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Vers la définition du sujet amazigh: entre la pluralité des images de l’ego et le modèle unique de l’alter-ego. (1ère partie)

Par: Hassan Banhakeia (Université d’Oujda)

 

Cette réflexion n'a pas droit d'avoir lieu. Elle n'apporte pas de réponse, mais elle tente de poser des questions. Elle présente ce «côté obscur et interdit» de l'histoire de l'Afrique du Nord dont personne ne veut parler, ni exposer les débuts et les fins, ni révéler les éléments fondamentaux, ni juste sous-entendre cette part d'ombre qui nécessite une explicitation. Les rares chercheurs qui décident d'en parler sont lynchés «politiquement», vus comme des racistes, des sécessionnistes ou des semeurs du Chaos, voire indiqués comme des sionistes… Cette étude est, donc, à définir comme fondation d'une structure - une sorte de complexe impossible de défouler ou de «maîtriser»- qui se présente comme quelque chose de difficile à expliquer, prétendant «dé-couvrir» certaines aires et horizons mal esquissés dans l'espace du discours (officiel et intellectuel) nord-africain. En parler, en un mot, s'avère une tâche ou un exercice, à la fois, incommode et périlleux.

Pourquoi une telle étude? Tout simplement, il est de remarquer que le discours dominant au Maghreb est un discours «aliénant» qui se hisse sur une pensée mythique enfouie d'illusions et de règles «étrangères au réel» au moment de définir l'identitaire premier, ainsi des constructions exogènes et fausses ont émergé, se sont multipliées pour investir la pensée maghrébine de concepts «bizarres» et générer le «dégénéré».

Connaître soi-même, le découvrir et l'expliquer est le but de toute réflexion. Réfléchir sur soi ou exploiter son être jusqu'au fin fond de l'exercice sont, en effet, une tendance naturelle chez les individus, les groupes et les peuples. Les Maghrébins, en général, sont timides, confondus et fragiles au moment de parler de soi. Pourquoi un tel comportement socioculturel fuyant la subjectivité première? Quand les intellectuels, censés être les illuminateurs, le font, ils essayent d'amener d'autres «modes», «ego» ou «êtres» pour les comparer à soi, et se perdre allègrement et intellectuellement dans ces parallèles creux, voire à envisager leur «être» sur d'autres terrains lointains et différents. Pourquoi d'autres centres de réflexion les attirent-ils donc davantage? Tout cela est-il accompli pourvu que cela ne se rattache pas solidement à l'être authentique? Le sujet nord-africain se transforme ainsi dans son contact continu avec l'extérieur qui lui rapporte d'autres repères, critères et logiques pour se métamorphoser en autre chose de que ce qu'il est. Ainsi, la définition du «sujet» mu par des replis, des parallèles et des correspondances, est important d'étudier.

Ici, la notion de «sujet», non seulement pose des problèmes théoriques insolubles, mais fait aussi peur aux analystes et chercheurs. Il reste à définir le sujet: qu'est-il? Comment agit-il? Quelles sont ses particularités dans le cas de l'amazigh? Surtout, quelle est sa place définitoire dans l'Histoire? Comment meut-il afin de s'assurer l'équilibre et la structure définitionnelle? L'on pense effectivement, par-ci par-là, soit qu'il est trop tard, soit qu'il est peu indiqué pour s'occuper de son être, de le «penser» ou de l'interroger. Mais, il existe un ensemble de «solutions» pour rattacher le «sujet» à son «être» afin de l'investir d'un sens et d'un ensemble de fonctions vitales. Il ne s'agit pas de refaire le sujet. Il ne s'agit pas non plus de le repenser. Non plus de le disjoindre de ces rapports qui le font. Une telle tâche est impossible pour nous, dans cette étude. Pour nous, il est  tout simplement question d'interroger des textes (d'histoire, d'historiographie, de conquête…) pour peser cette image du sujet / objet amazigh dans toutes ses spécificités. Nous exposerons la construction des images de l'amazigh chez les autres et à partir de là voir de près son auto-réflexion. Enfin, nous tenterons de fixer la structure définitionnelle de cet «être en voie de disparition».

Par ailleurs, rappelons que du fait que la définition du sujet pose des problèmes théoriques, nous allons plutôt axer notre analyse sur l'organisation et le fonctionnement de l'ego dans toutes ses manifestations. A ce juste titre, nous «pouvons attribuer à Husserl lui-même la distinction soulignée entre l'ego ou disons plutôt: le sujet, «l'auto-méditation du sujet connaissant sur soi-même»- et le «moi psychologique propre».» (Jean Pierre Faye, La raison narrative, col. «Métaphora», Balland, Paris, 1990, p.113) Là, notre sujet devient ce quelqu'un qui sent / se sent, pense / se pense, agit / réagit, découvre / se découvre… Que dira-t-il de lui-même? Que diront les autres de lui? Qu'a-t-il écrit sur soi et dans sa langue? Qu'ont-ils écrit les autres à son propos? C'est pourquoi nous allons «interroger» des textes qui parlent de l'amazigh, prétendent le cerner objectivement dans toutes ses manifestations

On ne saurait pas s'en tenir là. Il serait juste de reconnaître qu'une telle étude, bien que longue et complexe, peut signifier une remise en question de tant de choses «prises pour des vérités». C'est en fait une étude nécessaire pour comprendre le réel maghrébin dans toutes ses manifestations. Le soi se construit à travers l'histoire, c'est pourquoi nous allons étudier et analyser un certain nombre de textes anciens. Il s'agit là d'une idée incontournable pour tout chercheur: comment le Texte édifie-t-il l'image de cet autochtone nord-africain? Au Maghrébin, c'est une idée-question «interdite», «indigne d'être posée», mais surtout problématiquement problématique ou politiquement politique. Curieusement, cet enchaînement d'images a comme aboutissement la dégradation, continue et simultanée, de l'Image et de l'Identité.

Par conséquent, l'Afrique du nord est-elle amazighe ou non? Y répondre serait remettre en question cette image identitaire dégradée. Pour déterminer le degré de l'amazighité de l'Afrique du Nord, il faut poser un certain nombre de questions autour de la «construction de soi». Autrement dit, ce bout de monde sera ce qu'il est, s'il résiste bien à la destruction de soi, sinon il ne peut prétendre à une identité propre et appropriée. Voilà le dessein d'une telle étude.

I. Quand un maghrébin dit «necc» / «nek» ou «neccinÊ» / «neknin», l'attitude est, pour le même amazighophone, souvent ambivalente. Il essaie de fuir la forme du pluriel qui tend à la définition, à l'explicitation, notoirement à cause de son infériorité intériorisée. Alors que le «je» en tamazight est mis au pluriel, sémantiquement et morphologiquement, pour nous donner «nous», ce «je» collectif, pour en faire une forme d'assomption de l'Etre. De cette simple construction, l'on peut imaginer l'importance de la subjectivité chez les Imazighen en tant que «groupe» et «ensemble». Le «je» ne se définit que dans son emplacement au sein du groupe, hélas dans la pratique, de nos jours, il y est question d'autre chose à force de détruire cet état de «sujet». Des maux sont là, bien enracinés et assumés, comme l'identification en tant qu'altération, ici défini comme un là-bas lointain et inconnu et la définition de soi en tant qu'enchaînement de fautes et d'actes de corruption.

Ainsi, faut-il insister là-dessus, la «subjectivité» est un impératif dans la construction ou la conception de l'identité.

II. Pourquoi l'amazighité se présente-t-elle comme absence de l'être «sujet» ou de l'identité conçue comme «intégralité»? Cette peur d'être, en tant qu'aboutissement, est à décortiquer par le biais d'une étude globale de l'histoire et des écrits sur cet être millénaire. L'on essaie dans cette étude de citer quelques noms (Hérodote, Ibn Khaldun, Ali Bey, etc..) afin de poser les «bonnes» questions sur l'être amazigh, c'est-à-dire ces interrogations qu'on ne pose pas. Notre prétexte est d'approcher les textes pour soulever des questions qui se posent de nos jours. Est-il vrai que l'amazigh est éternellement bon, courageux et altier? Ou bien est-il effectivement méchant, couard et bas? Des qualificatifs découlent facilement pour déterminer cet être «qu'on vient de découvrir», soit en tant qu'introduction avant de raconter les faits soit en tant que conclusion. Ainsi, le Nord méditerranéen a sa vision de ce «berbère / barbare», et l'Orient a la sienne de ce «barbari jahili». Le Nord, de cette façon, traita l'amazigh en tant que «cet être qui met à bas l'empire romain scintillant», et l'Orient le traita également en tant «partie intégrante de ses propres temps obscurs». Par conséquent, l'être autochtone de l'Afrique du nord n'a jamais été étudié comme quelqu'un avec une identité propre, mais comme une partie de soi (de l'extérieur, de l'étranger ou de l'exogène), et de là prétend-on, de manière absurde, arriver à le définir.

III. A ce propos, faut-il avancer une chose capitale: le souci de soi est une interrogation constante. Et ce souci ne peut être «assumé» que par la personne, l'ethnie ou le peuple en question. Le problème d'être des Imazighen est le cadet des soucis pour les autres. Nous allons analyser un certain nombre de ces éléments dans notre étude. Comment les Grecs, les Romains, les Arabes ou les autres peuples ont-ils compris la question amazighe, c'est-à-dire vu l'amazigh? Comment ont-ils esquissé son portrait? Comment ont-ils narré son histoire? Comment ont-ils envisagé la nature des rapports avec cet être nord-africain?

Penser à soi pose énormément de difficultés, tiraillé qu'on est sans cesse entre l'objectivité et la subjectivité. L'on essaie de bien dire les choses, en raffinant l'autocritique. Cette réflexion à soi pose des difficultés de tout ordre, c'est comme si on essayait de refaire l'histoire à partir d'un instant précis!

Nous allons juste dire que prendre soin de son image collective est le fait de s'attacher à sa langue et à sa culture. Hélas, rares sont les personnes qui persistent à défendre tamazight (comme totalité). Ils mènent d'autres batailles étrangères, lointaines et confondantes. Ces batailles sont la présence de l'altérité dans cet espace vidé. Vrai, tout moi porte en soi partiellement l'autre, seulement dans le cas des Imazighen l'autre envahit le moi de façon totale. Un tel complexe est manifeste. L'amazigh peut être bon pour les autres, mais mauvais pour les siens. Il est mal à l'aise quand il sonde son être: trop de méfaits ont été parsemés sur les sentiers de l'existence en Afrique du nord. Le kaléidoscope des représentations de l'amazigh dans le réel quotidien et courant du Maghreb est riche en significations de dépréciation. De même, les pensées, les représentations, les rêves, les désirs et les formes sont tributaires du mal ou du mal fait.

IV. Dans cette aire du monde, à l'instar des deux Amériques, l'intolérance a fait ses dégâts. En face d'un peuple mal armé, les dits conquérants ont fait ce qui leur plaisaient quitte à assouvir leurs désirs. Tout cela au nom d'une Foi.  Que l'on dise, sans jamais hésiter, que l'intolérance est connue en Afrique du nord depuis l'arrivée des différents peuples et hordes. A cet instant-là, les représentations «de soi» se mélangent, se confondent, s'altèrent, s'interchangent, se fondent dans un corps bizarre. Une pensée «obscure» commence alors à naître, à désigner l'autochtone en tant que «sauvage», «primitif», «caduc», au même moment que l'autre est défini comme «civilisé», «humain» et «condescendant».  Là, nous trouvons une illustration: Tamazight, en tant que culture, est comparable à un citoyen qui erre entre des frontières, à chaque fois de noirs et terribles sentiments le hantent à propos du sentier à traverser pour embrasser pleinement l'existence.

Par exemple, les textes de la dite «Conquête» ou de la dite «Découverte» dressent un portrait unique du nord-africain: ses vêtements, ses gestes, sa vie, son physique sont présentés de manière disqualifiante, alors que le dessein principal était de propager l'amour entre les hommes et les peuples. Le premier amazigh, vu par les conquérants, est inhumain, sauvage, sale, laid, peu civilisateur, d'où il urge de le civiliser, de le rendre bon et bien. Cette image stéréotypée est de nature négative. Elle est répulsive. Elle est la même à travers les siècles. Cette construction de l'image tend à légitimer l'illégitime. De nos jours, après la fin des conquêtes physiques, une autre conquête symbolique y est présente. Les réactions de l'africain du nord sont précises et «conséquentes»: il préfère se tenir à l'abri, éviter les fautes, courir les dangers pour les autres mais point pour soi… tant de péchés primitifs sont faciles à lui être recollés. Il est surtout coupable de je ne sais quoi. Y a quelque chose qui le rend l'éternel coupable. Ce portrait, avec ses traits essentiels, s'offre facilement à tout moment. Ainsi, il est inconsciemment «étiquetté».

V. Si le sujet est communément défini comme 'un être porteur de volonté et de conscience', qu'est-il du sujet amazigh? A-t-il une volonté d'être? Et une conscience de son être? L'amazigh est en tant qu'il pense avec les idées et les formes de l'autre. Le rapport à un autre mode de penser s'avère un rapport vers soi! Cet état peut expliquer tant d'actions et de réactions manifestement indéchiffrables.  Se rapporter au monde nécessite un ego bien limité afin de parfaire la conquête de l'univers extérieur.

Comment se présente-t-il alors l'amazigh? Le modèle est un amazigh aliéné, civilisé, acculturé, rêveur. Il est obéissant envers les interdits religieux et civils. Il croit fermement aux devoirs qui lui sont partout rappelés. Il exécute pieusement les ordres qui lui sont impartis. Il exerce «aveuglément» son pouvoir, il pratique «timidement» sa liberté. Il fait tout en se justifiant aux autres. Il a peur de dire non ou de contrarier l'autre ou d'énerver. Pour lui, la morale est par-dessus tout. Elle est non seulement fondamentale, mais surtout fondatrice. Il excelle à inviter alors que la famine hante les murs de chez lui. Il ne peut vivre que sous un pouvoir étranger. Jamais sous les jougs du «frère»…

Comme la construction du modèle, dans la mesure où elle impliquait nécessairement l'identification avec l'altérité, a-t-il été amalgamé avec le moralement historique permis?

VI. S'occuper de soi est une action positive. Penser à soi est l'acte naturel d'un maître, penser selon les règles de l'autre est un exercice propre aux serfs. Ainsi, par exemple, il faut enseigner aux enfants à penser à eux-mêmes, à prendre soin d'eux-mêmes et à se soucier d'eux-mêmes… Il n'y a pas d'acte plus gratifiant que de prendre soin de sa culture.  Et, certes, dans les écoles, c'est précisément leur enseigner tamazight et la culture de nos aïeux.

Cependant, s'occuper de l'autre est également un exercice positif dans la mesure où cette interaction assure à l'ego une certaine évolution équilibrante. Quelles sont les relations qui unissent le moi et l'autre? Le retour sur soi est-il possible? Peut-on convertir cet amour de l'autre en un amour de soi? Quelle image «vend»-il l'amazigh incapable qu'il est d'en forger une pour se différencier des autres? Ces interrogations sont intéressantes à deconstruire dans le vu, le lu et le dit dans le réel quotidien…

Pour comprendre la logique qui règne en Afrique du nord, il faut retourner les vérités sur elles-mêmes, ainsi nous pouvons découvrir la vraie nature des choses afin de reformuler les vérités. Quand les vérités dérangent par ce qu'elles développent, on s'empresse à les qualifier d'idéologiques… Tant de choses ont été inversées: l'autre est enseigné, loué et fixé alors que le moi est effacé, déprécié et parsemé aux quatre vents. 

En conclusion…

L'alter ego est meurtrier pour l'ego amazigh: il le détruit, il le meurtrit à jamais. Par conséquence, on apparaît aux autres comme des fous quand on revendique l'identité dans un espace d'aliénés. Cela est juste.

Cette absence de définition de sujet, chez les Imazighen, est derrière l'omniprésence de la confusion au niveau de l'identification… Si l'amazighité est à lire comme un objet, chacun à sa manière, aux yeux du sujet «oriental» et «occidental», de quelle nature seraient-elles les relations qui doivent les unir: Dépendance? Indépendance? Interdépendance? Absence de rapport? Si l'Orient est à relire; il ne faut plus le lire comme le vecteur de toute manifestation de civilisation pour l'Afrique du nord, et si l'Occident est à interpréter comme le resurgissement d'autres limites de civilisation, quelle part définitoire reste-t-il pour le nord-africain? Enfin, cet acte même est insensé: parler de l'amazighité, et notamment du «sujet amazigh», dans la langue française est une conduite erronée…. Tamazight, bien que millénaire et porteuse de traditions et de valeurs humaines ancestrales, est une identité à venir.

               (H. Banhakeia)

P.-S. Le prochain chapitre de cette étude intitulée «Vers une définition du sujet amazigh» est: «Les Imazighen de Hérodote».

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