la femme amazighe estime qu’elle remplit un devoir conjugal, maternel, familial et communautaire qui n’appelle pas forcément à des droits et encore moins à une reconnaissance. Ce travail impose à la femme une charge physique, mentale et émotionnelle et l’empêche d’accéder à la participation sociale et limite les possibilités de son propre épanouissement. II- femmes rurales amazighes et environnement: L’impact de la femme et ses diverses activités sur l’environnement est négligé et son effet semble difficile à cerner avec précision. Certains particularités liées à la consommation des ressources naturelles (eau, bois) sont inhérentes à des tâches spécifiquement exécutées par elle. L’approvisionnement de foyer en eau et en combustible reste en général à la charge de la femme. le combustible reste la principale énergie domestique et le ramasser dans la foret demeure la solution la plus simple et la moins coûteuse. Foyer à bois, four à pain sont retrouvés dans la quasi-totalité des familles rurales. Ils dégagent des fumées non sans conséquence sur la santé des femmes. La femme amazighe joue un rôle important dans le processus de la dégradation de l’environnement. Car l’exploitation abusive de l’espace forestier conduit à la déforestation et au déboisement. Étant donné que la diversité des modes quotidiens d’interaction des femmes avec l’environnement, elles subissent le plus directement l’effet de sa dégradation: -la déforestation oblige les femmes à passer plus de temps à la recherche de bois de feu. Les distances parcourues sont de plus en plus grandes, il s’ensuit des avortements, des mortalités infantiles, une faible scolarité des filles, une déperdition scolaire plus forte. La dégradation des écosystèmes provoque un déséquilibre entre la disponibilité en ressources la population en croissance, ce qui se traduit par l’immigration d’une partie de la population vers des grands centres urbains. -l’érosion des sols, la pénurie d’eau limitent la productivité des potagers familiaux. Ce qui a un impact direct sur la vie économique des familles. -les produits chimiques, en polluant l’atmosphère, l’eau et la terre exposent les femmes à toutes sortes de risques de santé. Selon le rapport de la FNUAP de 2001, le nombre élevé de cas de mortinatalité et de fosses couches, dans un village en chine a été attribué aux rejets d’une usine d’engrais gérée par l’Etat. III- femmes rurales amazighes et développement: Comment promouvoir le développement, mettre fin à la pauvreté et améliorer les conditions de vie des femmes rurales? Le développement suppose que le mode d’existence des individus s’améliore, souvent par leurs propres efforts. Dans le milieu rural, les rendements agricoles et la qualité de vie dépendent de l’interaction complexe des conditions ambiantes, de l’accessibilité des technologies, de l’organisation sociale et des choix faits concernant l’utilisation des sols. La conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) de 1994 a établi un lien entre la protection de l’environnement, la prise de décisions individuelles et la défense des droits de l’homme, notamment l’égalité entre les sexes et le droit à la santé en matière de reproduction. Parvenir à l’égalité des hommes et des femmes et garantir le droit à la santé en matière de reproduction y compris le droit de choisir le nombre des enfants et l’espacement de leur naissance aidera à améliorer la situation de la femme rurale amazighe. D’où la nécessité d’introduire des infrastructures appropriées pour couvrir ces besoins croissants. En dépit de la lourde responsabilité qui incombe aux femmes rurales amazighes - elles gèrent d’une manière habituelle les vivres, l’eau, le combustible et autres ressources du ménage - les lois et les coutumes locales leur refusent le droit de participation dans la vie sociale et la prise de décision. Le développement doit passer par la promotion des droits de la femme rurale amazighe et la réhabilitation de son statut social en la faisant participer aux prises de décisions. On sait également qu’en assurant un encadrement technique et une formation scientifique et en améliorant son éducation tout en respectant ses connaissances locales, on en retiendrait à coup sur des bénéfices économiques et sociaux très importants. Cela pourrait amener au «ralentissement de la croissance démographique […] [qui] apparaît atténuer la pression humaine sur l’environnement»(3). Il permettrait de perfectionner et de mettre en oeuvre un processus de production écologiquement plus viable, de profiter de l’assistance technique et réduire la pauvreté. Il est à noter que les projets et les actions menés dans le milieu rural ne prennent pas en considération le contexte socioculturel des femmes et les privent de leur statuts d’acteurs sociaux, et les empêchant ainsi d’accéder aux ressources stratégique. L’intégration effective de la femme rurale amazighe doit commencer par la reconnaissance de son rôle et ses contributions et son implication à tous les projets de développement. Conclusion: Le dénigrement du statut de la femme rurale amazighe, située au carrefour des antagonismes sociaux, demeure un obstacle sur lequel butte toute tentative de développement. Quoiqu’elle joue un rôle important sur l’échiquier économique et assure la reproduction physique, sociale et culturelle de la communauté, son statut est marginalisé surtout en matière de prise de décision. Cette exclusion se manifeste à travers sa subordination à l’homme et sa privation de ses droits élémentaires et laissent apparaître les symptômes d’une société déséquilibrée. Le développement durable comme horizon de dépassement de la situation de malaise sociale et de la crise économique exige d’établir un lien entre la protection de l’environnement et la promotion des droits de la femme rurale amazighe y compris les droits culturels qui feront l’objet d’une étude dans les jours qui viennent. Notes: 1- A. BOUDAHRAIN, Les droits économiques, sociaux et culturels en équation au Maroc, éd, AL Madariss, 1999, P.158. 2- femmes rurales, ouvrage collectif,ed le fennec, P.61 3- l’état de la population mondiale 2001, FNUAP, 2001
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