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Tamazight
en perte de vitesse.
Par: A. CHELLAF
La question a1mazighe dans notre pays est
arrivée à un point de confrontation entre les adeptes de travail au sein de l’Ircam
(ircamistes) et leurs opposants –une grande partie du Mouvement amazigh-
favorables à la défense de la cause en toute indépendance. Cette polémique est
née depuis qu’il s’est posé, notamment par Azetta1, la question de l’utilité de
l’Ircam suite aux écueils rencontrés par cette institution dans la mise en
application de ses décisions. (B.Mokhliss)
Prise en main par l’Ircam actuellement, la question amazighe est aujourd’hui sur
la sellette de la critique et de la réplique de deux tendances, les ircamistes
et leurs opposants.
I - Agir avec l’Ircam, une opportunité.
Le travail avec l’Ircam est une garantie de force vu la place de cette
institution. Il est également une chance à ne pas manquer pour le développement
de l’identité et de la culture amazighes.
A – un gage de force.
Agir ensemble selon un front en commun est un gage de force qui permettra de
peser sur les événements, surtout que les défenseurs sont minimes et manquent
d’un vrai poids politique. En effet, un mouvement divisé, donc altéré dans son
unicité, est en quelque sorte un corps faible et craintif de toute attaque
extérieure.
Les deux positions peuvent faire un travail complémentaire. L’objectif dans ce
cas est le même: lutter pour la reconnaissance de la langue et de la culture
amazighes. Ainsi, chacun pourra travailler selon sa manière de voir et selon sa
propre conception. Un des exemples de coordination possible entre les deux
courants est fourni dans le cadre de travail pour la constitutionnalisation de
la langue amazighe. En effet, l’Ircam a remis une proposition dans ce sens au
souverain; cela au même moment où une dizaine d’associations se sont rencontrés
pour faire une proposition semblable (B. Mokhliss). Cette vision de voir
différente est enrichissante; elle permet de traiter le sujet dans tous ses
alentours possibles et dans ses différentes facettes.
B – une chance à exploiter.
Force est de constater que le Mouvement amazigh, agissant depuis longtemps à ce
niveau, n’est pas arrivé à donner plein essor à sa conception. Agir au sein
d’une institution de l’Etat, crée pour cet effet, aura l’avantage d’être écoutée
dans un Etat, où plus généralement, on se méfie de ce qui vient de l’extérieur.
Par contre, réduire tout le travail sur la culture et l’identité amazighes dans
un mouvement neutre, c’est-à-dire en dehors de cette institution, n’aura
certainement, comme auparavant, qu’un faible écho. Cela peut être soutenu par
ceci: si le travail au sein d’une institution qui jouit de soutien du Palais n’a
pas donné tout ce qui est escompté, comment le travail en dehors de celle-ci
pourra nous procurer gain de cause?
Ceci dit, cette situation est aggravée par la contestation de tout ce qui touche
de près ou de loin à cette identité. Elle est contestée ouvertement par les
différents acteurs politiques et souffre de l’hostilité des institutions de l’Etat
(les ministères de l’éducation et de la communication). À cela s’ajoute
l’affaiblissement de ce mouvement de plus en plus dans le contexte national.
Cela laisse entendre que le travail au sein de cette institution, qui
rappelons-le est placée sous l’autorité du Palais, est plus qu’utile. Tout cela
nous incite à se demander si ses opposants ne manquent pas de realpolitik dans
la mesure où ils ne prennent pas en compte la situation désastreuse dans
laquelle se trouve la question amazighe actuellement. Est-ce que ce n’est pas
vrai que l’Ircam avec l’approbation politique du roi se trouve par conséquent
au-dessus de toute contestation de la part des partis politiques et une grande
partie de la société réticente vis-à-vis de l’ampleur que prend cette question?
Cela n’est-il pas une chance pour cette identité malgré les résistances qu’elle
rencontre actuellement? On peut se demander quant est ce que dans notre pays une
question aussi cruciale, voire même tabou, comme l’est la question amazighe, a
réussi à faire passer sans un soutien ou un arbitrage royal. Il faut le dire, la
classe politique et les acteurs politiques du royaume avec des inspirations
idéologiques divergentes n’auront jamais une position unie et glorifiante pour
notre identité. Cet arbitrage/soutien tout à fait nécessaire dans ces cas. Le
cas de la moudawana en est un autre exemple frappant.
II – Agir avec l’Ircam, un intempestif.
Néanmoins, agir avec l’Ircam parce qu’il est un gage de force et de chance ne
doit pas masquer le risque d’une domestication de cette identité et de sa
dépolitisation.
D’abord son instrumentalisation car depuis la création de l’Ircam, la cause
amazighe est désormais appelée à grandir sous l’ombre du makhzen. En effet,
certains craignent que l’Ircam ne soit pas un moyen de «désenfler les dernières
poches de résistance linguistique» (Benhakeia H., 2006). Autrement dit, l’Ircam
pourra être un moyen de centrer la Marge pour qu’elle ne constitue pas un risque
pour le Centre par sa volonté «d’aspirer à la vie.» Pour contrer cette
possibilité, l’Ircam serait la meilleure solution pour cerner l’amazighité (Benhakeia,
2006).
Ensuite sa dépolitisation car depuis l’institution de l’Ircam, la question
amazighe suit un sens purement académique. Privée de sa substance depuis la
création de l’Ircam, la question n’a plus son attrait comme une question
suscitant des interventions des différents acteurs, entre défenseurs et
réfutateurs. Un dialogue national entre les différentes tendances ne peut être
finalement qu’enrichissant pour cette question et notre pays en général. C’est
ce dont cette cause a besoin: arriver à être un sujet public non seulement des
acteurs politiques mais aussi de la société civile. Une chose qui permettra de
familiariser et réconcilier le peuple marocain avec ses origines, son identité
et sa culture. Toutefois, cette attente n’est pas exaucée car le fait Ircam a
donné l’inattendu. En effet, nombreux sont ceux qui ont cru avec M. Ajaajaa que
«le dahir qui l’avait institué [l’Ircam] allait être le début d’un processus
institutionnel et juridique faisant de lui une tribune politique. Au bout de
deux ans, poursuit M. Ajaajaa, nous avons constaté que nous tournions en rond…»
(Journal hebdo). Ce manque d’élan pour cette identité n’est pas dû au travail
raté de l’Ircam mais à l’absence d’une volonté politique. Le problème de cette
identité n’est pas à chercher loin, il est bel et bien politique.
Cela sans oublier que le travail actuel de l’Ircam prive l’identité et la
culture amazighes de son arrière base démocratique. En effet, jusqu’à
l’institution de l’Ircam, la défense de ces identité et culture s’inspire du
peuple via les associations qu’il a constituées pour cet effet. La tendance
actuelle risque de priver le mouvement de sa nature démocratique. La nomination
des membres de l’Ircam est loin d’une essence démocratique de toujours. Un
membre est désigné dans l’enceinte de l’Institut s’il est proposé par l’Ircam et
pourvu que cette proposition soit validée par le souverain.
Les attaques contre l’Institut seront appesanties dans le cas où le
développement de l’identité amazighe ne connaîtrait aucune amélioration
sensible. Cela pourrait nourrir toute nature de contestation à l’encontre de cet
Institut. Déjà, avec l’état de statu quo actuel, les associations hostiles à l’Ircam
posent la question de son utilité et doutent en sa capacité à donner un nouveau
souffle à l’amazighité. Un des points sur lesquels ils se fondent est celui de
l’évaluation de son travail depuis sa constitution. Si ceux-ci lui nient tout
acquis fondateur en le jugeant à la lumière du dahir d’Ajdir, les ircamistes
répliquent en disant que l’Institut a réalisé tant de choses (Ircam, 2006)2, ce
que les premiers refusent d’entendre de cette oreille. Les ircamistes à leur
façon défendent l’idée selon laquelle le bilan de l’Institut ne doit pas être
apprécié selon son texte fondateur mais selon ce qu’il a pu réaliser
concrètement. En réalité, il est difficile de faire une évaluation de quelque
chose sans le voir à la lumière de ce qu’il est censé accomplir. En l’occurrence
ce qu’il a comme mission à remplir à savoir celle tracé par le texte
l’instituant.
Bibliographie:
•Benhakeia H., «L’Ircam: entre l’affranchissement et le succursalisme», Tawiza
n° 108, 2006.
•Le Journal hebdo n° 250 du 8 au 14 avril 2006, « L’Ircam en perte de
substance »: www.lejournal-hebdo.com/article.php3?id_article=7850, visité le 10
avril 2006.
•IRCAM, «L’Ircam: une institution citoyenne au service de l’amazighité.»
consultée à l’adresse suivante: www.souss.com le 14 mai 2006.
• Mokhliss B., «Amazighs contre Amazighs»: www.souss.com/amazighs-contre-amazighs.html
,visité le 24 avril 2006.
Notes:
1 L’Azetta est le réseau amazigh pour la citoyenneté. « La Coordination
nationale des associations amazighes démocratiques indépendantes », constituée
d’une trentaine d’associations, a proposé purement et simplement la dissolution
de l’Ircam pour le remplacer par une institution indépendante.
2 Cet article de l’Ircam est une réponse à l’article paru au « Journal Hebdo »
cité dans la bibliographie.
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