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L’écriture amazighe au féminin: Etude thématique de ‘‘Yesremd-ayi wawar’’ de Fadvma El Ouariachi (2ème partie)

Par: Larbi MOUMOUCH (MASTER LANGUE ET CULTURE AMAZIGHES)

Le recueil compte 20 poèmes dont la longueur varie entre 17 vers pour le plus court et 88 vers pour le plus long. Ils sont divisés en strophes, séparés de blanc typographique, allant de deux à quinze strophes.

Le tableau suivant nous résume toutes les informations numériques et spatio-temporelles:

La construction syntaxique des titres des poèmes relève de deux types de structures: phrastique et syntagmatique.

Les titres construits sur la première structure sont ceux des poèmes: 1- 4- 5- 7-8- 9- 13- 16- 17. Nous avons ainsi une construction paratactique juxtaposant un énoncé affirmatif et un autre négatif, exprimant de cette façon un fait improbable ou incertain: ‘Yedja war yedji’. Les poèmes 4- 5-7-8- 9-16 et 17 sont également des phrases verbales à caractère autobiographique, où la subjectivité énonciative est forte, avec une présence marquée d’un interlocuteur désigné tantôt à deuxième personne et avec une image positive ‘Yeḥdaj-ic wur-inu’, tantôt à la troisième personne comme tentative d’oubli d’une souvenir douloureux ‘Yenàa day-i tudart’. Le jeu des pronoms je-tu indique l’affectivité et l’intimité d’une relation endolorie évoquée au passé (verbes à l’accompli). Les poèmes 8 et 13 sont plutôt tournés vers l’avenir et exprime les vœux et souhaits de la poétesse: ‘Aqa a d-yas ij nhar’, ‘S yissem-nnem a niri’.

Les autres poèmes se présentent sous forme de syntagmes nominaux. Plusieurs procédés sont mis en œuvre:

•Synapsie: Nom+n+Nom/relative: Iẓewran n tudart, Tamezyida n tudart , Ayujir n wi yedaren.

•Nom+participe: Tàuyyit ijehden, Ussan yaredjen.

•Nom+déterminant possessif: Taqssist-inu, Timàarin-nneà, Djyari d wussan-inu, Tarẓugi n beṭṭu

•Nom: Anaruz.

Au niveau sémantique et thématique, les poèmes peuvent être regroupés de la manière suivante, même si ces titres ne reflètent pas toujours complètement le contenu profond des textes:

La révolte et le refus: la condition féminine, l’existence, la vie et l’être. Les titres 1- 2- 9- 10- 12- 13- 15- 20.

1.L’expérience personnelle: amour et souffrance. Les titres 3- 4- 5- 6- 7- 11- 14- 16- 17- 18 sont révélateurs.

2.L’espoir: 8-19.

Les titres nous mettent donc dans une situation d’attentes où les premiers éléments

annoncent une tonalité triste, mélancolique qui traduit un mal être, un malaise, une douleur. Ils résonnent aussi d’une voix consciente de la condition féminine et sociale, qui l’achemine sur la voie de l’initiation et de l’apprentissage, gardant malgré les maux endurés, une lueur d’espoir.

Le classement des poèmes n’obéissent pas à l’ordre chronologique de leur création. Le critère de classement est donc autre que temporel. La localisation spatiale des poèmes est elle aussi variée et disproportionnée. Le tableau suivant visualise ces données:

Tableau 1:

Tableau 2:

Il apparaît clairement que la plupart des poèmes sont écrits durant les années 90, entre 1991 et 1998. Mais le début de l’écriture remonte à plus loin, vers la fin des années 70, époque qui a connu d’ailleurs la parution des premiers poèmes et recueils en Tacelḥit. Elle s’estompe une dizaines d’années pour reprendre en 1988 (trois poèmes). La création n’est donc pas régulière, connaissant son apogée en 93 avec 6 poèmes, pour devenir maigre en 91-92, 94, 96-98, et absente en 95. Sur une période de vingt (20) ans, le recueil compte seulement vingt (20) poèmes.

Pour l’ancrage spatial des poèmes, 7 poèmes sont écrits dans la ville de Nador, 2 à Farxana et Tanger et un seul à Fès. Les 8 autres ne portent pas d’indications spatiales. Ce qui revient à dire que la ville de Nador a inspiré davantage note poétesse, que sa plume y est plus fertile et prolifique.

Analyse thématique du recueil

La contestation et le désir d’émancipation:

Les poèmes de Fadvma El Ouariachi réservent une place particulière à l’enfance et à la condition féminine.

Son regard sur l’enfance est d’une sensibilité désarmante. L’image qu’elle en dessine est terne, précaire, douloureuse, faite de souffrance et de maltraitance. Jetée dans cette existence qu’elle n’a pas choisie, subissant le poids de la fatalité,

Cem tsersed dqer

Teggid-as-t x yiri» (Yedja war yedja, p. 13)

l’enfant se trouve malmené par les dures conditions de la vie, victime de la négligence et de la maltraitance. Frustré et privé d’éducation et de la chaleur et de la protection maternelles et familiales, il vit mal son enfance, dans la solitude, séparé de ses pairs,

Yexs nigh war yexs

Maca cem tiwyed-t-id,

Deg webrid abarcan

Yus-d mbra mezri

War days yexriq ccan.

Deg uḥarwar n teghzer

War yufi bu wemcan

Ittwahuz ghar ṭṭarf

Yenbdva x iseyman

Tmughri ghar-s s ughezdis

Am wen yeghdar zman ! (Yedja war yedji, pp. 13-14)

Sa vie ne sera donc qu’un projet mort-né, une vie ratée:

Tghuyyit tamezwarut

I yegga deg wehfur,

Tugha tt d svurif

Deg webrid n uhejjar.

Vivant, l’enfant semble déjà un être mort. La poétesse ne ménage pas la mère responsable du malheur de son enfant, à laquelle elle adresse ces paroles virulentes:

Tesharqed iman-nnes

Tengh-it amenn yeddar

Ressemblant ainsi à une graine privée de soi qui ne poussera normalement:

Cek d arcic ughemmuy

Ittwattun zi temzi.

Presque la même image de l’enfance se retrouve dans le poème intitulé «Ayujir n wi yedaren». Usant d’un champ lexical végétal et d’image agraires, l’auteur peint l’image de l’enfant abandonné, mal traité, privé d’égards, de soins, de protection, alors qu’il aurait dû être comme une fleur verdoyante, fleurie, arrosée, protégée du froid, de la chaleur:

Ahenjar amezyan,

Am ugheddu n ben3man

Maca, nitni ggin-as

Am tsetta n buydunan

Ighemyen di dmani,

Teggem mbra yaman,

Yecsi-tt usemmidv

Yessur-itt ak usennan,

Yuri-d ad inewwar

War dji u t gha yehdvan

Cuqen day-s initcan,

Harewden-t s ireghman. (p. 41)

Il faut dire que la référence à l’enfance est pour El Ouariachi un leitmotiv, une image obsessionnelle qui non seulement la peine et tourmente, mais qui constitue une période innocente, heureuse, où la personnalité de l’enfant se construit par et dans les jeux. On retrouve cette image euphorique dans un autre poème à caractère autobiographique intitulé «Taqssist-inu», page 23:

Taqssist-inu !

Taqssist-inu d tiwecca
It3ayanen ihénjaren,
Ad tt-zaren d yur n r3id:
Ad farhen, ad iraren,
Ad tt-iraren d fule3le3
S ucar d iqwaren,
Ad tt-iraren d qnuffar
Ad tt-yecc wit gha yafen
Une révolte féminine:

Le regard de Fadvma El Ouariachi se fait d’emblée très critique envers la femme. D’abord en tant que mère qui n’assume pas pleinement son rôle envers l’enfant. Mais il est aussi contestataire de la situation domestique de la femme au sein de la famille où la division conventionnelle du travail selon le genre la confine à l’intérieur, se sentant comme prisonnière, alors qu’elle rêve sortir, d’aller travailler comme son confrère, de s’amuser, de goûter aux menus plaisirs de la vie:

Ejja-ayi ad sghuyyegh s jhed,
Mayemmi i dayi teqqared: Sqar?
Nec uhregh sqaregh
Minzi kurci iweddar,
Xsegh ad 3awnegh uma
Ghar wezra3 d wemjar
A nesmun rmaṭṭat
Di rwest n yiyyar
A nfareh, a necdveh
Ghar tziri d uyur (Uhregh ṣqargh, p. 21)

Mais si la protestation contre l’ordre établit s’exprime dans ce microcosme familial, elle prendra une forme plus étendue et plus forte dans le poème «Timgharin-nnegh». Celui-ci s’inscrit de façon ferme et affirmée dans un engagement social déterminé. Il vise ainsi éveiller la conscience des femmes, leur émancipation, les exhortant à agir, en prenant exemple sur leurs consoeurs palestiniennes, pour réclamer leurs droits

A timgharin-nnegh,
Kkarent, ceddent ibuyyas!
Cfa-nnegh zi tghemura
D ughezzi n teghmas!
Aghimi n tghemura,
Itawi-d rweswas.
Kkarent, a neffghent ghar barra,
A nfardent abessas;
Wetcma-tnegh di Filistin
Tkesi yaqartas
Tcuqa timessi d waggu d iqudas

A ne plus se contenter du leurre d’une vie banale, ordinaire et résignée:

Tudart war tedji d tuqarqect
D u3emmar n rkas,
War tedji bu d abyyas n waregh
Ura d tiseghnas. (Timgharin-nnegh, p. 30)

Par l’emploi du pronom collectif, nous, subjectif et impliquant, l’auteure fait sien le sort de ces femmes fatalistes et désespérées. Mais elle lance un cri et un appel au sursaut et à l’action, gardant espoir et toute confiante qu’elle est dans un avenir meilleur et un lendemain radieux:

Mechar ma tekka tadjast,

3ad a d yari wass.

Tudart ghar zzat,

War nqet3ent bu rayas, …

Ad d-asent tfardjas

Ad sfarḥent ur-nnegh

Ad anegh d-arrent rayas … (p. 31).

La soif de vivre:

Le poème de Fadvma El Ouariachi est d’abord un espace de subjectivité où le lyrisme se déploie comme moyen d’expression de soi et où la poétesse exorcise ses maux par le verbe. Certains poèmes sont entièrement dédiés à la vie personnelle de l’auteure, à son expérience, à son histoire. Le poème les enregistre, faisant foi de témoignage d’un parcours, d’un passage existentiel individuel.

Dans cette optique, le poème prend forme comme une naissance qui s’enracine dans un espace culturel riche de son héritage et de son patrimoine. Une image apicole préfigure cette gestation et cette genèse de la vie qu’il faut maintenir, cultiver, perpétuer comme un héritage précieux:

A tamment n zizwa

Di taghrast n warezzi !

Cem d rwart-nnegh

Id anegh d-yedja jeddi,

Amezruy-nnem d azizar

War yedji d aneqṣi

Deg yedlisen i yura, … (S yisem-nnem a niri, p. 35)

La vie est justement à l’image des abeilles. Elle cristallise la dualité de la saveur et de l’amertume, poétisant ainsi une forme proverbiale «wanna iran tamment, iṣber i isaqqsen n tezzwa»:

Taudart mbra zzay-m

Yac war tiri,

D cem d rbenet n tudart,

Cem d taẓyudvi

Taẓyudvi-nnem d rḥur

Tessur ak uriri,

Ariri d amarẓag

War nzemma a t-nseghri.

Tout comme l’apiculture, la vie doit aussi être cultivée, entretenue avec soi, dans le but de la voir animée, vivante, fructueuse. La valeur du travail est ici prisée car c’est la clé du bonheur qui mène à découvrir la saveur et les délices de la vie

Ad necsi tzizwa-nnegh

A tt-narr ghar re3rasi,

A teḥdva newwar-nnes

Gha yewcen tazyudvi

L’anaphore et la répétition servent ici à une expression apologique de la vie où l’être doit chercher un sens existentiel. La poétesse, elle, en précise les dimensions fondamentales:

Zzay-m a nesiwr:

S yisem-nnem a nesars,

S yisem-nnem a necsi,

S yisem-nnem a ne3na,

S yisem-nnem a niri

S yisem-nnem a nali (s yisem-nnem a niri, p. 35-36)

La vie se présente aussi pour EL Ouariachi comme un espace initiatique. Pour atteindre ce dimension ontologique, on doit passer par un apprentissage, une formation, une quête, qui ne sont pas toujours dénués d’embuches et de souffrances à endurer:

A tudart ! A tudart !

Xezaregh ghar-m rexẓrat

Am useymi xmi iremed

Irar ak yemmas

Ittnughuc, itettedv

A tudart ! A tudart !

Xezaregh ghar-m rexẓrat

Xezaregh ghar-m rexẓrat

Umehdvat ghar umsermed

Udvfegh day-m d tamezyida

Cem day-i tesgharid

Mamec i gha uyaregh

Deg ubrid n usegged, … (Tamezyida n tudart, p. 47)

Tarzugi ou l’amertume évoquée dan le poème «S yisem-nnem a niri» fait écho dans le dernier poème (Tamezyida n Tudart), au sacrifice déçu et mal récompensé que l’auteure a consenti sur le cheminement initiatique de sa vie:

Ucigh-am tayri-ynu

D aghbalu xmi ifeyedv

Swin zzay-s iwdan

Ejjin day-i tiqqad teqqed

L’acuité de cette épreuve trouve son apogée dans le poème «Izewran n tudart». l’auteure prend conscience de la dureté de cette épreuve, de la dureté de la vie dont la quête semble impitoyable et inaccessible. D’où un sentiment de frustration, de perte, de fourvoiement, d’égarement:

Tweddared-ayi
Am tseyneft deg rym;
ArezuY xaf-m
Di mkur aqemmum,
Char tew3ared!
Wsegh a cem d-ekksegh!
Char tew3ared

Am yiccar x weysum ! (p. 15)

Désemparée, assoiffée de saisir à pleins bras cette vie qui ne se concrétise pas, la poétesse trouve son réconfort victorieux dans les mots et se lance dans un hymne à cette vie insaisissable, exprimant fiévreusement ses vœux et désirs ardents, sa soif fervente de vivre, de métamorphoser cette vie en menus plaisirs et gestes qui emplissent l’espace intime ou social:

Xsegh a cem d-ekksegh
Jar iccar d weysum,
A cem gwegh d arecti
A zzay-m arebigh antun
A cem eggegh d tamedjaht
D rbenet deg weghrum,
A cem eggegh d nsima
I yijdi ad imun,
A zzay-m bnigh dsas
N wawar ad iddum,
A cem eggegh deg firu
d znayar i wadjun
Huma a zzay-m cedvḥegh
Deg weydud amimun
A cem eggegh d ta3edjan
X tqucet n wetmun.

Xsegh a cem d-ekssegh
D tasarut n tewwart,
A cem eggegh d tasedjet
Deg yiri n thenjart,

Pour ensuite refonder une autre vie, la sienne, dans un élan cyclique novateur et rénové, une sorte de métamorphose, de recréation ontologique:

A cem zzugh, d aghemmuy
N tidet deg wur n temmurt,
A tewted izewran
I gha imenghen di tudart.

Cette recréation poétique de la vie se matérialise en éléments vifs et effervescents de joie, de beauté et de rêve:

Taqsist inu d tiwecca
Teáayen ihénjaren
Ad tt-zaren d yur n raid
Ad farhn ad yeraren
Ad tt-iraren d fule3le3 …

Taqsist inu d turjit
N wussan id gha yasen
A tt-arigh s reqrem
D wur-inu d idammen
A tt-arcement tihramin
D rhnni x ifassen

(Taqssist-inu, p. 23)
Amour et souffrance:

La thématique de l’amour et du mal de vivre est la plus présente dans le recueil de Fadvma El Ouariachi. Douze poèmes évoquent l’expérience amoureuse, les déboires et le mal-être de la poétesse. L’écriture poétique lui sert d’exutoire, extériorisant les maux qui la rongent, exorcisant les démons qui l’obsèdent.

Un amour malheureux:

Le besoin affectif et sentimental se fait pressant. L’autre est bien présent dans son intérieur. Il traduit un manque, un vide psychologique. Il donne un sens à sa vie:

Yehaj-ic wur-inu,

Am useymi ame3nan

I yehadejn rehmu

N yemma-s iweddaren.

Yehdaj-ic wur-inu

Axmi yehdaj aman,

Am r3arest xmi teḥdaj

Afray i t gha yehdvan.

L’autre à aimer, ou aimé, se dessine dans un portrait peint sur mesure, du moins selon le regard de la femme. Il symbolise la protection, l’espoir retrouvé de vivre, le pilier du foyer, l’unité de la famille (Yeḥdaj-ic wur-inu, p. 19):

Twarigh day-k tmunt

N rwacun yemsebdvan,

D rayas n tudart

War day-i yewcin bu raman.

Uc-ayi-d fus-nnec…

A din nesars dsas n tudart icewwaren,

Quoique fondée sur une vision classique de l’amour – foyer, mariage, enfants –, Cette union idyllique, la poétesse la peint avec des colorations romantiques et lui donne une allure mythique, proverbiale:

A day-s tghennajen

Yaryzaen d tsednan

Di djyari unebdu

Id itce3ci3en yitran …

Mais le souhait et le rêve ne sont pas suffisants pour vivre pleinement cet amour. L’autre aimé est lui-même source de désappointements. Son éloignement endolorit le cœur de la femme amoureuse:

3dum deghya a yussan,

D djyari akid-sen !

Siwdvem-ayi-d ass-nni !

Wenn xaf-i yigwjen,

Wen ghar t3ayanegh,

Ad zaregh u y3izzen.

(Ussan yaredjen, p. 45)

La femme amoureuse est doublement sous l’emprise de la séparation: elle est séparée du passé pour lequel elle a grande nostalgie, heureux ; le temps étant ici son ennemi, son vœu se brise sur la dure continuité temporelle. Elle est aussi éloignée, désunie de son bien-aimé dont il ne reste que le souvenir chaleureux.

Malgré cette absence, elle lui voue un amour infaillible, une grande fidélité. Sa présence intérieure est gravée dans son cœur comme une marque indélébile. Malgré le poids du temps, l’éloignement, la séparation, il est omniprésent:

Ussan mbra netta

3dun xaf-i deqren,

Me3lik, mri yargeb

Me3lik, mri yesen:

Deg wur-inu yezdegh

War dji wi t gha yekksen,

War t-itekkes rqesḥan

N wussan yaredjen,

War t-itekkes wemsebdvi

D regwaj n yibriden.

Sans lui, la vie est sombre, obscure, sans lendemain. Il est la lumière qui l’éclaire dans sa vie, qui lui éclaire le chemin. Il est à la fois vue et vie:

Csigh-t deg fus-inu

D refnar yarqen,

Zzay-s i twarigh tfawt

Deg webrid n tram-nsen. (p. 45)

L’amour de l’autre, ou du moins sa présence sécurisante, l’aveugle, l’obsède. Il consent tant de sacrifices, prête à tout pour le retrouver, avec la crainte de se perdre dans la vie:

Ad arnigh ghar zzat

Gwdegh ad weddaregh

Gwaregh s reḥfa,

Tetli3egh deg webrid

Xezaregh ghar ujenna ;

Tfuct tewta day-i

Fad yescemdv-ayi

Une femme malmenée par la vie:

Le recueil de Fadvma El Ouariachi est d’une forte sensibilité. Son expression poétique est très empreinte de mélancolie, d’amertume, d’échec, de douleur. L’illustration de la première de couverture et les connotations du titre en ont donné le ton.

Cette souffrance est d’abord celle de la Femme, d’une femme victime d’injustices, malmenée par son destin:

Ur-inu yehrec,

War day-s ufigh agenfi

Zeg wami d-xerqegh

Se3d walu ghari ;

Tfawt n midden turgha,

Necc, tenni inu texsi.

(Djyari d wussan-inu, p. 32)

Elle s’en prend au temps, à son temps:

Ejj-ayi a c zawaregh

A zman mghar ij n umar !

Csigh dqer-nnec

D reqnadvar x we3rar

(Tghuyyit ijehden, p. 17)

Elle se révolte, s’indigne, crie son refus de la résignation et de la soumission. Elle s’affirme et met en avant son statut de femme non inférieure, ses qualités:

War djigh bu d taneqṣect

Re3qer-iun yemghar

Mais aussi ses droits:

Necc d tghuyyit ijehden

Ittḥazan idurar,

D tghuyyit n temghart

Yarezzun tiseqqar

Necc d azyen akid-k

Di tudart i neddar, …

(Tghuyyit ijehden, p. 17)

L’autre prend une allure infernale. C’est la source de son malheur. Son amertume provient de l’injustice des autres:

Iwdan dvermen-ayi

Sde3qen-ayi ur-inu

S ucemmudv n tmessi

(Djyari d wussan-inu, p. 32)

Leurs propos malveillants:

Qqaren-as d tabuhaect

War ghar-s bu re3qer

(Ughir xaf-i ṣbar, p. 44)

En plus de la déception amoureuse, de l’amertume qui lui en reste à cause de l’autre décevant, trahissant:

Necc 3emmars war day-i yetghir,

Netta a day-i yettu …

Yexẓar day-i s ughezdis

War day-i inna walu,

Yejja day-i ayyezim

Yezgha, yegga yanu

(Nemsagar deg webrid, p. 43)

Il s’ensuit alors la séparation, l’abandon, dans la douleur et la souffrance:

Ufigh-c d azyen-inu

Tafghed-ayi d iyyar

Ixarf-it unebdu.

Rayas day-k yuzgh

Ametta yegga ghezzu

Tejjid-ayi arezugh

Ixf-inu deg yixf-inu

(Tarzugi n bettu, p. 37)

La trahison de l’être aimé, sur lequel elle mettait tant d’espérance, a porté un coup fatal à son cœur:

Mecḥar i nemserqa !

Mechar i nem3acar !

Necc ggigh nniyt

Maca netta yeghdar,

Yessu-yi tazeggwart ;

Tghir-ayi d rehrar.

Netta i day-i yewtin

S reqde3 war idvhar,

Yengha day-i tudart

Yeqqim day-i re3mar,

Yejja-yi am useklu

Umi yewdva wafar.

(Yengha day-i tudart, p. 24)

Désespérée de trouver un ancrage paisible dans la vie, déçue de son amour malheureux, elle est fragilisée et confinée dans sa solitude qui la ronge, la triture, écrasée par le poids du temps qui s’écoule et qui en s’étirant aggrave l’acuité de ses maux intérieurs:

Ussan d djyari,

Necc haca wehdi ;

Ur-inu yetamar

Yeddar s tarzugi,

Djirt-inu d tazirart

War ghar-s bu wenhedi

(Djyari d wussan-inu, p. 32)

Elle avoue amèrement et douloureusement sa perte, son égarement, son fourvoiement, comme si elle a perdu toute attache, tout lien, affectif ou social, dans un cri déchirant et tragique, qui dévoile un état intérieur secoué, bouleversé, frôlant la folie, malgré cette voix qui remonte des entrailles qui l’appelle à la patience et à l’acceptation de ce sont injuste:

Weddaren ussan-inu

Axmi yefsi wedfer

Mendaregh di refyafi

Dewregh am udagher ;

Urint xaf-i tira:

Ad csigh remhayen.

Urint xaf-i: ad sbaregh.

(Ughir xaf-i ṣbar, p. 44)

CONCLUSION:

Ce survol de la thématique du recueil poétique YESERMD-AYI WAWAR de Fadvma El Ouariachi nous fait découvrir l’univers poétique de la poétesse, un univers intérieur qui frappe par sa sensibilité, son effusion lyrique d’une tonalité mélancolique saisissante. Elle y dépeint une âme endolorie par le mal de vivre, un cœur tourmenté par la souffrance et la plainte d’une réalité impitoyable, d’un vécu décevant et poignant. Mais aussi une profonde soif de la vie, un désir de recréer et revivre une autre vie, une autre existence, compensatrice des frustrations subies, recomposée, comme (re)médiation thérapeutique par les mots et les images puisées dans le monde agraire et végétal qui peuple l’espace natal.

Le recueil révèle aussi l’image d’une femme avide de liberté et d’émancipation, une femme consciente de la condition précaire de la Femme, de la nécessité du changement et de l’éveil pour un avenir meilleur. Cette prise de conscience fait de Fadvma El Ouariachi une figure de combattante, une poétesse qui a une place particulière et qui n’a rien à envier aux autres poètes.

Fadvma El Ouariachi nous fait donc partager le fruit de son expérience unique dans l’écriture poétique, empreinte de tradition orale dont elle puise mais enrichie par ses thèmes, son engagement, son courage d’écrire et de dévoiler un pan de sa subjectivité. Son mérite est aussi d’initier l’expérience de l’écriture féminine et de marquer la présence de la femme dans l’espace de la production littéraire amazighe en particulier et marocaine en général.

Dans cette recherche, nous n’avons pas abordé le langage poétique et les caractéristiques stylistiques et rhétoriques de la poésie de Fadvma El Ouariachi. Comme nous n’avons plus comparé son expérience avec celle d’une autre poétesse du Rif, Rachida El Merraki, comme c’était prévu dans notre projet de départ. Ces éléments pourront faire l’objet de recherches ultérieures, dans un cadre plus large et menées de façon plus approfondie.

BIBLIOGRAPHIE:

-Fadvma El Ouariachi, Yesremd-ayi wawar, Imprimerie Arrisala, Rabat, 1998.

-Abdellah Bounfour, Introduction à la littérature berbère, 1. La poésie. Ed Peters, 1999.

-Stéphane Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, Tome V, les royaumes indigènes, organisation sociale, politique et économique, Paris, librairie Hachette, 1927.

-Abdesslam Khalafi, La poésie de résistance au Rif: 1893-1926, Tawiza,

ـ قسوح اليماني، بعض الأشكال التعبيرية ذات الطابع الاحتفالي بقبيلة آيت ورياغل بالريف الأوسطـ ـ تدوين ودراسة، جريدة أعداد 111، 112 و 113، 2006.Tawiza

ـ قسوح اليماني، الشعر الأمازيغي بالريف، مقاربة تاريخية، جريدة Tawiza، أعداد 109-112، 2006-2007.

ـ قسوح اليماني، محاولة لوضع "ببليوغرافيا" بعض أجناس الأدب المكتوب بأمازيغية الريف، جريدة Tawiza

ـ تاريخ الأدب الأمازيغي، مدخل نظري. أعمال مائدة مستديرة 20-21 يوليوز 2004، منظمة من طرف المعهد الملكي للثقافة الأمازيغية، مطبعة المعارف الجديدة، الرباط، 2005.

ـ جمال أبرنوص، ملامح التجديد في ديوان «Ashinhen n Izewran» للشاعرة رشيدة المراقي،Tawiza عدد 112غشت 2006.

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