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Pensée et
profondeur de Ali Sidqi Azykou (1942 – 2004)
Par: Mohammed Serhoual, Université de
Tétouan – Maroc.
[…]
Irebbi a yiwi waxxa gix ghemkad akk ussax
Ass nnak nnan immut baba – k ur llin
Acki d ay iwi tasst ixsan d mas usin
Assemdel n baba – k tamazirt agh ira ad llin
Ixs – inw rix ad ifsi g imudal nnex
Irebbi ay iwi hann ad ur tettut awal ad
Irebbi ay iwi hann ad ur tettut awal ad
Baba – k
(Ali Sidqi Azaykou, Yat tabra zi Timitar Bariz, ass n 02 – 08 – 1970)
Bien que je n’aie pas eu ni l’occasion ni la chance de connaître ou de côtoyer
feu Ali Sidqi Azaykou; néanmoins, je vais essayer de rappeler certains aspects
de l’œuvre et de la pensée de l’enseignant – chercheur, de l’historien et du
poète.
1-Azaykou, l’homme et l’œuvre: bref aperçu biographique
Faute d’une biographie, exhaustive en bonne et due forme consacrée à Azaykou,
qui reste à faire, rappelons schématiquement quelques points de repères marquant
de la vie de l’homme1.
1942: Naissance à Igran n Twinkht à quarante kilomètres de Taroudant au pied du
versant ouest du Haut – Atlas.
Etudes primaires et secondaires et Ecole normales d’Instituteurs à Marrakech.
1962: Professeur de Collège à Imi n tanut.
1968: Maître – assistant à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de
Rabat
1970: Séjour à Paris en vue de préparer un doctorat de 3ème cycle sous la
direction du Pr Jacques Berque.
1980: Professeur – chercheur à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines
de Rabat
1981: Arrestation et emprisonnement pour avoir publié un article intitulé fi
sabiili mafhumin àaqiqiyyin li Ãaqafati-an al waéaniyya [Trad. Pour un concept
réel de notre culture nationale], publié dans Amazigh, no 1, dirigée par Ouzzin
Aherdan.
1981: Procès condamnant Azaykou à plus d’une année d’emprisonnement.
1981: Etablissement du manuscrit Relation de voyage??
1988: Soutenance d’un D.E.S. à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines
de Rabat, Mention Très bien.
- Publication de Timitar «Signes», recueil de poésies en tamazight.
1995: Publication du second recueil également en langue amazighe, sous le titre
de Izmuln «Blessures». Il semble que Azaykou a d’autres poésies inédites à son
actif et qu’il a émis le vœu de les faire connaître à titre posthume.
2003: Azaykou rejoint l’IRCAM en tant que membre du Conseil administratif et
Professeur au Centre des Etudes historiques et environnementales.
2004: Vendredi 10 septembre Ali Sidqi est décédé à Rabat. Sa dépouille est
inhumée en son village natal, Igran n Twinkht (région de Taroudant), selon le
vœu du défunt.
Plusieurs poèmes et textes nécrologiques ont été produits à la mémoire du
disparu, ils ont été publiés dans différents journaux nationaux.
Azaykou est un militant de première heure, il a défendu la langue et la culture
amazighes depuis les années soixante. Il est membre fondateur de l’A.M.R.E.C.
(Association marocaine de la Recherche et l’Echange culturels).
Il a contribué, tout au long de sa carrière, à la formation de plusieurs
générations dans les différents cycles de l’enseignement: primaire, secondaire
et supérieur.
Il est l’auteur de nombreux articles scientifiques publiés dans des revues
nationales et internationales comme Kalima no 1, févr.1971 et no 2, juillet 1971
et no 4, mai 1972; Awal no 2, 1986; Al Balagh al- Maghribi, 25 décembre 1982 et
Amazigh, no 1, 1981.
Il est également co – auteur d’un Dictionnaire amazigh destiné aux enfants.
Azaykou est également l’auteur de Histoire du Maroc ou les interprétations
possibles (en arabe et en français), Centre Tarik Ibn Zyad, 2001, et de L’Islam
et Imazighen (en arabe), Ed. Tamaggit, 2002, militant fervent et savant austère.
En abordant des thèmes de sa spécialité qui est l’histoire du Maroc, Azyakou
plonge dans l’anthropologie amazighe. Nous sommes en présence d’un système de
vases communicants où l’on passe de l’histoire à travers la langue pour
embrasser la culture dans son ensemble.
Il est impossible d’embrasser l’œuvre de Azaykou dans sa totalité. Nous allons
donc nous limiter à quelques textes choisis à titre d’illustration. Ces textes
sont écrits par l’auteur en français, en arabe et en tamazight. Ce qui montre
encore une fois que Azaykou est un honnête homme, ouvert à toutes les langues et
à toutes les cultures. Ouverture qu’il a défendue et qu’il considère comme un
atout et comme un enrichissement pour la personne humaine. Azaykou aime se
ressourcer dans son patrimoine. Il est un homme de terrain, il a arpenté les
contrées les plus enclavées du Grand – Atlas. Il a toujours allié l’action à la
réflexion et il a fait preuve d’une maturité culturelle et scientifique notoire.
2-Azaykou, le militant: l’article – brûlot:
Il est un homme qui a lutté sur tous les fronts, il a utilisé tous les moyens
légitimes en sa possession pour la défense de sa culture: recherche scientifique
et production d’essais et d’articles. Nous allons reprendre le fameux article
«incendiaire» considéré comme un brûlot à l’époque des années de plomb2; il fut
publié en arabe3 dans la revue Amazigh, no 1, en 1981. Accusé d’avoir porté
atteinte à la sécurité de l’Etat, la publication d’un tel article lui a coûté
plus d’une année d’incarcération. On n’est pas loin du Moyen – âge. Le
traumatisme psychique et l’effet sur le physique de la peine infligée sur la
victime écrouée sont connus: une maladie cardiovasculaire chronique. Cette
maladie incurable fut à l’origine de sa mort subite. L’histoire littéraire de la
seconde moitié du XIXème siècle nous apprend que Emile Zola a rédigé son article
célèbre J’accuse dans le journal L’Aurore pour défendre Alfred Dreyfus,
injustement accusé dans une affaire d’espionnage au profit de l’Allemagne.
L’article a eu l’effet d’une bombe au sein de la société française. Dreyfus fut
innocenté vers les années 80 du 19ème siècle. Alors que Azaykou en voulant
défendre sa culture fut emprisonné au début des années 80 du 20ème siècle. Et
Azaykou va s’élever au rang d’une pléiade de poètes engagés, exilés ou
incarcérés tels que Agrippa d’Aubignée, l’auteur des Tragiques, victime du
catholicisme, religion officielle d’Etat4; il s’engagea dans la guerre
religieuse opposant catholiques et protestants; Victor Hugo exilé sous la
dictature de Napoléon III, rédigea ses Châtiments; André Chénier s’insurgea
contre les excès de la dictature jacobine instauré au lendemain de la Révolution
de 89 et fut monté sur l’échafaud, il composa son recueil de Poésies dans sa
cellule. Et Azaykou écrira Timitar «Signes», nous y reviendrons.
L’article fut considéré comme incendiaire lors de sa publication; il s’agit de
reconnaître la valeur de la culture marocaine en son propre terroir avant que
cette question de la culture ne prenne une dimension politique.
Reprenons l’article point par point:
1-Le concept de culture: définition5.
2-Problèmes à caractère culturel à travers le monde.
3-Aspects du problème culturel dans les pays sous – développés.
4-Le cas du Maroc.
5-Le problème de la culture est un problème réel.
6-Les origines historiques du problème.
Ce qui fait la force de l’article c’est sa clarté et sa logique rigoureuse et sa
cohérence, sa méthode déductive en entonnoir qui va du général au particulier.
Azaykou a le mérite d’avoir mis le doigt sur une question cruciale concernant la
culture marocaine, en refusant toute aliénation, en mettant l’accent sur le
ressourcement dans la culture nationale amazighe tant occultée, bien que
pérenne, tout en la modernisant, bien sûr. Cela n’est pas étonnant da la part de
Azaykou qui a côtoyé le poète Léopold Sédar Senghor, père de la négritude.
Voici maintenant quelques idées de l’article en question: priorité du culturel
sur l’économique pour sortir du sous-développement; la diversité culturelle
n’est pas un handicap, au contraire, elle est un atout, une richesse; le rejet
de toute assimilation culturelle au profit de la revalorisation de toute une
culture dont les racines plongent profondément dans un passé lointain, ce passé
a des répercussions importantes sur la personnalité et dignité de l’Etre en tant
que tel. Le ou les destinataires visés par cet article sont désignés de manière
explicite: l’Etat, les partis politiques, les syndicat et l’intelligentsia. La
politique d’arabisation ne vise pas la substitution de la langue arabe au
français, elle vise surtout l’éradication d’une autre langue non minoritaire,
quoiqu’on en dise, il s’agit de tamazight, en l’occurrence. Signalons également
que Azaykou n’exclut pas la langue arabe du puzzle linguistique marocain.
Azaykou fut pleinement conscient de la profondeur de sa pensée et de son
caractère audacieux et logique pour un vrai essor économique du Maroc. C’est une
coupure épistémologique avec le concept de culture à la marocaine, une
invitation à un changement de mentalités et d’idées reçues.
3-Azaykou, l’historien et les idées forces
N’étant pas historien de formation, je vais essayer de dégager les lignes de
force ayant trait à l’apport de l’auteur dans ce domaine sur le plan
scientifique et méthodologique.
Il s’agit pour Azaykou d’une nouvelle approche de l’histoire du Maroc lorsqu’on
se réfère principalement à ses deux livres: L’Histoire du Maroc ou les
interprétations possibles, composé d’articles en français et en arabe et L’Islam
et les Imazighen est une série de conférences données à des Etudiants de la
Faculté des Lettres de Rabat.
La langue et la culture amazighes ont souffert et souffrent toujours de l’exogénéité
qui se manifeste à tous les niveaux. Cette exogénéité se manifeste au niveau de
l’emprunt massif sur le plan lexical, au niveau de l’écriture de l’Histoire des
Imazighen par des étrangers ou des Imazighen d’obédience orientale ou
occidentale. L’Histoire du Maghreb en général et celle du Maroc en particulier
fait l’objet d’un certain nombre de distorsions et Azaykou a sonné le glas d’une
telle écriture. Il invite les jeunes chercheurs à une nouvelle écriture de cette
Histoire de manière sereine, neutre, objective et impartiale. Pourquoi justement
l’Histoire? L’Histoire est la cible de mystifications, mystifications
échafaudées par le discours de l’idéologie dominante. Et qui dit mystification
d’un côté, dit dé –mystifications de l’autre. La mystification apparaît au
niveau des certains événements historiques mensongers. On n’a qu’à prendre
quelques exemples de l’histoire contemporaine post – coloniale ayant trait à la
même démarche: glorifications de certains chefs de partis politiques issus de
couches sociales citadines et occultations de l’œuvre nationale de certains
héros de la Résistance armée marocaine, appartenant au milieu rural, comme
Cherif Mohammed Amezzyane, Abdelkrim Al Khattabi, Abbas Messâadi et bien
d’autres encore. Un second exemple de mystification se rapportant au Dahir
berbère, il a un rapport direct avec la démystification de la Résistance des
maquisards et des ruraux. Des épisodes du discours historique arabe sur le Maroc
sont soumis à des ellipses, d’autres sont amplifiés à outrance et considérés
comme des pages de bravoure. Des ellipses qui éclipsent bien des vérités à
dénicher.
Azaykou attire l’attention des jeunes chercheurs marocains à étudier l’Histoire
avec un regard nouveau et en faisant appel à toutes les sources et à tous les
documents susceptibles de l’enrichir. La tradition orale dans laquelle est
confinée la culture amazighe est d’un apport précieux et riche d’enseignements.
D’autant plus qu’il existe un déséquilibre entre la culture arabe et la culture
amazighe. La première est dotée d’une tradition écrite bien ancrée, même si
l’usage de l’écriture est relativement récent par rapport à la parole, compte
tenu de l’histoire de la civilisation humaine en général.
Les historiens arabes et occidentaux n’ont pas intégré la composante amazighe,
outil fondamental pour une bonne compréhension de cette histoire. La langue
autochtone est une composante fondamentale pour une approche solide et
rigoureuse de l’Histoire marocaine. La langue «est l’un des meilleurs documents
qui puisse aider à défricher le terrain».6 Tamazight «serait d’un grand secours,
car elle nous permettrait de lire et d’interpréter correctement l’immense corpus
tatoué à jamais sur toute l’étendue de la terre Nord – africaine»7. Il y a lieu
de s ‘arrêter sur le verbe interpréter repris dans le titre de l’ouvrage sous
forme de nom (interprétations, au pluriel), tout discours peut être interprété
différemment et se prêter à plusieurs lectures.
Azaykou fut très attentif aux différents ethnonymes exogènes attribués aux
Imazigen à travers l’histoire. Ces derniers sont toujours porteurs de
connotations péjoratives8. Il les passe en revue, en analyse le sens
étymologique et adopte la démarche d’un véritable linguiste avec des références
à l’appui, sachant que ce domaine de l’onomastique pose de sérieux problèmes à
cause de l’oralité. Mais Azaykou, lui, ne s’en tient qu’à l’usage d’un seul
ethnonyme endogène amazigh.
Des conquérants arabes se sont permis des exactions au nom de l’Islam.
4-Azaykou, auteur de Timitar «Signes» et de Izmuln «Blessures».
Azaykou a fait également ses preuves en poésie. Ayant passé son enfance à Iger,
un bastion de la culture amazighe, il a été pleinement imbu de cette culture
avec toutes composantes: poésie, chants, proverbes, contes, légendes, etc. Cette
culture le marquera et laissera des traces profondes et indélébiles. Il la
portera dans ses entrailles avec la gestation d’un projet poétique en
perspective. Des poésies verront le jour avec des titres empruntés à un lexique
endogène creusé profondément et savamment recherché dans le terroir de ce
patelin qui l’a vu naître Timitar «Signes» et Izmuln9. A ma connaissance, ces
recueils n’ont pas fait l’objet d’une analyse poétique exhaustive. Un compte –
rendu succinct de Izmuln portant sur la thématique est emprunté à Abderrahman
Lakhsassi (Cf. www. mondeberbere.com): la composition du recueil remonte aux
années quatre – vingt. Il est formé de 18 pièces qui traitent des souffrances
endurées et des tourments subis par le poète. Les thèmes qui reviennent dans ce
recueil sont l’amour, les déboires de la vie, la dépersonnalisation et
l’aliénation de l’homme au sein d’un monde en mutation, tout en s’attachant
cette même vie malgré ses vicissitudes. Le poète rompt avec la poésie
traditionnelle et fait œuvre de créativité poétique tant au niveau de la forme
par l’étendue et le volume des strophes et la recherche d’images poétique
nouvelles.
Deux textes Yat tabrat et adjar n tudart vont être analysés; textes
respectivement traduits de tamazight vers le français par Paulette Galand –
Pernet et Mohammed Khaïr Eddine. Ces traductions montrent encore une fois la
valeur et jugent de la notoriété poétique des textes traduits par ses pairs, de
grands connaisseurs de littérature amazighe, eux aussi.
Le premier est un texte écrit relativement long formé de quarante vers, ce qui
est un gage de la modernité chez le poète qui rend compte de l’ampleur et de la
profondeur de la thématique traitée. Cette poésie non conforme aux canons de la
poésie orale traditionnelle, généralement chantée et formée de quelques vers
assonancés appelés izlan, pluriel de izli.
Yat tabrat est un texte de quarante vers ayant le ton d’une missive dont
l’émetteur est le père qui est à l’étranger, et le fils, étant le destinataire,
se trouvant au pays natal. Cette missive est véhicule plus d’un message; on y
relève deux thèmes essentiels:
- Le discours du père est doté d’un message symbolique très fort, c’est celui de
l’attachement à la terre des aïeux; le confort matériel de l’occident – si
confort il y a – est précaire.
- Le poète est le porte-parole de la communauté amazighe millénaire, sans voix,
elle est condamnée au mutisme.
Ainsi, le poète montre que tamazight n’est pas une langue impotente, et c’est à
travers un langage, un style poétiques qui lui sont propres que Azaykou a pu
exprimer ses idées – forces.
D’un point de vue formel, on peut noter l’absence de la ponctuation; celle – ci
n’apparaît pas non plus au niveau de la traduction. Ceci est une subtilité de la
part du poète qui malgré la transcription, la consignation par écrit du texte
poétique, ce dernier est proche d’un état de langue dans lequel se trouve
tamazight, langue de l’oralité, étant donné que la ponctuation appartient à la
langue écrite. Le but est de ne pas forcer cette langue, ni de l’étouffer par
les contraintes de l’écrit. D’autant plus que la poésie est chantée, elle est
proche de sa nature orale. La diction du poème est à faire selon l’oralité,
selon le groupe de souffle et selon le rythme de chaque lecteur. C’est cette
rythmique propre à chaque lecteur qui préside au découpage syntactico –
sémantique, ce qui permet une certaine liberté de lecture et d’interprétation.
Le poème, malgré la rigueur et l’élaboration dont il a fait l’objet sur le plan
esthétique, oscille vers la poésie de la tradition orale. Par conséquent, il se
prête à merveille au chant. Il est proche donc de l’oralité; c’est là l’un des
aspects de la profondeur poïétique de Azaykou dans le domaine de la poésie
amazighe. Une véritable symbiose est née entre l’oralité et la scripturalité.
Une preuve de grande maturité poétique.
On peut considérer que cette composition poétique est apparentée à la technique
du verset, compte tenu de l’ampleur rythmique qui débouche sur des unités de
sens dont les frontières sont floues et repérables selon le mode de lecture. On
aura autant de poèmes que lecteurs, avec comme dénominateur commun ou comme
constante la valeur esthétique du poème.
Néanmoins, on peut faire une lecture afin de dégager une structure générale du
poème en faisant recours à des repères rythmiques balisés par le vocatif a yiwi
«ô mon fils» répété dix – sept fois dans le poème qui est souvent précédé d’un
verbe, exemple: ddrex a yiwi «j’ai vécu, ô mon fils», ssnex a yiwi «je sais, ô
mon fils», rix a yiwi «je souhaite, ô mon fils», nnix a yiwi «j’ai dit,ô mon
fils», zrix a yiwi «j’ai vu,ô mon fils», ur rix a yiwi «je n’aimerais pas,ô mon
fils», usix a yiwi «je suis venu,ô mon fils». Le poète rompt avec les règles de
la poésie traditionnelle et opte pour une nouvelle technique fondée sur un élan
rythmique incantatoire et une musicalité des mots choisis pour leur musicalité
faite d’allitérations et d’assonances.
Voyons maintenant comment le poète puise dans le stock lexical qualifié
injustement d’indigence.
Il est vrai que l’une des missions du poète amazigh est de piocher dans le fonds
lexicaux du terroir et d’expurger le maximum d’emprunts tant que la langue
fourmille de toute une synonymie désuète et inusitée; et malgré cette richesse,
nous constatons que tamazight est assaillie d’emprunts dont elle n’a pas besoin,
si ce n’est pour le prestige du locuteur qui fait appel à des emprunts exogènes
et oiseux. Le poète est aussi pleinement conscient de sa mission de veiller au
renouvellement de la syntaxe par la création de nouvelles tournures souples, et
par la revitalisation et la fertilisation du lexique qui doit être apte à
exprimer de nouveaux concepts. Nous n’avons qu’avoir les titres des deux
recueils dont le choix des termes est significatif: Timitar et Izmulen. Un
vocabulaire sélectionné pour le texte dans sa totalité où l’emprunt se fait
rare, le recours à ce dernier ne se fait qu’en cas de nécessité langagière.
Nous avons déjà dit que le texte se présente sous forme de missive et toute
missive est un discours adressé par un émetteur qui est le père se trouvant à
Paris et dont le destinataire est le fils resté au pays. Les deux protagonistes
sont loin l’un de l’autre. L’indication spatiale est donnée par l’auteur en fin
de texte, elle est suivie d’une indication temporelle: le 2 août 1970. Ce mois
est par excellence un mois de vacances. Les rues de la ville de Paris sont moins
peuplées que d’habitude, sinon désertes; d’où le contexte dominé par la solitude
dans laquelle est composé le poème – lettre Yat tabrat. C’est la lettre du père
décrépit par le labeur et la nostalgie de son pays. Il est vrai que le poète
rend compte des conditions d’existences malheureuses dans lesquelles se trouvent
les Maghrébins immigrés en France, loin de leurs familles. Il se met dans la
peau de cette communauté maghrébine et nous rapporte leur endurance physique et
morale; d’où l’importance et l’humanisme du poète qui transparaît en filigrane
dans le texte. Une existence qui est loin d’être confortable dans un pays
techniquement développé.
Le poème est d’une remarquable richesse au niveau de la thématique. Nous allons
les citer très rapidement: la misère, le chagrin, l’errance, l’amour de
l’indépendance, le rêve d’un bel avenir pour le fils resté dans le patelin,
l’étonnement du père face au progrès réalisé par le pays d’accueil, incitation
de son fils à s’engager dans la voie de la connaissance, autoportrait du père:
tête chenue, visage émacié et décrépit, espoir du père et optimisme en l’avenir,
invitation du fils à être jaloux de son pays, bannissement de l’exil, invocation
finale et vœux d’être inhumé dans son village natal. Tels sont les thèmes de Yat
tabrat, ils méritent une analyse plus profonde. D’où la vision prophétique du
poète qui a déjà entrevu le danger du déracinement et de l’immigration bien
avant qu’elle devienne illégale ou clandestine.
Bien que le discours poétique et le discours historique soient diamétralement
opposés; le premier utilise le temps du présent et le pronom je qui appartient
au discours; le second utilise le passé simple et le pronom il qui appartiennent
tous les deux au temps du récit, Azaykou a excellé dans leur utilisation, même
si la poésie privilégie la subjectivité et l’histoire relève de l’objectivité.
La subjectivité et l’objectivité de Azaykou sont saines, elles convergent vers
un même but: creuser profondément pour faire la lumière, toute la lumière sur la
culture amazighe.
Le moment est venu pour que la culture amazigh accède au statut de patrimoine
reconnu dans la vie quotidienne de la Nation marocaine et d’en finir avec toute
marginalisation. Hommage donc est rendu à un homme de cette trempe qui a lutté
et qui a milité sur tous les fronts.
Notes:
1 Ces indications biographiques sont glanées dans des journaux nationaux Agraw
amazigh,no 131, sept. 2004 ; le Monde amazigh, no 50, oct. 2004 - 2954 et Tawiza,no
90, oct.2004.
2 Cette époque fut précédée d’une autre, ce fut la censure d’œuvres littéraires
comme Le Passé simple Driss Chraïbi et Agadir de Mohammed Khaïr – Eddine.
3 fi sabiili mafhumin àaqiqiyyin li Ãaqafati-an al waéaniyya « Pour un concept
réel de notre culture nationale ».
4 La laïcité ne fut pas encore instaurée comme valeur sacrée de la République.
5 Ceci est une traduction des paragraphes de l’article en question, de l’arabe
vers le français.
6 Histoire du Maroc ou les interprétations possibles (en arabe et en français),
Centre Tarik Ibn Zyad, 2001.
7 Histoire du Maroc, op. cit. p. 20.
8 Il rejoint ainsi une réflexion qui celle de L. – J. Calvet, Linguistique et
colonialisme. Petit traité de glottophagie, Petite bibliothèque Payot, 1974.
9 Les deux recueils de l’auteur sont introuvables même dans les grandes
librairies de la ville de Tanger.
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