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Le tourisme à Al Hoceima: l’état actuel et la perspective du balnéaire et de l’agrotourisme Par: Mohamed EL BOUCHHATI Al-Hoceima est nettement moins belle qu’avant. D’abord parce qu’elle est moins propre mais aussi moins blanche qu’autrefois en abandonnant l’habitude de se peindre les murs à la chaux et les portes en bleu comme c’est le cas en Andalousie, au nord de la Tunisie, au Sud de l’Italie et en Grèce. Ce qui est une sorte de perte de son identité et de son authenticité quelque part. Néanmoins, cette petite ville portuaire domine majestueusement la baie de Nkor, du nom du bassin qui domine la baie et de l’oued qui le traverse, en tournant le dos à tout le pays à cause de son enclavement.
Préambule: Il se dit beaucoup de choses de façon officielle et non officielle sur le développement des régions du Nord (et donc d’Al Hoceima aussi) pour les faire sortir du sous- développement économique et de l’économie parallèle. Celle-ci est basée, entre autres, sur la contrebande et la culture du kif (chanvre indien) ainsi que sa commercialisation. L’état s’est donc engagé à développer l’infrastructure routière, portuaire et aéroportuaire et à encourager les investissements dans le Nord. Mais tout cela est aussi lent que la tortue disent les habitants. On parle par exemple de la diversification des ressources économiques; en substituant d’autres cultures à celle du kif, en donnant un intérêt particulier à la pêche et en relançant le tourisme…etc. Au Nord-ouest, un projet comme celui de Tanger Méditerranée est stratégique pour tout le Maroc et il compte un volet touristique puisque des zones sont prévues pour cette activité. La CDG (Caisse de dépôt et de gestion) s’est engagée à augmenter la capacité de Tanger en hébergement hôtelier. A l’Est, Saïdia fait partie du Plan AZUR qui prévoit la création de six nouvelles stations balnéaires au niveau national pour atteindre, avec d’autres projets, 320 000 lits à l’horizon 2010. La province de Chaouen est retenue pour développer le tourisme de niches en 2004 avec d’autres provinces à l’échelle nationale comme Taounate. Elle figurera dorénavant sur la liste des destinations de tourisme rural comme PATC (Pays d’accueil touristique de Chaouen). L’état passé et actuel du tourisme à Al Hoceima: Al Hoceima n’est plus une destination ni pour les touristes internationaux ni pour les nationaux depuis les années mi- quatre vingt-dix, mais seulement celle de ses émigrés en juillet- août de chaque an. Qu’en est–il alors de cette province qui ne figure ni dans le plan Azur ni parmi les priorités chez les organismes de l’état qui développent le tourisme? Et quelle est sa perspective ? La province a fait partie, comme station balnéaire pilote, du premier plan national pour le développement du tourisme au début des années soixante. Elle était très prisée par le tourisme international. Dans les années quatre-vingts, le tourisme national s’y est ajouté. Et puis, après la crise du golfe, un marasme total s’y est installé pour durer chaque année environ dix mois si l’on excepte l’été, quand les émigrés de la province reviennent passer les vacances au pays. La privatisation, dans les années quatre-vingt dix, des hôtels de Maroc Tourist: Quemado et Mohamed V (4* à l’époque) n’a pas arrangé les choses. L’hôtel Tidghine à Issaguen, le seul grand hôtel qui soit complètement construit en bois au Maroc, est fermé dans cette bourgade qui fut une station hivernale dans les années soixante et la seule au Nord (apparemment, l’hôtel va être rénové et rouvert). En 2001, l’hôtel KARIM (2*) ouvert il y a trente ans est fermé. En 2003, le Club Méditerranée d’Al Hoceima, l’un des plus anciens qui fut à une époque le plus important en capacité d’hébergement (1200 lits) au niveau national est fermé lui aussi. L’aéroport d’Al Hoceima n’est plus relié aux villes d’Allemagne et de France depuis plus de vingt ans malgré les demandes incessantes et insistantes des émigrés de la région. Il n’est relié toute l’année qu’à la Hollande et en été à la Belgique. L’aéroport qui devait connaître une extension en septembre 2001 s’est vu privé de ce projet, reporté sine die, à cause des conséquences du 11 septembre dit-on !? On avance la même raison pour l’annulation des lignes aériennes vers Tanger, Tétouan et Casablanca (celles de Rabat et Fès n’existent plus depuis presque quinze ans). Les lignes maritimes qui reliaient cette ville depuis le protectorat à Tanger et Malaga sont annulées au début des années soixante-dix. Les travaux d’extension de ce port, pour accueillir de nouveau des bateaux marchands ou de voyageurs, ont duré des lustres au point qu’on peut les comparer à ceux d’Hercule sur ce point. Quant à la fameuse rocade méditerranéenne (Saidia- Tanger), programmée par le gouvernement d’Abdellah Ibrahim (1959-61), elle était vite renvoyée aux calendes grecques jusqu’aux années quatre vingt- dix. L’infrastructure et le relancement du tourisme: A partir de 1992, l’état a commencé peu à peu à reparler du développement économique du Nord du Maroc. On a ainsi relancé le projet de la rocade dont quelques tronçons sont déjà réalisés en 1999-2000 à partir de Saïdia et de Tanger et des chantiers sont en cours entre Nador et Al Hoceima. Le Japon a construit gratuitement un petit port de pêche à Cala Iris (Yellich) à soixante kilomètres environ à l’Ouest d’Al Hoceima. Pourquoi ne le développerait-on pas pour l’exploiter en tourisme aussi? Quant au port de la ville, son extension est quasi finie et il est déjà mis en service, à l’occasion de la visite de Sa Majesté Le Roi Mohamed VI en septembre 2003, et relié à Almeria (Espagne). Il le sera bientôt, dit-on, à Malaga. Mais on ne parle toujours pas de l’extension de l’aéroport de la ville qui, une fois agrandi, ne pourra que mieux désenclaver la région du Rif central. Cela fera le bonheur, en effet, d’une partie des émigrés des provinces limitrophes comme Taza, Nador et éventuellement Chaouen et Taounate en plus de ceux de la province d’Al Hoceima. Il faudra ajouter à cela que des promoteurs locaux et internationaux comptent beaucoup sur ce projet pour développer le secteur touristique dans cette province et le relancer. A propos du relancement, et malgré la fermeture touchant quelques unités hôtelières, CHAFARINA’ S BEACH a vu le jour en mai 2003 sur la plage Tala Youssef à cinq Km à l’ouest de la ville, grâce à des promoteurs de la région dont M. R. EL MORABITE. D’un coût d’environ 22 millions de DH, ce village touristique est d’une capacité de 80 lits (20 bungalows) et présente tous les services et les prestations d’un établissement de première catégorie. Il est doté, entre autres, d’une piscine, un restaurant, un salon de thé, un piano-bar, une salle polyvalente, une autre de mise en forme, une discothèque, des terrains de sport, un espace pour jeux d’enfants…etc. Et il est question de concevoir dans ce cadre des produits d’animation sportive, culturelle, et artistique. Dans ce sens, des randonnées dans l’arrière-pays encore riche en terme d’écosystème et surtout très beau, figure parmi les projets/ produits de ce village. Il en est de même pour la création d’un petit bateau de croisières. Les mêmes promoteurs ont créé l’agence de voyage CHAFARINAS Tours pour commercialiser leur produit. Et c’est la seule agence sur les six que compte la ville, qui a une activité de tourisme en plus de la billetterie. Le deuxième grand projet est le village touristique LUNAROSA (à Souani) et dont les promoteurs sont un consultant italien associé avec MORABEZA VIAGGI § ALIANZ ITALIA, et qui tarde à entamer les travaux. Le terrain retenu pour ce projet se trouve sur la plage Souani sur la baie de Nkor dans la commune d’Ayt Youssef ou Ali à 12 Km environ à l’est de la ville. Le village comprendra deux zones touristiques, l’une de 168 bungalows et l’autre de 290 et 10 villas avec tous les services de restauration, shopping, animation, piscines et terrains de sport. Le coût d’investissement sera de 150 millions de dirhams et créera 660 postes de travail (1). Avec le relancement de l’activité du port d’Al Hoceima après son extension, la société HOLDING TRANS-MAROC de Négoce- Action a vu le jour pour mettre à la disposition des voyageurs un bateau sur la ligne Al Hoceima- Malaga. Et la même société projette de réaliser la résidence Abdelkrim Khattabi sur la plage d’Isly (Espalmadero) à quatre Km à l’est de la ville. Le projet comprendra 46 bungalows, deux hôtels de trois étoiles et 24 résidences. On parle également de projets touristiques à Torres et Cala Iris…à 60km environ à l’ouest de la ville. A côté du port de Cala Iris, un village touristique sera réalisé avec un autre pour les pêcheurs. Le plan national de l’aménagement du territoire y prévoit d’ailleurs l’un des deux pôles de développement de la province d’Al Hoceima avec celui de la baie du même nom. Le désenclavement et le tourisme balnéaire: Ce qu’il faudrait surtout à cette province et de façon urgente c’est le désenclavement par l’amélioration de beaucoup de routes provinciales et régionales et la création d’autres complètement nouvelles. Il faudra par exemple agrandir la secondaire 604 entre Imzouren et Tafarsite par Krona, et la continuer de ce dernier point jusqu’à Azghenghane à l’ouest de Nador. De même qu’il faudra relancer le projet de la route Targuist (70 Km au sud- ouest d’Al Hoceima)- Taounate. Un réseau routier bien entretenu et de bonne qualité, va certainement pousser les habitants à se redéployer sur les axes routiers intérieurs et côtiers (la rocade) qui favoriseront sans aucun doute la naissance de nouveaux centres urbains. Car le dchar (2) rifain tel qu’il est actuellement est une bourgade formée de cent maisons (en moyenne) parsemées et qui entrave ou rend coûteux les projets de routes, d’électrification et autres. La rocade va plus particulièrement relancer la pêche et le tourisme balnéaire en mettant en valeur des parties de la côte inaccessible jusqu’alors. Et on connaît le potentiel du balnéaire par les dizaines de kilomètres des belles et nombreuses plages encore inexploitées pour ne pas dire entièrement vierges. Le manque de toutes les infrastructures étant terrible sauf pour trois ou quatre plages. Mais en matière de tourisme et selon les études récentes et la tendance mondiale à ce propos, il faut joindre la culture ou la nature (ou les deux) à ce produit classique qu’est le balnéaire. En effet, on parle maintenant de balnéaire intelligent. Relancer et développer l’artisanat du monde rural comme la tapisserie et la poterie, disparue ou en voie de l’être, ne ferait pas un mauvais produit culturel. On y ajoutera les sites riches en histoire comme Anoual, El Mazemma, la kasba des Mérinides à Snada...etc. Et dans le même sens, l’arrière pays sera d’une grande utilité en matière de nature avec sa faune et sa flore. Et pour la ville d’Al Hoceima, il est tout aussi important qu’indispensable de mener à sa fin le parc naturel de cette ville dont la naissance césarienne dure depuis dix ans. Il va jouer un rôle avec le parc de Talassemtane (province de Chaouen) et celui de Tazekka (province de Taza) dans l’attrait des touristes Européens qui constituent 2/3 des 150 millions de touristes amoureux de la nature dans le monde. L’agrotourisme: A ce propos et pour ne pas dissocier le tourisme des intérêts de l’habitant et ne pas connaître des échecs, il faut un tourisme en équilibre avec l’agriculture. Une agriculture qui remplacerait celle du kif comme le safran par exemple et là où le sol est idoine. La culture de ce colorant existe déjà à Taliouine (province de Taroudant), et l’ingrédient coûte pas moins de 12 000 DH le kg. Ce qui n’est que la moitié de son prix en Espagne et le cinquième aux Etats unis (3). Sa culture sera donc encouragée par son exportation vers l’étranger pour supplanter, ou du mois réduire, la culture du kif. Et sa culture, elle-même, peut- être un atout touristique et un produit agro-touristique commercialisable. On pourrait concevoir des fermes safranières ou des maisons campagnardes aménagées aussi comme des gîtes d’étape (4) et qui accueilleraient les écotouristes. Ceux-ci auront droit à participer aux tâches de sarclage, de la cueillette des fleurs, à la séparation des stigmates, au séchage et au tri du safran. Il existe déjà des safranières dans le Haouz de Marrakech et le Sud mais qui accueillent les touristes en visite guidée seulement. Ces derniers assistent aux différentes tâches et activités en tant que spectateurs et sans y être impliqués. La dernière étude initiée par le Ministère du Tourisme et financée par le PNUD (Plan des nations unies pour le développement) et l’OMT (Organisation mondiale du tourisme) recommande la complémentarité de plusieurs produits dont le balnéaire, le naturel et le culturel. L’agrotourisme peut donc figurer parmi les produits du tourisme rural pour élargir et diversifier la palette de celui-ci. Ceci en valorisant également des produits comme l’escalade et le canyoning, le ski, la chasse, la randonnée pédestre ou équestre…etc. Des circuits «verts» dans les parcs de la région doivent également être conçus en vue de développer un écotourisme dans une perspective de tourisme durable dans les zones rurales. Déduction: Les projets de tourisme qui réussiraient le mieux dans cette partie du Maroc, seraient tout simplement- comme partout dans le monde- ceux programmés dans un plan beaucoup plus large et globalement pluridimensionnel de développement économique durable. Lequel fera sortir le Rif central de son isolement, qui n’a que trop duré, afin de l’intégrer au tissu économique national et donner aux habitants le sentiment qu’ils ne seront plus oubliés. Le plan d’urgence étalé sur trois ans (5), annoncé en troisième semaine de mars 2004 par le gouvernement et chapeauté par Sa Majesté est un bon début d’autant plus qu’il vise le désenclavement de la région (infrastructures), son développement économique (et donc touristique) et l’amélioration des services à la population (hôpitaux, eau courante et électricité, écoles…). Marrakech, mars 2004 ---------------------------------------------------------------------------------------------------- (1) La fiche du projet nous est communiquée par la Délégation Provinciale du Ministère du Tourisme à Al Hoceima. (2) Dchar est l’équivalent du douar, ksar ou ighrem selon les régions au Maroc. (3) Voir une étude non signée, in L’OPINION du 19 novembre 2000, p.3. (4) Hébergement touristique en montagne, séparé ou non de la maison familiale. Il doit répondre à des normes de confort, d’hygiène et de services pour être autorisé et classé après la construction par une commission interministérielle. (5) Khalid TRITKI, cinq milliards de DH pour développer la région d’Al Hoceima in La Vie Economique du 19 mars 2004, p.14.
Mohamed EL BOUCHHATI Enseignant à l’Institut spécialisé de technologie hôtelière et touristique de Marrakech
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