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2. La Classe Gouvernante Le monarque, d’après les récits de voyage, conditionne amplement l’administration dans tous ses mouvements, il inspire les notables, les gouverneurs et les élites locales, puis il les établit sur des lieux comme ses représentations, enfin il les «renie» si leurs tâches ne sont pas accomplies. Il a «un pouvoir absolu, discrétionnaire. Il n’y a d’autre loi que son bon plaisir.»(24). Ce pouvoir est délégué à ses fidèles serviteurs. Les hommes du pouvoir sont souvent, d’après les descriptions de Loti, originaires de la ville religieuse, et il signale la reproduction achevée des gouvernants. De père en fils, les fassis maîtrisent la bonne gouvernance du pays «makhzen», occupant les postes du pouvoir: ministres, juges, caïds, pachas... D’après l’écrivain français, le pays africain refait le même portrait politique des affaires internes marocaines. Le Maroc souffre politiquement d’une lenteur particulière, d’une léthargie due au népotisme et aux affaires résolues dans l’oisiveté et l’insouciance nécessaires. L’administration est, en fait, lente au plus haut niveau: «Mais, malgré les démarches qu’il a bien voulu faire, il n’a pu encore obtenir la lettre pour les chefs de la ville de Mékinez, ni le permis pour visiter là-bas les «jardins d’Aguedal». – Ce n’est pas la mauvaise volonté assurément, c’est lenteur, inertie ; le grand vizir s’y est pris trop tard, paraît-il, pour avoir la signature du sultan avant l’heure de la prière» (AM, p.205) L’auteur explique, à maintes reprises, les rouages administratifs qui l’obligent à demeurer dans une telle inertie: il se voit alors captif de la bureaucratie mystérieuse. Ce reproche, s’il en est un, est un leitmotiv dans la littérature qui traite du Maroc aux XVII, XVIII et XIX e siècles. Devant une telle déception du convoi de Patenôtre, l’auteur n’explicite pas longuement ses affres par précaution diplomatique. La justice du Makhzen, ou la justice gouvernementale, est pleinement assurée par des pachas, des juges et des caïds. L’auteur, en fin diplomate visionnaire de la colonisation imminente, se plaît à mesurer ses jugements. Toutefois, ses références à l’administration de la justice sont fréquemment précisées: «le vizir de la justice rend sur l’heure des jugements sans appel ; autour de lui, des soldats, à grands coups de bâton, écartent la foule, et les accusés, les prévenus, les plaignants, les témoins, sans distinction aucune, lui sont amenés de la même façon, empoignés à la nuque par deux gardes athlétiques.» (AM, p.203) L’injustice est évidente ; le peuple la reçoit de plein fouet. La pondération des espaces (makhzen/siba), des classes (gouverneurs/gouvernés) et des pouvoirs est impossible. Force est de constater que l’appréciation politique est erronée: dans notre exemple le grand juge ne reconnaît personne ; et il se plaît à bafouer les droits de tout monde. A qui s’adresse-t-il ici l’auteur ? Est-ce pour avertir les politiques français de l’importance socio-politique de cette classe ? Aux préparateurs de la pénétration française de saisir une telle approche ; et comment approcher ce groupe «gouvernant» ? s’impose comme une interrogation à résoudre bien avant le commencement du processus de la colonisation. Lyautey devient le meilleur artificier à déficeler une telle énigme. Pour lubrifier les rouages, impénétrables mais combien malléables, de la justice chérifienne, il y a bien des méthodes typiquement marocaines: «En avant de nous, sur la plaine, un groupe d’hommes, qui semblent des suppliants antiques, traînent un petit bœuf par les cornes. Au moment où le ministre passe, brille l’éclair d’un sabre dégainé ; en deux coups habiles c’est fait: les deux jarrets du bœuf sont coupés, et il s’affaisse dans une mare de sang, nous regardant avec de pauvres yeux pleins d’angoisse… Comme ces gens-là doivent lestement faire voler une tête ! – Le sacrifice accompli, les suppliants apportent au ministre leur requête écrite: c’est une longue et ancienne histoire, remontant à je ne sais combien d’années, où entrent des rivalités de familles, des assassinats mystérieux, d’indébrouillables choses. Ce sera pour grossir le monceau des affaires compliquées qu’il faudra régler, à Fez, avec le grand vizir.» (AM, p.86) Le même ministre de la justice, dans une construction métaphorique, sacrifie le pauvre bœuf qui porte la même angoisse que le peuple - qui attend désespérément la justice ou bien le règlement administratif d’une situation «compliquée». L’offrande, dans une telle solennité, peut-elle réparer les querelles entre tribus, ou entre membres de la même famille ? Le grand juge, par un tel acte commémoratif, s’investit d’un pouvoir suprême: les requêtes affluent… Pour Loti, la société marocaine se compose incontestablement d’un système de tribus/castes dont le pôle dominant est le centre Fès. La coexistence entre tribus/castes est tributaire de la force, et non de hiérarchie… La classe fassie, pour ne pas dire caste, ni clan, est décrite en ces termes, en insistant sur leurs traits spécifiques: «Ces personnages marocains qui nous reçoivent ont tous grand air ; sous les plis de leurs légers voiles blancs, ils marchent et se meuvent avec noblesse, ayant je ne sais quelle indolence distinguée, quelle tranquillité détachée de tout. Cependant on sent qu’ils ne valent pas les gens du peuple, les gens bronzés et farouches du plein air.» (AM, p.145) A l’opposé de la plèbe, les gouverneurs et leurs enfants entretiennent leur physique et accoutrement, et ils ont un air suprême. Au voyageur de discerner facilement les marocains en plusieurs classes. Autrement dit, l’auteur recherche quelle partie serait appropriée au contact prochain entre soldats français conquérants et marocains… Cette bourgeoise originaire de Fez fait partie du Pouvoir central. Elle réalise effectivement la gouvernabilité du pays: «La jeunesse dorée de Fez, la nouvelle génération, les futurs caïds et les futurs vizirs, qui seront peut-être appelés à voir l’écroulement du vieux Moghreb. – Très jeunes, tous, mais étiolés, pâles, mornes et affaissés sur leur coussins» (AM, p.147) A cette représentation ambiguë, l’auteur ajoute l’espoir de voir ces jeunes fassis changer la face du vieux Maroc. Ils acceptent la chrétienté, la modernité, l’occidentalité, l’européanité, l’altérité… tout en s’enracinant dans un espace symboliquement oriental. Une telle ambivalence pique la curiosité de l’auteur. Par contre, les tribus sauvages, expression qui implique réellement le peuple marocain dans sa composante amazighe, refuse tout ce qui dérive de ces valeurs ou spécificités. Bien que cette description paraisse naturellement folklorique, elle dénote les complexes positions idéologiques projetées par l’Occidental incarné par le voyageur Loti. 3.- Les Troupes de Répression Le récit de voyage montre nettement des troupes chérifiennes qui non seulement assurent à l’ambassade française la bonne circulation à travers les terres du Maroc, mais aussi la bonne «gouvernance». Elles réussissent le dessein de soumettre les tribus berbères au Makhzen. Elles s’ingénient à traverser le pays, à «pacifier» le royaume. Loti verra juste ou bien citera d’autres textes français qui en parlent – le docteur A. Marcet dans «Le Maroc, voyage d’une mission française à la cour du Sultan» (1885), ou L. de Campou dans «Un empire qui croule» et H. Duveyrier dans «Le chemin des ambassades», en (1886), enfin Gabriel Charmes dans «Une ambassade au Maroc» en (1887). L’auteur dira des soldats qui l’escortent: «Nos gens d’escorte fauchent l’herbe immonde, avec leurs grands sabres, moins exercés sans doute à ce métier-là qu’à couper des têtes.» (AM, p.98) Ces troupes qui sont sous l’ordre d’un caïd, sont importantes, bien rodées vu l’état de rébellion régnant. (p.76) Le caïd lève le camp le matin, et le soir il le dresse dans des lieux sûrs. (p.34) D’autre part, c’est bien le caïd qui reçoit la mission française au moment de pénétrer dans une nouvelle zone où une tribu différente réside. (p.39) L’armée est au service d’un convoi où les voyageurs français voient d’un mauvais œil la discipline, l’accoutrement, les gestes et les habitudes des misérables protecteurs. Cette histoire est digne d’une fiction de western où les soldats blancs affrontent les terribles indiens. Et Loti serait comparable au pauvre Buffalo Bill. Afin de leur procurer de la protection dans un Maroc insécurisé, l’armée chérifienne cerne les étrangers à tout moment, jour et nuit: «C’est l’infanterie du sultan (qu’un ex-colonel anglais passé au service du Maroc a équipée dernièrement, hélas ! à la mode des cipayes de l’Inde). Pauvres hères, ceux-ci, recrutés Dieu sait comme, nègres pour la plupart, et ridicules sous ce costume nouveau. Leurs jambes nues sortent comme des bâtons noirs des plis écarlates de leurs pantalons à la zouave ; après ces beaux cavaliers, ils paraissent bien piètres ; regardés de près, ils donnent l’impression d’une armée de singes.» (AM, p.112) L’auteur fait la nique à ces soldats au service du sultan. En plus d’affamés, ils détruisent totalement l’environnement. Cette image éclaire le lecteur français sur le rôle de ces «barbares» à soumettre les insurgés et les hommes des terres de siba. Mais le chapitre le plus cruel de ces personnes polygames, arrivistes et violentes est celui du supplice du sel (25) quand trois «brigands Zemours» vont être victimes de cette punition terrible. (AM, p.95) Les caïds sont souvent nommés dans le texte. Le plus connu est le caïd Belail (p.112), il y en a d’autres: Rhaâ, Abd-er-Haman, Kaddour (p.59). Ils sont tous cruels, et parfois ils sont aux yeux du narrateur beaux, nobles d’allures (AM, p.44). Ils obéissent tous aux ministres: «Et les caïds, anxieux de ce que le ministre va dire, attendent en silence autour de sa tente, dans la majesté de leurs longs burnous blancs.» (AM, pp.55-56) Bien que les caïds soient proches du peuple, et qu’ils soient au courant de tout ce qui se passe dans les villages et les montagnes, ils appartiennent à une grande famille dotée de prestige vis-à-vis du peuple, et de fidélité vis-à-vis du palais. Tout au long de l’histoire, ils apparaissent successivement: ils obtiennent de la «mouna» auprès d’un peuple misérable, pour nourrir les invités et l’armée d’escorte. Deux figures caïdales sont intéressantes à citer: * «c’est le vieux caïd Belaïl, bouffon de la cour, vêtu de rose tendre ; sa large figure de nègre, très sinistrement drôle, est surmontée d’un turban en pyramide, en poire, imitant la forme des toits du Kremlin» (AM, p.112) * «Arrive aussi le caïd Belaïl, bouffon noir de la cour, la tête toujours surmontée de son invraisemblable turban en forme de dôme ; il s’avance seul, dégingandé et dandinant, l’allure inquiétante, appuyé sur une énorme trique-assommoir» (AM, p.134) * «C’est le «caïd El-Méchouar», introducteur des ambassadeurs, - Ici, une minute d’hésitation, presque d’anxiété: il reste immobile, voulant évidemment que le ministre français s’arrête et fasse le premier pas vers lui ; mais le ministre, soucieux de la dignité de l’ambassade, fait mine de passer fier sur son cheval blanc, sans tourner la tête, comme il n’a rien vu. Alors le grand caïd se résout à céder, éperonne son cheval et vient à nous: une poignée de main s’échange, et, l’incident terminé à notre satisfaction, nous continuons d’avancer vers les portes.» (AM, p.114) Le caïd est alors le dernier maillon qui mène au sultan. A son tour, il met au monde des caïds. Cette fonction va, en général, de père en fils. Le sultan quête de bons caïds qu’il nomme, et qu’il reconduit à chaque fois que leur fonction «fonctionne»… Il lui demande en premier et dernier lieu la loyauté. Il a à ses ordres des contingents selon son importance aux yeux du sultan. Probablement, par l’omniprésence des caïds chérifiens dans le récit, Loti entend insister sur cette figure juridique, politique et sociale pour aviser le Colon de son importance à établir l’ordre par l’emploi de la force. Mais comment réussir la loyauté et l’obédience d’un tel acteur à l’égard des autorités françaises ? 4.- L’Institution Religieuse Le voyage du français se fait dans deux espaces différents: d’un côté le lecteur du dix-neuvième siècle découvre des princes, des chérifs, des bouffons, des saints, de riches commerçants, de jeunes fassis, des caïds, des pachas… découvrant l’opulence «étanche» d’un tel espace, et de l’autre les misérables, les berbères, les mendiants… mettant à nu un espace «fort démuni» profane. Si les chérifs sont présentés dans un ton condescendant, (26) comment présente-t-il l’auteur le sacré ou le saint africain? « Et le «saint», un vieillard complètement nu, sans même une ceinture, qui marche sans cesse comme le Juif errant, très vite à travers les foules, dans un empressement continuel, en marmottant des prières.» (p.183) Le sacré est présent à travers les ruelles de Fez, vu la présence des temples de Karaouïne et de Moulay Driss. (p.184) La religion fait à elle seule le Maroc de Loti. Toute la culture du pays se réduit au religieux, et l’histoire commence avec l’arrivée des musulmans en Afrique. L’auteur décrit inlassablement les marabouts, (27) les mosquées et les autres temples.Pour lui, c’est bien l’institution Karaouïn qui incarne ce rôle civilisationnel –basé sur la solennité de l’inimité vis-à-vis du Chrétien: «Cela, c’est Karaouïn, la mosquée sainte, la Mecque de toute le Moghreb, où, depuis une dizaine de siècles, se prêche la guerre aux infidèles, et d’où partent tous les ans ces docteurs farouches, qui se répandent dans le Maroc, en Algérie, à Tunis, en Egypte, et jusqu’au fond du Sahara et du noir Soudan. Ses voûtes retentissent nuit et jour, perpétuellement de ce même bruit confus de chants et de prières, elle peut contenir vingt mille personnes, elle est profonde comme une ville. Depuis des siècles on y entasse des richesses de toutes sortes, et il s’y passe des choses absolument mystérieuses.» (AM, p.130) L’auteur met le doigt sur les puissances qui gèrent le pays africain. Autrement dit, il prévient les futurs colons (qui arrivent) de l’atmosphère politico-religieuse. Un traitement pragmatique s’impose: le respect «utile» de cette institution peut préserver la présence française. Pour l’auteur, cette institution qui est sensible aux changements politiques de l’Etat marocain, est également vu comme le signe de sous-développement: «C’est Karaouïn qui donne le mot d’ordre farouche à toute l’Afrique musulmane ; elle est dans le Moghreb comme un centre d’immobilité et de sommeil…» (AM, p.171) Le temple n’a rien de centre intellectuel: ses professeurs sont des énergumènes et ses élèves des vassaux… En fait, l’inertie et l’obscurité, rappelons-le toujours selon l’idéologie de l’auteur, sont les éléments qui prédominent dans cette description non seulement de la fameuse mosquée mais de toute l’Afrique. Il revient alors à Lyautey de tracer un traitement spécial envers ce monument-temple nord-africain pour réussir à dominer «l’âme marocaine» par les méandres de sa politique colonialiste. Généralement, les Africains n’avancent pas, n’évoluent pas et ne produisent pas de discours moderne... Ils sont à genoux partout ; ils prient continûment: «A genoux, tous les croyants ! à genoux dans les mosquées, à genoux dans les rues, à genoux au seuil des portes, à genoux dans les champs: c’est l’heure sainte de Moghreb !...» (AM, p.154) C’est toujours Loti qui parle inconsciemment ou consciemment… L’image des «burnous prosternés, murmurant les éternelles prières» (p.131) est récurrente dans cette fiction. Le sacré «musulman» est, ainsi, à prendre en considération par les colonialistes qui se veulent for good pragmatiques. Toutefois, il y a une fascination particulière qui est présente chez cet Occidental déiste. Cette ambiguïté l’accompagne toute sa vie. L’auteur faillit prier à l’instar des musulmans: «le Allah ak’bar !... retentit en clameur d’épouvante sur toute l’étendue de la ville sainte, jusque sur les campagnes mortes d’alentour… Et, à travers ces longs cris lugubres, cet Allah, que ces hommes implorent, nous paraît en ce moment si grand et si terrible, que nous voudrions nous prosterner nous aussi sur la terre, à l’appel mouedzen, devant sa sombre éternité…» (AM, p.216), Le ton ironique renforce cette atmosphère d’envoûtement collectif. Les tolbas, ces étudiants religieux, attirent l’auteur. Ne serait-il là pas une influence de Mouliéras, dans le tome 2 du Maroc Inconnu, qui raconte tant de choses sur cette caste. Il dira: «Ces tentes blanches, hors de la ville, sont le camp des tholbas (des étudiants), qui font en ce moment même leur grande fête annuelle dans la campagne.» (AM, p.109) Les festivités religieuses s’organisent hors de la cité. Les tolbas s’ouvrent sur les montagnards et organisent avec eux les rites musulmans. Le chef des tolbas intrigue l’auteur. Il dira à son propos: «Ce sultan des tholbas est toujours quelqu’un des tribus éloignées, qui a une grâce suprême à demander pour lui-même ou pour les siens, et qui profite, pour l’obtenir, de ce tête-à-tête unique avec le souverain. Aussitôt après, de peur qu’on ne la lui reprenne, de peur aussi de représailles de la part des gens qu’il a fait bâtonner pour de bon, une belle nuit, clandestinement, il disparaît (ce qui est très facile au Maroc) ; à travers les campagnes désertes, il se suave dans son pays.» (AM, pp.170-171) Les tolbas sont organisés hiérarchiquement, assurant ainsi le contact avec le pouvoir, mais ils tiennent également un rapport avec les tribus environnantes et lointaines dont ils sont originaires. Parmi ces religieux qui représentent officiellement le rituel musulman, il y a bien des tolbas «modernes». Loti en parle: «Il est réellement très moderne, ce tholba, très étudiant même, dans sa façon de comprendre la jeunesse, dans sa préoccupation constante des femmes et du plaisir. Evidemment il est quelqu’un d’exceptionnel parmi les tholbas. Et, par lui, je serai bientôt au courant de toute la vie galante de ce pays.» (AM, p.163) Ce religieux nous rappelle les tolbas de Mouliéras dans son récit de voyage: «Le Maroc Inconnu». Le souffle de la modernité souffle sur le pays: les religieux prétendent au changement. L’auteur vise ces «modernes» qui, à son point de vue, peuvent apporter la modernisation du pays. En fait, la tradition et la modernité préoccupe tant l’écrivain, qu’il lui réserve de longs passages de querelle entre le côté obscur du Maroc et son deuxième côté rayonnant. Loti sert de visionnaire pour Lyautey et les autres politiques qui gouvernent lors du Protectorat. Ils vont saisir une telle pensée «colonialiste» pour effectuer la dite renaissance du Maroc. 5.- Fez , la ville magique de Loti Fez apparaît unique dans le récit. Elle est une ville obscure, hermétique et magique. Elle est le creuset de toutes les oppositions: du puissant et du paysan, des riches et des misérables, des vertueux et des débauchés… Elle incarne la fusion entre la blancheur de la chaux et «l’obscurité musulmane» (p.238). Elle est la «ville sainte» (p.99), la ville du commerce (p.99), la cité de débauche, d’infidélité constante et de prostitution (p.163). Elle est tout ce dont l’imaginaire occidental rêve. Rappelons au passage la fascination de l’auteur pour les murs «sacrés» arabes: «Non seulement je l’aime et le vénère, ce vieux mur, comme les Arabes leur plus sainte mosquée; mais il me semble même qu’il me protège; qu’il assure un peu mon existence et prolonge ma jeunesse.» (PJ, p.122) Aux significations du sacré émergeant du temple Karaouin, il y a le physiquement «sacré» dans tout bout de terre de la cité. La sécurité se réalise par les murs qui procurent une discrétion (intimiste) que recherche l’auteur durant toute sa vie. Une telle obsession le hante toute sa vie… Ce doit expliquer pourquoi Loti va être fasciné par Fez, la cité aux murs étroits et millénaires. La première image que nous avons de Fez est «bien grande et bien solennelle selon ses très hautes murailles noirâtres, que dépassent toutes les vieilles tours de ses mosquées.» (AM, p. 108) Cette apparition est stéréotypée dans la littérature française. Ensuite, Loti va préciser les contours et les entrailles de la cité obscure: «Fez-le-Vieux est devant nous: mêmes murailles effrayantes, lézardées du haut en bas ; mêmes créneaux ébréchés.» (AM, p.117) Les murs cachent éternellement le Maroc que quête l’écrivain curieux. L’auteur se plaît dans la ville «parfumée». Il se plaît à «parfumer ma maison comme il est d’usage. – Et jamais je ne m’étais fait aussi complètement que ce matin l’amusante illusion d’être quelqu’un de Fez.» (AM, p.188) Comme s’il s’agissait d’un univers de synesthésie orientale, l’auteur réussit à en faire partie. Mais, c’est bien la partie ancienne de la cité qui simultanément attire et effraie l’auteur (AM, p.120) L’obscurité est là. Si blancheur il y a, c’est le reflet de la chaux qui brillent sur les sanctuaires. (p.131) La chaux, en général, dénote l’Afrique: «blanchi à la chaux comme une entrée de ville d’Afrique.» (PJ, p.161). Ce simple coloris est présent dans maintes fictions occidentales, à titre d’illustration nous lisons: «la chaux étincelante des maisons arabes».(28) La matière de blanchiment attire l’Européen occidental.L’architecture de Fez attire également l’écrivain. Plusieurs temples sont décrits longuement. Citons: «Il est tellement grand que nous ne parvenons pas bien à en démêler le plan d’ensemble ; ses arcades sont variées à l’infini, les unes sveltes, élancées, découpées en festons inconnus, dentelées en grappes de stalactites ; les autres ayant forme de trèfles à plusieurs feuilles, de cintres allongés, d’ogives.» (p.131) Cela va influencer l’architecte Tranchant dans sa réflexion architecturale d’une Afrique française. La représentation de Fès est à lire comme une citation des autres descriptions apportées par les textes français coloniaux, et comme une incitation aux militaires à saisir l’âme de la ville millénaire.
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