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El-Houceima dans les élégies rifaines. Du mot anxiogène au pressentiment poétique de l’abîme. Par: Mustapha El ADAK (Oujda) A regarder de près l’image d’EL-Houceima dans la poésie moderne rifaine, on en conclut immédiatement que cette ville fait l’objet de plusieurs textes où les mots, lorsqu’ils ne constituent pas des champs sémantiques de «vénusité», basculent irrévocablement dans l’expression de la «plainte» et se répandent en lamentations. Les mots gémissent, soupirent, sanglotent, pleurent, crient, dénoncent… De leur tissage affligeant, naissent alors les élégies rifaines où la ville devient un être souffrant, mourant; un être trahi, traqué, policé, amputé… Bref, un cadavre séchant au soleil, aux pieds de montagnes figées: terrible silence d’un espace où le Rif est «né». En effet, c’est bien l’image de cette drôle de naissance qui constitue la blessure la plus profonde de l’imaginaire poétique rifain. Image qui, au fil du temps, s’y est infiltrée profondément pour le travailler et le déchirer de l’intérieur. Par naissance, il faut entendre bien sûr l’éclosion et la genèse d’un sujet collectif confronté aux vicissitudes de l’histoire. En d’autres termes, l’élaboration de la conscience que ce sujet a de lui-même et du monde. Donc, parler de l’espace où le Rif est né, c’est évoquer en quelque sorte un potentiel de sens dont la détermination est fortement liée à l’histoire de la région qui sert de catalyseur pour la structuration de l’imaginaire poétique. Cette histoire, on le sait tous, a valu pour le Rif la plus terrible des corrections: celle des mœurs. Inutile d’en décortiquer ici les mécanismes de la maltraitance. Or, il faut bien souligner qu’il en a résulté des sévices identitaires dont le poids est socialement lourd et qui se confinent dans des préjugés et des stéréotypes au sujet de la région et des siens. Sans doute, EL-Houceima incarne-t-elle métonymiquement des maux de toute nature. A ce propos, il ne faut pas perdre de vue qu’un référent spatial, au-delà de sa littéralité, évoque par connotation autant de choses qui le caractérisent. Ainsi, le territoire est le vecteur de ce qu’il y a de plus profond chez une communauté. Il est le signe de son humeur, il informe sur sa condition humaine et rappelle à l’autre ce qu’elle est. Tel est donc le mystère de cet investissement symbolique dans notre toponyme infortuné. L’idée de cibler ce modeste article sur l’image lamentable d’EL-Houceima dans la poésie rifaine est née de ma conversion récente à la superstition. La raison apocalyptique de la nature a réveillé en moi toutes les rimes qui se sont apitoyées sur le mauvais sort de la ville. Du coup, je me suis imprégné de l’inévitable idée que les signes désolants ne font qu’invoquer d’une manière occulte la malédiction et le désastre. Pour mieux éclaircir le caractère augural (extrasensoriel) des élégies consacrées à la «perle du Rif», nous prendrons, à titre illustratif, les extraits suivants : a biyya ! yedduqqez wur-nnem / Ô EL-Houceima ! Tu languis ma d ccem i t-yeggin s ufus-nnem / Est-ce toi qui es responsable de ton déclin ma ttittvawin n bnadem / Est-ce le mauvais œil i d-ayem yuyuren d ssem ? / Qui s’acharne contre toi tel un poison ? (Chacha. Cway zi tubbuherya 0ad war tiwidv wi di teggid imi ? / Qui as-tu décrié ? umi teggid reâdu ? / Pour qui es-tu ennemie? umi tafsut-nnem / Pour que ton printemps tedwer d anebdu / Devienne été (Chacha. idem). anebdu-nnem yessur / Ton été est hybride imettvawen degg wurar / Le mariage s’est endeuillé Oar daxer tti0ufawin / En réalité, tu étouffes 0ar barra yenndvam ssbar / Mais tu parais inlassable (Moussaoui, yesfuff-id uOeqqa). azri-nnem d axettvar / Ta beauté enflamme awar x-am d azirar /Tu fais l’objet de longues discussions (Moussaoui, idem) awar x-am d azirar i mud am ise0wan / A ton sujet, les mots sont tressés telles des cordes isem-nnem yetwassen di tmura di mucan / Partout ton nom est connu (Ziani. tirewriwin i muray). Compte tenu de ces passages, on est arrivé maintenant au point où l’on peut admettre que la représentation d’ EL-Houceima dans le produit poétique rifain s’organise régulièrement autour de structures imaginaires portant sur la «doléance». Comme on peut le constater, le caractère récurrent de ces structures dégage une sémantique archétypale orchestrée essentiellement par des réseaux d’associations dont les invariants figuraux nous renseignent sur le mythe, l’histoire, la mémoire, etc. du sujet collectif rifain. De tous ces extraits, aussi divers qu’en soient leurs auteurs, ressortent ainsi des métaphores obsédantes dont le rôle, bien évidemment, est de déterminer à la fois la dynamique et l’organisation de la représentation ontologique de la ville «scalpée». Des mots se perpétuant en douleurs et qui nous rappellent la sagesse du proverbe: ayujir yettru arebbi yarenni-yas (l’orphelin pleure (souffre) et Dieu lui en rajoute). Moi qui ne suis poète que par occasion, je soufflerai ces mots à l’enfant cher d’Imzuren Ali ABRARI et à tous nos frères qui tremblent à EL-Houceima. a tirja yennuryen ! / Ô, rêve endeuillé! ad qqnegh tizzay-nnem ict ict /Je réparerai toutes tes fissures ad gharbregh ta0jjajin izuray igenwen/Je criblerai les poussières des rues muettes a t-ggegh d reowetc i wussan i d-yeggwuren / Et j’en ferai des provisions pour l’avenir war xedjigh, war oezzbegh / Je ne serai ni exilé, ni nomade d rmewt i d-ayem oecqegh / C’est bien la mort qui m’attache à toi.
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