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LE COMPLEXE
D’AUGUSTIN DANS LES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN(5/6)
Par: Hassan
Banhakeia (Faculté pluridisciplinaire de Nador)
B.- La sainte mère: le Bien
Sa mère, sainte Monique, est née à Thagaste en 332. Elle occupe un espace
complexe dans l’œuvre. Elle est tantôt attachée aux rites africains, tantôt
pieuse chrétienne. Elle est souvent citée dans ses écrits comme le modèle de la
foi…
Précisément, elle continue à avoir des coutumes africaines dans sa manière de
croire en Dieu: «Ma mère, selon la coutume de l’Afrique, ayant apporté du pain,
du vin et quelques viandes aux chapelles des Martyrs, et le portier de l’église
lui ayant dit qu’il ne lui pouvait permettre de présenter cette offrande, à
cause de l’Evêque l’avait défendu, elle reçut cet ordre avec tant de respect et
d’obéissance, que je ne pus voir sans admiration qu’elle se fût si facilement
résolue à condamner plutôt la coutume qu’elle suivait auparavant, qu’à examiner
pourquoi on ne lui permettait pas de la suivre.» (VI, II, p.183). Comment
expliquer les offrandes de sainte Monique? Est-elle alors païenne? La coutume
des repas auprès des morts est une tradition amazighe qui persiste encore. Avant
on associait le défunt au manger (surtout des œufs, du pain et des fruits secs);
les visiteurs mangent en l’honneur du défunt. Le culte du mort est un trait
fondamental dans la vision de l’amazigh. Le mort est détenteur de la vérité de
l’au-delà, il possède physiquement la terre et les hommes auxquels il offre la
«fertilité». Il peut aussi prévoir le futur, et l’arranger d’une manière ou
d’une autre. Par ailleurs, nous lisons: «Pomponius Mela says that «The Augilae
consider the spirits of their ancestors gods, they swear by these and consult
them as oracles, and, having made their requests, treat the dreams of those who
sleep in their tombs as responses.»« (26). La tribu, tenant encore à ses
tradition ancestrales, croit à la pérennité des âmes dans l’au-delà, et le
cimetière (tout comme les sanctuaires) peuvent les protéger dans la vie. Les
esprits assurent ainsi la fertilité et la sécurité aux vivants. Le sanctuaire
numide est alors un lieu de communication avec les morts. Et avec la divinité.
Prédestiné à une telle œuvre catholique, Augustin parle de sa naissance
«chrétienne» grâce à la foi maternelle:»Et ma mère ne m’eut pas plus tôt mis au
monde, qu’agissant comme une personne qui avait une ferme espérance en vous,
elle eut le soin de me faire marquer du signe de la Croix sur le front, en me
mettant au nombre des Catéchumènes et de me faire goûter ce sel divin et
mystérieux, qui est une figure de la vraie sagesse.» (I, XI, pp.45-46).
Qu’est-ce que le «sel divin»? De même, le jour de sa fameuse première maladie
(douleurs d’estomac fortes), Augustin va nous dire: «Ainsi je croyais en vous
aussi bien que ma mère et toute notre famille. Et il ne restait plus que mon
père qui n’y croyait pas encore, et qui ne put néanmoins par ses persuasions
surmonter dans mon esprit l’autorité si légitime que ma mère y avait acquise par
son insigne piété, ni me détourner par son exemple de croire en vous et en
Jésus-Christ.» (I, XI, pp.46-47). La maladie fait raviver sa foi. Devant son
fils qui souffre de fortes douleurs d’estomac, Monique «fut troublée dans la
surprise d’un mal si subit et si mortel; que son cœur chaste se pressant de
m’enfanter comme une seconde fois, en me procurant par la foi la vie éternelle,
elle se sentait plus animée d’ardeur et d’amour pour me mettre ainsi dans le
ciel» (I, XI, p.46). La douleur, un second accouchement! Mais dans le ciel!
Incarnation de la foi chrétienne, la mère est le sacrifice, et là un ensemble de
parallèles est à dresser avec la vie de Jésus et de Marie. Elle est dite aussi
«veuve chaste»: «cette veuve chaste, sobre et dévote, telle que vous les aimez,
ne cessa point de gémir pour moi devant vous (…) vous me laissiez plonger de
plus en plus dans cette nuit ténébreuse de l’impiété et de l’erreur.» (III, XI,
p.112). Si femme pieuse et immaculée est Monique, impiété et erreur
signifient-elles abstraitement la «concubine», mère d’Adéodat…?
La mère est omniprésente dans Confessions. Que va-t-elle faire pour un tel fils
«coureur» de femmes? «Car il me souvient que dans l’appréhension qu’elle avait
que je ne tombasse dans le vice, elle me prit un jour en particulier, et
m’avertit avec un extrême sentiment de ne me point laisser emporter à des amours
impudiques, et surtout de ne commettre jamais d’adultère. Mais ces remontrances
passaient dans mon esprit pour des remontrances de femme, et il me semblait
qu’il eût été honteux de les suivre.» (II, III, p.71). Machiste, Augustin donne
peu d’importance à ces conseils de femme. Les prières de la mère sont
interminables: «Ma mère votre servante était des premières à veiller, et prenant
beaucoup de part à cette affaire de Dieu, ne vivait que d’oraisons.» (IX, VII,
p. 309). Sa piété apparaît immense. Cela va influencer le fils «adulte». La
confession du fils est vague: «Et lorsque je lui déclarai que je n’étais plus
Manichéen, mais que je n’étais pas encore Chrétien Catholique, elle ne s’emporta
point de joie, quoique cette déclaration la mît hors de peine en ce qui
regardait le premier point de ma misère qui avait tiré tant de larmes de ses
yeux» (VI, I, p. 182). L’influence «idéologique» de la mère est d’un grand poids
dans la vie du prêtre catholique. C’est elle qui inspecte sa formation…
Certes, elle continue de nourrir tant de projets pour le bien «spirituel» de son
fils. Ce sont des projets qui pourraient changer profondément sa personnalité de
pauvre païen. Elle est la foi, elle cherche continûment sa conversion. Elle
réussit auprès de son fils ce qu’elle n’a jamais pu réaliser avec son époux. «On
travaillait avec soin pour me marier. J’avais déjà fait la recherche d’une
fille, et on me l’avait promise. Ma mère fit tout ce qu’elle put pour avancer
cette affaire, dans le désir qu’elle avait qu’après que je serais marié je
reçusse le baptême, auquel elle reconnaissait avec grande joie que je me
disposais chaque jour de plus en plus, espérant de trouver ainsi dans ma
profession de foi l’accomplissement de ses vœux et de vos promesses. Mais
lorsque, pour satisfaire à son propre mouvement et à ma prière tout ensemble,
elle vous demandait sans cesse et du plus profond de son cœur, qu’il vous plût
de lui faire connaître en songe quelque chose de mon mariage à venir, vous ne
voulûtes jamais le lui accorder. Elle voyait seulement quelques images vaines et
fantastiques causées par les efforts continuels de son esprit dans la violente
application qu’elle avait à cette pensée. Et elle me les racontait avec mépris,
et non avec la foi qu’elle avait accoutumé d’ajouter aux choses que vous lui
faisiez connaître. Sur quoi elle me disait qu’elle discernait aisément, par une
certaine douceur qui ne se peut exprimer par les paroles, ce que vous lui
daigniez lui révéler durant son sommeil, d’avec ce que son imagination lui
représentait dans ses songes. On continuait néanmoins de faire instance sur mon
mariage, et la fille que l’on demandait pour moi ne pouvant être, de deux ans,
en âge de se marier, on était résolu d’attendre parce qu’on jugeait ce parti
avantageux.» (VI, XIII, pp.211-212). Elle lui cherche une épouse chaste qui n’a
pas «l’âge de se marier», lui qui est père d’un enfant de quinze ans! Ensuite,
il va être baptisé. Voilà les vœux de la mère. La mère, pieuse, a des songes
«prémonitoires» susurrés par la voix divine. Elle est possessive: le complexe
d’Œdipe est à son comble dans ce projet impossible de mariage.
Le chapitre de l’agonie de la mère est développé dans un ton où le mal au jeune
homme est palpable: «je vous suppliais avec insistance de vouloir guérir ma
douleur: et vous ne le fassiez pas, afin, comme je le crois, de me faire
connaître par cette épreuve, quel est le pouvoir de la coutume sur les esprits
mêmes qui ne se repaissent plus des vanités de ce monde.
Je m’avisai d’aller au bain pour adoucir la violence de mon déplaisir, ayant ouï
dire que ce nom lui a été donné par les Grecs, à cause qu’il chasse les
inquiétudes de l’esprit. Mais, ô mon Dieu, qui êtes le père des orphelins, je
confesse en présence de votre miséricorde qu’y étant allé, je n’en sortis pas
moins affligé que j’étais en y entrant; et que la sueur de mon corps n’emporta
pas avec soi l’amertume de mon cœur.» (IX, XII, p.326). Aller au bain pour
oublier ses peines est-il une coutume «traditionnelle»? Mais, cette habitude
s’avère, cette fois, sans aucune efficacité pour le jeune numide qui pleure sa
mère.
La mère a un vœu à l’heure de sa mort: «Et puis nous voyant dans l’étonnement et
dans la tristesse, elle ajouta: «Vous enterrerez ici votre mère.». Sur quoi je
ne répondis rien, et retins mes larmes. Mais mon frère ayant dit quelque chose
qui témoignait qu’il eût souhaité pour sa consolation particulière qu’elle fût
plutôt morte en son pays, que non pas dans un pays étranger, elle le regarda
d’un regard sévère, comme le reprenant des yeux de ce qu’il était dans ces
pensées. Et puis s’adressant à moi, elle me dit: «Voyez ce qu’il vient de me
dire.» Et nous parlant ensuite à tous deux, elle ajouta:»Enterrez ce corps où
vous voudrez sans vous en mettre en aucune peine: la seule chose que je vous
demande, est de vous souvenir de moi à l’autel du Seigneur, en quelque lieu que
vous soyez.»« (IX, XI, pp.321-322). L’autel, pour la défunte, est la terre. Le
Seigneur est partout. En outre, elle veut mourir dans la simplicité totale: «Car
le jour de sa mort étant proche, elle ne pensa point à faire ensevelir son corps
somptueusement, ni à le faire embaumer avec grand soin: elle ne désira point
aussi d’avoir un tombeau particulier, ni ne se soucia pas même d’être enterrée
en son pays.» (IX, XIII, p.329).
Elle ne songe point à être enterrée
«en son pays»! Cette indication est intéressante à expliquer et à commenter… Son
vœu est aussi de se réunir dans l’au-delà avec son époux: «elle avait eu ce bien
que d’être réunie encore après la mort avec son mari dans le même tombeau, et
que le corps, ou plutôt la terre de l’un et de l’autre, fût couverte d’une même
terre.» (IX, XI, p.322). Le culte de la terre, coutume païenne, détermine le vœu
de la pauvre Monique: une même terre va couvrir le couple...
L’heure de sa mort est significative: «Ainsi cette âme si religieuse et si
sainte fut séparée de son corps le neuvième jour de sa maladie, en la
cinquante-sixième année de son âge, et en la trente-troisième du mien.» (IX, XI,
p.323). Une telle précision chronologique, voire de datation, veut dire la trace
intérieure laissée chez l’auteur. Par contre, la disparition du père est une
élision «voulue». C’est bien lors du retour au pays natal que va avoir lieu le
décès de la mère: «nous retournions ensemble en Afrique. Et lorsque nous fûmes
arrivés à Ostie, où le Tibre entre dans la mer, ma mère mourut.
Je passe plusieurs choses, parce que je désire d’abréger. Recevez, s’il vous
plaît, mon Dieu, les confessions que je vous fais et les actions de grâces que
je vous rends, non seulement par mes paroles» (IX, VIII, p. 311). La mort de la
mère est un point culminant dans la vie d’Augustin: il va se décider à
abandonner le monde matériel. Ses biens, par la suite, vont être distribués aux
pauvres numides, et il se consacrera à la cause divine.
En fait, Augustin est le premier à béatifier la personne de sa mère, pleine de
grâce divine. Le miracle: elle est née avec la foi. Prédestination en un mot:
«lorsque son père et sa mère la mirent au monde, ils ne savaient pas quelle elle
serait: mais la doctrine de votre Christ, et la conduite de votre Fils unique,
l’instruisirent en votre crainte dans une maison fidèle, et qui était l’une des
mieux réglées de votre Eglise.
Quand elle parlait de la manière dont elle avait été élevée, elle ne se louait
pas tant du soin de sa mère, que de celui d’une servante qui était si
extrêmement âgée qu’elle avait porté son père entre ses bras, lorsqu’il était
encore enfant, ainsi que des filles déjà grandes ont accoutumé de porter ceux
qui sont en ce petit âge, et qui vivait dans une telle crainte de Dieu, que sa
vertu aussi bien que sa vieillesse avaient porté le maître et la maîtresse de
cette maison toute chrétienne à la respecter, et à lui donner la conduite de
leurs filles. Et comme lorsqu’il était nécessaire, elle les reprenait avec force
usant d’une sainte sévérité, elle les instruisait aussi avec beaucoup de
discrétion et de prudence. Car hors les heures où elles mangeaient très
sobrement à la table de leur père, quelque violente soif qu’elles eussent, elle
ne leur permettait pas seulement de boire de l’eau, les empêchant de prendre
cette mauvaise coutume, et leur disant cette parole pleine de sagesse:
«Maintenant vous buvez de l’eau, parce que vous n’avez pas le vin en votre
puissance: mais lorsque vous serez mariées, et que vous serez maîtresses des
caves et des celliers, vous ne tiendrez compte de l’eau, et vous conserverez
cette coutume de boire.»
Par ces sages remontrances et par l’autorité qu’elle prenait sur l’esprit de ces
jeunes filles, elle arrêtait les désirs inconsidérés qui sont ordinaires en cet
âge, et leur apprenait à régler tellement leur soif selon les règles de la
tempérance, qu’elles s’étaient accoutumées peu à peu à n’avoir pas même le désir
de faire ce qu’elles savaient ne pouvoir faire honnêtement. Néanmoins, mon Dieu,
ma mère votre servante me contait que nonobstant tous les soins de cette bonne
femme, il s’était glissé dans son cœur une inclination à boire du vin; et
qu’ainsi lorsque selon la coutume son père et sa mère lui commandaient comme à
une fille très sobre d’aller à la cave tirer du vin, elle en goûtait un peu du
bout des lèvres avant que de le verser dans la bouteille, n’en pouvant prendre
davantage à cause qu’elle y sentait de la répugnance. Car elle ne le faisait pas
par un amour qu’elle eût pour le vin mais par je ne sais quels excès et
mouvements gais et libres qui s’élèvent des bouillons et de la chaleur de la
jeunesse, et qui ont besoin d’être réprimés dans l’esprit de ceux de cet âge par
l’autorité des personnes qui les gouvernent.
Or comme en méprisant les petites fautes on tombe insensiblement dans de plus
grandes, il arriva qu’ajoutant chaque jour encore un peu à ce peu de vin qu’elle
prenait, elle se laissa emporter de telle sorte à cette mauvaise coutume,
qu’elle en buvait presque des coupes toutes pleines avec avidité et avec
plaisir. Où était alors cette vieille femme si vigilante? Qu’étaient devenues
toutes ces défenses si sévères? et quel pouvoir eussent-elles eu de guérir cette
maladie cachée, si votre grâce qui est le remède de nos maux ne veillait sur
nous? Car lorsque son père et sa mère et tous ceux qui avaient soin de sa
nourriture, étaient absents, vous, mon Dieu, qui êtes toujours présent, qui nous
avez créés, qui nous appelez à votre service, et qui par l’entremise même des
méchants, faites du bien aux âmes pour les sauver, et les retirez de leurs
défauts par la conduite de votre providence, et qui par la lumière efficace de
votre esprit, que fîtes-vous alors, Seigneur? de quel moyen usâtes-vous pour
remédier à cette imperfection de ma mère; et de quelle sorte l’en
délivrâtes-vous entièrement? Vous vous servîtes d’un reproche très piquant et
très outrageux que lui fit une autre personne, ainsi que d’un fer salutaire pour
retrancher tout d’un coup cette corruption qui s’était formée dans son âme. Une
servante qui avait accoutumé de la suivre quand elle allait à la cave, disputant
un jour avec sa petite maîtresse, ainsi qu’il arrive quelquefois, et étant
toutes deux seules, elle lui reprocha ce défaut avec une insolence insupportable
en l’appelant une buveuse de vin pur; ce qui fut comme un aiguillon qui la piqua
de telle sorte, qu’elle reconnut aussitôt cette difformité dans sa vie, la
condamna et s’en corrige, tant il est vrai qu’au lieu que nos amis nous
entretiennent souvent dans le vice par leurs flatteries, nos ennemis nous
servent souvent à nous corriger de nos fautes par leurs reproches. Mais votre
justice ne les traite pas selon les biens que vous avez faits par eux, mais
selon le mal qu’ils ont voulu faire. Car cette servante dans sa colère n’avait
nul dessein de corriger ma mère de ce défaut, mais seulement de la piquer; ce
qui fit qu’elle ne lui dit cette parole qu’en secret; soit que le temps et le
lieu où leur dispute arriva en fussent la cause, ou peut-être la crainte qu’elle
eut que si elle en parlait devant quelqu’un, son maître et sa maîtresse ne la
châtiassent de qu’elle avait découvert si tard cette faute de leur fille.» (IX,
pp. 311-314). Monique apparaît d’une éducation chrétienne irréprochable. Ses
parents lui inculquent la doctrine de Christ dans une maison où serviteurs et
maîtres sont chrétiens. La nourriture est sobre, en outre la servante lui
apprend la coutume de boire de l’eau et du vin. En l’absence des parents et de
la vieille servante, c’est bien Dieu qui veille sur son éducation: elle jouit de
sa Grâce infinie. Une telle description, bien longue qu’elle soit, donne peu
d’informations sur la personnalité de la mère. En un mot, elle apparaît sans
reproche. Plus que ça, ses erreurs sont des actes de sagesse. Cela est à
expliquer par l’amour infini d’Augustin envers sa mère. Elle devient, à la fin,
en plus d’une personne qui se voue à la religion comme une sainte, mais comme
incarnation d’un temple: «ma mère était plus avancée dans la piété: vous aviez
déjà commencé à bâtir votre temple dans son cœur, et à y demeurer par la
présence de votre esprit.» (II, III, p.71). Elle est bien le contenant du temple
de Dieu.
La mère, omniprésente dans les passages de piété chrétienne, représente le
bonheur de la conversion du fils. Elle incarne la religion qui peut sauver l’âme
humaine, et dans ce cas, celle du fils.
C.- Le fils: le péché
À l’âge de dix-huit ans, en 372, Augustin a un fils portant le prénom d’Adéodat,
(III, I-III). Il dira de lui: «Nous menâmes aussi mon fils nommé Adéodat, qui
était un fruit de mon péché, mais auquel il vous avait plu de donner des
inclinations excellentes. Il avait alors environ quinze ans; et son esprit était
déjà si fort avancé, qu’il surpassait celui de plusieurs graves et savants
hommes.» (IX, VI, p. 307). Le fils est dit «fruit de péché»! Mais il a des
qualités «données par Dieu». Tout d’abord, quelle est la signification du prénom
«Adéodat»? Est-il d’origine latine? D’origine africaine? D’origine phénicienne?
Ou tout simplement d’origine amazighe (proche de l’idée de «adad» (doigt)? Les
textes d’onomastique sont unanimes: il s’agit d’un prénom (sous forme d’Adeodat,
Adodat et Adestat) employé rarement, et il n’a pas de signification précise.
Dans les notes de «Confessions de Numida», Pierre Villemain expliquera Adéodat
comme (donné par Dieu). Et d’ajouter: «On peut penser qu’Augustin lui donna ce
nom par dérision, n’ayant pas désiré ce fils.» (27). Un fils dérisoire: il est
fils d’une numide! Le génie du fils non seulement comble le père mais l’effraie.
Il va consacrer son texte «Le Maître» à sa relation avec Adéodat. Le livre
renferme leurs entretiens.
Curieusement, le bon confesseur ne dit rien de la naissance de l’enfant, son
propre fils. A Milan, Augustin garde l’enfant, et la mère part pour Carthage. La
numide sera chassée, battue et punie lors de leur vie conjugale. Curieusement
encore, Augustin critique le comportement violent du catholique contre la femme.
Il va reprocher au père ses violences contre la mère, mais à son tour il exerce
les mêmes actes en plus de son abandon indiscret et de la prise de l’enfant.
Adéodat va être baptisé au même instant que le père. Après le baptême, Augustin
va souffrir une tragédie: la mort de son fils adolescent. «Forty years during
which he would have to live with the memory of the son who disappeared all too
soon. For Adeodatus died at some unspecified date, shortly after these
conversations, and before the beginning of 391.» (28). Cette disparition, qui
passe également dans des conditions non explicitées par l’écrivain, va fortifier
sa patience et sa foi en Dieu.
En définitive, le fils, accompagnant le père dans ses voyages, représente pour
l’écrivain catholique le péché qu’on peut expier. Le rachat devient une possible
possibilité à l’âme croyante et catholique.
4.- L’ESPACE DE L’AMOUR D’UNE FEMME «AMAZIGHE»
(Suite dans le prochain numéro)
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