|
L'hommage d'Aghbala à Abehri Par: Hha Oudadess (Rabat) Les 27 et 28 du mois de Juin 2003 a eu lieu, à Wirin et Aghbala N' ait Sekhman, une activité culturelle en l'honneur d'un homme exceptionnel qui n'est plus parmi nous. C'était l'hommage rendu à Moha Abehri décédé Samedi le 30 Août 2003. Ce fut un hommage historique à tout point de vue. Encore faut-il mettre en exergue le thème choisi pour l'événement «Imazighen contre le terrorisme». C'est une expression collective de la condamnation totale et absolue des actes abjectes perpétrés à Casablanca le 16 Mai 2003. Et cela convient parfaitement à notre cher Abehri auquel ne serait pas venu l'idée de pratiquer même le terrorisme intellectuel. Le rejet du terrorisme a été exprimé par diverses personnes et de différentes manières. J'ai retenu seulement ce ver, simple, direct et parlant, de nos ineccaden: Ayenna ijrân g Casa imazighen urt rin. C'est à dire Imazighen rejette ce qui est arrivé à Casa. D'abord, l'organisation. En effet, comment peut-on imaginer un événement aussi important en un lieu isolé et, à première vue, sans structures adéquates? Cela n'a pas, du tout, bloqué les architectes de la manifestation ni, bien entendu, le comité d'organisation qui s'est attelé à la réalisation. Le lieu-dit Wirin, surplombant la rivière, sur la route d'Imilchil, fut choisi. Je ne sais pas qui a pensé à un grand hangar initialement destiné au bétail de passage mais qui n'a jamais servi- afin d'abriter les conférences et débats. Il a été méticuleusement nettoyé. Etant très vaste, on put installer une grande estrade pour les intervenants, des rangées de chaises pour les participants et, au fond, des banquettes sur les trois côtés avec des tapis au sol. Ainsi, Abehri pouvait prendre du repos en s'étendant et recevoir les nouveaux arrivants qui tenaient tous à le saluer, lui serrer la main et partager quelques moments avec lui. En ce qui concerne l'eau, il y avait bien une grande citerne mais abandonnée pendant des années. Elle fut récupérée, lavée et nettoyée puis remplie à coups de camions-citernes. Légèrement en contre-bas du hangar furent dressées des tentes où l' on pouvait prendre du repos, avoir de l'eau fraîche, du thé et du café. Le service était continuel et assuré par de jeunes volontaires souriants et conscients de servir une grande cause. Les élus et les autorités locales d'Aghbala et de Tizi N' isly n'ont pas, non plus, ménagé leurs efforts. Ainsi, Wirin, un coin perdu de nos montagnes, s'est transformé, par la présence d'un seul homme (Moha Abehri) en un lieu de volontariat, d'abnégation et d'échanges; bref, en un lieu de haute culture. Il fallait alors voir arriver les amis et connaissances d'Abehri. Il y en avait de tous les âges, de tous les métiers, de toutes les régions du Maroc, … . Ils savaient que le moment était grave vu l'état de santé de notre ami et que cet hommage en quelque sorte d'adieu- devait être historique. Et qu'il me soit, ici, permis de relever un non-dit. Il me semble que chacun voulait que cet hommage en soit aussi un pour les nôtres déjà disparus et que nous avons laissés tomber dans l'oubli. L'atmosphère, lors des débats, a été empreinte de sérénité; ce qui ne veut absolument pas dire banalité. Les discours ont été clairs et pertinents. La pusillanimité n' a pas été de mise en ce qui concerne l'amazighité. Mais l'agressivité, la gaucherie, la surenchère, … ont été bannies. Aucun ne voulait qu'une quelconque intervention intempestive porte atteinte à la solennité de l'événement. Comme qui dirait «Tu vois, Abehri, nous sommes ici, pour toi; et nous nous comportons comme tu as toujours souhaité que nous le fassions». Tu as fait école. Il faudrait des écris et des écris pour rendre compte des efforts déployés en organisation, de la qualité des débats et de l'impact de cet événement exceptionnel. Je m'en vais maintenant dire juste quelques mots sur la soirée artistique qui a eu lieu à Aghbala village. Et je m'empresse de dire que j'ai été replongé dans l'atmosphère des deux premières années qui ont suivis l'indépendance du pays. Les gens participaient aux fêtes avec sincérité et enthousiasme. C'étaient des kermesses, des fêtes à eux. Après le crépuscule, debout dans la rue centrale d'Aghbala, je voyais passer des individus seuls, des groupes d'amis et des familles entières y compris des enfants de bas âge et même des bébés sur le dos. Tout ce monde se dirigeait vers le terrain qui sert le jour d'amougger (souk), à la fantasia et pour les matchs de football. Il y avait des tentes afin que des personnes âgées ou fatiguées puissent être à l'aise, une grande estrade et plusieurs rangées de chaises. Mais tout le terrain était plein de spectateurs debout et d'autres s'étaient installés sur des gradins en pierre sur toute la longueur d'un côté du terrain. Le spectacle fut magnifique, riche et varié. Se succédèrent des groupes classiques, modernes, professionnels et amateurs. Des poèmes furent déclamés, préparés d'avance ou sur place. Le traditionnel et le récent se sont mêlés en harmonie. A ce titre, on ne peut que louer l'idée d'inclure, dans le spectacle, la distribution des prix aux élèves méritants du collège d'Aghbala. Ainsi, la culture est une avec ses racines et ses bourgeons. Et il fallait voir les artistes, tous humbles et généreux, exprimer, chacun à sa façon, leur satisfaction- et certains même leur reconnaissance- d'avoir été choisi pour être là. Ils savaient que c'était un moment privilégié. Ils savaient, comme les organisateurs et comme les visiteurs, qu'on honorait un homme uniquement pour ses mérites. Et il était vraiment émouvant de voir évoluer cette frêle silhouette, amoindrie par la maladie, qui n'avait rien demandé, sans pouvoir aucun et qui a été à l'origine de festivités culturelles et artistiques grandioses. Je retiens, pour ma part, avec subjectivité et sans mésestime pour personne, la jeune troupe des collégiens de Tighessalin qui veulent perpétuer l'art du Maesro Moha Oulhousain-, nos ineccaden, Taziri, Omar Taws et la troupe des Ait Saleh de Sekkoura-Bouleman. Ce sont ces derniers qui ont ouvert le spectacle de manière respectueuse et noble. C'est, d'abord, les salutations, comme c'est de coutume dans la société amazigh, Aghbala ayed ira udâr inu, Khurê awen asennan. C'est à dire: C'est Aghbala que mes pas visaient, Gare aux épines. Ensuite, vint l'hommage à Abehri et le regret voilé de ne rien pouvoir pour lui. Ad deâugh, ad dâun imazighen, ad iâfu rêbbi, Ah Abehri, mmer as nbad i usafar niwi t id. C'est à dire: Que je prie et qu'imazighen prient, que Dieu accorde la guérison, Ah Abehri, si nous pouvions, le remède nous aurions apporté. Ainsi, ces fins artistes étaient bien informés de l'état de santé d'Abehri. Il en est de même de Lahcen Ahinaj qui, après avoir exprimé sa profonde peine en apprenant la nouvelle du mal qui broyait le cœur D'Abehri - la maladie ne concerne pas le cœur mais l'expression signifie que le souffrant est mal dans sa peau- finit son poème déclamé: Ictab asen i urgaz ad ikcem acal. C'est à dire:Il est écris que l'homme retourne à la terre. C'est une sentence générale pour tout homme. Elle peut être comprise comme telle. Mais le poète, ne s'est-il pas trahi, en exprimant une conviction basée sur l'information dont il disposait? Abehri a rejoint, notre mère à tous, la terre. Alors me revient à l'esprit un hommage rendu, par une tribu, à l'un de ses grands poètes qui venaient de décéder. Pr. M. Chafik nous a rapporté que celle-ci a organisé un grand ahidus et que, toute une nuit durant, le refrain a été le même Ah wa kker d ah Âeddani, Mghar ac yuder wacal. C'est à dire: Ô relève toi Âeddani, Bien que sur toi pèse la terre. On ne peut que finir par une anecdote dont l'ami Abehri qui les appréciait tant- ne peut que rire de là-haut. Quand on préparait l'hommage dont il est question ici, Mina l'épouse du Dr. A. Oudadess qui ne comprend pas l'arabe n'arrivait pas à se faire une bonne idée de ce que peut être un «Tekrim» (on ne lui a jamais dit «tasemghwert»). Son mari ne pouvant lui expliquer eut l'ingénieuse idée de la renvoyer à Abehri lui-même. Celui-ci, de manière à la fois malicieuse et significative, lui dit simplement qu'on voulait organiser son repas funéraire de son vivant. Et que, parmi nous, Abehri continue à vivre.
|
|