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Une
lecture du livre «LES BERBERES FACE A LEUR DESTIN» de Lahcen Brouksy
Par: Hha Oudadess (Rabat)
INTRODUCTION: Voici donc le 4ième livre, de
Mr. Lahcen Brouksy, intitulé «Les berbères face à leur destin»; Editions et
Impressions Bouregreg, Rabat, 2006. C’est après avoir entendu certaines de mes
critiques, sur ses trois premiers livres, que l’auteur m’a appris qu’il allait
en écrire un autre et qu’il me demandait d’être son premier lecteur et ce au fur
à mesure de son écriture. J’ai accepté car j’avais apprécié son troisième livre
«La mémoire du temps, Le Maroc pays de l’inachevé»; et qu’il m’assurait que le
quatrième serait plus profond. Et c’est ainsi que, durant deux années et demi
environ, j’ai dû subir les caprices d’un cerveau bouillonnant, se cherchant, se
perdant, se retrouvant, reconnaissant une erreur, par-ci, s’obstinant à avoir
raison, par-là, … .
Le livre est dense. Il contient beaucoup d’informations. Il y est question
d’histoire, de sociologie, de politique, … . On y trouve des analyses, des
explications, des interprétations et, parfois même, des anticipations. C’est
pour dire qu’il n’est pas du tout aisé d’en faire une présentation exhaustive.
Dans ce qui suit, je vais seulement vous livrer quelques indications globales
qui, je l’espère, vous donneront une idée du contenu.
Mr. Brouksy n’avait, au début, ni titre, ni plan. C’est au fur et à mesure que
les chapitres naissaient et que le livre se structurait. Avec cette façon de
faire, le titre est bien évidemment tombé tout à fait à la fin.
CHAPITRE I, L’aigle et le hibou: C’est, en quelque sorte, une deuxième
introduction. Y est présentée la manière de l’auteur de concevoir la
civilisation. Il y est question du «Connais-toi, toi-même» de Socrate, du
surhomme de Nietzsche, etc. Mais surtout, des idées maîtresses qui vont guider
sa pensée. En voici trois
«Le pays dans son conscient et subconscient méprise la médiocrité, celle des
hiboux pessimistes, oiseaux de lieux macabres, ne vivant que la nuit et volant
bas».
Et aussi
«On ne nous a pas appris à l’école la dignité, le refus des extrêmes. Ces
qualités sont inscrites dans le livre de l’histoire, que nous allons ouvrir, sur
des tables de marbre qui défient la rouille du temps».
Et encore
«Dans notre existence de vieille nation, rien n’a été fortuit, tout a été
agencement».
«Le déclin du Maroc a toujours eu pour cause un Makhzen outrancier, les
intrigues de cour et l’avènement de rois faibles et manipulables».
«Comme dans Proust, il faut s’embarquer à la recherche du temps à retrouver
suivant un fil d’Ariane qu’il faut dérouler par delà les ténèbres laissées par
les historiens».
CHAPITRE II, Les républiques populaires: Il s’agit ici des tribus ou des dites
tribus; car l’on sait ce que sont les connotations, toutes péjoratives, de ce
vocable; qui est probablement importé. En tout cas, il y en a un autre qui est
encore utilisé, au moins, chez Izîyyan et Ait Ouzemmour: C’est Asoun. J’avais
déjà commencé à estimer à leur juste valeur certaines pratiques bien de chez
nous. Ce chapitre m’a aidé à me réconcilier avec la notion de tribu. Ecoutez ce
qu’en dit Brouksy
«Elles ne ressemblent ni aux tribus gauloises, germaniques, grecques, ni aux
républiques de la Macédoine. Elles sont des cellules vivantes, comme celles du
tissu humain. Elles se régénèrent très vite, se regroupent en fédérations quand
la nécessité s’en ressent, s’individualisent quand disparaît le danger»
«La tribu a cette faculté d’absorber comme une éponge tout ce qui est extérieur
à elle, quand elle n’est pas violentée. Elle rejette comme une mer en furie les
éléments indésirables et réfractaires».
Et sur Azerf qui est indissociable de la tribu, il écrit:
«L’Azerf a singularisé les tribus berbères. C’est un corpus de règles, simples,
qui organisent la vie civile et pénale de la société berbère. La tribu construit
sa jurisprudence tirée du pragmatisme. Elle est évolutive au cas par cas,
élaborée par le conseil des sages»
Et il ajoute que
«Il est aussi précis que le code romain».
Le soubassement métaphysique du contrat de société est exprimé, par Brouksy,
dans la trilogie Homme-Terre-Liberté. Celle-ci engendre, en particulier, la
solidarité; dont le signe politique est le consensus.
CHAPITRE III, Les pères fondateurs d’un nouvel ordre politico-religieux:
L’auteur commence par réfuter la politique de la terre brûlée prêtée à Teheyya
(surnommée Kahina) vu la sacralité qui est celle de la Terre chez Imazighen. Il
démystifie aussi l’invasion de l’Espagne. En citant des sources, il va jusqu’à
faire de Taric - qu’il écrit avec un c- le fils d’une tribu berbéro-wisigothe.
Cela n’est pas sans me rappeler une suggestion de l’historien feu A. Sidqi
Azaykou concernant l’affiliation de Taric: Il pourrait être l’un des fils de
Teheyya. C’et un débat qu’il appartient aux spécialistes de mener. Les deux
hypothèses n’étant pas d’ailleurs nécessairement incompatibles. L’essentiel est
ailleurs. L’invasion de l’Espagne serait un débarquement préparé conjointement
des deux rives de la Méditerranée; ce qui expliquerait que le succès ait été
assuré grâce à une seule bataille.
Une certaine lumière est également jetée sur l’arrivée de Idris 1er. Selon
Brouksy, ce dernier a dû demander «l’Amour» des sages de la tribu des Aureba. Et
il précise que ce n’est pas seulement une protection, comme le pense Iben
Khaldoun, mais un pacte fort, sacré, inviolable. Celui qui en bénéficie devient
un membre à part entière de la communauté. Dans sa proclamation écrite (épître)
Idris 1er s’exprime ainsi:
«Je suis venu vers vous, mes frères les berbères, moi, l’opprimé, le fugitif, le
stressé, l’esseulé, à qui on a tué ses frères, ses parents, ses grands parents
et toute sa famille. Répondez à celui qui vous appelle à la voie de Dieu».
«Il se pourrait que vous soyez les bras contre les oppresseurs, les dictateurs,
et les justiciers pour rétablir la vérité du livre saint et de la Sunna».
CHAPITRE IV, «Si l’Empire m’était conté» ou l’histoire d’une
théologico-politique: L’empire est au singulier car c’est le même souffle qui a
animé toutes les dynasties. Celles-ci sont passées en revue, en mettant en
relief leurs spécificités. Et il déclare, en ce qui concerne la période récente,
que
«La parenthèse historique coloniale a été dissoute dans une vieille civilisation
revenue en surface».
Brouksy nous fait passer de la Tribu-Histoire à la Tribu-Empire, avec force
analyse et détails. Il nous parle aussi de l’Islam berbère. Je n’aime pas cette
expression. C’est à l’auteur de s’en expliquer. Par contre, la phrase suivante a
retenu toute mon attention:
«L’unité du Maghreb n’a pas été miraculeuse et n’a pas été l’aboutissement de la
suprématie de la législation de Dieu unique. Le Maghreb a possédé deux stratèges
militaires, l’un Sahraoui, Youssef Ibn Tachfin, l’autre, Zénète, Abdelmoumen».
En parlant des Almoravides et des Almohades, l’auteur n’est pas tendre. Il
écrit:
«Les deux intégrismes, l’un doux, l’autre totalitaire, allaient obstruer les
voies du savoir, de la science, …»
Et aussi:
«Les Cadis Malékites en Espagne et au Maghreb en introduisant l’inquisition ont
assassiné l’esprit créateur, l’innovation, la recherche scientifique, le juste
milieu entre la foi et la raison».
CHAPITRE V, De la théologico-politique à l’esquisse de l’Etat normatif à l’ombre
du droit international: Ce titre est très suggestif quant au contenu du
chapitre. Dans le premier paragraphe, on apprend que le Maroc est resté égal à
lui-même du Haut–Moyen-Âge à la renaissance et que il ‘‘n’y eut guère une
mutation profonde et radicale’’; que ‘‘l’empire était en fonction de la
personnalité de l’empeureur’’. ‘‘Les tribus vivaient leur vie, avec leurs
coutumes, leurs traditions multiséculaires. Elles étaient des ‘électrons
libres’’.
Mais la géostratégie du 17ième est bouleversée par la découverte de l’or aux
Amériques. Alors:
«Le territoire marocain n’est plus un sentiment affectif. Il est devenu une
donnée que L’Etat doit défendre pour garder sa souveraineté et son
indépendance».
«On verra s’esquisser une raison froide d’Etat sur une colonne vertébrale à
mettre sur pied laborieusement sans toucher à la liberté légendaire des tribus.
De toute façon elles étaient la source du pouvoir».
L’auteur procède à une analyse détaillée de l’évolution de l’Etat. Il en arrive
à déclarer, en ce qui concerne des réformes, notamment sur les impôts, que:
«Les intérêts se liguèrent contre Moulay Abdelaziz, roi réformateur du 20ième
siècle. Ces réformes soulevèrent une réprobation des hommes privilégiés, des
oulémas notamment qui considéraient cette innovation comme un attentat contre le
Coran. Les Caïdes et les Guich menacés par cette réforme d’Etat s’y opposèrent.
Une vive agitation en résulta et cette réforme capitale échoua, faute
d’exécutants et d’adhésion des élites urbaines. L’histoire a été injuste à
l’égard de Moulay Abdelaziz».
Je ne peux pas en dire plus vu le manque de temps, mais je ne peux pas
m’empêcher de vous lire le dernier paragraphe, de ce chapitre. Il porte sur la
tribu. Il est bien écrit et il est poignant:
«Là voici en 2006 plus vivante que jamais, car l’Amazigh est l’enfant de la
terre. Et tant que la terre durera, l’Amazigh revendiquera son indépendance
d’esprit, son autonomie, en un mot sa dignité et sa liberté qu’il porte en lui
depuis la nuit des temps. Elle a pris conscience qu’il valait mieux périr dans
l’honneur que de livrer la terre à l’étranger. L’homme, la terre, la liberté ont
retenti dans les cœurs comme un chant mélodieux donnant des ailes à ces braves
des Atlas pour affronter la formidable force mécanique des Espagnoles et des
Français. Alors ce qui restait de la communauté s’est scindé. D’un côté, ceux
pour qui la liberté est au bout du fusil, de l’autre l’esprit boutiquier et
calculateur prompt à cajoler les nouveaux maîtres».
CHAPITRE VI, Les Berbères et la monarchie: Il convient ici de mentionner
l’importance de la conjonction de coordination ‘et’. C’est ‘Les berbères et (ou
avec) la monarchie’ ou encore ‘La monarchie chez les Berbères’. C’est un survol
de l’histoire de l’antiquité jusqu’aux Berghouata. Y est développée la
conception de ‘Agellid’ chez Imazighen et de l’impact sur celle-ci de la
théocratie et de la théologoco-politique. Les raisons et les mécanismes de
passage d’un Etat à un autre sont décortiqués. Retenons seulement l’appréciation
globale suivante sur le peuple amazigh:
«Aucun peuple au monde autre que le peuple amazigh n’aura tenu devant 25 siècles
d’invasions phéniciennes, grecques, romaines, vandales, wisigothes, arabes. Si
la Berbérie a connu le brassage des Empires païens, elle a également subi la
doctrine chrétienne durant 5 (cinq) siècles. Mais qu’elle est cette immense
faculté qu’elle possède de rebondir à chaque moment de l’histoire, de renaître
de ses cendres comme un phénix, de traverser les épreuves sans y perdre ni son
âme, ni son identité. Ce que les historiens arabes ont ignoré, et que les autres
penseurs européens ont sous-estimé, c’est que l’antiquité et le Bas-Moyen-Âge,
ont été les viviers d’un génie fécond berbère caractérisé par la constance, la
patience, l’endurance, devant les épreuves».
En ce qui concerne la violence des chocs, Brouksy écrit:
«En brandissant l’épée, les généraux arabes ont ravivé chez les Imazighen
païens, chrétiens et juifs l’amour de la terre».
Dans la conclusion, de ce chapitre, l’auteur revient encore sur la tribu en la
qualifiant, cette fois-ci, de Galaxie et en la plaçant au début de ce troisième
millénaire. Mais laissons le parler. Je ne peux pas le faire mieux que lui:
«Quand apparurent les Empires chevauchant la théocratie, la théologico-politique,
le Maroc a eu droit à la suprématie du groupe sur les individus, à l’uniformité
des idées. … . La Tribu-Histoire a eu raison de l’Empire, car elle représente le
mouvement et détient un destin historique de plus de 30 (trente) siècles. La
tribu, telle une galaxie, est toujours en évolution».
CHAPITRE VII, Les berbères face à la monarchie: Au chapitre VI, c’était ‘et la
monarchie’, ici c’es ‘face à la monarchie’. En trois lignes –du deuxième
paragraphe- Brouksy décrit l’objet traité:
«Il est entendu que celles-ci (les tribus) ont constitué la source du pouvoir et
que celui-là, tout en étant le produit d’un consensus émanant de la base, s’est
forgé au fil des siècles son propre statut».
De l’Amghar, Agwerram et Agellid, on passe au Cheikh, Cherif et Sultan; De Azerf,
on passe au Chraâ. Du sacré laïc, on passe au sacré religieux. Ainsi, du 17ième
au 20ième siècle, les Oulémas se sont érigés en censeurs moraux du pouvoir
politique, par leur remontrance et fatwa.
Au 17ième siècle, l’illustre Al Yousi a théorisé, en ce qui concerne le pouvoir,
la pensée amazighe dans sa fameuse épître, adressée à Moulay Ismail. Pour lui,
‘le Prince n’est qu’un intendant qui a des obligations et des charges en vertu
du mandat populaire et de son statut de Roi-arbitre soucieux des équilibres
fondamentaux sociaux’.
Beaucoup d’événements significatifs mériteraient d’être cités. Mais arrivons en
au Général Guillaume qui, dans son livre ‘Les Berbères marocains et la
pacification de l’Atlas’, écrit, entre autres:
«Chacun défend son territoire jusqu’au bout avec un acharnement qui peut
surprendre, mais qui force l’admiration … Le mépris de la mort stimule son amour
propre. Il est toujours prêt à défendre le sol. C’est une guerre incomparable,
la meilleure sans contexte de l’Afrique du Nord»
A part l’hommage rendu à la bravoure des nôtres, on est étonné d’entendre qu’une
guerre peut être meilleure qu’une autre.
Et voici un témoignage du capitaine Glay conseiller du Sultan, en 1914:
«Les auteurs les plus sérieux nous disent que les Berbères possèdent au plus
haut point le sentiment démocratique… Il vaut mieux avoir affaire à des tribus
nourries dans le respect de l’autorité, comme les Arabes soumis au Sultan».
CHAPITRE VIII, La colonisation et les Berbères: Nous sommes ici dans la période
contemporaine. Les associations amazighes, et le mouvement amazigh dans son
ensemble, ont déjà levé le voile sur beaucoup d’énigmes et ont déjà cassé des
tabous. Tawiza, Agraw amazigh, Amadalamazigh, Tamazight, les sites amazighs
nationaux et internationaux, etc. permettent à qui le veut de s’informer. Je
vous lis seulement un paragraphe, de ce chapitre, dont le contenu est cinglant:
«Comme à l’accoutumée, toujours à l’affût, désireuse de monopoliser toutes les
victoires, la bourgeoisie politique, marchande qui, naguère, a flirté avec
Lyautey au préjudice du Sultan, s’est trouvée un pacte avec la monarchie. Alors,
elle est revenue à ses anciennes pratiques: jeter l’anathème sur les Berbères
considérés comme des collaborateurs ayant participé aux côtés de l’Europe, aux
deux guerres mondiales. Un nouveau front allait s’ouvrir entre la bourgeoisie et
les Imazighen. La monarchie à la faveur des événements tragiques du début de
l’indépendance allait intervenir dans ce conflit séculaire de la façon dont elle
peut tirer le meilleur profit»
CHAPITRE IX, L’indépendance et les Berbères: Nous sommes ici dans une période
proche où s’enchevêtrent le politique et l’historique. Les mémoires jusque-là
cadenassées commencent à s’ouvrir. Des sujets entamés font encore l’objet de
débats souvent plus passionnés que constructifs. Il faut encore plus de
témoignages et de réflexion avant d’y voir clair. Je m’en tiens à ce qui
concerne l’amazighité. Et vous allez voir que, comme on dit, celui qui crée un
langage crée un monde. Ainsi, Brouksy distingue-t-il quatre étapes
Les temps des blessures: 1956-1959.
Les temps des émotions: 1960-1970
Les temps d’un état d’esprit: 1970-1980
Les temps de la conscience identitaire: Depuis 1980
CHAPITRE X, Les Berbères et Hassan II: D’abord, le Prince Moulay Hassan
s’intercale entre les Berbères et le Parti de l’Istiqlal (L’affaire Âeddi Oubihi
et les événements de Arif). Ensuite c’est la constitution du mouvement populaire
et de l’armée d’ossature fortement berbère. Brouksy nous parle du malentendu,
entre le Roi et le Rif, aggravé par le premier coup d’Etat. Il reproche ensuite
à Aherdan d’avoir cautionné l’Etat d’exception. Puis il écrit:
«Les deux tentatives de coups d’Etat, ont été le coup de grâce pour le mouvement
populaire désarçonné et les élites berbères civiles ou militaires abasourdies.
Ce fut le pain bénit pour le parti de l’Istiqlal et ses appendices qui ont pris
d’assaut les rouages de l’Etat et entendaient s’y maintenir».
Et encore:
«La décennie 1970 était une succession d’années néfastes pour le monde berbère.
Pendant que le pays ne s’était pas encore relevé du traumatisme des deux coups
d’Etat, les événements de Moulay Bouâazza, début mars 1973, allaient encore
intensifier la suspicion officielle à l’égard des Imazighen»
L’auteur décrit, en donnant les raisons principales, les péripéties des partis
politiques en mentionnant les disgrâces et les réhabilitations. Un paragraphe
peut nous éclairer sur le marasme qu’a connu l’amazighité durant cette période:
«La contradiction du pouvoir dans la gestion du dossier amazigh… a été d’avoir
suscité un mouvement berbère pour contrebalancer le parti de l’Istiqlal et de l’USFP,
l’instrumentalisant pour les besoins d’une politique, sans aller jusqu’au bout
d’une logique favorable à la renaissance de sa culture. Finalement le pouvoir
royal s’est approprié le mouvement populaire, emprisonnant ses membres dans un
quiproquo et une quadrature du cercle, alors que le parti de l’Istiqlal et l’USFP
étaient libres de leurs options»
En ce qui concerne les militaires, Brouksy s’exprime comme suit:
«Si ces officiers, voulaient se suicider à tout point de vue, ils n’auraient pas
procédé autrement. Mais l’important, dans notre discours, est qu’ils ont
précipité dans une chute brutale tous les autres Imazighen. Les mauvais génies
se réveillèrent, les fantasmes anti-berbères éclatèrent. Les éclaboussures
atteignirent les élites, les cadres imazighen qui n’avaient guère à aucun moment
bénéficié du statut privilégié des officiers berbères bien en cour»
Puis:
«La malveillance a été d’avoir développé l’adage ‘si ce n’est pas toi, c’est
donc ton frère’»
CHAPITRE XI , Les élites berbères dans la marche du pays: L’auteur déclare que
la logique politique, économique et sociale post-indépendance s’inscrit dans un
vieux dualisme élite-makhzéniènne et ‘plèbe’ amazighe. Est dénoncé
l’enseignement à deux étages, moderne et efficace pour les classes dominantes,
médiocre et obscurantiste pour les subalternes. En plus, il y a toujours, à
diplôme égal, la discrimination culturelle, économique et sociale; et l’arrêt de
l’ascenseur social. C’est ainsi qu’on lit:
«Mais la réalité a été que sous Hassan II, le pouvoir a construit et tapissé un
matelas promotionnel en faveur de l’élite bourgeoise et au détriment de
l’intelligentsia amazighe»
Brouksy procède alors à un examen attentif de la pensée amazighe et de son
évolution depuis 1978. Il inscrit le mouvement amazigh dans la continuité. Il
écrit:
«Dès lors, le mouvement amazigh s’inscrit dans un combat d’égalité sociale. Il
entend briser les fractures édifiées par les volontés de puissance économiques
et politiques nationales»
Il revient sur la tribu; cet élément récurrent dans le livre. Tel un phénix,
elle renaît toujours de ses cendres. Tel un refuge, elle a survolé tous les
régimes. Puis, on lit:
«L’élément objectif, nouveau, qu’il faut mettre en évidence est le lien
ombilical établi, en ces temps modernes, entre la tribu ancestrale et l’élite
amazighe»
Et aussi:
«L’élite urbaine en s’accrochant aux droits de l’homme, y puise une pensée qui
existe bien chez nous, rejetée dans les souterrains de l’oubli»
L’auteur pose la question de savoir ce que c’est que d’être Marocain
aujourd’hui. Il commence à y répondre en partant de la formule de Victor Hugo:
Insensé qui croit que moi, je ne suis pas toi. Le chapitre finit par la phrase
suivante qui est à méditer:
«Dans un monde appliqué à détruire la tradition et les héritages, il faut
résister par la force du don de soi-même et la confiance dans le destin du pays»
CHAPITRE XII, Les Imazighen et la conception de leur destin: La problématique
est posée dans le premier paragraphe: Est-ce que le mouvement amazigh propose
une culture alternative ou s’agit-il seulement d’une revendication culturelle
d’une identité mutilée? Le rôle de l’intellectuel est mis en exergue comme suit:
«La misère ne tue pas. Quand elle est encadrée à l’exemple de l’Inde et de la
Chine, elle est créatrice de nouvelles énergies»
Puis sont énoncées les idées de base qui doivent permettre de concevoir un
destin:
«Ainsi l’émergence de l’amazighité s’inscrit dans l’évolution historique des
idées. […]. Longtemps ramenée à une maladie à cacher, elle est aujourd’hui en
pleine lumière. L’amazighité n’est pas sortie du néant, comme une utopie
théorique, une histoire à rattraper, une frustration de l’âme. Elle a vite
compris qu’il faut dépasser le sentimentalisme et inscrire son présent et son
avenir dans le mouvement de la société. […]. Elle se présente, en ce siècle,
comme une culture d’ouverture, de dialogue, de contestation démocratique. La
laïcité et la citoyenneté que l’amazighité défend, c’est en somme la quête de
l’Homme moderne de ce troisième millénaire, enraciné dans sa culture»
Loin d’être agressif, l’auteur est conciliant:
«Entendons-nous, il faut tous les Marocains, pour faire le Maroc d’aujourd’hui
et de demain et la seule passion qui vaille, s’applique à notre identité qui est
une création permanente. L’Homme nouveau, l’Amazigh de demain ne peut sortir que
d’une révolution blanche»
Il passe en revue des événements sociaux ou politiques, des réalisations
d’associations, des chartes, des manifestes, des mémorandums, etc. qui donnent
une idée de l’évolution de la question amazighe au Maroc. Il revient évidemment
sur le discours d’Ajdir qui semblait apporter enfin le cadre d’une solution
satisfaisante. Puis il écrit:
«Le retrait des cadres amazighs du conseil d’administration de l’IRCAM, alors
qu’ils sont nommés par Dahir, revêt le caractère d’un symbole politique et d’un
message transmis à SM le Roi Mohammed VI qui peut se traduire par ces termes:
Majesté, le gouvernement n’a pas respecté le contenu, la philosophie et les
orientations de votre discours du mercredi 17 octobre 2001 à Ajdir»
Enfin, je crois trouver l’idée maîtresse, de Brouksy, dans les quelques lignes
suivantes:
«L’amazighité en devenant un mouvement de société est libre vis-à-vis des
allégeances envers le Makhzen. Il n’est tenu que par l’ordre de la loi, avantagé
par les droits de l’Homme. Le mouvement amazigh s’est affranchi des
contradictions socio-politiques. Il a donc toute la latitude d’approfondir la
réflexion sur l’identité nationale et de construire autour d’elle une conception
raisonnée du destin national commun»
CONCLUSION: Au début de cette conclusion, je veux revenir sur deux phénomènes;
le premier cher à l’auteur et le deuxième que j’ai choisi moi-même.
Le sens de la tragédie: Les Romains disaient que ‘seul un berbère peut battre un
berbère’. C’est une sentence froide mais teintée de respect. Mais alors qu’en
est-il de ces Imazighen aux qualités exceptionnelles soulignées par différents
autres peuples? A côté de ces qualités, l’auteur déclare avoir identifié une
spécificité constante, à travers le temps, et qui expliquerait certains
comportements héroïques et parfois même suicidaires: C’est un sens aigu de la
tragédie. Des illustrations éclatantes en sont données par Jugurtha, Teheyya,
Koceila, Moha Ouhemmou, Assou Oubaslam, Abdelkrim Ugg Arif, Ahensal, Zaid Ouhmad,
Ait Tzegzawt, etc. Et Brouksy de nous rappeler ce que dit Anouilh, dans
Antigone, sur la tragédie:
«Dans la tragédie, on est tranquille… On n’a plus qu’à crier, pas à gémir, non à
se plaindre»
La Siba: On nous a tellement servi, à chaud et à froid, ressassé, seriné,
distillé des propos malsains et tendancieux sur la Siba. Il devient de plus en
plus clair et de plus en plus connu que ce n’était, en fait, qu’une réaction, on
ne peut plus légitime, de survie. En effet, le Makhzen surendetté par les
emprunts étrangers, et ne pouvant prélever auprès des citadins, en arrivait à
vouloir complètement dépouiller les tribus berbères. Encore faut-il noter qu’il
y a eu, quand même, plus de soulèvements dans les villes que dans les tribus; et
ce pour des raisons mercantiles ou de puissance. Ainsi, il en est de la Siba
comme du Dahir surnommé ‘berbère’, comme de l’expression ‘Les enfants de
Lyautey’, etc. Il y en a qui aiment faire feu de tout bois. Mais il y a des bois
qui, en brûlant, produisent beaucoup d’étincelles; et qui peuvent même éclater.
Enfin, je voudrais dire quelques mots sur Lahcen Brouksy en tant qu’écrivain, et
donc en tant que créateur, lors de la gestation de son livre. Comme nous
habitons seulement à trois minutes, à pied, l’un de l’autre, il lui est souvent
arrivé de débarquer, à l’improviste, et de commencer à parler et à argumenter:
Oui, je l’ai corrigée car …; finalement, j’avais raison, vu que …; mon analyse
va plus loin que celle d’untel; cela ne tient pas, je sens que je ne tiens pas
le bon bout; etc. Mais pourquoi donc rapporter ces faits qui pourraient sembler
anodins? C’est pour dire que l’auteur ne part pas d’une idéologie à justifier à
tout prix ou d’une explication à priori. Ma conviction est que le livre est le
produit d’un effort intellectuel sincère. J’espère ne pas avoir trahi
l’essentiel de son contenu; et vous avoir donné l’envie de le lire.
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