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Fès est le Maroc, le reste des indigènes. Par: Rachid Fettah 2008 est par excellence l’année d’événements marquants au Maroc de l ère nouvelle. Deux événements hauts en symboles et profondément symboliques vont être inscrits dans les annales de l’historiographie. D’une part la visite royale, tant attendue, de la région d’Anefgou (petit village situé au cœur du haut Atlas), et d’autre part les célébrations du dit 1200ème anniversaire de la fondation de la ville de Fès. Le premier événement n’a pas nécessité, à mon sens, grand intérêt puisqu’il constitue une petite parenthèse subitement close, voire une page tournée à la hâte pour ne pas laisser voir la face morne du plus beau pays du monde. Dieu merci, heureusement, il y’a cette chaîne des hautes montagnes du haut Atlas, don de la nature, qui s’érigeaient depuis la nuit du temps pour dissimuler ces populations montagnardes habitant l’autre Maroc inutile et vivant, encore, au moyen âge. Quant au deuxième événement, il va attirer tous les regards et voler toutes les lumières puisqu’il porte sur les célébrations annoncées, à cor et à cri, à l’occasion heureuse de la fondation de la ville de Moulay idriss. Mille fois bénie comme ville sainte, elle dégage les bénéfiques odeurs de d’encens et de sainteté, c’est pourquoi elle est désignée par tous les qualificatifs qui font d’elle un haut lieu de pèlerinage, elle est la blanche, la sacrée, la spirituelle, l’orientale et l’andalouse… son unique secret: elle abrite le tombeau de son fondateur dont les ramifications de son arbre généalogique montaient pour s’entrecouper quelque part avec, soit disant, une ascendance des «chorafa», ce sont , certainement ces sources pures qui donnent à cette cité exceptionnelle l’aura presque d’une «Al médina al mounawara»(bis). Or, puisque ces extraordinaires célébrations ne touchent pas, de plus près et dans leur intimité, tous les marocains, beaucoup d’interrogations s’interposent: Fallait-il vraiment mobiliser toute cette armada d’acteurs à cette occasion? Etait-il nécessaire de déployer autant de sources humaines et financières? Pourquoi toute cette couverture hypermédiatique? Le moment est-il vraiment bien choisi pour conduire, d’une manière grégaire, tous les marocains à fêter un événement portant exclusivement sur le particularisme socioculturel d’une seule ville? Au moment où tout le pays passe par les épreuves socioéconomiques les plus critiques, au moment où le rythme du corps politique tend vers un arrêt cardiaque certain, à défaut d’une vraie vitalité sociopolitique et d’une gouvernance manifestement vigoureuse, au moment où, encore une fois, les populations excédées et révoltées, sous les ravages des crises profondes et diverses, se soulevaient pour contester par-ci et par-là, l’explosion de la colère sociale du petit village de Sefrou (justement aux environs de Fès) en est un bon exemple. Pour revenir aux méga-célébrations, qu’accueille la mille fois bienheureuse capitale du «Tarab al andaloussi», l’occasion qui les justifie relève du flou et de l’ambigu, s’agit-il vraiment à l’occasion de l’anniversaire 1200ème de la fondation de Fès? Cette cité dont le nom, selon la légende, renvoie à la découverte d’une pioche «Fas en arabe» à l’emplacement des premières fondations, ou bien, est-il plus tôt question des célébrations qui sont conçues pour mettre en relief l’histoire et la vie du royaume? Beaucoup d’annonces confuses se repoussent et se bousculent, par-ci on peut lire «Maroc, 808-2008:1200 ans de vie du royaume. Par-là il est écrit, 808-2008: anniversaire d’une ville patrimoine culturel mondial. Mais, ce qui reste clairement dominant, c’est ce que résume, sans ambiguïté, ce titre en gros caractères qui annonce: le 1200ème anniversaire de la ville de Fès.
A vrai dire, toutes ces annonces sont bourrées d’implicites et du non dit. Le premier message, qui saute aux yeux, laisse entendre que l’histoire du Maroc commence, effectivement bel et bien, juste depuis l’année 808, quand le chérif Moulay idriss, pour sauver sa peau, demande l’asile social dans le sol berbère. Le deuxième message, non di , laisse nettement comprendre que Fès est, sans conteste, célébrée comme incarnation exclusive de l’histoire et du patrimoine civilisationnel, unique représentant de la quasi-totalité des diversités régionales et socioculturelles du Maroc. Ainsi, selon cette vision bornée et bornante tout un pays se dissout dans la mémoire d’une seule ville: Fès est le Maroc et le Maroc est Fès (point final). Enfin, le troisième message invisible se résume dans cette volonté, sous entendue, de faire coïncider l’événement de la 1200ème anniversaire de la fondation de la ville avec celui de la vie du royaume. Cette complicité est une démarche adoptée intentionnellement par les initiateurs comme prétexte, justement, pour donner à ces célébrations plus d’autorité et de légitimité à caractère officiel. Mais, la question qui s’impose demeure, pourquoi Fès et non pas une autre ville marocaine? Pourquoi pas Marrakech par exemple? Puisque d’après des références d’autorité scientifiques, relevant de l’histoire (avec grand H), c’est Marrakech qui devra incarner le Maroc et la diversité socioculturelle marocaine. L’appellation Maroc est la nouvelle nomination qui s’est substituée à»Marrakech». En outre, au niveau culturel et civilisationnel, Marrakech s’avère une bonne et parfaite illustration de l’identité marocaine pluridimensionnelle, à savoir un miroir qui reflète nettement la diversité culturelle et linguistique. Eh bien non, aux yeux des élites arabocitadines, il y a sans aucun doute le profil identitaire du fondateur de la ville ocre qui pose problème. Youssef bnou Tachfine. De son nom complet, il dénote fort bien l’amazighité et visiblement dépourvu de tout titre chérifien (ni sidi, ni Moulay), pourtant les premières leçons d’histoire qu’on inculquait aux écoliers au bas âge confirment que: «les premiers habitants du Maroc ne sont autres que ces barabira fils de Mazigh qui se sont venus par la route de habacha et de l’Egypte…» Alors, est ce que le fait de ne pas choisir une ville ou région berbère pour fêter l’occasion de la naissance, de la vie et de la survie du royaume pourrait expliquer que Imazighen sont moins royalistes que les élites arabocitadines des villes impériales? Ou bien, sont-ils toujours hantés par les échos des coups d’état des années 1971,1972…?? Et pourtant il y a eu l’intervention des chevaliers Deus ex machina de l’instance équité et réconciliation qui avaient, apparemment, blanchi les pages noires des années sombres. Loin de toutes ces considérations, le maitre-motif du choix de la capitale des Idrissides s’avère, purement et simplement, d’ordre éthno-civilisationnel. La ville de Fès a élaboré, au fil des siècles, une identité citadine nourrie par un arabo-islamique considéré comme découlant, soit disant, des sources premières de l’islam, à l’image de certaines cités-phares du machreq, Damas en Syrie et Bagdad (d’avant) en Irak. Cette distinction particulière réservée à cette ville marocaine s’explique par le nombre indéfini des festivals qui y ont lieu chaque année. D’abord pour renouer avec un lointain proche orient, ensuite pour s’inspirer du passé glorieux arabo-andalou et puis pour puiser dans le patrimoine sacro-saint arabo-musulman. Hautement honorée comme capitale spirituel, elle égrène dans son chapelet doré festival après festival dont les plus marquants sont celui des musiques sacrées du monde et le festival international de la musique andalouse. Tout est dit. De ce fait, ce n’est ni l’occasion de sa fondation, ni la vie du royaume qui constitue la vraie raison qui a déclenché cet état de liesse générale et généralisée, ces manifestations qui s’inscrivent sur un arrière font en désharmonie totale, en dépit du budget déployé qui s’élève à 300 millions de dh, où l’état trop généreux contribue avec 150 millions de dh. Mais, la raison maîtresse en est, plutôt, la pure et dure volonté pour «la sauvegarde de Fès, à travers son héritage andalou», rêve épique où même une certaine frange d’imazighen est invitée à jouer à merveille son rôle historique de figurants.»Ce n’est que d’après les fruits que je me suis permis de juger l’arbre», disait Saint Beuve. Et ce n’est pas gratuit si ces célébrations soient soutenues et appuyées par l’académie du royaume, par des associations riches (Fès says), par des personnalités de poids (Azoulay, Tahar ben jelloun…) par des fondations (esprit de Fès), par des conseillers, des collectifs, des communautés (israélite…), par des groupes, des instituts, des orchestres, par la mairie d’Aix les bains, par des Ouléma, des Rabitas, des régions, des réseaux, des unions, des universités… Bref tout un monde d’officiels, de politiques, d’intellectuels, d’économistes, d’universitaires, de foqaha, d’artistes s’identifiant et voyant dans Fès la ville «oummou dounia» (mère de l’univers). Le mot de la fin, je le laisse à l’enfant terrible du moyen Atlas , l’écrivain Abdelhak Serhane qui, un jour cria «Maroc de mes douleurs, faut-il que je te quitte», chose dite chose faite, aujourd’hui il est en exil volontaire de l’autre coté de l’Atlantique. Dans l’une de ses nouvelles intitulée «un pays aux couleurs de son temps», une jeune fassie, s’adressant à un touriste en visite au Maroc, et parlant de la musique andalouse disait: «c’est le trait culturel le plus authentique et le plus important de notre pays. Le reste n’est que du mauvais folklore». En parlant de Fès la même fassie expliquait à l’étranger: «Ici à Fès, nous aimons ce qui est vrai et profond. Nous sommes les dépositaires de la civilisation marocaine». Et pour conclure, elle résume avec ces paroles: «Nous sommes le Maroc. Les autres sont des indigènes» .Quoique relevant de la littérarité, ces propos en disent long. Citations extraites de: Sarhane Abdelhak, «un pays aux couleurs de son temps» in Regards sur la culture marocaine N°1(n° unique) 1988; p.30. (Par: Rachid Fettah, Rachidfettah@yahoo.fr)
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