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L’histoire oubliée des surréalistes et la guerre
du Rif

Par: Hassan Banhakeia (Université d’Oujda)

«Hissez le drapeau rouge, n’embarquez pas de cadavres en sursis pour la terre africaine» (L’Humanité, juin 1925)
Le présente étude prétend délier les complexes et méconnus rapports existant entre l’engagement politique des surréalistes français(1) et la guerre du Rif (1925-1926). Ce conflit de l’entre-deux-guerres, occupant un grand espace dans la vie politique française, va déterminer largement le discours idéologique des surréalistes et poser le problème de l’antipatriotisme(2). Ici, nous allons principalement nous référer d’une part aux écrivains surréalistes comme André Breton, Louis Aragon, Paul Eluard et Raymond Queneau qui soutiennent d’une manière particulière cette cause, et de l’autre le rapport d’Aragon à d’autres écrivains «polémiques et suicidaires» qui s’opposent à la solidarité anticolonialiste, comme le fasciste Pierre Drieu la Rochelle et le dadaïste René Crevel.
Dans cette étude, nous sommes plus intéressés par le contenu politique des surréalistes que par leur vision esthétique. Leur conception globale de l’art est celle d’une révolution totale, d’une révolte radicale, d’où le titre de leur revue «La Révolution surréaliste ».(3) Précisément, dans cette publication figurera une fameuse phrase «Ouvrez les prisons, licenciez l’armée» (n°1, décembre 1924), contre toutes les formes de répression, et aura comme idéaux politiques le pacifisme et la nouvelle déclaration des Droits de l’Homme. C’est bien quelques mois après (juin 1925) que son comité de rédaction va défendre longuement les droits du peuple nord-africain dans sa juste cause.
Afin de cerner objectivement cette construction de l’image du «Rif», nous allons également étudier ce groupe d’intellectuels français (radicaux, socialistes et politiciens de droite dont J. Roger-Mathieu et d’autres) qui usent de leur patriotisme démesuré pour défendre les intérêts de la France impériale «dite civilisatrice et bienfaitrice» en Afrique, et qui discréditent, certes à un degré moins important que les revanchistes Espagnols,(4) la naissance de la jeune République (1921-1926) au sein du Royaume Chérifien.
En outre, notons que si nous faisons longuement référence aux communistes de l’époque, (5) c’est tout simplement parce que, à cette période-là, il y avait un rapprochement étroit entre le parti communiste français (PCF) et le groupe surréaliste: ensemble ils soutiennent «intellectuellement», plus ou moins, les Rifains lors de la guerre du Maroc, et dans un autre sens plus confondant, ils défendent la vision trotskiste de la Révolution continue.
Que signifie au juste le Rif pour les surréalistes? Où se situe-t-il géographiquement dans leur imaginaire? Est-il une partie de l’Orient, ce «mot-tampon» qui, selon André Breton, suppose la destruction des valeurs de l’Occident? (6) Est-il une république qui pourrait donner raison à leurs thèses au sujet du prolétariat «à venir»? Comment les surréalistes français lisent-ils cette révolution au sein du tiers-monde qui se déclenche contre l’impérialisme franco-espagnol? Comme un anticolonialisme? De par leur position, les surréalistes sont-ils alors des anti-patriotiques?

I .- L’effervescente vision colonialiste et la guerre du Rif…
Si la guerre de 1914-1918 est vue comme la faillite de la civilisation occidentale, la guerre du Rif sera l’illustration de la suite d’une telle faillite à l’étranger. Elle sera ainsi la parfaite prémonition de la guerre civile espagnole (1936), et de la seconde guerre mondiale qui vont mener l’univers européen vers une destruction esthétique, inhumaine et totale. (7) Au début du siècle, l’Occident connaît une effervescence d’idées et d’idéaux en réaction avec les faits colonialistes qui meuvent l’histoire de l’humanité, surtout que l’impérialisme était à son apogée. Imbus d’engagement politique, les intellectuels, en général, tendent à détruire ce système qui exploite et asservit l’homme: «Our humanity must never be outwitted by systems, and this is why we are at our most vital when our intelligence is in full and active cooperation with feeling.» (8) La conjonction pensée et sentiment crée des consciences qui soutiennent la cause des pays colonisés en particulier, et du tiers-monde en général. Les écrivains, les philosophes, voire les scientifiques, sont classés suivant leur positionnement idéologique vis-à-vis du colonialisme. En conséquence, il y aura un flux et reflux incessant de tendances esthétiques (nihilisme, fauvisme, unanimisme, modernisme, futurisme, imagisme, relativisme, constructivisme, cubisme, dadaïsme, surréalisme, etc..) qui toutes, en plus de traduire nettement la grande évolution de la pensée, se montrent pessimistes de la destinée de l’humanité.
S’il est difficile de dresser une frontière étanche entre ces différents mouvements, il est au contraire facile de discerner l’influence des grands faits historiques sur leur naissance et évolution. Il s’avère impossible à tout artiste d’échapper à cette succession d’agitations chez les intellectuels et de faits historiques. De là, notre analyse prétend d’une part regrouper dans un même corps la guerre d’Abdelkrim et les remous suscités par le surréalisme français au sein de la société européenne, notamment leurs tracts et déclarations collectives, et de l’autre rechercher les possibles moments d’influence entre cette tragédie rifaine et la pensée française.
Le cours de la guerre du Rif va être relativement déterminé par l’opinion publique. Comme tout pouvoir politique, chose fort connue, est rattaché à une opinion publique, cette dernière sera manipulée par les gouvernements dans le sens à accepter le choix des pouvoirs politiques. On peut facilement expliquer une guerre au nom de l’Ordre, de la Démocratie ou de la Justice. La guerre du Rif est dite «rétablissement de l’Ordre». Au fait, de quel Ordre s’agit-il pour la droite? Précisément, au début de l’été 1925, la sécurité des troupes françaises au Maroc est dangereusement menacée car le nord du pays s’est débarrassé de l’occupation espagnole depuis 1921. A la métropole française, les politiques sont expectatifs et très inquiets. S’ensuit la grande pression des milieux nationalistes et du lobby colonial qui va demander l’intervention militaire. Le Maréchal Lyautey(9) verra sa nouvelle entreprise (guerre du Maroc) comme un rétablissement de la paix et de l’amitié entre les deux peuples, français et marocain. Ainsi, cette offensive se présente pour les gaulois non seulement comme le respect d’une alliance conclue mais aussi comme la réparation d’un affront…
La guerre éclate au Maroc, exactement le 9 avril 1925. Une question absurde revient dans les textes d’histoire dictés par l’esprit impérialiste: Comment Abdelkrim peut-il chercher la guerre avec le pays qu’il aime (la France)!?(10). Les Rifains attaquent la tribu des Beni Zeroual où le Chérif Derkaoui incitait, à partir de la Zaouia d’Amjot, ses fidèles à prendre les armes contre Abdelkrim. La bataille dure 12 jours, les victimes se comptent en milliers. Le Chérif, vaincu, se réfugie à Fès. Bien que l’artillerie et l’aviation française fassent «merveille dans toutes ces opérations» (11) de destruction, les troupes rifaines avancent et réalisent des victoires. L’abandon de Taza est sérieusement envisagé et la ville impériale (Fès) se trouve mise en péril, tout comme Kénitra et Meknès.
Totalement soutenu par le mathématicien, l’aviateur et le ministre de la Guerre Paul Painlevé qui scelle un accord avec le dictateur Primo de Rivera le 17 juin 1925 à Madrid(12), le Maréchal Pétain(13) est alors désigné le 13 juillet pour mener la guerre franco-rifaine. Il va disposer d’un régiment de plus de cent bataillons sans compter les harkas du Makhzen, plus de 350 000 hommes. De son côté, l’Espagne, poussé par le parti africaniste, va entamer la reconquête du Rif. La nuit du 6 au 7 septembre il y aura également le débarquement franco-espagnol sur la côte d’Alhucemas de 16.300 soldats embarqués dans 63 bateaux civils, 33 de la marine espagnole, 8 de la française. Ce déploiement militaire important va être accompagné par des problèmes internes dans plusieurs tribus du Rif. Le bombardement de la zone est réalisé par 88 avions et 12 hydravions. En revanche, l’armée d’Abdelkrim dépasse à peine trois mille guerriers, et les mobilisés entre 9 juin et le 12 juillet atteignent aussi trois mille âmes. Cette mobilisation affecte sérieusement l’économie de la région, (14) et la misère fera désister maintes tribus dans leur interminable «jihad». L’avance des troupes françaises sera facile et progressive, et la résistance des tribus rifaines sera longue et cahotante…
Lors de la trêve de l’hiver 1925-1926, les deux belligérants vont organiser la conférence d’Oujda qui sera un échec total. A ce moment-là, deux visions complètement opposées règnent en France: l’opinion des surréalistes et des communistes «sans convictions patriotiques» et celle des socialistes et des hommes de droite. Selon le collaborateur du «Matin» français, cette réunion entend offrir la paix aux Rifains, il «reste pourtant à la France à donner à ceux qui l’ont attaquée dans son œuvre civilisatrice, comme à ceux qui l’ont soutenue, une grande leçon de modération, une dernière preuve de son idéal pacifique.» (15) La France est vue alors, dans son entreprise coloniale, par les politiciens de droite, comme un pays qui avançait des offrandes idéales: la construction, la civilisation et la paix. La colonisation sera déchiffrée comme une action humanitaire. Par contre, les surréalistes diront de cette conférence de paix: «Ceux qui ne comprennent pas qu’une victoire des rebelles rifains sur les troupes franco-espagnoles ou sur les diplomates d’Oujda, est un événement révolutionnaire (…) sont incapables de rien comprendre à la révolution.» (16) Le Rifain est dit révolutionnaire, c’est-à-dire doté d’un projet de société libre et égalitaire, et il comprend ce que veut dire la révolution. Que cet anticolonialisme soit manifeste ou rampant, ce qu’il soulève d’important, c’est que le groupe surréaliste n’a pas adhéré aux arguments de l’époque: solidarité, civilisation, progression, pacification, amitié, développement, stabilité…
Rappelons qu’à la veille de la guerre du Rif, le Cartel des gauches (de tendance colonialiste) arrive au pouvoir en France. (17) Gaston Doumergue (1924-1931), radical-socialiste, devient le président de la IIIe République, et le ministre de la Guerre est le scientifique Paul Painlevé. À cause des défaites militaires et de sa maladie incurable, le résident général Lyautey va être également remplacé le 7 octobre par Théodore Steeg.
Sur le Maréchal Lyautey, grand ami des marocains, l’on peut lire la satisfaction des politiciens et des colonisateurs: «Oui, à l’heure où il quitte le Maroc le 10 octobre 1925, il peut écrire au ministre des Affaires étrangères: «Je crois avoir le droit de dire que ma tâche, telle qu’elle m’avait été confiée en 1912, a été remplie.» Il peut le dire au Sultan, dans l’audience où il lui adressait ses adieux: «Mon cœur et ma pensée resteront toujours fidèlement attachés à cet empire chérifien dont ce sera l’honneur de ma vie d’avoir vu la renaissance dans l’ordre et dans la paix et dont ce sera ma plus haute satisfaction de suivre l’épanouissement croissant.» (18) De quelle tâche s’agit-il au fait? Systématiser l’esprit colonial à jamais! Ce sont là les propos de Robert Garric qui voit dans ce noble militaire le premier constructeur de la civilisation française en Afrique du nord, et de l’idée du Maghreb arabe. L’accord, et notamment son esprit, sera pérennisé. De même, André Maurois (1885-1967) rapportera les propos du Maréchal: «Il y a des gens qui traitent l’entreprise coloniale de barbare, quelle sottise! Partout où j’ai passé, ça a été pour construire et, ce que je devais détruire, je le reconstruirais ensuite, plus solide et plus durable.» (19) En plus de l’ordre, il y a dans ce colonialisme le «rêve de construire» un système importé, de reconstruire «le réel». L’entreprise française prétend ramener de la construction «plus solide» en des temps de destruction totale. Détruire pour construire du solide ! Autrement dit, tout changer…
En outre, pour les colonialistes, le chef de la République rifaine est vu comme un «Berbère européanisé en surface», qui «a été de bonne guerre de (le) traiter de «barbare»» (20). Abdelkrim est dit aussi le responsable du conflit armé au Maroc: «N’infligerons–nous pas un démenti cinglant à Abd-el-Krim, quand il nous dira, dans ce livre, que nous l’avons contraint à la guerre après avoir méprisé ses serments d’amitié et ses propositions d’entente ? » (21) Le chapitre du Chérif Derkaoui, grâce auquel la France prit pleinement parti, est non seulement précis mais aussi déterminant. Ce doit surtout expliquer l’étiquette tant connue, mais peu analysée: «France, protectrice de l’Islam et de l’arabité » au Maghreb, une garantie de « colonisation continue».

II.- La jonction communistes-surréalistes et le Rif
A la métropole, communistes et anarchistes se sont mis du côté du guerrier Abdelkrim. De nombreux articles (surtout des éditoriaux polémiques) sont consacrés à la guerre du Maroc. Les actualités cinématographiques la présentent dans les salles de cinéma. En septembre 1924, Jacques Doriot pour les Jeunesses communistes et Marcel Sembat pour la Section française de l’Internationale communiste (SFIC) qu’est le jeune Parti communiste, vont signer un télégramme de salut: «la victoire du peuple marocain sur les impérialistes espagnols» (22) Ce conflit international est dit «guerre des banquiers et des industriels», tout comme le destin des colonisés et des prolétaires est le même. En avril 1925, Maurice Thorez, leader du Comité d’action contre la guerre du Rif, peut faire de la propagande positive du Parti, et en conséquence sera condamné à quatorze mois de prison.
La grève générale du 12 octobre est organisée par les gauchistes et les syndicalistes. Selon l’Humanité, il y avait 900 000 grévistes, les références historiques tablent sur 300 à 400 000. Juste ce dernier chiffre est «surréaliste» pour condamner cette guerre coloniale.
La guerre d’Abdelkrim dure des années, et de longs mois de combat intense au sein des tribus rifaines. A la Chambre des députés, le 28 mai 1925, le gouvernement Painlevé est sollicité sur sa politique marocaine. Le président du Conseil nie que le maréchal Lyautey et son gouvernement ont l’ambition de conquérir le Rif. Selon Painlevé, il n’est que question «d’une vaste opération de police». Les communistes critiquent un tel discours colonialiste. Dès juin 1925, le Rif est constamment bombardé par l’artillerie et l’aviation françaises, et les étrangers qui ont aidé Abdelkrim l’abandonnent totalement - signalons que certains même qui l’«arnaquent». Des grosses bombes de 200 kg et des bombes asphyxiantes, transportées à bord des avions, sont lancées sur les douars; la mort et la destruction touchent tout. Les tribus commencent à perdre de la force. La bataille au Rif est accompagnée de manifestations populaires très importantes dans la métropole, notamment organisées par les intellectuels de gauche. Au Parlement français, en octobre 1925, le ministre de la Guerre Painlevé connaît une opposition dure, orchestrée par la gauche qui lui reproche les importants dégâts humains et matériels de la France dans son engagement militaire. Au 15 octobre l’on comptabilise plus de 2.178 soldats français morts en champ de combat, 8.297 blessés, et les dégâts matériels atteignent 1.350.000.000 francs…
D’autre part, les clartéistes (intellectuels de gauche qui animent «Clarté») (23), qui voient l’impasse du communisme en Europe, vont ainsi renouveler la lutte culturelle contre la bourgeoisie dominante. Ce revirement «idéologique» les rapproche des surréalistes. Leur revue considère la mouvance surréaliste comme un souffle nouveau pour redonner vie aux idées révolutionnaires. En contrepartie, André Breton voit dans «Clarté» une opportunité (et peut-être un projet à venir) pour investir son groupe d’un sens «idéologique» afin de ne pas connaître le même sort que les dadaïstes vus comme des nihilistes et des intellectuels sans projet. Les surréalistes prennent, alors, part à des manifestations politiques contre l’Exposition coloniale, contre le fascisme avec le comité de vigilance des intellectuels, contre la préparation à la guerre. Cette prise de position (ou engagement) va également produire des crises et des exclusions. Quelques surréalistes sont qualifiés de suspects: Roger Vitrac est le premier à tomber… Par la suite, il y eut une nouvelle purge qui touchera Antoine Artaud et Philippe Soupault.
Force est d’ajouter que «Clarté» est parmi les rares périodiques à défendre les Imazighen lors de la guerre du Rif, mais cette défense apparaît essentiellement idéologique (pour ne pas dire purement verbale), ce qui mènera à un partage net d’idéaux entre communistes et surréalistes dès juillet 1925. André Breton définira ce rapprochement qui va de 1924 à 1926, comme une «période raisonnante du surréalisme». C’est bien à partir de juin 1925 que la revue publie une «Lettre ouverte aux intellectuels pacifistes, anciens combattants révoltés» où figure la question: «Que pensez-vous de la guerre du Maroc?» et le 15 juillet, le grand titre de la revue est clair: «Contre la guerre du Maroc. Contre l’impérialisme français»; en hors-texte, le lecteur découvre aussi un appel d’Henri Barbusse «Aux travailleurs intellectuels. Oui ou non, condamnez-vous la guerre?» Cette «solidarité intellectuelle», contresignée par de nombreux pacifistes, écrivains et peintres, et par la rédaction complète de La Révolution surréaliste, de Clarté, de Philosophies, prétend sceller la même approximation de la crise marocaine. Néanmoins, si les surréalistes cherchent «à lier conquête spirituelle et revendication politique», les communistes se disent «déçus par la carence révolutionnaire des prolétariats», espérant «trouver chez leurs nouveaux amis une forme radicale de révolte morale». (24) Cela montre que l’appréciation de la guerre serait différente chez les deux groupes.
De son côté, le journal communiste, «l’Humanité», se montre sceptique face à l’union avec les surréalistes. Ce scepticisme sera de l’hostilité au printemps 1926. P. Naville publie en juin 1926 un tract où il fait la critique des jeunes surréalistes:
─ ils ont des positions ambiguës et inefficaces;
─ ils sont anarchiques dans leurs engagements;
─ Ils n’ont pas de projet «marxiste».
En revanche, le 24 décembre, à la suite de Benjamin Péret, les écrivains Breton, Aragon, Eluard et Pierre Unik adhèrent au parti.
Au fait, que faut-il reprocher au PCF lors de la guerre du Rif? A quels calculs obéit-il? Il se montre très ambivalent sur la question coloniale, bien qu’il soit très engagé dans ses discours et tracts. En général, la gauche française, et précisément le PCF, condamne l’effusion de sang au Rif, et son quotidien publie constamment des lettres de militaires engagés. De même, le communiste Henri Barbusse lance un «appel» dans l’édition du 02 juillet 1925 signé par une centaine d’intellectuels (dont les surréalistes) contre cette guerre. (25) Puis, en 1926, Paul Vaillant-Couturier (1892-1937) rédacteur en chef de «l’Humanité» et conseiller général de Villejuif, continue de manière virulente son action politique contre la guerre. Ce sera bien en prison que ses prises de position vont le conduire.
La guerre du Rif assemble ainsi diverses forces de gauche, et bizarrement fonde (au Maghreb!) le mythe de l’Orient-l’Est, espoir des communismes occidentaux - une interrogation sur l’idée de révolution, prise dans un sens large! Les surréalistes, grâce à la guerre nord-africaine, croient au projet de révolution continue et totale (d’inspiration trotskiste). Seulement, ce front unifié va connaître vite la désintégration à cause de leur conception idéologique. Si dans les soulèvements des peuples colonisés contre la tyrannie occidentale, les communistes voient le réveil du prolétariat contre l’Impérialisme, les surréalistes y voient de leur part, un affranchissement total (non pas historique) de l’Etre, peut-être du Moi collectif (et profond).
En réaction à ces remous «de gauche», la droite française appellera solennellement au boycott des surréalistes, notamment au niveau journalistique.

III.- La vision surréaliste de la guerre du Rif
Quelle est la juste position des surréalistes vis-à-vis de cet impérialisme sauvage qui gangrène incessamment l’Afrique entière? Ont-ils défendu les guerres de libération? Comment ont-ils réagi vis-à-vis de la guerre du Rif (1925-1926)? Peut-on considérer les surréalistes des défenseurs du mouvement  de libération au Rif comme l’affirment leurs différents articles et éditoriaux? Pourquoi ont-ils pris la défense de cette jeune République au moment où Abdelkrim est vu bizarrement, par la presse internationale, comme l’appel d’affranchissement de l’Orient? Les Rifains, de par leur soulèvement, peuvent-ils alors exprimer la résistance physique à l’impérialisme européen et leur ambition de fonder le prolétariat libre? Pourquoi quelques surréalistes se sont-ils mis ouvertement en faveur de cette guerre française? Pourquoi ces derniers, à l’instar de la Guerre civile espagnole, ne sont-ils pas partis vers la capitale Ajdir porter les armes? Toutes ces questions sont difficiles à résoudre: vu dans leur complexité, elles font simultanément référence au politique (historique) et à l’esthétique (instantané), en plus de l’idéologique (à considérer Abdelkrim un arabe originaire de l’Arabie Saoudite, et non pas un Africain d’origine amazighe). (26)
Au moment où l’Occident se métamorphose en un bloc plus impérialiste, le monde se trouve soudainement réparti sous la domination de quelques nations capitalistes. Le destin de l’Afrique, comme une tarte, est morcelé par le même couteau et servi aux bouches rassasiées, en multipliant la misère et l’exploitation pérennes. En concordance avec l’engagement contemporain, conscient de telles transformations historiques, le surréaliste voit dans la culture dite primitive (africaine notamment) la source d’inspiration et de création afin d’affranchir l’esprit (européen) des contraintes culturelles. De cet engagement «défenseur» des nantis naîtra la notion de l’universel qui va nourrir ce mouvement. Les surréalistes essayent de décrire la société bourgeoise en ces moments de crise, recherchant l’instant de sa libération totale des contraintes de l’éthique, de la métaphysique. Cette position politico-esthétique va les rapprocher davantage des communistes. Mais, notons hâtivement que les surréalistes, de par leurs nouveaux engagements politiques, n’ont pas une influence ostensible dans les milieux ouvriers et publics français et européens.
C’est bien à partir de 1924 que le groupe surréaliste construit un édifice idéal capable de rassembler intellectuels et artistes munis des mêmes idéaux qui réinterprètent politiquement et le quotidien et le «comportement» des gouvernements. (27) Les jeunes surréalistes organisent des expositions à valeur de manifestes, font des déclarations collectives et publiques et distribuent des tracts dans lesquels ils dénoncent les incursions militaires françaises contre la république du Rif (1921-1926). Quelques œuvres de Breton et d’Aragon peuvent-elles être interprétées à la lumière des événements de la révolution rifaine. La plus célèbre déclaration est «La Révolution d’abord et toujours», rédigé de concert par Breton et Victor Crastre de «Clarté», paru en 1925 avec les signatures des surréalistes, des communistes et des anarchistes, montre ce front uni contre l’oppression occidentale. (28)

IV.- Le «Vivent les Rifains!» d’un dîner surréaliste
En ces temps vagues et absurdes, la nouvelle tendance surréaliste recherche des réponses. L’engagement idéologique s’avère nécessaire pour avoir de la propagande qui pourrait faire connaître le groupe. Bien que les critiques situent l’engagement politique d’Aragon et de Breton en 1921, l’engagement collectif des surréalistes est déclaré aux temps où Abd-el-Krim remporte des victoires sur les troupes coloniales de Lyautey, en 1925. Les surréalistes vont se déclarer, tout simplement, contre le patriotisme intellectuel («à bas le clair génie français»), l’Etat jacobin qui entretient la continuité d’autres sous-Etars jacobins…
Dans Abdelkrim, une épopée d’or et de sang, Zakya Daoud écrit: «Pour avoir insulté des notabilités, renversé des assiettes et crié «Vivent les Rifains», toute la fine fleur du groupe de Breton se retrouve au commissariat.» (29) C’est précisément le 02 juillet, au dîner offert à la Closerie des Lilas en l’hommage du poète symboliste Saint-Pol Roux (1861-1940), (vu comme le poète précurseur qui a opéré la rupture avec toutes formes du conformisme gaulois). Ce dîner est un moment d’initiation à la politisation de l’affaire du Rif. On y distribue la fameuse «Lettre ouverte à M. Paul Claudel, Ambassadeur de France au Japon» où l’on relève la position inconfortable de l’auteur du Pain dur: en tant qu’ambassadeur il ne peut assurer le rôle du poète et du représentant diplomatique d’une nation «impérialiste», la France. Dans ce cas précis, l’Art et la Politique ne peuvent pas faire bon ménage
Notons qu’au cours de ce dîner, un truculent Michel Leiris (1901-1990) déchaîné, hurle à la fenêtre: «Vive Abd-el-Krim!» et «A bas la France!» (30) La foule s’amasse, le rosse, et l’écrivain faillit être lynché avant d’être amené par les forces de l’ordre. Au commissariat, les policiers le rossent à nouveau. Il s’en souvient: «Il m’arriva d’accomplir ce que mon entourage considéra généralement comme un acte de bravoure...» (31) Par rapport aux autres surréalistes, Michel Leiris se voit courageux.
A cette même date, en pleine guerre du Maroc, Paul Eluard publie ses «152 proverbes» dans la «Revue européenne». Quelques dictons sont à lire comme une réaction «idéologique» du poète à la situation internationale où l’impérialisme, en plus de voler, commence à massacrer les autochtones:
« -Tuer n’est jamais voler.
-Un bâton pour lui, un drapeau pour toi, les coups pour les autres.
-Une arme suffit pour montrer la vie.
-Tout ce qui vole n’est pas rose.
-Avant le déluge, désarmez les cerveaux.
-Un clou chasse Hercule.
-Qu’ils soient sans canne ou qu’ils ne soient pas.
-Incendie et mitrailleuse sont les deux mamelles de la France.
-Les aigles ne se prennent pas avec les mots.
-Duvet cotonneux des médailles.
-Honore Sébastien si Ferdinand est libre. » (32)
Ici, justement à la lumière de ces proverbes, l’engagement politique d’Eluard est manifeste. Il est vu anticolonialiste, pacifiste et solidaire des nantis. De même, la France est nommée comme une nation qui incendie et mitraille les autres. La référence aux massacres français en Afrique du nord devient alors explicite.
1) André Breton (1896-1966), une vision rebelle
Comment André Breton peut-il s’engager dans la guerre du Rif? Le pape surréaliste, prônant l’individualisme sauvage (synonyme d’intime), recherche l’interprétation de l’univers intérieur. Au début, encore sous l’influence dadaïste, il va fuir les positionnements politiques, il va passer sous silence les interprétations politiques. Son projet scriptural, construit sur des oppositions, ramène le réel à l’irréel, l’imaginable à l’inimaginable, le connu à l’inconnu, le classable à l’inclassable, le divisible à l’indivisible, enfin l’immédiat au médiat. Le projet, en lui-même, devient un acte de liberté totale. Ainsi, il échappe au règne de la lecture logique, celle qui prétend être une seule voie. Son rêve tend à fonder un monde neutre et parfait. Cela peut expliquer peu ou prou son «engagement» atténué envers cette guerre africaine. Seulement cette position plus ou moins «apolitique» va buter sur le flux des événements du début du siècle qui incite à la prise de position politique et la disparition prématurée du dadaïsme.
Tout en défendant la cause rifaine, Breton réussit à montrer son admiration pour Trotsky (qui défend une révolution continue). Ainsi sa solidarité est à lire comme une conséquence à ses convictions idéologiques. Peut-être les surréalistes ont-ils vu dans la république du Rif un Etat laïque ou une représentation de l’anti-France, loin de toute charge religieuse ou dogmatique. L’œuvre de Breton dépasse toutes ces lectures unilinéaires pour apparaître comme un défi rimbaldien (changer le monde par le verbe), elle entend faire de la création une tranche de la vie ou plutôt une raison du changement, ce doit expliquer pourquoi l’auteur de Nadja a trouvé dans la révolution d’Abdelkrim une raison d’être des sociétés dites primitives tellement défendues et louées par les surréalistes. L’image du chef nord-africain sera en vogue. Si pour les romantiques, Napoléon est l’homme idéal, pour les surréalistes ce sera Abdelkrim (Pierre Dumas le nommera «le Napoléon rifain»). (33)
Comme le psychologique, l’intime et l’intérieur accaparent une place importante dans son œuvre, Breton essayera de comprendre la personnalité d’Abdelkrim. De même, la tactique guerrière d’Abdelkrim dite «guerrilla» est à lire, sous risque de s’égarer, comme un défoulement de l’être libre menacé par des instances fortes; ce défoulement se veut une résistance innée, capable d’assurer l’équilibre et la survie. (34) A partir de la guerre du Rif, Breton entame une nouvelle tactique de bouleverser la société occidentale, par le biais de scandales collectifs à caractère politique. Et la solidarité avec les Rifains n’en est qu’une forme. Il écrira: «L’activité surréaliste en présence de ce fait brutal, révoltant, impensable (la guerre du Rifc) va être amenée à s’interroger sur ses ressources propres, à en déterminer les limites; elle va forcer à adopter une attitude précise, extérieure à elle-même, continuer à faire face à ce qui excède ces limites.» (35)  L’auteur y apparaît catégorique: ce conflit militaire, bien qu’il soit lointain, interpelle les surréalistes à s’interroger sur leurs activités, à refonder la question épineuse des limites. En conséquence, tant de vérités fondées sont à repenser, sinon à détruire.
À cause d’un tel engagement politique, Breton connaîtra des dissensions dans son groupe. Par exemple, Antonin Artaud qui adhère au surréalisme en 1924, le quitte en novembre 1926. Durant l’année 1925, le poète est le directeur du «Bureau central de recherches surréalistes» situé au 15 rue de Grenelle, et coordonne également la rédaction de la Revue surréaliste, précisément le numéro 3. L’engagement politique paraît à Artaud une déviation esthétique du vrai surréalisme. Il va laisser le groupe, et va créer curieusement une revue à titre scintillant: Le Surréalisme au service de la révolution. Ne serait-il alors l’antipatriotisme son unique différend?
Enfin, faut-il le rappeler, André Breton est un intellectuel pacifiste et progressiste, il décrira cette guerre comme la plus grande monstruosité de l’Humanité. Bien sûr, de tous les événements tragiques de l’entre-deux-guerres…
2) Louis Aragon, une vision révolutionnaire
a) Aragon, le plus engagé
Lors du banquet au restaurant «La Closerie des Lilas», Aragon fait de cette fête la célébration solennelle contre la bourgeoisie et l’esprit militariste français. Des actes violents vont s’y déclencher immédiatement, mais c’est bien à ce banquet qu’Elsa Triolet rencontre Aragon. (36) Cette rencontre va marquer les deux écrivains et sceller leur amour idyllique à jamais.
Rappelons également qu’Aragon est cosignataire de la « Lettre ouverte à M. Paul Claudel…» publiée le premier juillet 1925. Il est intéressant d’en citer quelques passages: « Peu nous importe la création. Nous souhaitons de toutes nos forces que les révolutions, les guerres et les insurrections coloniales viennent anéantir cette civilisation occidentale dont vous défendez jusqu’en Orient la vermine et nous appelons cette destruction comme l’état de choses le moins inacceptable pour l’esprit.» (37) En l’occurrence, la guerre du Rif se trouve louée, voire souhaitée par l’auteur. Une telle position s’avère antipatriotique, principe fondateur de la gauche de l’époque, surtout du jeune PCF. En outre, il va interpeller à la «désolidarisation»: « Nous saisissons cette occasion pour nous désolidariser publiquement de tout ce qui est français, en paroles et en actions. Nous déclarons trouver la trahison et tout ce qui, d’une façon ou d’une autre, peut nuire à la sûreté de l’État beaucoup plus conciliable avec la poésie que la vente de ‘grosses quantités de lard’ pour le compte d’une nation de porcs et de chiens. (…) Le salut pour nous n’est nulle part. » (ibid.) L’action est nécessaire pour prendre de la distance vis-à-vis de ce qu’est le français. Plus que de l’antipatriotisme, il y fait figurer des insultes « ahurissantes » sur tout ce qui est l’héritage gaulois. Ainsi, la situation du poète Paul Claudel, pour les surréalistes, s’avère incompatible avec sa fonction d’ambassadeur. Au nom de la poésie il ne peut défendre ni représenter l’Etat criminel.
Que dira Aragon, soucieux du sort réservé aux misérables tribus rifaines par l’armée française? Tout en restant fidèle à cette cause, « Clarté » reproduit l’appel des intellectuels daté du 02 juillet 1925 (publié dans « l’Humanité »), et insère des réponses d’écrivains français à la question posée en juin « Que pensez-vous de la guerre au Maroc ? » Aragon célébrera, une autre fois, l’antipatriotisme à cause de l’hypocrisie politique (ou la politique hypocrite) de la France : « il me paraît impossible de me dérober à une déclaration publique, quelle qu’elle soit, de l’indignation où me jettent l’hypocrisie du gouvernement français et l’entreprise impérialiste dont le Maroc est aujourd’hui le théâtre. Toute idée qui légitime une guerre est par là condamnée : puisqu’au nom de la  France on peut envoyer des hommes à la mort, que cette idée, comme toutes les idées nationales, disparaisse de la terre. Le fanatisme des patriotes toujours menaçant, je le combattrai partout où je le rencontrerai. Athée de leur religion (la religion du nationalisme), qu’ils me brûlent, puisque nous en sommes encore au temps de l’Inquisition et de la Censure.» (38) Le nationalisme français est déclaré non seulement impropre pour l’auteur activiste, mais nécessaire de combattre par tous les moyens. A cette époque, le communisme (et Aragon y adhère) se situait en dehors du patriotisme français. Aragon appelle à l’ « action anti » : antimilitariste, anticolonialiste et antinationaliste. L’Internationale communiste, de manière solennelle, fait campagne contre la guerre du Rif, ensuite de la guerre de Syrie.
Dans cette même réponse, Aragon va ajouter : « Mais permettez-moi, Messieurs, pour cette raison même, de vous reprocher d’avoir, dans un but sans doute politique, employé pour en appeler à tous, diverses expressions qui sont du langage nationaliste: indépendance, souveraineté nationale, droit imprescriptible des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il n’y a pas de peuples pour moi, à peine si j’entends ce mot au singulier. Enfin je n’admets pas que vous vous adressiez à ceux qui se disent, à quelque titre que ce soit, anciens combattants ; je tiens tout homme qui se pare d’un pareil nom pour un con ou un escroc.
Je suis, Messieurs, à vos côtés contre la patrie. » (ibid) Cette réponse engagée date du 15 juillet 1925, révèle un surréaliste sentencieux dans sa haine de la religion impérialiste, fondée par le système français. A notre avis, Aragon demeure le surréaliste le plus solidaire avec le peuple rifain.
Avec les autres surréalistes, Aragon est cosignataire du tract « La Révolution d’abord et toujours! ». Ses thèses sont à la fois celles d’un surréaliste et d’un activiste, elles essayent de « réfléchir » le monde : « Le monde est un entrecroisement de conflits (…) nous croyons à la fatalité d’une délivrance totale. Sous les coups de plus en plus durs qui lui sont assenés, il faudra bien que l’homme finisse par changer ses rapports. » (39) Il peut témoigner du début du siècle XX mouvementé, qui est une suite de conflits armés que l’impérialisme parsème à travers le monde. Cela s’explique toujours par le concept de la France, « Patrie absolue, jacobine au-delà de ses frontières géographiques » : « Plus encore que le patriotisme qui est une hystérie comme une autre, mais plus creuse et plus mortelle qu’une autre, ce qui nous répugne c’est l’idée de Patrie qui est vraiment le concept le plus bestial, le moins philosophique dans lequel on essaie de faire entrer notre esprit.
Nous sommes certainement des Barbares puisqu’une certaine forme de civilisation nous écœure. » (ibid.) L’écœurement du poète est incommensurable. L’esprit impérialiste prédomine, il tend à se propager en concepts faux et asservissants pour l’homme moderne. C’est pourquoi l’Histoire se trouve totalement altérée :  « Nous n’acceptons pas les lois de l’Économie ou de l’Échange, nous n’acceptons pas l’esclavage du Travail, et dans un domaine encore plus large nous nous déclarons en insurrection contre l’Histoire. L’Histoire est régie par des lois que la lâcheté des individus conditionne et nous ne sommes certes pas des humanitaires, à quelque degré que ce soit. » (ibid.) L’Ordre militaire se place alors au-dessus de toute autre considération : « En tant que, pour la plupart, mobilisables et destinés officiellement à revêtir l’abjecte capote bleu-horizon, nous repoussons énergiquement et de toutes manières pour l’avenir l’idée d’un assujettissement de cet ordre, étant donné que pour nous la France n’existe pas » (ibid.) Cette réflexion politique et philosophique emmène Aragon à renier l’idée de la « France » tant sacrée chez les hommes de droite.
b) Aragon et Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945), une vision anarchiste
Avec un long article intitulé « La véritable erreur des surréalistes » daté du premier août 1925,(40) Drieu la Rochelle réagit, dans la « Nouvelle Revue Française », à la « Lettre ouverte à M. Paul Claudel ». L’auteur reproche aux surréalistes leur parti pris aux côtés des autochtones marocains, et de s’énoncer sur un problème politique, la guerre du Rif, et de se déclarer ouvertement communistes. Précisément, l’auteur de Drôle de voyage y souligne l’ambivalence des engagements politiques propres aux surréalistes.
Sous le titre « Correspondance », Drieu la Rochelle va également publier la réponse d’Aragon dans la même « Nouvelle Revue Française » en septembre. Il en résulte, à cet effet, la rupture définitive entre les deux amis. Dans la lettre d’Aragon, on lit entre autres : « comme tu as peur d’être dupe: ça pourrait ne pas être parisien le mot République que tu me reproches, parce que je ne t’ai jamais caché, tant pis pour le ridicule, que j’étais prêt à mourir pour ce mot-là. (..) Je ne veux pas te répondre que je n’ai pas crié : Vive Lénine! Je le braillerai demain, puisqu’on m’interdit ce cri, qui après tout salue le génie et le sacrifice d’une vie; tes coquetteries à Maurras me semblent plus intéressées. Vive Lénine, Drieu, quand je te vois ainsi te complaire à ce vague intellectuel, à cet esprit de compromission où pas une idée ne tient, pas un critérium moral » (41) Anticonformiste invétéré et convaincu apparaît le marxiste Aragon. Il s’enorgueillit du léninisme, et attaque l’éloge de Drieu la Rochelle du néo-monarchiste Charles Maurras (168-1952) (fondateur de « L’Action Française ») qui est fort connu pour sa phrase : « L’individu ne doit pas primer l’Etat »… Aragon va encore approfondir sa critique de « L’Action Française » en les qualifiant de « crapules ». « Regarde, encore une fois mon ami, avec quelles gens tu te ligues, dans le sens de quelles gens tu abondes [= les gens de l’Action Française]. [...] Eh bien, va, mon garçon, puisque tu leur as fait risette, voilà leur appeau, et à demi-voix ils te laissent entendre ce qu’ils diront de toi si tu résistes. Tu sais de reste que je tiens les gens d’Action Française pour des crapules. » (42) Il découvre un jeune Drieu naïf dans ses positions politiques. Il va annoncer la fin douloureuse de leur amitié : « Il me faut aujourd’hui ce ton pour te parler ce langage. Mais es-tu bien celui qui était mon ami? Celui-ci était un homme triste, qui n’avait pas d’espoir, qui rongeait sa vie comme un frein, un homme irrésolu. (…) Si un instant j’essaye de m’élever à cette notion, Dieu, je me révolte qu’elle puisse en aucun cas servir d’argument à un homme. Tu n’es qu’un homme comme les autres, et pitoyable, et peu fait pour montrer leur chemin aux hommes, un homme perdu, et que je perds. Tu t’en vas, tu t’effaces. Il n’y a plus personne au lointain, et, tu l’as bien voulu, ombre, va-t’en, adieu. » (ibid.) Cette rupture sera irréversible, voilà l’homme d’action qu’est Louis Aragon.
c) Aragon et René Crevel (1900-1935), une vision conquérante:
Le jeune écrivain René Crevel interpelle à l’action anticapitaliste: «Le capitalisme ne se suicide pas, on le suicide, et pas en soufflant dessus. » (Les Pieds dans le plat) De fait, il tend dans ses écrits à articuler le marxisme à la psychanalyse. Il appellera également à la critique de l’impérialisme : « Parce que la guerre sévit à l’état endémique aux colonies, dès que le colonisateur se livre en tel point, tel jour, un peu plus férocement qu’ailleurs, que d’habitude, à son activité massacreuse, il est parlé de pacification. Ainsi est-il reconnu par l’impérialisme lui-même, que sa paix ne s’oppose point à sa guerre. Guerre et paix impérialistes se confondent. Front unique contre leur bloc. Front unique pour transformer la guerre impérialiste en guerre civile. » (Les Pieds dans le plat) L’impérialisme français ne peut-il être massacreur au Rif ? Qu’entend-il l’auteur par « transformer la guerre impérialiste en guerre civile » ? Est-ce la lutte des classes ou celle des pays ? Aucune précision propre à la guerre du Rif n’y est insérée… 
Bien que René Crevel rencontre André Breton en 1921, il préfère la compagnie des dadaïstes. Il est le surréaliste qui va travailler le plus pour le rapprochement entre communistes et surréalistes. Le pape surréaliste reproche à ce jeune écrivain son caractère mondain, et relativement son homosexualité… Ainsi, le 6 juillet 1923, Paul Eluard va gifler Crevel pour avoir osé interprété dans une pièce dadaïste (précisément L’Œil de Tzara)…
Le 3 juillet 1925, Crevel va contresigner l’appel d’Henri Barbusse contre la guerre du Maroc. Cette opposition va étonner son groupe. En conséquence le 19 octobre 1925, le comité né de la réunion des revues « Clarté », « La Révolution surréaliste », et « Philosophies »  décidera que Crevel « ne fait et ne fera pas partie du groupement ». En revanche, l’auteur de « Mon Corps et moi » va écrire un article, datant de janvier 1926, où il dit sa pleine foi et son attachement au surréalisme.
En 1932, Breton, René Char, Éluard et Crevel adhérent dans l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR), proche du parti communiste. En ayant toujours une dent contre Aragon, Crevel va signer en 1933 le tract « Paillasse » contre l’auteur du Paysan de Paris. Mi-juin 1935, ses malheurs vont se multiplier : sa tuberculose atteint ses reins, l’organisation du Congrès international pour la défense de la culture des 21-25 juin suscité par l’AEAR, est un fiasco personnel. En tant que surréaliste, on lui interdit de prendre la parole à la tribune à cause de Breton. Ce dernier a giflé Ilya Ehrenbourg lors de la préparation du Congrès, et cette interdiction va signifier une punition à tous les surréalistes.
En 1935, dans la nuit du 17 au 18 juin, Crevel se suicide au gaz dans son appartement.
3) Raymond Queneau (1903-1976), une vision ambiguë
Raymond Queneau demeure le seul écrivain surréaliste qui a pris part à la guerre du Rif, et cette marque autobiographique est présente dans les deux romans : Zazie dans le métro (récit pour enfants) et Odile (récit narrant ses aventures avec ses amis surréalistes). En effet, en 1925, Raymond Queneau fait le service militaire dans les Zouaves, et part en guerre en Algérie, puis au Maroc. De cette expérience dans l’armée nord-africaine, nous avons : « -(…) Ah ! ça, m’étonne pas… un provincial… Au lieu de venir encombrer les rues de Paris, vous feriez mieux d’aller garder vozouazévovos. » ((Zazie dans le métro, Gallimard, 1959, p.116) Certes, le jeune français était un fantassin, bien distinct des tirailleurs indigènes. Seulement, l’expérience rifaine va le marquer profondément : « -(…) Vous êtes pas content avec ça ? Eh bien, allez vous faire voir par les Marocains. » (p.139) Cet ensemble de passages résonnent comme des souvenances de l’auteur de ce passé récent, mais tant douloureux. Nous lisons dans Odile, (Gallimard, 1937), « Sarrasins de Corinthe » sous forme de jeu de mots avec (Sarrasins - raisins de Corinthe) où se cache une souvenance de « mauvaise conscience » du séjour militaire dans le Rif qui apparaît fugitivement, à un autre moment, plus explicitement : « Les Chleuhs soumis vendaient des raisins secs ». Cette fois, ce ne sont pas des Orientaux (Charqiyin : Sarrasins), mais des Chleuhs (c’est-à-dire des Imazighen) ! A un autre moment, ce sont des Arabes : « les Arabes qui proposent des montres » (Zazie, p.47)
Pourtant, les critiques et les biographes de Queneau passent sous silence sa collaboration à la guerre du Maroc. « -(…) J’en arrive donc maintenant à mon service militaire sur lequel je n’insisterai pas. Célibataire depuis mon plus jeune âge, la vie m’a fait ce que je suis. » (p.165) Est-ce là une autocritique ? Les historiens et les critiques sont unanimes : il ne participe pas à de réels combats. L’on lit son humour noir : « -Eh bien moi, (…) la guerre j’ai pas eu à m’en féliciter. » (p.38) Il s’agit d’une mésaventure, et le remord en dépend solidement. Dans l’incipit d’Odile, la guerre du Rif est qualifiée d’absurde, le motif de la boue y apparaît pour en apporter l’analogie parfaite. De même, cette fange est liée à l’enfoncement dans une guerre absurde, en l’occurrence celle du Rif : « la boue glue sous mes brodequins » (p. 7), mais aussi à une naissance et une vision des origines : « naître ainsi à vingt et un ans, les pieds dans la boue, des mares autour de soi, et au-dessus, des nuages vaincus naviguent sur leur fin » (ibid.) Il s’agit bien de l’auteur, à cet âge précis (21 ans en 1925). En outre, la boue est liée à l’image récurrente du sage contemplatif, mystère d’ataraxie dans l’agitation belliqueuse : « Devant moi, un Arabe immobile regarde la campagne et le ciel, poète, philosophe, noble » (ibid.). Michel Lécureur (43) donne une date à cette « vision » : fin novembre-début décembre 1925, à Batna, où il va entamer la découverte de l’Afrique du nord. Arabe ou Berbère, pas de distinction pour l’écrivain français qui « méprise » les appartenances linguistiques. (44) De même, il est pour la fortification de quelques-unes aux dépens des langues qui doivent disparaître… (45)
Nous apprenons aussi qu’à son retour du régiment en mars 1927, il est sans emploi. Cette situation ressemble à un autre passage de Zazie dans le métro : « -(…) Au lieu de venir encombrer les rues de Paris, vous feriez mieux d’aller garder vozouzévovos. » (p.112) Un regret inexplicable, et fort intéressant d’étudier.
Ainsi, en 1928, employé de banque, Queneau rejoint le groupe surréaliste dissident (Prévert, Duhamel, Tanguy ) qui se réunit à la rue du Château, opposés tous aux autres surréalistes qui défendent la cause du Rif.

EN CONCLUSION…
Grâce à ce chapitre précis dans l’histoire de la littérature française, l’on apprend une chose intéressante : se méfier de l’histoire et l’interroger sont les majeurs soins qu’il faut apporter à ce passé « lu et déchiffré » afin de comprendre le présent « fixé » au Maghreb.
Certes, les surréalistes n’étaient partants que pour une révolution esthétique et morale. Mais avec un tel événement international, le surréalisme offre un nouvel engagement dans ce monde. Son premier combat politique est la guerre du Rif. Abdelkrim signifiait alors l’expression d’une minorité nationale ou un chef nationalitaire (pas nationaliste). De même, les surréalistes n’ont-ils salué dans la guerre du Maroc que cette instauration de république ?
Les surréalistes sont à voir comme des objecteurs de conscience. Cette guerre véhiculait ce qu’on pourrait appeler l’annulation du « disbelief », c’est-à-dire la foi « par négation ». Pourquoi leur positionnement politique ne dépasse-t-il pas l’action vers la création dans le cas des surréalistes en face de la cause du Rif ? Car, probablement, ils n’ont pas vécu l’expérience : écrire et vivre (art et vie) sont deux moments inséparables. En conséquence, cette distance poétique signifie non partage de l’expérience humaine. Si leurs convictions étaient sincères, pourquoi leur poésie ne les incarne-t-elle pas ? L’explicite serait l’action immédiate, l’implicite est à décortiquer de leurs textes qui parlent « vaguement » de la violence impérialiste… L’appréhension surréaliste peut-elle, à elle seule, éradiquer le danger imminent de la guerre du Rif ?
Souvent appelés « révolutionnaires de salon », les surréalistes parlent mais sans vraiment agir… Y a-t-il un seul surréaliste qui est parti participer à la guerre du Rif aux côtés des « autochtones » ? Comme cela était le cas dans la guerre espagnole. Le conflit nord-africain anticipe leur vision de la guerre civile espagnole et de la Seconde Guerre… Que disent les surréalistes de l’après-guerre du Maroc ? Chez l’intelligentsia occidentale se manifeste une « hypocrisie certaine » qui défendait dans les paroles la cause du Rif, mais dans les faits il y avait une autre position.
En définitive, d’autres questions s’imposent :
─ L’intérêt de Breton ressenti vis-à-vis de la révolution rifaine peut-il se réduire à cet intérêt des surréalistes pour les arts primitifs et l’ethnographie ? Non, mille fois non…
─ Une autre interrogation : n’y a-t-il pas un phénomène surréaliste inhérent à la guerre rifaine? Il s’agit d’une interrogation difficile à cerner dans sa totalité. Dans la guerre du Rif, à l’instar de l’écriture surréaliste où le simple et le complexe, le communicable et l’incommunicable,  le conscient et l’inconscient cessent d’être contradictoires, nous trouvons alors la coexistence du possible avec l’impossible dans la grande révolution du génie Abdelkrim.
Enfin, ce qu’il faut garder de cette guerre du Rif, au milieu des années 20 si obscures et si fatidiques par la suite, c’est qu’Abdelkrim démontre brutalement le rêve « impossible » des peuples colonisés d’accéder à l’indépendance.

NOTES :
(1) Par ailleurs, qu’est-ce que le surréalisme ? En tant que mouvement historique et intellectuel du siècle, le surréalisme représente une grande étape dans la civilisation occidentale, même universelle. Il n’est pas seulement propre au vingtième siècle, ses semailles se trouvent dans les écrits de Gérard de Nerval (cf. Les Filles du feu) et de Dostoïevski (cf. L’Idiot), voire dans les textes du Romantisme, qui affranchissent totalement l’imagination, dans les discours de la Révolution française, et son lieu de naissance, tout court, reste Paris. Pour Breton, des écrivains comme Dante et Shakespeare sont également à lire comme des surréalistes. A ce titre et à tous égards, est écrivain surréaliste tout intellectuel qui remet en question l’ordre établi, explore systématiquement les tréfonds de l’inconscient, forge des images en tant que réalisations spontanées et assemble deux entités contradictoires dans une même structure.
Il est important de souligner qu’il n’existe pas un surréalisme unique ; nous découvrons les groupes d’André Breton, d’Ivan Goll et de Morhange. Chaque groupe revendique le leadership et prétend être le représentant parfait de cette tendance.
Suivant les historiens de l’art, la définition du surréalisme se précise surtout dans Manifestes du surréalisme : «Le surréalisme: nom masculin.  Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » (André BRETON, Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, 1929, p. 37)
Par ce procédé, l’écrivain essaie d’affranchir le langage de la pensée humaine. Au fur et à mesure que la création avance librement, la conscience se libère. Qu’est-ce qu’alors que l’écriture automatique ? Cette pratique scripturale, selon les thèses surréalistes, consiste en un temps passif de création où le contrôle du “créé” se trouve banni ; seule la pensée intime et inconsciente affranchit l’être profond de l’écrivain. Ainsi la connaissance et la création se manifestent-elles simultanément en un tout indivisible.
(2) Janine Buenzod, « Sur le fil du rasoir: les intellectuels français et le défi allemand (le problème du pacifisme et la mobilisation contre le nazisme) », in La paix et la guerre dans les lettres françaises de la guerre du Rif à la guerre d’Espagne (1925-1929), Actes du Colloque Universitaire International tenu au C.N.R.S. de Meudon-Bellevue et à l’U.E.R. des Lettres et Sciences humaines de Reims (17-19 mars 1983), Presses universitaires de Reims 1983, p. 89-97.
(3) Revue française dont douze numéros parue entre 1924 et 1929. Elle défend une nouvelle Déclaration des droits de l’homme. Du numéro 1 au trois, dirigée par Pierre Naville et Benjamin Péret, elle défend les thèses psychanalytiques. Du numéro 4 au 12, la revue est dirigée par André Breton ; elle défendra les thèses marxistes, notamment les luttes de classe. Le numéro 5 contient un manifeste « La Révolution d’abord et toujours », et le numéro 8 développe l’engagement politique (« Légitime Défense »). Cette publication voit dans la guerre du Rif la naissance du prolétariat.
(4) M.G. Maura, député aux Cortès, dans un livre fameux affirme : « si la côte berbère du Rif doit être à nous, un jour, nous devons auparavant en expulser ses habitants actuels. »  (J. Roger-Mathieu, Mémoires d’Abdelkrim, Librairie des Champs Elysées, Paris, 1927, p.11)
(5) A propos des communistes, J. Roger-Mathieu avancera de par ses conversations avec les Abdelkrim : «  -Durant ton séjour à Paris, n’as-tu point vu le député communiste Berton ?
-«  Oui, j’ai causé (c’est M’hammed qui parle) quelques minutes avec lui. Cela s’est passé au café Mayeux boulevard Saint-Michel.
-« Peux-tu me dire ce qu’a été cette conversation ?
-« Crois-moi, elle a été d’un bien mince intérêt et vous avez tous eu bien tort d’en exagérer l’importance. Au surplus, je ne l’ai jamais revu, et c’est en pure perte qu’il a téléphoné au Terminus pour avoir de nouveaux entretiens avec moi. Va, j’ai eu d’autres conversations, et nombreuses, avec des gens qui n’étaient pas communistes ! » (Mémoires d’Abdelkrim, pp.115-116)
(6) Le surréalisme, en général, nourrit des thèses contre la civilisation occidentale tout entière, il exalte le besoin « d’une liberté calquée sur (les) nécessités spirituelles les plus profondes, sur les exigences les plus strictes et les plus humaines (des) chairs ».
(7) La pensée humaine sévira de ces horreurs ; l’homme et l’humain seront sacrifiés. Ce qui se traduira au niveau de la construction de la fiction par l’absence d’une organisation interne forte et cohérente, par la mort du personnage, par la dissolution de l’histoire. L’affranchissement est total au sein de cette structuration de l’imaginaire. Si l’homme est incapable de maîtriser l’univers, si l’écrivain se sent incapable de changer le cours de l’Histoire, si l’auteur méconnaît complètement les fins de son projet, le narrateur est dépassé par les événements de son récit, il ne se montre guère maître de la fiction.
Ce statu quo de la civilisation occidentale génère un flux important de mouvements culturels. Le modernisme en est un et des plus célèbres pour son pessimisme, et pour son dégagement vis-à-vis de cette société en ébullition, sur le point du chaos final.
(8) Jon Silkin (ed.), First World War Poetry, Penguin Books, London, 1981, p.15.
(9) Hubert Louis LYAUTEY (1854-1934) : Officier français, il sert au haut Tonkin, puis à Madagascar où il eut une grande expérience avec les questions coloniales. Il devient à la fin de sa carrière résident général au Maroc de 1912 à 1925. Ensuite devenu maréchal de France, il se consacre à la préparation de l’Exposition coloniale internationale de Paris, dont il est commissaire général.
(10) Citons quelques passages des Mémoires d’Abdelkrim :
-« Etant donné que nous savions que l’Etat français est l’ami de l’Islam et des Musulmans, qu’il est le centre de la civilisation, de la culture et de la justice, qu’il accorde son appui aux faibles et travaille au bonheur de l’humanité, nous avions toujours compté sur son appui moral en ce qui concernait notre situation. » (p.220)
-« Nous avons beaucoup regretté le malentendu » (p.220) La guerre est définie comme un malentendu !
-« Oui, c’est malgré tous les événements et les malentendus passés que nous nous sommes ancrés dans notre décision de nous mettre sous la protection de cette grande puissance européenne et islamique qu’est la France. » (p.221)
(11) J. Roger-Mathieu, Mémoires d’Abdelkrim, Librairie des Champs Elysées, Paris, 1927, p.27
(12) C.R. Pennell, La guerra del Rif, La Biblioteca de Melilla, 2001, pp.257-258.
Cet accord de guerre afin de résoudre le problème rifain stipule :
-Interdire le trafic d’armes en direction de la République du Rif ;
-les conditions pour un possible traité de paix avec Abdelkrim suivant lequel l’autonomie « compatible aux accords internationaux » serait réservée ;
-En contrepartie les rifains se retirent de la zone française et laissent aux Espagnols libre accès à la baie d’Alhucemas et ses environs ;
-libérer tous les prisonniers et il y aura une force d’ordre autochtone qui contrôlerait les armes et les munitions.
Ces conditions de l’accord possible furent transmises à Abdelkrim le 21 juillet 1925 par le millionnaire Horacio Echevarrrieta.
Puis, mi-août, le millionnaire basque fut encore envoyé à Ajdir.
(13) Philippe PÉTAIN (1856-1951) : Officier français, il est connu comme le vainqueur de Verdun (1917). Il est envoyé en mission au Maroc en 1925, pour succéder à Lyautey et prendre la direction des troupes françaises au moment de la guerre du Rif. Sous son commandement, l’armée française écrase les troupes d’Abd el-Krim. En 1940, il est investi des pleins pouvoirs, devient chef de l’État français et signe l’armistice avec l’Allemagne, avec laquelle il engage une politique de collaboration.
(14) C.R. Pennell, La guerra del Rif, La Biblioteca de Melilla, 2001, p.261.
(15) J. Roger-Mathieu, Mémoires d’Abdelkrim, Librairie des Champs Elysées, Paris, 1927, pp.40-41
(16) Marcel Fourier in « Révolution surréaliste », 15 juin 1926.
(17) Cartel des gauches : groupe politique constitué en 1924 pour contrecarrer politiquement aux conservateurs et aux modérés du Bloc national. Ce Cartel regroupe la gauche radicale (radicaux et radicaux-socialistes), les républicains socialistes et les socialistes (SFIO). Il arrive au pouvoir en mai 1924, cette victoire amène au pouvoir le président Gaston Doumergue et la formation d’un gouvernement radical-socialiste.
Le mathématicien Paul Painlevé (1863-1933) devient ministre de la Guerre de 1925 à 1929. A son propos, J. Roger-Mathieu prétend entendre M’hammed Abdelkrim confesser que lors de son séjour à Paris : « Seul, M. Painlevé daigna nous recevoir et nous promettre de prêter une bienveillante attention à la cause du Rif » (p.115) !
(18) « Paroles d’action » (Colin éditeur), p.421 et p.427, cité dans Robert Garric, Le message de Lyautey, Editions Spes, Paris, 1935, pp.13-14)
Dans ce texte qui parle du Maréchal, l’auteur ne réserve pas une seule phrase à la guerre du Rif.
(19) André Maurois, Lyautey, Plon, Paris, 1931, p.256.
(20) J. Roger-Mathieu, Mémoires d’Abdelkrim, Librairie des Champs Elysées, Paris, 1927, p.13.
(21) J. Roger-Mathieu, Mémoires d’Abdelkrim, Librairie des Champs Elysées, Paris, 1927, p.22.
(22) L’Humanité, 22 mai 2004, « 1919-1926 : la guerre du Rif » Entretien avec René Gallissot, réalisé par Lucien Degoy.
(23) Revue politique et culturelle éditée à Paris entre octobre 1919 et décembre 1927. Les directeurs sont : Henri Barbusse (1919-1924), Jean Bernier (1924-1925) et M. Fourrier et P. Naville.
D’influence communiste, la revue défend des positions internationalistes et humanistes et évolue vers le trotskisme.
En 1925, la publication s’approche des idéaux surréalistes, et elle fait connaître les écrivains soviétiques en Europe.
(24) Victor Crastre, Le Drame du surréalisme, Editions du Temps, coll. « Les Documents du Temps », 1963, p. 51.
(25) Henri Barbusse (1873-1935), écrivain français, auteur d’un roman sur la Première Guerre : Le Feu (1916, Prix Goncourt), et d’un récit sur la Révolution russe : Le couteau entre les dents (1921). Il écrit la biographie de Staline. Il adhère au parti communiste français en 1923 et collabore à la revue « Clarté » où il défend la « littérature prolétarienne »
(26) A ce propos, J. Roger-Mathieu, journaliste du « Matin » français, et un fin collaborateur des forces françaises en Afrique du nord, dira des deux frères Abdelkrim : « L’un et l’autre, avec une dignité courtoise et une parfaite sincérité, se plièrent à mes questions les plus précises, devançant parfois ma pensée, au gré de ce besoin des disgressions (sic) si ordinaire aux Orientaux, mais toujours prêts à revenir sur les faits pour en bien définir le sens et la véracité historique. » (pp.53-54)
Ensuite, il dira : « Abd-el-Krim comprend le français. Il ne le parle point. A chacune de mes interrogations, il répondait dans sa langue maternelle. Son frère et conseiller, Si M’hammed traduisait. » (p.54)
Un peu plus loin : « Il parle toujours en arabe » (p.71)
Sur la descendance d’Abdelkrim, nous lisons : « Nous sommes les descendants directs des Oulad Si Mohammed ben Abd-el-Krim, originaires du Hedjaz, précisément de Yambo, sur les bords de la mer Rouge. Notre aïeul Zarra de Yambo. » (p.55)
Et René Gallissot dira dans un entretien : « il ne revendique pas l’empire des chérifs qui prétendent descendre de la famille du Prophète » (cf. L’Humanité, 22 mai 2004, « 1919-1926 : la guerre du Rif » Entretien avec René Gallissot).
(27) André Breton, Manifestes surréalistes, Gallimard, coll. Idées, p.27.
Nous lisons : « Pour aujourd’hui je pense à un château dont la moitié n’est pas forcément en ruine; ce château m’appartient. [...] Quelques-uns de mes amis y sont installés à demeure : voici Louis Aragon qui part ; il n’a que le temps de vous saluer ; Philippe Soupault se lève avec les étoiles et Paul Eluard, notre grand Eluard, n’est pas encore rentré. Voici Robert Desnos et Roger Vitrac, qui déchiffrent dans le parc un vieil édit sur le duel ; Georges Auric, Jean Paulhan ; Max Morise, qui rame si bien, et Benjamin Péret dans ses équations d’oiseaux [...]. Francis Picabia vient nous voir et, la semaine dernière, dans la galerie des glaces, on a reçu un nommé Marcel Duchamp qu’on ne connaissait pas encore. Picasso chasse dans les environs. »
(28) Elaboré dans la fin de juillet 1925, tiré en août à quatre mille exemplaires, il fut largement diffusé. Notons également que Breton, ultérieurement, verra ce texte comme une création « idéologiquement assez confuse », (André Breton, Qu’est-ce que le surréalisme ?, R. Henriquez édit., Bruxelles, 1934).
(29) Zakya DAOUD, Abdelkrim, une épopée d’or et de sang, Paris, Séguier, col. Les Colonnes d’Hercule, 1999, p.276.
(30) Témoignage de Leiris dans le film de Bernard Monsigny : « Michel Leiris, souvenirs Soupault », 1990.
(31) Michel Leiris, L’âge d’homme, 1939, Gallimard, Folio, p. 192.
(32) « Revue européenne », n°28, juin 1925, pp.71-72.
(33) Pierre DUMAS, Abdelkrim, Toulouse, Edition du Bon Plaisir, 1927.
(34) L’œuvre de Breton ne développe qu’une seule vision surréaliste. Les aspects du surréalisme se manifestent dans l’emploi que fait l’auteur de l’univers onirique, dans la confection des néologismes, dans le régime syntaxique des longs soliloques, dans l’affranchissement des personnages lors de leurs déambulations infinies.
(35) André Breton, Qu’est-ce que le surréalisme, René Henriquez édit., Bruxelles, 1934.
(36) Louis Aragon, « Les contes de quarante années », O.R.C., tome 4, p. 13; M. Bonnet, «Pléiade» / Breton 1, p. LI.
(37) J. Pierre (éd.), Tracts surréalistes et déclarations collectives 1922-1939, tome 1, p. 50.
(38) ibid, p. 395.
(39) cf. « Clarté », no 77, p. 301-302.
Notons aussi que d’autres publications de ce tract suivront dans « L’Humanité » du 21 septembre 1925, dans « La Révolution surréaliste », numéro 5 du 15.10.1925
(40) Pierre Drieu la Rochelle, Sur les écrivains, Paris: Gallimard, 1964, p. 45-49.
On trouve le texte également dans L’Esprit : « NRF 1908-1940 », édité par Pierre Hebay, Paris: Gallimard, 1990, p. 517-521.
(41) Louis Aragon, « Correspondance », Nouvelle Revue Française, numéro 144, 01 septembre 1925.
Première réimpression de cette lettre importante d’Aragon dans Chroniques I, pp.242-246.
(42) J. Pierre (éd.), Tracts surréalistes et déclarations collectives 1922-1939, Tome I, p. 54-56, 398-401.
(43) Michel Lécureur, Raymond Queneau, Les Belles Lettres, Archimbaud, Paris, 2002, p. 84-85.
(44) Raymond Queneau, Bâtons, chiffres et Lettres, Gallimard, 1965, p.165.
« Il faut utiliser les trois ou quatre grandes langues de culture –la connaissance de ces trois ou quatre langues tant bien en deçà des possibilités humaines. De plus, les échanges intellectuels, la marche générale d’un type de culture entraînent des transformations grammaticales parallèles, tout en permettant la vitalité des langues des petits groupements. » (p.165)
(45) ibid, p.165.
nn « Le sort d’une langue ne dépend pas seulement de ses qualités propres (qu’on ne découvre, en général, qu’ « après coup »), il est aussi fonction du nombre des individus qui l’utilisent avec efficacité. Il y a un drame des idiomes à portée restreinte. Ce drame devient une sorte de tragédie lorsque, pour des motifs raciaux et politiques, on oblige toute une population à réapprendre une langue oubliée (et d’un maniement particulièrement difficile) comme cela s’est fait en Irlande. » (p.165)
 

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