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Présence marocaine et
présence française
(D’après les indices de la CIU de Paris)
Par : Mohamed Elmedlaoui
«En ce jour, IX mai de l’an MCMXXIII, en présence de M. Léon
Bérard, ministre de l’instruction publique et des beaux arts et de plusieurs
autres personnages très notables, représentants qualifiés de plusieurs nations
(…), le présent parchemin a été déposé par M. le recteur Paul Appel, président
du Conseil de l’Université de Paris et par Monsieur Emile Deutsch de la Meurthe,
citoyen français.»
C’est là un extrait du texte du parchemin scellé le 9 mai 1923, à l’endroit qui
deviendrait par la suite la Cité Internationale Universitaire de Paris, dans «la
première pierre d’un groupe de construction destinées à pourvoir de logements
salubres et économiques à trois cent cinquante étudiants et étudiantes peu
fortunés». Il s’agit du groupe de logements de la Fondation Deutsch de la
Meurthe, actuellement et depuis plus d’un an en rénovation, dont l’angle
nord-west abrite ledit parchemin dont une copie du texte est gravée en bas
relief à l’entrée du bâtiment administratif sur le flanc nord de la tour à
horloge. Reconnaissant la générosité du mécène Emile Deutsch de la Meurthe, le
texte ajoute que «Cette fondation, créée par lui, est la première de celles qui
bientôt vont naître et vivre sur le même domaine, toutes destinées aux étudiants
et dues à l’initiative de personnes généreuses, françaises ou étrangères, amis
de la France. L’ensemble de ces établissements formera la Cité Universitaire,
bourgade d’étudiants située entre le parc Montsouris et un autre parc
spécialement aménagé pour eux par la sollicitude de la ville de Paris. Ainsi
aura été allumé un foyer de culture française et humaine où trois milles
étudiants venus de tous pays, pourvus de livres, de soleil et de plein air,
rapprochés dans une émulation affectueuse et faisant honneur à la plus vielle
université d’Europe, travailleront, de concert au perfectionnement harmonieux de
leurs esprits et de leur corps, au progrès de la science et à l’entente de leurs
nations».
Dans le cadre des initiatives généreuses, françaises et étrangères, dont parle
le texte ci-dessus, et grâce à un mode de présence marocaine dans le monde,
assurée malgré le protectorat ou grâce à lui, «une convention pour l’édification
de la Maison du Maroc au sein du parc de la Cité Internationale Universitaire de
Paris fut signée par le Gouvernement marocain le 4 juillet 1949. En octobre
1953, le pavillon du Maroc ouvrit ses portes aux étudiants». (http://www.ciup.fr/maroc.htm).
Aujourd’hui, sous un autre mode d’existence marocaine dans le monde, plus d’un
demi siècle après l’indépendance, les étudiant(e)s marocain(e)s, s’ils/elles
l’ont jamais fait pleinement un jour, ne peuvent plus participer à cet espace
académique ‘à la grecque’ où «pourvus de livres, de soleil et de plein air,
rapprochés dans une émulation affectueuse et faisant honneur à la plus vielle
université d’Europe, travailleront, de concert au perfectionnement harmonieux de
leurs esprits et de leur corps, au progrès de la science et à l’entente [des]
nations». Pour le faire il leur faudrait tout simplement, en plus d’un nouvel
esprit industrieux, entrepreneur et pas nécessairement uniquement revendicatif
et ‘militant’ dans tous les sens, disposer d’une Maison du Maroc à porte
ouverte, qui s’intègre pleinement, sur le plan gestionnaire, dans
l’environnement du système de valeurs qui émane du texte du parchemin qui gît au
fond de l’angle nord-west de la Fondation Deutsch de la Meurthe. Or, depuis 07
novembre 2001, et suite à un débarquement d’étudiants SDF marocains dans les
halls de cette maison le 3 septembre 2001 pour exiger un logement et auxquels
s’est jointe, par solidarité, une partie des résidents de la maison pour appuyer
le refus d’évacuer l’établissement pour cause de travaux de rénovation déjà
annoncés, le portail typiquement maure du n° 1, Boulevard Jourdan, aujourd’hui
entièrement enseveli dans la forêt des échafaudages du chantier du tramway de
Paris en cours de construction, a les deux battants scellés jour et nuit, avec
comme seule information un panneau de chantier à moitié (intentionnellement?)
caché par la tôle de clôture et où l’on ne peut lire que ceci «Travaux de
rénovation de la Maison du Maroc. Maître d’œuvre: Maison du Maroc. Diagnostic et
pré programme». Aucune autre précision.
Même le site du Réseau International des Anciens Résidents de la Cité
Universitaire de Paris (http://www.allianceinternationale.org/41ci.htm) avoue
n’en savoir rien: «Quelques maisons de la Cité se refont une beauté,
signale-t-il: la Maison des étudiants canadiens, la résidence André de Gouveia
et le pavillon Curie de la Fondation Deutsch de la Meurthe. Qu’en est-il de la
Maison du Maroc qui est fermée depuis belles lurettes et dont les travaux
semblent suspendus?».
Le site de la maison lui-même (http://www.ciup.fr/maroc.htm) précise que «En
application d’une décision Royale et suite à une étude-diagnostic ayant révélé
de nombreux dysfonctionnements, le Conseil d’Administration de la Maison a
ordonné la fermeture des locaux, le 21 septembre 2000. La vétusté des bâtiments
et la conception architecturale initiale s’avèraient, en effet, inadaptées aux
exigences de la création d’une structure d’accueil décente qui intègrerait les
avantages des technologies d’information et de communication modernes et serait
conforme aux normes d’hygiène et de sécurité en vigueur».
Un communiqué de la MAP datant de juillet 2002 précise à cet égard que «la
procédure d’expulsion requise par la Cour d’appel de Paris, a été rendue
effective ce mardi après l’arrêt prononcé par la 14e Chambre de la Cour d’appel,
le 5 juillet dernier, considérant que l’Etat chérifien a fait donation en 1949
de cette maison à l’Université de Paris et que cette occupation illégale
empêchait la cité internationale de développer l’esprit de compréhension, de
solidarité et d’amitié internationale et de coordonner l’activité des
différentes maisons, mandat général spécifié par la convention entre la cité et
la chancellerie des Universités de Paris. (…) Une fois réhabilitée, conclut le
communiqué, la Maison du Maroc accueillera, à sa réouverture, principalement des
étudiants et chercheurs marocains, et s’ouvrira davantage à des étudiants
d’autres nationalités, pour favoriser le rayonnement de la culture marocaine
dans la cité de Paris. Ce brassage reflète l’esprit et l’éthique des fondateurs
de la cité» (http://www.tinghir.org/article.php3?id_article=448).
Fini donc en tout cas, depuis plusieurs années, ce mode de présence ‘culturelle’
et ‘académique’ marocaine à Paname des lumières à travers lequel une catégorie
d’étudiants marocains «méprisés, réprimés, bafoués dans leurs droits au Maroc
[et] qui ont fui la misère, le chômage, le désespoir, espérant trouver une
meilleure vie en France» - selon les termes du diagnostic d’un communiqué
émanant à l’époque de la Jeunesse des Démocrates Marocains à l’Etranger (http://www.jdme.ras.eu.org/pdf/1-10-2001.pdf)
- s’acquittait de sa mission de rayonnement culturel et de travail «au progrès
de la science et à l’entente des nations» dans une esprit «d’émulation
affectueuse» en transformant la Maison du Maroc en une buvette qui assure à tout
passant, en une sorte de compétition avec la Mosquée de Paris, un service
permanant de thé marocain à la menthe; un service qui tourne dans certaines
occasions en un véritable commerce saisonnier forain où des groupes barbus ou
imberbes, selon les saisons idéologiques, débarquent et campent avec de
gigantesques bouilloires, des braseros portatifs et des cartons de sucres et de
menthes pour alimenter certaines caisses noires sur le fond cacophonique de tout
un souk de foyers de discours misérabilistes où l’esprit «d’émulation
affectueuse» et de «travail au progrès de la science et à l’entente des nations»
fait place à l’esprit du ‘Hrig’ et du clandestinisme comme mode et perspective
de vie de l’étudiant en promesse d’une ‘thèse’ pas comme les autres sur «L’ethno-socio-culturalité
microéconomique du Marocain à travers le lexique de poésie érotique d’un auteur
soufi anonyme du Moyen Age: approche multidimensionnelle et transdisciplinaire».
Fini également le temps où le népotisme makhzénien chez les responsable
administratifs, l’associativisme, le régionalisme, et le ‘partisanat’ de tout
acabit parmi les ‘comités de résidents’, faisaient, en une connivence
d’apparence conflictuelle, office de cadre gestionnaire de la présence marocaine
dans cet espace magnifique de jeunesse savante, créé par des esprits de l’ordre
d’André Honorat, Paul Appel, Deutsch de la Meurthe et autres, ‘présence’ dont
l’espace avait fini par tourner en un gîte aux ‘thésardataires’ à vie qui
finissent souvent par se déclarer exilés politiques, et en une auberge de vieux
pour toute une classe de missionnaires de conditions moyennes, quinquagénaires
et plus de différentes institutions marocaines, qui préfèrent faire l’économie
de leurs perdiem ou de leurs allocations forfaitaires pendant la durée de leurs
bourdonnements à Paname dans le cadre des échanges ethno-socio-culturels, et ce
afin de pouvoir passer au terme de leurs séjours non pas par la FNAC ou Gilbert
Jeune, mais par la Samaritaine ou juste par C&A avant de rentrer chez eux, dans
le bled, via les espaces ‘Dutty free’ des aéroports pour procéder enfin de
compte à l’ouverture solennelle des paquets en guise de justification d’absence
et de rapport de mission.
Mais toutes ces tares maintenant éliminées, faute de combattants et/ou de champ
de bataille, cela constituerait-il, à lui seul et en soi, l’idéal recherché? Et
la présence marocaine de l’après cinquantenaire de l’Indépendance, qu’en est-il
aujourd’hui dans cet espace cosmopolite savant de la CIUP, qui a l’air
actuellement de traverser une phase de grande mue sur le plan des échanges
ethniques et de civilisation depuis la chute du Mur de Berlin, l’extension de
l’Union Européenne et l’émergence en force de l’Asie d’Extrême Orient? Qu’en
est-il de cette présence marocaine dans une phase où les coordonnées de la
présence culturelle française elle-même semblent être en cours de redéfinition
par les Français eux-mêmes sur les latitudes et les longitudes du globe
mondialisé, au moment même de la célébration d’un autre cinquantenaire de l’une
des institutions de cette présence culturelle française, celui des CROUS
(Centres Régionaux des Œuvres Universitaires)? Une phase où la politique de
présence française elle-même, tributaire qu’elle est jusqu’ici du lourd lègue
des grandeurs coloniales sanctionnées dernièrement par la révolte des banlieues,
la controverse sur «le rôle positif de la présence française outre-mer,
notamment en Afrique du Nord» et par la relance du débat sur la loi de laïcité
de 1905 comme aboutissement de l’affaire du fameux ‘voile islamique’, souffre
d’archaïsme en fonctionnement et d’un coût fâcheusement élevé par rapport à une
médiocrité de rendement, et cherche par conséquent des repères de redéfinition
afin de convaincre les partenaires, états, institutions et individus, que, tant
que le future continue à se conjuguer en français, l’avenir peut également
s’écrire en français.
Physiquement, à part les locaux vides et fermés de la Maison du Maroc, qui
n’inspirent plus que consternation et désolation, la présence marocaine dans cet
espace au lendemain du cinquantenaire de l’Indépendance est réduite depuis
2002-2003 à un ancien poste, paraît-il de service de garde à l’origine, à droite
de l’entrée de la CIUP au niveau de la Maison d’Italie, sous forme d’un bloc de
haute tension, qui fait misérablement depuis cette date office de siège de
‘direction’ de la pauvre maison maure.
Sur le plan moral et symbolique, le misérabilisme du discours militant qui
nourrissait chez les étudiants marocains un sentiment masochique d’être des gens
«méprisés, réprimés, bafoués dans leurs droits au Maroc [et] qui ont fui la
misère, le chômage, le désespoir, espérant trouver une meilleure vie en France»,
cède la place à un mutisme officiel ponctué de temps en temps par un étalage
public de l’état d’indigence d’une nation à la porte de la Cité International
Universitaire de Paris, comme par exemple cette note intitulée «Note aux
candidats», affichée maintenant même sur la toute petite porte dudit misérable
poste et qui dit dans la résignation totale: «Grâce au soutien d’autres maisons,
l’opération d’admission des candidats marocains à la cité pendant la fermeture
de la Maison du Maroc pour travaux de rénovation, va se poursuivre cette année
2005-2006 (…). Il est à rappeler que les admissions se feront dans les
conditions administratives et financières des maisons d’accueil, La Direction.».
Physiquement encore, les têtes noires dont notamment certains ‘thésardatairs’ à
vie habitués à jouer systématiquement la souris aux agents de sécurité du
restau-U de la CIUP et qui, à cause de cela entre autres facteurs relatifs à
l’éducation, ne respectaient la queue pour se servir que rarement, ne se font
plus remarquer par leurs différents traits distinctifs de comportement et de
société dans cet espace où elles préféraient jadis se rendre en groupes pour de
longues heurs pour des raisons ‘ethno-socio-culturelles’ diverses et où un autre
parterre ethnique et de civilisation de l’Europe de l’Est et d’Extrême Orient
commence à remplacer les décors humains de l’Afrique, du Nord-de l’Afrique et du
Moyen Orient, jadis prépondérants comme représentants des espaces où la Présence
Française aimait répondre ‘présente’.
D’après le responsable du vestige de direction qui reste pour la Maison du
Maroc, M. Hafid Hajji, qui eut l’amabilité de m’accueillir dans son ‘bureau de
camping’ dans la matinée du 1er décembre 2005, le retard des travaux est dû à
l’état de ravage et de destruction massive découvert après l’évacuation de la
maison et qui a entraîné une revue à la hausse des coûts estimés de la
rénovation. Il affirme que le marché des travaux a déjà été lancé et que, si les
dossiers de demandes de crédits aboutissent à temps, on espèrerait voir rouvrir
la porte (pas nécessairement un portail à l’ancienne) de la Maison du Maroc vers
la fin de 2006 après les 12 mois prévus de travaux de rénovation. Il promet
qu’une fois la maison remise à l’état selon les normes modernes de sécurité, de
communication et de fonctionalité, les standards académiques de la CIUP pour ce
qui est de l’admission des étudiants et des chercheurs seront de rigueur.
Espérons donc que, dans le cadre du grand projet actuel de rénovation et de
réaménagement général de l’espace global de la CIUP, engagé depuis plusieurs
années dans le cadre d’une nouvelle redéfinition, en cours, de la présence
française dans le monde à travers cet espace, la réouverture de la Maison du
Maroc soit au rendez-vous de l’après cinquantenaire de l’Indépendance sur de
nouvelles bases, pour une nouvelle génération, et avec un nouvel esprit de
gestion et de consommation de service, afin que, de paire avec la Maison de
Tunisie, toujours en service, et de la Maison de l’Algérie dont la CIUP vient
précisément de lancer un concours international d’architecture (Citéculture
n°13; Sep.-Déc. 2005), le Maroc retrouve la place qui lui revient dans l’espace
de la présence maghrébine dans le monde à travers le grand portail de CIU de
Paris où, de concert avec une émulation affectueuse dans le travail au progrès
de la science, la jeunesse universitaire marocaine contribuera cette fois à
l’entente des nations non pas seulement en commercialisant des bouilloires de
thé à la menthe, mais en proposant des produits culturels et intellectuels de
qualité dans le cadre et la continuité de la nouvelle dynamique que connaît le
Maroc sur les plans des pluralités culturelles, politiques et régionales, des
droits de l’Homme et de la promotion de la Femme.
(12 déc. 2005)
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