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L’Amazigh se met aux NTIC Convergence «prévue» entre un artisan têtu et une identité qui s’affirme Regard sociologique sur un itinéraire Par: Brahim Labari, Sociologue (France) Conçue au départ comme une contribution sociologique sur l’entrepreneur marocain, ma réflexion se voulait une comparaison avec les patrons étrangers investissant au Maroc. Ces derniers font l’objet de mes recherches depuis quelques années. C’est ainsi que je suis amené à m’intéresser aux jeunes entrepreneurs dans le domaine des NTIC en relation avec des questions culturelles. Abderrazaq Mihamou entre dans cette typification. C’est pour mieux en savoir plus sur son itinéraire, ses réalisations et ses projets que nous avons réalisé cet entretien. Abderrazaq Mihamou est un entrepreneur qui investit dans le domaine qui est le sien et pour une identité qu’il proclame sienne. Sa démarche est d’inscrire Tamazight, identité, langue et culture, dans le processus de la mondialisation et permettre sa diffusion la plus large. De ce point de vue l’outil multimédia et le Net sont les moyens les plus efficients. C’est toute la portée de ses réalisations et de son projet. Abderrazaq Mihamou est un adorateur de l’arrière-pays. C’est aussi l’entrepreneur qui s’ouvre à l’international pour prêcher la bonne parole et faire connaître son «bébé». Ce bébé c’est le CD qu’il a conçu et réalisé pour aider à l’apprentissage de la langue amazighe (voir la jaquette ci-après). Ce produit est unique en son genre. La presse marocaine s’intéresse à lui. Qu’on entende bien son message. Le «messager» de Tamazight tape sur la table et avec le sourire. Il sillonne les salons pour faire la démonstration de son produit, parle de ses projets colossaux: il voudrait recenser toutes les histoires et proverbes de chaque région et les présenter en BD. Son CD, fruit d’un travail de longue haleine, contient son, image et orthographe en Tifinagh de chaque objet, organe ou chose. Ce CD l’accompagne comme son ombre. C’est sa carte de visite pour ainsi dire. Il l’a présenté dans son stand à France-expo 2004. Il a ébloui les moins avisés et amusé les plus initiés. Des Français, autres investisseurs intéressés par les opportunités marocaines, posent des questions sur le «bébé», son acte de naissance, les conditions de sa conception, son accouchement, ses premiers pas. La métaphore n’étonne pas le concepteur: il en est même fier. Pour expliquer la leçon «berbère», il n’hésite pas à «chausser» son tablier de professeur. La leçon tourne autour du même credo: la langue et la culture berbères s’imposent par un usage quotidien que les diverses conquêtes n’ont point altérées. Le militantisme est pour lui l’affaire de tous, chacun à son niveau. Des militants anonymes fabriquent des Babouches qui portent indéfectiblement la marque de l’éternel berbère, des femmes dans l’arrière-pays perpétuent la couture traditionnelle (Asta), certains pharmaciens d’Agadir éditent désormais leur calendrier en Tifinaghe, autant de militantismes qui invitent à fédérer les énergies dans une prise de conscience collective contre l’éparpillement. La ruse de la folklorisation si malicieusement orchestrée tout au long de l’histoire de l’Afrique du Nord ne doit plus passer. Sans incriminer quiconque, il s’agit pour lui d’invoquer le déterminisme sociologique: on a eu l’amazighité qu’on mérite. J’ai été amené à découvrir d’autres facettes de ce personnage que je qualifierais volontiers de têtu non pas au sens d’une sociologie empathique ou hagiographique. Le thème en lui-même ne peut et ne doit surtout pas se satisfaire d’un tel traitement. Il se développe aujourd’hui au Maroc des mouvements de revendication culturelle et identitaire et qu’on a trop rapidement rangés dans la rubrique d’un saut d’humeur éphémère. C’est beaucoup plus têtu que cela et la question mérite qu’on la scrute un peu plus longtemps pour comprendre sa véritable signification et ses ressorts cachés. Le fait institutionnel fondeur a été sans conteste la création par le Roi Mohamed VI de l’Institut Royal de la Culture Amazighe. Cet institut mérite à lui seul une étude malgré son jeune âge et sans doute son ancrage institutionnel. Ce n’est pas le lieu ici d’entreprendre un tel exercice critique. Ce qui est intéressant à mon sens ce sont ces individualités qui oeuvrent à leur façon, selon leurs moyens et leurs compétences respectives du quatre coins du Globe, à promouvoir l’identité et la culture amazighes. Cet intérêt se conjugue chez bon nombre d’entre eux au souci de restaurer un héritage enfoui dans l’oralité et dans l’éparpillement. La sociologie du militantisme (notre interlocuteur n’aime pas trop cette variante) pourrait utilement s’interroger sur les mobiles de l’engagement, les objectifs manifestes ou latents du partisan, les parcours exceptionnels et classiques des sympathisants. Si l’engagement est une vertu, il l’est quand il est désintéressé, il le devient encore plus quand il se place du côté de la souffrance sociale ou culturelle. L’amazighité n’existe pas en soi et en l’air, elle est aussi ce qu’on en fait. Il est certain que ceux qui y associent leur passion ne l’ont pas découvert dans une boule de cristal: elle est un héritage légué malgré les diverses conquêtes et influences pré-arabes. Sans faire un procès de l’histoire (je ne suis pas historien) ni de civilisation et pour reprendre ce que j’ai toujours avancé, il n’ y a pas au Maroc (et la remarque vaut pour l’ensemble de l’Afrique du Nord) deux catégories distinctes et indivisibles «les Berbères et les Arabes». Ces unités anthropologiquement élémentaires n’ont aucune portée opératoire dans le sens du décryptage de la réalité et la société nord africaines. Il existe au Maroc des arabophones et des berbérophones. Un métissage a résulté de ce contact. Une langue aussi: notre parler, à ma connaissance, n’a rien à voir avec celui prégnant en Arabie. Tout est réinventé localement selon les mœurs et les contextes socio-cognitifs. Il y a donc au Maroc des individualités dont la sociologie du militantisme pourrait se saisir utilement. Ils sont réfractaires à tout enfermement doctrinaire et à tout sectarisme. L’Amazigh ne signifie-t-il pas stricto sensu «Homme libre»? Brahim Labari Sociologue ******** Bonjour Abderrazaq, je voudrais d’abord que vous vous présentiez Je préfère me présenter par mes origines. Je suis natif de Midelt et à vrai dire les origines du père sont d’IMAGHRANE du côté de OURZAZATE. J’ai eu de la chance de m’imprégner de deux cultures berbères, celle de Souss par mes origines et celle du moyen atlas (Midelt) par ma naissance et mon vécu jusqu’à l’âge de 20 ans. Pourriez-vous décrire votre parcours? Mes études je les ai faites principalement au Maroc. Après un BAC scientifique à Midelt, j’ai eu un diplôme supérieur en Informatique de gestion à l’Institut supérieur de Gestion appliquée à Casablanca. Après une carrière dans l’enseignement au sein du même Institut, j’ai pensé à renforcer ma formation en gestion et marketing en intégrant l’IFG pour l’obtention d’un diplôme en Stratégie et management. Aujourd’hui je suis en cours de validation d’un diplôme universitaire avec l’université Paris-X-Nanterre pour l’obtention d’un Diplôme européen sur la conception et l’animation de formation en ligne «CAFEL». Mon projet de fin d’études porte sur la mise en place d’une plate forme pour la formation des formateurs de la langue Amazighe en e-learning. Quelle a été votre rencontre avec les NTIC ?Par accident au départ comme toute personne qui vient d’une petite ville semi rurale. En effet, je voulais m’orienter vers une formation qui sortait de l’ordinaire, je parle de 1979. Je me suis investi avec acharnement lors de mes études, ce qui m’a valu un poste au sein de mon Institut en qualité d’enseignant d’informatique. Puis en 1988 en tant que fondateur gérant de l’une des premières sociétés de services et de conception d’application de gestion de la place tout en gardant un pied dans l’enseignement. Aujourd’hui j’ai plus de vingt ans de praticien derrière moi donc je suis passé par le développement des applicatifs spécifiques de gestion pour les PME-PMI marocaines. On a migré vers la vente de matériel lors du boom de la micro-informatique et vers le consulting pour la mise en place de système d’information pour des organismes privés et publics. Nous avons pris le train en marche surtout avec les évolutions des technologies de l’information et j’ai fondé en 2000 une 2ème société qui opère dans la production multimédia et création de contenu. Actuellement on se positionne bien sur le marché marocain en création et réalisation avec les nouveaux médias. Dernièrement nous avons commencé à nous intéresser à l’export, nous développons donc en 3D pour le compte d’une société européenne. Avez-vous développé des partenariats avec des sociétés étrangères?Tout à fait: sur Marseille, nous sommes avec un partenaire en train d’œuvrer pour développement de contenus pour des bornes interactives à mettre dans un certain nombre de sites publics. Ceci entre dans le cadre de la politique du e-gouvernement pour faciliter la vie au citoyen. Nous considérons que la généralisation des bornes interactives peut aider à la vulgarisation du multimédia et contribuer à la réduction de la fracture numérique, et pourquoi pas à la réduction de l’analphabétisation pour ne plus parler de l’analphabétisme comme on en parle jadis parce qu’il suffit de cliquer sur un écran, sur une image pour avoir une réponse en son et image. Tout le monde, comme pour le cas du GSM au Maroc, peut aujourd’hui utiliser une borne interactive. Cela permet d’éviter d’avoir le contact direct avec le chaouch et les petits fonctionnaires pour leur mettre de la monnaie dans la main pour qu’ils fassent leur travail. La technologie de l’information est aujourd’hui une alternative, elle est là pour faciliter la vie au citoyen et essayer d’éviter les contacts inutiles et à risques. Vous avez fondé Eclisse.com, quel a été le déclic?Le déclic c’est très simple, l’idée c’était justement de se mettre au diapason de ce qui se fait ailleurs et développer un savoir faire et une expertise multimédia. Nous nous enrichissons de toutes les expériences et nous aimerions les vulgariser et en faire bénéficier l’homme ordinaire. Sachant qu’aujourd’hui le multimédia est incontournable à l’échelon international d’une part, et de l’autre nous avons vu venir une opportunité de développement d’un marché dans la création du contenu. Il faut dire qu’aujourd’hui, il ne suffit pas de créer un portail Internet, il faudrait nécessairement l’alimenter par du contenu qui répond à une demande toujours mouvante. Je vais même aller jusqu’à dire que la demande, il faut la créer et la maintenir dans ce contexte de la mondialisation et de la généralisation du multimédia et de l’Internet. Le «vrai analphabète» est aujourd’hui celui qui ne sait pas ou ne veut pas s’initier à cette technologie désormais incontournable. J’estime que le Maroc a du retard à ce niveau et nous avons tous besoin, chacun dans son secteur et selon ses compétences, de capitaliser et intégrer du savoir. Que ce soit sur notre histoire, notre société, notre culture, notre gastronomie et la liste est interminable, il s’agira de fournir au visiteur virtuel des sites marocains, de trouver tout ce dont il a besoin pour information, pour étude, pour comparaison… C’est vrai qu’au courant de l’an 2004 nous avons constaté une prise de conscience de se positionner sur le Web, mais beaucoup reste à faire. Votre société prétend avoir une dimension mondiale, quels sont les atouts que vous mettez en avant pour la faire évoluer dans ce sens? Pour que cette dimension mondiale soit une finalité à portée de main, il n’y a pas 36 milles manières. Tout d’abord développer la compétence, l’expérience et la maturité à l’échelon national. Je suppose que nous avons franchi cette étape et c’est justifié vu nos références capitalisées auprès de l’entreprise privée et publique au Maroc, Ensuite s’attaquer au marché international est le seul moyen d’asseoir notre légitimité dans le domaine. Il s’agit donc de prendre son bâton de pèlerin et de faire des salons spécialisés. Pour cela, une partie de notre budget est consacré aux foires et salons. Il me semble que c’est le seul moyen de se faire connaître. Vous étiez le premier à vous installer au technopark, quelles étaient les raisons? Nous avons été approché par la première équipe du directoire de ce site qui a accepté immédiatement notre dossier tant notre projet répond à l’esprit des sociétés recherchées. Nous n’avons pas hésité à déménager nos bureaux du quartier Bourgogne, nous avons eu le privilège de choisir le meilleur emplacement réservé pour les start-up. Nous considérons que le technopark c’est la micro silicone valey du Maroc et constitue une vitrine des nouvelles technologies au Maroc. L’avantage de ce site c’est qu’il regroupe des compétences nationales de haut niveau. L’une de ses missions principales est de mettre à la disposition des porteurs de projet viable en NTIC un espace agréable. Ils encouragent, ce faisant, l’entrepreneur Marocain opérant dans les TIC à se fixer au Maroc et faire revenir la matière grise marocaine au pays. Un tel objectif est en effet ambitieux car il reste beaucoup à faire à l’instar de ce qui se fait dans les autres technopoles. Et parmi les suggestions dans ce sens c’est de dissocier ce secteur de la politique et l’instaurer en tant qu’entité à part entière et indépendante «comme haut commissariat pour les TIC par exemple». L’objectif recherché n’est-il pas en fin de compte de promouvoir la culture AMAZIGHE? Il faut dire que je suis né dans cette culture et j’ai grandi avec. A un certain moment, en collaboration avec une personne à qui je dois beaucoup pour nos travaux actuels le professeur Youssef Aït Lamkadem, linguiste et chercheur, j’ai essayé de mettre sur pied un premier travail qui est le début d’une contribution à la capitalisation de notre culture qui a énormément besoin de cela. Alors le meilleur moyen pour cela a été d’adapter les techniques Multimédia à l’apprentissage de la langue, d’autres projets allant dans le même sens sont en chantier. Et c’est grâce au travail d’équipe et à l’acharnement sans relâche des techniciens spécialistes dont Abdelmoumène Hicham et Nadia Mhyji que nous avons réalisé ce premier CD ROM que vous avez entre les mains. Pourriez-vous considérer le CD sur l’apprentissage de la langue AMAZIGHE comme votre «bébé»? Effectivement c’était un bébé, mais aujourd’hui il a grandi. Il est proposé dans plusieurs lieux spécialisés et beaucoup de personnes s’y intéressent aussi bien au Maroc que dans plusieurs pays francophones. Je ne vous cache pas que nous avons été étonné par le nombre de personnes qui nous approchent pour avoir le CD ROM. Plus étonnant encore les étrangers qui s’intéressent à notre culture pour apprendre ou pour offrir en cadeau. C’est finalement un outil pédagogique pour les personnes qui veulent apprendre et perfectionner leur vocabulaire AMAZIGH. Il est par les temps qui courent et par le contexte d’aujourd’hui un véritable levier de promotion culturelle car il est aussi destiné à toute personne étrangère désireuse de connaître les caractères Tifinaghes et parler Tamazight dont les touristes qui sont demandeurs de ce genre de produit. Est-ce pour vous une forme originale de militer? Je pense qu’au Maroc notre culture Amazighe n’a pas besoin de militantisme car c’est une culture qui s’est imposée par elle même. Il suffit de revenir au premier cours de l’histoire du Maroc. Le meilleur militantisme à mon avis c’est de produire, produire et produire encore. C’est ainsi que nous pouvons capitaliser les connaissances, des encyclopédies en voie de disparition. Nos grands parents, dans les coins éloignés du Souss ou dans les montagnes du Moyen Atlas ou sur les cimes du Rif, peuvent se targuer que leur héritage est maintenu en vie et prêt à être transmis aux générations futures. Il y a là une dette honorée vis-à-vis d’une population humble et constamment dévouée. Qu’on se rappelle que l’histoire de l’Afrique du Nord se conjugue au berbère: les Saint Augustin, les conquérants de l’Andalousie, les fondateurs des grandes dynasties, des résistants aux pénétrations coloniales, les bâtisseurs des villes et j’en passe. Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Dans cette entreprise de résurrection de tout l’héritage enfoui dans l’arrière pays, comme vous dites, êtes-vous épaulé par des institutions telle que l’IRCAM par exemple? J’ai eu l’occasion de participer au mois de décembre au Colloque sur «les nouvelles technologies éducatives pour l’enseignement-apprentissage de la langue Amazighe». C’était les 19 et 20 décembre 2003, j’ai souligné lors de mon intervention qu’appliquer les TIC à l’apprentissage d’une manière générale, et beaucoup plus à l’apprentissage de la langue amazighe, est de nature à accélérer cette politique voulue par le Roi. A la fin de mon intervention, j’ai eu l’occasion de faire une petite démonstration de mon support. Je sais qu’aujourd’hui l’ IRCAM est au courant de l’existence de ce produit et mon implication ne s’arrête pas là. Je suis disposé à mettre mon savoir-faire à la disposition de cette organisation et sans contrepartie. Je considère que personne n’est plus Berbère qu’un autre, on est tous des Berbères. On croit à cette culture et on n’a pas besoin de la développer et ce n’est pas à nous d’en tirer profit mais c’est plutôt à elle de tirer profit de nous. Pour conclure pourriez-vous nous parler de vos projets pour l’avenir? Il faut dire que nous avons un certain nombre d’idées. Certaines nous appartiennent, d’autres nous ont été suggérées par des personnes soucieuses d’améliorer cette culture. Déjà la réalisation du projet d’émission qu’on est entrain de mettre en place pour la chaîne BERBERE TV qui va émettre le contenu de notre CD. Nous avons la suite dans les idées, pourquoi pas proposer des séquences sous forme de dessins animés qui tracent l’histoire de nos grands mères riches en enseignements, que ce soit à l’Atlas, au Souss ou dans Rif. Il y a une richesse énorme qu’il faut transcrire et éventuellement rendre ludique sous forme de bandes dessinées et de dessins animés. La finalité est de les diffuser dans des émissions Télé. C’est un appel que nous lançons aux différentes chaînes nationales et étrangères. Tout cela dans le souci de promouvoir les compétences et le savoir-faire berbère. (Entretien réalisé par B.L)
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