Congrès Mondial Amazigh:
Quel
forum pour quel avenir?
A l’instigation des États du G8 réunis à Sea-Island
(Etats-Unis) en juin dernier, le Maroc accueille les 10 et 11
décembre 2004 un "Forum de l’avenir" rassemblant outre les membres
du G8, les États du "Grand Moyen Orient" et de l’Afrique du Nord (BMENA).
L’objectif annoncé de cette réunion est de "resserrer la coopération
entre les États" et d’aider les gouvernements de la région BMENA à
entreprendre des réformes pour le développement économique,
politique et social. Des représentants des entreprises et de la
"société civile" des pays du G8 et de la région BMENA devraient
également être associés à cette rencontre.
Il ne peut être dans notre idée de rejeter d’emblée
une quelconque initiative visant à améliorer un tant soi peu le sort
de millions de personnes victimes du non droit et mises en marge du
progrès économique, social et culturel. Nous dénonçons depuis trop
longtemps les souffrances des populations pour refuser aujourd’hui
la moindre lueur d’espoir, d’où qu’elle émane. Dans les États
dictatoriaux comme ceux de la zone BMENA, les libertés et le progrès
social ne peuvent reposer exclusivement sur les faibles forces
démocratiques de chacun des pays. Le soutien international est dans
tous les cas déterminant, ne serait-ce parce que la justice et
l’histoire ont besoin de témoins. En même temps, il ne saurait être
question d’accepter ou de cautionner un projet qui ne repose sur un
minimum de cohérence et de sincérité. Or que constate-t-on?
- Le forum réunit les États hétéroclites d’une vaste
région qui va du Pakistan au Maroc en passant par l’Afghanistan et
l’Arabie Saoudite, dont le principal point commun est d’être des
Etats islamiques. Cela est-il suffisant pour créer ex-nihilo une
nouvelle "entité géostratégique" qui n’a de sens que pour ceux qui
ignorent tout de cette zone et de ses peuples? Les initiateurs d’un
tel projet irréaliste ont-ils médité l’impasse dans laquelle se
trouve depuis des années le pitoyable projet d’"union" des Etats
d’Afrique du Nord, dit "UMA" ? A qui veut-on faire croire que
fermeture aberrante de la frontière artificielle entre l’Algérie et
le Maroc a été décidée dans l’intérêt des populations ? Et que dire
de l’incapacité de la Ligue arabe à trouver des solutions aux
tensions et à la haine qui servent de relations entre ses membres ?
- Pour ce qui concerne le peuple Amazigh, nous
réaffirmons que notre seul cadre géopolitique naturel est celui de
l’Afrique et de la Méditerranée. C’est à partir de cet espace de
proximité géographique, historique, social et culturel que les
Amazighs entendent œuvrer au développement des solidarités
nécessaires avec les autres peuples. En tout état de cause, nous
rejetons par avance toute "résolution" de ce forum qui ne tienne pas
compte des droits fondamentaux du peuple amazigh, peuple autochtone
de la région Afrique du Nord.
- Le forum réunit des chefs d’Etat du moyen Orient
et de l’Afrique du Nord qui ont de tout temps fait la preuve de leur
mépris pour les droits humains et de leur manque de scrupules dans
l’exercice de la répression violente contre les populations. A titre
d’exemple, dans l’Algérie de Bouteflika, les crimes commis en
Kabylie depuis 2001 et dans la région de l’Aurès par les forces de
sécurité de l’Etat, demeurent à ce jour impunis et ces régions
restent soumises à la relégation économique, politique et sociale.
Le retour de la Libye dans "le concert des Nations", s’est
accompagné d’une légitimation accrue du pouvoir absolu de Kadhafi
qui mène une chasse sans merci à toute contestation aussi symbolique
et pacifique soit-elle. Ainsi, et depuis quelques mois, les services
de police ont établi des "listes noires" de défenseurs des droits
des populations amazighes, qui sont activement recherchés et arrêtés
à leur domicile ou sur leur lieu de travail. Au Maroc, derrière la
façade démocratique en trompe l’œil, les autorités usent de lois et
de pratiques colonialistes pour spolier les paysans amazighs de
leurs terres nourricières ancestrales, marginalisent les régions
amazighophones, poussant les habitants à la révolte ou sur les
chemins de l’exil. Le régime tunisien est malheureusement lui aussi
particulièrement célèbre pour ses atteintes systématiques aux
libertés et aux droits individuels et collectifs.
Dans tous ces Etats, c’est donc le règne de
l’absolutisme qui s’accapare les pouvoirs et les richesses. En
conséquence, la misère multiforme, le désarroi et le terrorisme sont
sans cesse alimentés par l’obscurantisme, la corruption et les
violences institutionnels. Il est alors évident que si ce forum ne
sert qu’à "renforcer l’autorité" des chefs d’Etats du BMENA, comme
l’a affirmé M. Larson, sous-secrétaire d’Etat américain pour les
affaires économiques, commerciales et agricoles, le 10 novembre
dernier, la réunion de Rabat ne serait qu’une mascarade de plus,
aussi ostentatoire qu’inutile et en tout cas, éloignée des
préoccupations et des intérêts des habitants de la région.
Installer durablement la paix et la prospérité est
le vœu le plus cher de tout citoyen de ces territoires trop
longtemps meurtris. Mais cet objectif passe inéluctablement par de
profonds changements politiques susceptibles de mettre les pays de
la région sur la voie de la justice et d’une saine gestion des
affaires publiques. Les Etats démocratiques du monde ainsi que les
instances internationales peuvent jouer un rôle décisif dans ce
sens, à condition qu’ils soient animés d’une réelle détermination et
d’une volonté sincère. Celle-ci se mesurera non pas par la
consolidation des régimes anti-démocratiques de chacun des pays mais
bien par l’exigence de l’instauration de l’état de droit, le strict
respect des conventions internationales, l’adhésion effective aux
principes et aux valeurs universels et par l’accroissement du rôle
de la société civile.
C’est à ces conditions minimales que la confiance
peut être restaurée et que le dialogue, particulièrement nécessaire
en période de crise, peut faire bénéficier l’ensemble des
partenaires de ses vertus et tenir toutes ses promesses.
Paris, le 9 décembre 2004
Le Bureau du CMA.
Congrès Mondial Amazigh
BP 60
75861 Paris cedex 18, France
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