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Congrès Mondial Amazigh Lettre au roi du Maroc
Sa Majesté Mohamed VI, Roi du Maroc Palais Royal Rabat, Maroc Majesté, Cette lettre a pour objet de vous alerter sur les poursuites judiciaires, les condamnations et les détentions arbitraires infligées à Chakib El-Kheyari, militant des droits de l’homme et aux jeunes membres du mouvement culturel amazigh à Meknès, Imteghren (Errachidia) et à Taghjijt. Chakib El-Kheyari, Président de l’association Rif des droits de l’homme et membre du Conseil Fédéral du Congrès Mondial Amazigh (CMA), a été arrêté par la police marocaine le 18/02/2009 à son domicile à Nador puis condamné le 24/06/2009 par le juge du tribunal de première instance de Casablanca à une peine de 3 ans de prison ferme et 753930 DH (soit 68000 €) d’amende pour les motifs suivants : - «outrage envers les corps constitués», parce qu’il a dénoncé publiquement le trafic de drogue et la corruption dans lesquels seraient impliqués de hauts responsables de la police, de la gendarmerie, de l’armée et de l’administration ; - perception «de sommes d’argent de parties étrangères pour mener une campagne médiatique visant à nuire et à discréditer les efforts déployés par les autorités marocaines dans la lutte contre le trafic de drogue». Pourtant, en tant que défenseur des droits de l’homme, Chakib El-Kheyari n’a fait que son devoir d’attirer l’attention de toutes les parties concernées, sur les graves manquements des services de l’Etat chargés de la lutte contre la corruption et le commerce illégal de la résine de cannabis. En même temps, il n’a cessé d’alerter l’opinion publique sur l’état de grande pauvreté dans lequel sont maintenus les paysans rifains et de plaider courageusement en faveur de la légalisation de la production de cannabis au Maroc ; - «infraction au code des changes et dépôt de fonds dans une banque étrangère sans l’autorisation de l’Office des changes». En fait, Chakib El-Kheyari a ouvert un compte bancaire à Melilla dans lequel il possédait 225 Euros au moment de son arrestation, provenant de la rémunération d’un article qu’il a rédigé pour le journal espagnol «El-Pais». Sur le plan juridique, Chakib El-Kheyari a été condamné en vertu de l’article 265 du code pénal qui prévoit que «l'outrage envers les corps constitués est puni conformément aux dispositions de l'article 263» du même code. Celui-ci stipule que «est puni de l'emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 250 à 5.000 dirhams, quiconque, dans l'intention de porter atteinte à leur honneur, leur délicatesse ou au respect dû à leur autorité, outrage dans l'exercice de leurs fonctions ou à l'occasion de cet exercice, un magistrat, un fonctionnaire public, un commandant ou agent de la force publique, soit par paroles, gestes, menaces, envoi ou remise d'objet quelconque, soit par écrit ou dessin non rendus publics». Or, Chakib El-Kheyari n’a fait que dire à voix haute ce qui est de notoriété publique au Maroc. Pour preuve, les autorités marocaines ont procédé au début de l’année 2009, à l’arrestation d’une centaine de personnes qui seraient impliquées dans le trafic de drogue, dont les 2/3 seraient des membres des services de sécurité de l’Etat. Ce coup de filet accrédite donc parfaitement les affirmations du Président de l’association Rif des droits de l’homme et montre que ceux qui nuisent à l’image du Maroc, ce ne sont point les militants qui luttent pour l’état de droit, mais bien les personnels de l’Etat impliqués dans les affaires illégales. Concernant la prétendue infraction au code des changes, le juge s’est appuyé sur le Dahir (loi) du 30/08/1949 relatif à la répression des infractions à la réglementation des changes, qui prévoit que «les infractions ou tentatives d'infraction à la réglementation des changes sont punies d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de 50000 francs à 100 millions de francs». Mais le Dahir du 17/10/1959 (n° 1-59-358) relatif aux avoirs à l’étranger ou en monnaies étrangères, indique dans son article 9 que «lorsque les biens et avoirs à déclarer par une même personne ne dépassent pas au total une valeur de vingt-cinq mille (25000) francs, leur propriétaire est dispensé de l'obligation de déclaration». Or la somme de 225 Euros que possède Chakib El-Kheyari sur son compte bancaire à Melilla, est largement inférieure au seuil de déclaration fixé par la loi. De plus, la Circulaire n° 1606 du 21/09/1993 de l’Office des Changes prévoit que «l'importation de devises par les marocains résidents est libre et n'est soumise ni à déclaration auprès des services douaniers, ni à la justification à ces derniers de l'origine des fonds». Il est donc pour le moins arbitraire que le tribunal de Casablanca n’ait tenu compte que du texte datant de la période coloniale, ignorant la législation plus récente, comme l’ont d’ailleurs signalé les avocats de la défense dans leurs plaidoiries. Chakib El-Kheyari n’a donc commis aucune infraction à la réglementation marocaine sur les changes, et les atteintes à la crédibilité du Maroc sont plutôt dues aux violations des droits humains et des libertés fondamentales, à la corruption qui gangrène les institutions de l’Etat et au caractère véreux de certains responsables chargés de la lutte contre le trafic de drogue. Rejetant ce jugement inique, Chakib El-Kheyari a naturellement saisi son droit de faire appel. Mais la Cour d’Appel de Casablanca a confirmé le 24/11/2009, la condamnation du premier jugement, ne tenant compte ni des arguments des avocats de la défense ni des irrégularités de procédure dûment constatées. Parmi celles-ci, on peut citer l’absence de traducteur assermenté pour des textes écrits en espagnol, l’absence de plaignant dans l’affaire de «diffamation», etc. La peine infligée à Chakib est juridiquement injustifiée et dans tous les cas, largement disproportionnée. Elle ne vise rien d’autre qu’à sanctionner un infatigable défenseur des droits humains, à restreindre la liberté d’expression et d’opinion et à intimider l’ensemble des acteurs de la société civile. Cela est contraire aux dispositions des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme ratifiés par le Maroc et en particulier, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, comme l’ont souligné un certain nombre d’ONG (Amnesty International, Human Rights Watch, FIDH, IFEX, CERAI, Encod, APMM). De la même manière et après une procédure qui a duré plus de deux ans, la Cour d’Appel de Meknès a confirmé le 26/11/2009, la lourde condamnation des étudiants Mustapha Oussaya et Hamid Ouadouch, à 10 ans de prison ferme et 100000 Dirhams d’amende. Sans preuves et sans respect des règles de la procédure (témoins non entendus, expertise peu crédible), il parait évident que le procès n’a pas été équitable. Convaincu de l'innocence des jeunes détenus Amazighs, le CMA est persuadé que ce procès est de nature politique et que les sanctions sont motivées uniquement par le fait que les jeunes condamnés sont des militants des droits du peuple Amazigh. Le 1 - 12 - 2009 dans le village de Taghjijt (sud Maroc), des étudiants organisent un sit-in afin d’attirer l’attention des autorités locales sur la précarité de leurs conditions de vie (absence de moyens de transport publics, cherté des livres, etc). Le Caid appelle les forces de l’ordre qui chargent violemment les jeunes manifestants. Plusieurs d’entre eux ont été arrêtés, insultés et frappés à coups de pied et de bâton par la police. Le 15/12/2009, le tribunal de Guelmim les a ensuite condamnés de manière tout à fait abusive, à diverses peines allant de 4 mois à un an de prison ferme. Le Congrès Mondial Amazigh dénonce cette répression aveugle comme seule réponse aux préoccupations des citoyens et réclame la libération immédiate et sans conditions de tous les détenus politiques Amazighs ainsi que la réparation par l'Etat marocain du préjudice matériel et moral qu’ils ont subi. Le Maroc ne peut pas avancer sur le chemin de la modernité en faisant taire les personnes qui agissent en faveur des droits, des libertés et de la démocratie. Il est nécessaire et urgent de mettre fin aux abus d’autorité et aux harcèlements policiers, judiciaires et administratifs exercés à l’encontre des citoyens en général et des défenseurs des droits humains en particulier. Veuillez agréer, Majesté, l’expression de notre considération distinguée. Paris, le 1 Yennayer 2960 – 12 janvier 2010 P/le bureau du CMA B. Lounes, Président Copie à: -Rapporteur Spécial des Nations Unies pour la protection des défenseurs des droits de l’homme -Rapporteur Spécial des Nations Unies pour les droits des peuples autochtones -Mme la Présidente de l’Instance Permanente des Nations Unies pour les droits des peuples autochtones -M. le Président du Comité des droits de l’homme des Nations Unies -Mme Catherine Ashton, Vice-Présidente de la Commission Européenne, responsable des relations extérieures de l’UE -M. Gabriele Albertini, Président de la Commission des Affaires Etrangères du Parlement Européen -Mme Heidi Hautala, Présidente de la Commission des droits de l’homme du Parlement Européen.
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