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TIWIZI (ou tradition amazighe de solidarité active) Par Azergui Mohamed (Pr universitaire retraité) Encore aujourd’hui, la soixantaine bien passée, je garde de très bons souvenirs des Tiwizi de jadis. Le terme Tiwizi existe dans toutes les variantes de notre langue amazighe en Afrique du Nord. Tiwizi est aussi l’intitulé de journaux et revues amazighes, l’emblème des associations et des ONG aussi bien au Maghreb qu’à l’étranger. Le substantif Tiwizi appartient donc à notre patrimoine linguistique collectif amazighe. Tiwizi est un mot féminin et il vient du verbe (iwiss: aider). La nominalisation en serait Tiwissi, mot qui aurait évolué avec l’usage en Tiwizi ou Tiwiza. Il est s’est dévié en arabe dialectal où il signifie travail forcé pour le caïd féodal du coin. Par contre pour tous les imazighen là où ils se trouvent ici ou ailleurs Tiwizi a un sens positif. Il désigne ainsi à la fois solidarité, entraide, volontariat , bénévolat et générosité. Tiwizi est un travail collectif et bénévole pour une famille, ou bien un travail collectif de tous pour la communauté. Nos ancêtres ont recouru à ce type de travail (Tiwizi) car ils n’ont jamais eu ni prisonniers, ni esclaves, ni serfs et ils ne connaissent pas le métayage. Ils ont vécu dans une nature généreuse aux ressources largement suffisantes sans avoir besoin d’aller envahir d’autres contrées. Ainsi pour la mythologie grecque c’est ici le jardin où se trouvent les pommes d’or (oranges) bien gardées par les filles d’Atlas. Hercule serait venu chez nous à Larache chercher ces pommes d’or dans ce paradis aux confins du monde connu d’alors. La terre des imazighen a toujours été convoitée et colonisée pour des périodes plus au moins longues par d’autres peuples venus d’ailleurs. Ceci aurait peut être souvent obligé nos aïeuls à vouloir se débarrasser rapidement des travaux de champs via Tiwizi pour se consacrer à la défense de leurs terres. Ils s’entraident pour se défendre mais aussi pour les travaux agricoles et la lutte contre les aléas de la nature Le but et la forme de Tiwizi varient selon les saisons. Tiwizi d’automne Je me souviens encore des derniers enmougarens (moussems) de fin d’été qui se font autour de la tombe d’un saint ou d’une sainte. Ils sont l’occasion de sacrifices d’animaux et de grands repas communautaires. Des prières sont alors faites pour la fécondité de l’étable et de la terre. De fait jadis les premières pluies, souvent abondantes nous arrivent toujours en Octobre. Dès lors les labours sont lancés partout. Ils commencent par les terrains affiliés à la mosquée du village, et à la grande medersa de la tribu. Ce sont des terrains dits Agdal (protégés, sacrés). C’est là une Tiwizi générale où tout le monde participe durant une journée de joie, de travail et de repas collectif Par la suite de petites équipes familiales ou mini Tiwizi se forment. Le but en est de faire rapidement le gros des labours des terrains un peu lointains et un peu arides et se desséchant rapidement. Je me souviens encore de notre Tiwizi familiale de l’époque. Il y a un oncle avec sa mule, une tante avec son bœuf et ma mère avec notre âne. Nous partons tôt le matin après avoir pris une soupe de semoule bien chaude arrosée d’argane et des figues sèches. Nous les enfants nous sommes à l’occasion libérés de l’Ecole pour une bonne semaine. C’est nous qui commençons le travail. Nous débarrassons les parcelles de terrain des pierres et des mauvaises herbes. C’est pour nous tout un plaisir d’être en contact direct avec la terre humide et sentir son odeur. Les semailles de l’orge se font à même les sillons derrière les laboureurs. Les lentilles et petits pois sont semés aux bords des parcelles. Pour réduire les dégâts causés par des tribus d’oiseaux jonchés sur les arganiers voisins les sillons ainsi ensemencés sont refermés à la pioche. Le tout est recouvert de fumier fin et le sol est ensuite nivelé. En Tiwizi toutes et tous, femmes, hommes et enfants nous travaillons et toujours dans la bonne humeur. Nous chantons des chansons qui cadencent notre travail ce qui le rend moins fatigant. Et juste après la mi journée un repas familial (Tajine, couscous) venu du village est servi à l’ombre d’un arganier ou au pied d’un rocher. Nos animaux de trait profitent de ce répit pour manger de l’orge ou mieux brouter les jeunes pousses d’herbe et boire du ruisseau d’à côté. Le retour des petites Tiwizis vers le village se fait au coucher du soleil dans la joie en fredonnant des chansons souhaitant du ciel un hiver pluvieux. Tiwizi d’hiver Chez moi là haut dans l’anti Atlas occidental à Tanalt le gaulage des olives se fait en Janvier toujours en Tiwizi du moins au temps de mon enfance. De fait à cette époque de l’année les olives sont bien mûres et pleines. Il faut les faire rentrer rapidement à la maison car tombée au sol, elles pourrissent, et restées sur les arbres, les oiseaux les picorent gaiement. Ainsi durant quelques jours notre grande l’oliveraie (bien connue sous le nom: Targua n’iznaguen) est en grande fête. Elle est envahie de partout par des équipes joyeuses de Tiwizis. Autrefois notre Tiwizi à nous se compose de presque tous les membres de la famille vivant dans les villages voisins où il y a surtout des arganiers. Notre travail de gaulage commence au lever du soleil après un copieux petit déjeuner collectif chez nous à la maison. Les hommes surtout les jeunes grimpent aux cimes des grands oliviers un long bâton (gaule) à la main. Les moins jeunes et les enfants restent au pied des oliviers avec leur long bâton Tous ceux d’en haut et ceux d’en bas nous donnons de légers coups aux branches chargées d’olives. Elles tombent au sol et le couvrent tout en faisant un crépitement intense signe d’une bonne récolte. Entre temps, les filles et les femmes arrivent du village pour le ramassage des olives. Elles se font très belles durant cette Tiwizi en particulier les adolescentes. Les jeunes perchés aux sommets lancent de là haut des chansons de circonstance dans les airs. Les répliques à ces chants par des femmes en bas et surtout des jeunes filles ne tardent pas. Cette ambiance de Tiwizi rend le travail agréable et le temps passe vite. Le repas de la mi journée, apporté du village est pris sur place en convivialité. Il est suivi d’un thé à la menthe(cueillie sur place). Le retour au village se fait vers le soir avec mules, mulets et baudets surchargés de coffins d’olives. C’est là l’occasion pour les garçons âgés de faire des brins de cour aux belles cousines. Ceci est suivi quelquefois de soirées de danses prélude de mariages en été suivant. Les Tiwizis d’olives se terminent par une journée ou deux de travail collectif à l’échelle de tout le village consacré aux oliviers appartenant à la mosquée du village ou à la grande médersa de Tanalt . Tiwizi du printemps Dans un passé pas lointain les pluies étaient plus abondantes aussi bien en automne qu’en hiver. L’hiver est à l’époque de mon enfance souvent rigoureux mais le printemps est une renaissance de la Nature. La terre humide se couvre d’herbes et de fleurs de toutes les couleurs De partout fusent des parfums naturels en particulier l’odeur du thym. Les ruisseaux sont gorgés d’eau limpide, les arbres sont aussi de la fête surtout les amandiers, les oiseaux chantent l’amour. Le bétail est bien nourri, en bonne santé et bien généreux. Nous disposons en conséquence d’une alimentation riche en lait et ses dérivés et ce en attendant les nouvelles récoltes. Au printemps les multiples parcelles de terres cultivées en automne se trouvent couvertes d’épis d’orges. Les champs passent petit à petit du vert au doré. Les moissons ont souvent lieu au mois de Mai. Elles se font en mini Tiwizi familiale car il faut moissonner et ramasser rapidement les épis qui sont mûrs pour éviter de les exposer aux pluies d’orages et au pourrissement ou aux oiseaux de saison. Les moissons sont un labeur dur sous un soleil de Mai toujours ardent. Faucilles à la mains les groupes d’hommes et de femmes de Tiwizi têtes bien couvertes attaquent chacun(e) une parcelle. Ils laissent derrière eux de grosses gerbes d’épis bien ficelées. Les femmes ramassent ces mottes d’orges les entassent et les ramènent plus tard au village près des maisons. Malgré la dureté du travail il n’est pas rare d’entendre des chants rythmés sur les mouvements des d’hommes et de femmes. Vers la mi journée comme à l’accoutumé il y a un repas collectif pour chaque Tiwizi familiale suivi d’un thé et d’une petite sieste bien mérités. Le travail reprend ensuite jusqu’au coucher du soleil. Les moissons durent une semaine ou deux. Elles finissent par les moissons des terrains de notre mosquée et de la medersa. Lorsque tous les terrains du village sont moissonnés les paysans font de grands amas circulaires des gerbes d’orge et laissent le tout se sécher pour un bon mois. Les paysans considèrent dés lors que leur devoir envers la Terre honoré. Ils la laissent se reposer durant tout l’été. Tiwizi d’été Il y a une ou deux Tiwizis tournantes qui passent chez chaque famille à tour de rôle pour le dépiquage et le vannage de l’orge. L’aire qui sert à cet effet est plane, circulaire et entourée de pierres en murette. Le travail commence tôt le matin juste après le chant-réveil des coqs. Le dépiquage se fait par le foulage de l’orge sous les pieds des animaux à sabots. Ces animaux tournent autour d’un piquet central sur un grand tas de gerbes d’orges séchées. Nous les enfants nous courons derrière les bêtes en chantant une refrain spécial pour la circonstance ce qui a pour effet de perpétuer le mouvement en rond. De temps en temps il y a une pause pour permettre aux animaux de se reposer et de boire. Entrent alors en scène les homme armés de fourches, ils remuent et étalent les gerbes. Ils fredonnent des chants rituels en accord avec leurs gestes séculaires. Après, les bêtes reprennent leur travail de rotation en piétinant de nouveau les tiges d’orge. Le vannage est destiné à séparer les grains des restes de pailles, des poussières et des déchets. Il dure une journée ou deux au grès des vents.. Si la récolte est bonne comme c’était souvent le cas à l’époque, le patriarche de la famille met un dixième de la récolte en orge et lentille de côté pour les pauvres et la médersa de Tanalt. Dès le lendemain cette Tiwizi va dans une autre famille pour les mêmes opérations. Ainsi au bout d’une semaine ou deux de Tiwizi toutes les familles ont leur orge et lentilles dans un coin du grenier et la paille remplit une grande pièce proche de l’étable. Par ailleurs en été il y a aussi les amandiers et les arganiers dont il faut s’occuper. Nous avons dans notre village autour des maisons ou sur les collines environnantes des amandiers. Naturellement nous nous faisons aider les uns les autres en Tiwizi. Dans d’autres villages non lointains il y a beaucoup plus d’arganiers. Nous aidons aussi en Tiwizi nos cousins de ces villages pour le ramassage des baies d’arganier. Ces différentes Tiwizis saisonnières finissent en été de chaque année. Nos maisons sont alors remplies de provisions pour nous et nos animaux. Tiwizis mémorables Ma mémoire conserve encore aujourd’hui des souvenirs de quelques grandes Tiwizi d’antan. Elles sont à l’échelle de tout notre village. Ce type de Tiwizi fait date chez nous. C’est en fait le travail bénévole de tous non au profit d’un individu ou d’une famille mais pour le bien de toute la communauté. Ainsi une grande Tiwizi mémorable a porté dans les années cinquante sur les travaux de défrichement et de mise en terrasses de quelques collines à côté du village. Ces grands travaux ont été faits en Tiwizi générale où tout le village participe par le travail et aussi par la préparation de repas communiels. Cette grande Tiwizi hisorique chez nous, a permis d’avoir des centaines de petits lots de terrains en terrasses autour du village. Et pour lutter contre l’érosion, les anciens ont planté sur leurs bords des figuiers, des pieds de vignes et des amandiers fierté de notre village aujourd’hui. De même le dernier pressoir d’olives de notre clan familial a été construit tout au début des années cinquante, D’abord deux artisans tailleurs de pierres, réputés dans la région ont préparé burin et marteau à la main pendant des jours deux imposantes meules à partir de deux blocs de granit. Ensuite le reste du travail se fait en grande Tiwizi. Il s’agit d’abord de déplacer et d’installer ces grandes meules sur le site choisi. Enfin il faut abattre, couper et amener un gigantesque tronc de caroubier qui sert de levier au pressoir vers l’endroit du futur pressoir. C’est surtout un travail d’hommes, mais les femmes participent aussi activement en apportant de l’eau et en préparant les repas. En 1957, là je m’en souviens très bien, nous avons eu dans notre région et dans notre village un automne et un hiver très pluvieux. Bien des maisons et des terrains ont cédé aux pluies et ils ont été partiellement ou totalement détruits. Le pays vient d’avoir l’indépendance, les politiciens sont en lutte sans merci pour le pouvoir. Nos villages endommagés ne préoccupaient nullement ces instances de la capitale. Nous nous sommes organisés alors en Tiwizi pour tous les grands travaux urgents. Les familles sinistrées avaient en charge de payer les maçons souvent en nature (huiles, amandes). Pour affronter cette situation, seuls nous avons reconstruit nos maisons et nous avons réaménagé nos terrains comme à l’accoutumé depuis des millénaires en TIWIZI et en hommes libres ou amazighs.
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