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Entretien avec le poète amazigh omar DEROUICH Propos recueillis pour Tawiza par NourDine Bawdra Tawiza - Bonjour Monsieur DEROUICH. Nous rappelons aux lecteurs que vous êtes enseignant et membre de l’Association Socioculturelle TILELLI de Tizi-n-Imnayen (Goulmima) au Maroc. Ancien détenu de la cause amazighe, connu par la richesse de votre œuvre poétique, vous venez de publier votre deuxième recueil de poèmes intitulé «Taskiwin» (Petites cornes) chez les Editions Emboscall en Catalogne. Quand avez-vous commencé l’écriture? Et que signifie l’écriture pour vous? Omar DEROUICH: J’ai commencé à écrire mes premiers poèmes, ou mes essais en poésie, au début des années quatre-vingt. Pour moi, l’écriture a d’abord été un loisir comme d’autres; mais avec le temps, elle est devenue un acte de d’existence et résistance. Tawiza - vous avez choisi la poésie parmi d’autres genres littéraires, comme la nouvelle, le roman et le théâtre, pourquoi? Et Comment la poésie devient un acte de résistance? O.D: Ce n’est pas un choix mais une coïncidence comme quelqu’un qui passe par un lieu peu connu et il y rencontre une âme sœur, dont le premier fruit est l’engagement pour une cause noble et légitime. Avec le temps, cette rencontre s’est muée en une mission historique qui oblige le poète à la réflexion et de l’engagement auprès des siens. J’ai fait la découverte de la poésie surtout à travers l’écoute de la chanson amazighe et depuis je n’ai pas cessé de m’y baigner. Rappelons que la poésie est une arme contre la mort, l’injustice et l’oubli. Tawiza - Comment êtes-vous devenu poète? O.D: La poésie est une entreprise difficile mais passionnante. Comme j’ai déjà dit, c’était un accident de l’Histoire; et puis j’attends surtout de la critique de la part des analystes pour confirmer cette qualité. C’est grâce aux réactions de quelques amis ainsi que des échos de certains lecteurs de mes textes que je commence à caresser cet art magique. A travers certains de mes textes chantés par des jeunes groupes de chanteurs amazighs comme Times, Imenza, Saghru, Imal et Tighermatin, j’ai enfin retrouvé l’encouragement qui me manquait depuis longtemps. J’espère que j’aurai des occasions de faire découvrir mes productions au public qui pourrait me découvrir et évaluer. Tawiza - Certains disent qu’écrire en langue amazighe est difficile. Que leur répondez-vous? O.D: Effectivement, écrire en langue amazighe est une tâche difficile et même extraordinaire car il s’agit d’une langue interdite – malgré la pseudo ouverture actuelle- à l’école marocaine. La difficulté est double lorsqu’il s’agit de poésie. Cependant, il y a nécessité de passer à l’écrit pour ceux qui sont conscients des dangers qui guettent notre langue et notre culture; donc, il faut avoir l’audace de conquérir un tel domaine. D’ailleurs, pas mal de noms y ont brillé comme Mohia, Ben Mohamed, Lahcen Ziani et Amar Mezdad en Kabylie, Ali Sidki Azaykou, Ahmed Ziani et Mhend Abettoy au Maroc, Hawad au Niger… Tawiza -A Goulmima, les Imedyazen ou poètes traditionnels existent encore; est-ce que vous êtes la suite de leur parcours ou bien vous venez d’initier une expérience nouvelle? O.D: Les poètes traditionnels sont en voie de disparition; il reste un monument qui est Cheikh Amar Ou Mahfoud qui a beaucoup donné à la poésie amazighe traditionnelle. Pour ce qui est de votre question, je crois que je ne suis pas une suite logique des poètes traditionnels car je me suis basé par goût sur des poètes amazighs modernes de Kabylie. L’influence de nos poètes amazighs traditionnels est indéniable du côté images et référents mais la métrique est marquée fortement par le style kabyle et français. Tawiza - Que pensez-vous de la poésie amazighe actuelle? O.D: Actuellement, la poésie amazighe se périt sous les yeux même de ses nouveaux poètes. Les masses la considèrent comme une perte de temps ou des discours creux; cette attitude vient de l’invasion des idées matérialistes qui ont atteint la société et la culture amazighe. Il y a également l’indifférence de l’intelligentsia amazighe dominée par les arrivistes et les aliénés. En outre, la poésie amazighe souffre de la marginalisation makhzénienne qui ne garde en vie que quelques documents audio à la radio amazighe folklorisante...! A la télé, c’est interdit aux jeunes poètes comme aux jeunes chanteurs amazighs.Tawiza - Jadis, à l’ère du paganisme, les anciens Arabes disent que chaque poète a son ange gardien qui lui inspire, voire dicte les vers; est-ce que vous en avez un? O.D: Moi, je crois qu’à côté de cet ange gardien je sens l’existence d’un diable gardien qui fait que mes textes soient sillonnés par des antagonismes divers; ce qui excite mes neurones qui sèment mes vers. Tawiza- Pouvez-vous présenter Taskiwin aux lecteurs de Tawiza? O.D: Taskiwin est le titre choisi pour mon deuxième recueil, de poèmes, trilingue paru en 2008 chez les Editions Emboscall en Catalogne. Ce livre est composé de neuf poèmes amazighs traduits et adaptés en catalan et en français. Chaque poème est précédé d’une petite introduction pour présenter les idées principales qui y sont traitées. Tawiza - Taskiwin signifie les cornes. Vous m’avez dit que les cornes sont un moyen de défense? A qui vous faites éloge dans votre recueil? O.D: Taskiwin a plusieurs sens en langue amazighe dont celui que vous avez cité. Effectivement, les cornes chez beaucoup d’animaux servent à se défendre. Taskiwin signifient également une danse connue au Haut Atlas Occidental; le terme se dit également lorsqu’on parle de crème glaces. Taskiwin convient à mes petits poèmes qui sont là pour défendre ma propre culture surtout en ces temps où règne la mondialisation; ce phénomène qui est basé sur l’économie mais qui a des effets néfastes sur d’autres domaines comme la culture. Donc, mes textes en majorité constituent des petites défenses mais sûres car il s’agit d’idées sans lesquelles notre pensée sera victime d’idéologies réactionnaires ou impérialistes. Tawiza -Jordi Badiella disait en présentant Taskiwin: «il y a seulement quelques instants, cher lecteur, tu as pris la détermination de lire ce livre et voilà que tu es déjà dans la cité d’Igulmimen au Sud-est du Maroc.» dont la traduction amazighe est: «Imeγri-nneγ imeqquren, keyyin imekday iγetsen ad teγred adlis-a ha-k-inn teffγed-nn g yiγrem n Yigwelmimen g unz’ul ugmid’ n Merruk.». Est-ce que cela signifie que votre poésie est exotique? O.D: Monsieur Badiella ne parle ni de ma poésie ni d’exotisme mais d’un mode de vie ou monde qui diffère du sien. Etant catalan et citadin, il est habitué à la vie pressée et stressée des villes européennes. Mais, en visitant Igoulmimen (Goulmima), il y a découvert un monde rural calme où le temps passe aisément et lentement. Les gens ont tout le temps et même en ont trop. Ce qui lui a rappelé son enfance en Catalogne. Tawiza - Nietzsche disait in Humain, trop humain: «L’art rend supportable l’aspect de la vie en plaçant dessus le crêpe de la pensée indécise.» Qu’en pensez-vous? O.D: L’art donne du sens à la vie mais la pensée religieuse archaïque et absolutiste dresse des barrières idéologiques devant le développement des arts et menace leur existence. Les artistes sont les seuls à en souffrir, ce qui les oblige à changer d’espace à la recherche de la liberté ou à la subsistance. Tawiza - Vous êtes pour «l’art pour l’art» ou «l’art pour la vie» ou «l’art pour la pensée»? O.D: Je suis pour les trois en même temps car chaque choix a son importance et sa saveur indispensable dans la diversité des goûts des gens. Malgré moi, je me sens classé au troisième et cela me va comme une casquette. Tawiza - «Geôle de Touchka», l’un des poèmes de votre recueil Taskiwin, rappelle votre incarcération lors des évènements de Mai 1994 à Imteghren(Er-rachidia) au Sud-est du Maroc. La prison a un effet sur vos écrits? O.D: C’est parmi mes textes que j’ai composés en prison en 1994. Touchka est cette affreuse prison d’Imteghren (Errachdia) où croupissent arbitrairement aujourd’hui plusieurs militants de la cause amazighe. Malgré l’injustice à laquelle j’étais soumis, j’en garde de bons souvenirs; c’est dedans que j’ai compris l’injustice comme j’y ai composé un joli poème intitulé NELLA DA, DAGI, ΓI (Nous existons ici, ici, ici). Après un mois d’incarcération, je suis sorti et j’ai découvert que nous nous trouvons dans une large mais impitoyable prison qui s’appelle le Maroc. Ce constat et ce sentiment ont fait exploser en moi des textes qui appellent à l’éveil des consciences et à la lutte pour notre libération.Tawiza –La culture amazighe est riche dans le domaine des proverbes et des adages .Vous servent-ils dans vos poèmes? Parmi ces proverbes vous avez choisi Anect ibed umeksa (Tant que tarde le berger..). est-ce un appel? Si oui, à qui? O.D: Les proverbes sont des synthèses de la sagesse populaire; nous en avons hérités un bon nombre. Personnellement, j’ai exploité certains proverbes ou adages qui convenaient à l’idée traitée. Anect ibed umeksa ayd ir’ ad yazzel est un proverbe amazigh qui résume l’idée de la nécessité de faire des efforts quand on est en retard. C’est simplement un message adressé d’abord aux miens –les Amazighs- qui tardent à prendre conscience et qui n’arrivent pas encore à découvrir leur situation d’éternels dominés sur leur terre. Le texte évoque également un défaut à corriger chez les Amazighs; il s’agit de la fuite des responsabilités, ce qui donne l’opportunité aux opportunistes qui s’accaparent les pouvoirs. Tawiza - Durant votre écriture, vous avez regretté quelque chose? O.D: Pendant mon parcours et jusqu’à maintenant, je regrette de vivre avec des gens qui se moquent de la poésie et ça me charge de dégoût et d’amertume. Mais il n’y a pas que la poésie qui souffre de la moquerie; la vérité et l’amour sont exposés à la même réalité. Tawiza - Que signifie pour vous «une œuvre réussie»? O.D: C’est une œuvre qui est bien faite avec un contenu utile dans le processus de changement des mentalités. Cependant, la réussite d’un travail réside dans ses échos auprès des critiques, des lecteurs et des destinataires. Tawiza - Que signifie pour vous: * La vie? O.D: C’est du temps qui nous est offert à vivre et que nous devons vivre. * L’idéologie? O.D: C’est un ensemble d’armes parfois futiles pour se défendre ou dissuader ceux que nous prenons pour des ennemis potentiels. N’oublions pas que l’idéologie n’est pas synonyme de manipulation car elle a le côté positif de rassembler les masses autour d’intérêts communs. * Si Mohand Ou Mhand? O.D: Si Mohand Ou Mhand est une voix éclatante des Montagnes amazighes de Kabylie. C’est une école en poésie. Il a réussi à libérer la poésie amazighe de sa forme archaïque. * la Critique? O.D: C’est comme les épices pour nos brochettes. Sans critique, nos actions resteront fades. * la Liberté? O.D: C’est l’espace vital de l’Homme; quand ça manque l’humain en nous meurt. Tawiza - vous voulez ajoutez quelque chose? O.D: Oui, Je voudrais transmettre ce message poétique à mes frères militants du MCA détenus dans les prisons de la honte: NEKWNI AYA Uress matta yizri-a Ittebbin imal! Uress matta yifri-a Igan arimal! Uress matta wawal-a S tram ad nsawal! Uress matta nekwni-a Isbeddan aγwlal! Zziγ nekwni, zziγ kwenni Ayd iran arsal! Tawiza -Dernier mot. Tanemmirt i uγmis Tawiza !Je tiens à remercier les lecteurs de mes textes ainsi que les chanteurs amazighs qui ont leur langue et leur cause dans les veines. Les arts sont nos armes les plus efficaces. (Propos recueillis pour Tawiza par NourDine Bawdra)
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