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Tamazight entre standardisation et dialectisation «Da kkaten tabarda zrin aghyul» Par: Moha Moukhlis L'amateurisme et l'opportunisme politique constituent des dangers réels pour toute action relevant de la recherche scientifique. C'est le cas justement pour le processus de standardisation de la langue amazighe. Les débats agités et les positions étriquées motivés par l'amateurisme et la cécité intellectuelle risquent de créer une atmosphère gênante et voiler les vrais problèmes. Voici que l'Institut Royal de la Culture Amazighe vient de publier le manuel scolaire de la première année du primaire dans les trois grandes variantes dialectales de la langue amazighe. Le Centre de la Recherche Didactique et des Programmes Pédagogique qui a supervisé l'opération est montré du doigt. On lui fait endosser la responsabilité d'entériner la vision officielle qui consiste à morceler la langue amazighe et d'empêcher sa standardisation et son unification. Les mêmes personnes qui ont critiqué les manuels édités par l'IRCAM ne se sont pas prononcées sur les manuels publiés par la Fondation BMCE et qui sont élaborés dans la même perspective. En fait, les manuels publiés par l'IRCAM s'inscrivent dans un processus d'évolution et d'homogénéisation progressifs de la langue amazighe. Leurs choix ont pour dessein d'éviter d'enseigner une «langue de laboratoire», coupée de la pratique des locuteurs, une langue «fabriquée» et en déphasage par rapport à un amazigh vivant et parlé. Car on oublie souvent de souligner que le processus de standardisation d'une langue nécessite du temps et s'inscrit dans une démarche à la fois pédagogique et sociale. On oublie également de souligner que l'école, actuellement, ne peut pas être le seul canal pour la standardisation de l' amazigh. Le choix d'une standardisation progressive relève du réalisme. La variation linguistique est un phénomène universel. La norme rigide et définitive relève de l'utopie. Ce serait une option qui va à l'encontre de l'évolution naturelle de la langue qui est d'abord la propriété des locuteurs. La langue n'est pas un objet figé. C'est un système qui s'inscrit dans une contingence historique, en perpétuel changement. Vouloir l'oublier relève de la démagogie et de l'amateurisme. Un feu d'artifice destiné à attirer l'attention sur soi pour voiler ses propres contradictions. Il y a lieu de distinguer entre les principes de la revendication amazighe qui restent constants et communs et leur concrétisation dans la réalité. De toutes les façons, ceux qui ont critiqué l'Ircam ne se sont pas donnés la peine de proposer une alternative ou des solutions de rechanges. Les manuels de l'Ircam peuvent être critiqués «objectivement». Ils ne sont ni sacrés ni parfaits. Leur évaluation est un processus continu. En fait, le véritable problème réside ailleurs. Pour apporter des réponses sérieuses et responsables à l'enseignement de l'amazigh, il est impératif que soit créé des structures adaptées à cet objectif au sein des centres de formations du Ministère de l'Éducation Nationale. Elles seront chargées d'élaborer des modules de formation en amazigh étalés sur deux à trois années. Ces structures doivent former les promotions des enseignants de l' amazigh en leur inculquant les différentes variantes pour les armer et les préparer à mieux gérer leurs classes, forcément hétérogènes. A lui seul l'Ircam, en publiant ses manuels, a relevé un défi en raison du nombre réduit des chercheurs qui ont élaboré les manuels et du temps qui leur est imparti. Et à lui seul, dans l'état actuel des choses, il ne peut pas apporter toutes les solutions aux problèmes que pose l' amazighité et aux attentes des citoyens. Pour que l' amazighité avance, il est impératif que chaque Ministère et institutions de l'Etat marocain créent en leur sein des structures autonomes (Directions, Services, Département...) relatives à l' amazigh. Des structures dotés des besoins humains suffisants, de locaux, de la logistique et du budget adéquat. Si la critique est souhaitable, elle doit bénéficier d'un minimum de réflexion pour être crédible. Autrement, elle relèverait d'un «mijotage» stérile où les ambitions personnelles passent avant la cause amazighe. Comme le dit si bien le proverbe amazighe: « Da kkaten tabarda zrin aghyul».
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