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La caravane à explorer le Temps des Imazighen Par: Hassan Banhakeia (Université d’Oujda) «Toute l’antique histoire affreuse et déformée, Sur l’horizon nouveau, fuit comme une fumée» (V. Hugo, «Plein ciel», La légende des Siècles) Les temps sont cuirassés d’une mémoire infinie, semble être l’idée qui naît à la vue de l’autocar tatoué et vrombissant sur le seuil des écoles «sans mémoire». Qui pourrait imaginer ceci: des profondeurs de l’affreuse histoire ressurgissent des ombres «réelles, justes et antiques»? L’engin porte sur le corps des inscriptions «tifinagh», de vrais tatouages, indiquant le chemin identitaire. Sur la route, les promeneurs cessent leur promenade pour contempler ces signes lointains, les chauffeurs d’à côté hurlent des interrogations emportées par les vents, les enfants montrent du doigt l’engin qui ressemblerait à la peau de leurs grands-mères tatouées. Difficile de déchiffrer son «soi», et l’autocar court rapidement comme un miroir d’apprentissage. Sur la route des Temps, la caravane reconquiert complètement Nador centre, Ayt Ensar, Ayt Chichar, Iazanen, Azghenghan, Arruit, Zayu, Midar, Dar Kabdani, Ayt Sidal, Ben Tayeb… Le chemin est toujours là, et aux citoyens de prendre la route pour retrouver l’être caché derrière tant de nuées confectionnées, lourdes et terrestres. La route est infinie, elle découvre l’histoire à rebours. Tant d’années se sont écoulées, plus de 2600 années, depuis la Naissance, et qu’est-il de la vie alors? Combien de générations sont-elles donc parties sans concrétiser leur vision symbolique? Combien de pensées «d’ici» ont-elles pris d’autres formes / corps-refuges pour se révéler à l’humanité? De par cette rupture, tout chute dans l’absence, la blessure se fait plus profonde: l’Histoire est à relire et à récrire en tifinagh. La caravane est d’ici, faisant des tours autour de soi, point attirée à traverser des terres lointaines ni à explorer des déserts infinis, elle va en quête de la vérité au fond des petits cœurs et des âmes pures. La machine arrive sur des lieux où l’on se plaît d’habitude à narrer une autre histoire. Cette fois, cet espace, déjà disséminé entre plus de huit langues étrangères, demande une part «pour soi» sous la protection des gladiateurs «munis d’un aghanib (stylo)», et de cadeaux pour tous les enfants. Par ailleurs, un grand «Ayyuz! (Bravo)» à ces animateurs qui se réjouissent au moment de découvrir que leurs enseignements aboutissent à cette «réconciliation avec soi» et à voir les élèves savoir marcher dans les champs de leurs symboles «primitifs» tout seuls. Comme la joie d’un grand oiseau (blessé) à voir son oisillon sillonner le ciel, tout seul… Hélas, l’espace en question n’est pas vide, il est un système d’exclusion pour le soi où les sept peaux disaient autre chose que la vérité sur le corps. Les institutions scolaires, depuis le vieux «litterator» (école primaire du temps des Romains) jusqu’à la «medersat», cèdent enfin le terrain à une école «d’ici», fixée par la présence du symbolique propre. La campagne de «tifinagh» peut assurer cette opération alchimique, et non de métamorphose car il n’en est pas question. L’école se fait enfin «profanée» justement, et au commencement par le livre de première «Tifawin, a tamazight!» qui n'est plus gratuit, et qui n’arrive point à destination… Et des notes qui n’arrivent point… Et des enseignants formés qui changent de niveau… Ainsi, la caravane a pour objectif principal une visite où la découverte de soi devient une récompense pour l’enfant, qui depuis des siècles était battu au moment de «se reconnaître». Parler, dire ce qui lui passe par la tête, se rappeler, réfléchir facilement, s’exprimer et s’émouvoir étaient maintenant possibles. Point des actions interdites. Ah, je sais bien, et il faut se rendre à l’évidence! Des airs arrivent comme des coups forts de loin, ils traversent les temps pour propager les voix présentes de Masinissa et de Micipsa. Et maintenant, ces lettres arrachent peu à peu et au jour le jour le Maroc (voire tout le Maghreb) non seulement de son «orientalité», mais surtout à de sa léthargie identitaire. Il faut partager l’espace que, d’habitude, l’école marocaine propose: aux petits amazighophones de s’affranchir symboliquement de prendre la parole; aux enseignants de se préparer scientifiquement à l’étude de la langue et de la culture amazighes, de réfléchir / réagir aux leçons «antiques» et «caduques». La classe est insufflée d’une sécurité linguistique qui fait rendre les enfants plus vivants, rassurés à énoncer des mots recherchés (rares), égayés pour se rapprocher de la grand-mère qui leur dicte tant de choses. Les enseignants se disent comblés, rassurés que cette «langue à venir» est bien là, tout près de l’école, dans la tête des vieux «forcés au mutisme», et affranchissant l’enfance. A l’arrivée de l’autocar sans temps, alors que le directeur et les administratifs se morfondent, les élèves s’amusent en escaladant l’engin, et sourient à la vue des chaises regroupées en classe. Y a aussi quelques-uns qui pleurnichent: ils croient que l’autocar était une caravane médicale où on allait leur injecter des piqûres, mais à la vue des copains qui sautillent sur les sièges, se tranquillisent. Et les enseignants de les rassurer: «Nous allons jouer en tamazight. N’ayez pas peur! Nous allons écrire et chanter dans notre langue…» Rassuré est tout le monde. Le retour, ou la fin du concours pour les enfants, est douloureux. Les enfants quittent l’autocar, retrouvent leurs classes d’antan, et à nous de rebrousser chemin vers ce présent «dit autrement». L’histoire, pardon la caravane scolaire, reprend la route; et le chemin apparaît plus long que jamais. Ce voyage dans le temps, je me dis l’air convaincu, tue l’âme des Faust! Tant de choses peuvent changer. Surtout, la honte d’être est effectivement ébranlée au fond de nous-mêmes, et le gouvernement de soi une étape proche, la dernière à réaliser chez l’être marocain. Cette caravane est également une machine à explorer le temps, le temps des temples de Masinissa et de Micipsa, depuis plus ou moins 2143 ans, elle peut pallier à l’Absence (dite et vue Présence) qui règne partout… Avec une telle visite, l’école marocaine devient didactiquement possible. Mais, une question reste posée: Peut-elle cette caravane, à elle seule, généraliser la connaissance de la graphie amazighe? Ni l’enseignement de tamazight ni cette caravane ne semblent avoir soulevé beaucoup d’intérêt au sein de la société civile, de ces groupes puissants / magnats / seigneurs et des partis «silencieux»… Il est clair qu’on est encore très loin de destination, mais on peut mesurer déjà l’importance de ces «symboles propres» pour l’esprit marocain afin d’outrepasser ses deux limites / contradictions insolubles, se réconcilier et se retrouver.
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