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N’est pas amazigh qui veut
Par: ali khadaoui
La
polémique est rarement constructive, surtout quand elle met en jeu des humains
(des idées) qui n’ont pas les mêmes intérêts, et encore moins les mêmes
principes et objectifs.
Mais quand on a consacré sa vie à une cause, de manière libre, consciente,
bénévole et gratuite, on ne peut pas rester les mains croisés devant des
énergumènes qui, par un simple hasard ou un choix bien «intentionné», se
retrouvent impliqués dans des décisions qui engagent le présent et l’avenir de
cette cause. Quand j’ai associé ma voix à celle du groupe des fidèles à la cause
amazighe, et qui se sont retirés du Conseil d’Administration de l’IRCAM pour
dénoncer une dérive qui risque d’être fatale à l’amazighité, je l’ai fait par
conviction et par fidélité à mes principes et engagements.
Sur le moment et pour des raisons de conjoncture, le départ des sept membres du
Conseil d’Administration de l’IRCAM n’a pas été évalué, apprécié à sa juste
valeur par le Mouvement Amazighe, (exception faite de l’Association «Tanoukra»
de Nador, du Congrès Mondial Amazighe, de la Coordination «Ali Azayko» et dans
une moindre mesure, Amyafa).
Par contre, les adversaires de l’amazighité n’ont pas lésiné sur les moyens pour
minimiser cet événement pourtant majeur. Pour ce faire, et comme d’habitude, ils
se sont servis de certains individus se disant «amazighes» et même «militants
amazighes», qui n’ont pas hésité un seul instant, et à plusieurs reprises, à
calomnier les sept, à les taxer d’écervelés, d’extrémistes, de traîtres et enfin
de nihilistes, avec évidemment, la complicité de certains organes de presse
partisans anti-amazighes notoires.
Devant les allégations fallacieuses, mensongères et sans vergogne de ces faux
militants, je me trouve contraint et forcé de répondre, afin que les vrais
militants du Mouvement Amazighe ne soient abusés et induits en erreur, surtout à
un moment aussi crucial pour l’amazighité.
Rappelons que les raisons de ce «retrait» ont été clairement exposées dans une
déclaration commune signée par les sept en arabe et en français. Ces raisons
sont on ne peut plus claires et objectives, et personne ne les a démenties, les
commentaires ayant porté uniquement sur la démarche elle-même, le moment choisi
ou la procédure suivie.
Cependant, on peut d’ores et déjà remarquer que ceux et celles qui ont jugé
notre départ «précipité», «sans raison», «nihiliste», se recrutent en gros,
parmi les commis du vieux makhzen, et qui ont vu dans ce retrait un lèse-
Majesté sans précédent, comme ils ont en vu un avec l’histoire du baise main, ou
ses nouveaux alliés.
Quant aux attitudes contre ou même critiques à l’égard du départ des sept par
des militants amazighs (vrais ou faux), elles ne s’expliquent que par la
manipulation ou l’intérêt mesquin qui, depuis toujours, a conduit aux trahisons
qui sont derrière la situation où se trouve l’amazighité aujourd’hui: une
situation d’apartheid qui ne dit pas son nom, où les racistes sont d’un côté
défendus par une «élite intellectuelle» que Paul Nizan a appelé «les Chiens de
garde» d’une certaine classe; et de l’autre côté, on retrouve les masses
amazighes, opprimées et aliénées par l’ignorance, l’exploitation et le mépris
que le makhzen a toujours observé à leur égard.
En fait, ceux et celles qui ont calomnié les sept «démissionnaires» pour leur
courage et leur honnêteté à l’égard de la cause amazighe, l’ont fait pour faire
les yeux doux au makhzen, car renversez la médaille et ces Messieurs-dames
s’érigent alors en sages, en constructifs, diplomates, conciliants, gentils et
tout et tout avec le pourvoyeur en finances et pouvoir. Plus que cela, certains
de ces Messieurs-dames font même du zèle jusqu’à franchement jouer les
mercenaires, en s’érigeant en porte paroles du makhzen, de l’IRCAM et de ses
nouveaux alliés.
Et vous verrez que certains de ces arrivistes seront appelés au Conseil
d’Administration pour remplacer justement les sept, et vous verrez que, chaque
fois qu’un amazigh remplit son devoir de défendre les droits légitimes de
l’amazighité, ces Messieurs dames seront là pour faire l’avocat du diable,
allant même jusqu’à devenir irrespectueux à l’égard de leur propre dignité. Ce
ne sont certainement pas l’amour ou les intérêts de l’amazighité qui les font
réagir de la sorte, car la plupart des concernés, et qui se reconnaîtront, n’ont
jamais été militants amazighs, mais bel et bien des parvenus qui ne recherchent
que la bénédiction du makhzen et les largesses qui l’accompagnent.
Pour ces faux militants, voire ces anti-amazighité, l’Institut Royal pour la
Culture Amazighe a été, est toujours une aubaine inespérée. Certains d’entre
eux, sortis droit des cartons poussiéreux de certains Ministères, de certains
partis, se sont déjà achetés villas et Mercedes, et on comprend leur acharnement
à calomnier ceux et celles qui, par leurs actions, menacent leurs intérêts qui
sont, disons-le, énormes à l’IRCAM. Ces faux «progressistes» comme la politique
politicienne en a beaucoup produit au Maroc, sont en fait des opportunistes qui
ne reculent devant aucun scrupule quand il s’agit de défendre leur propre
bifteck. Ils le font toujours de manière si cynique que même ceux qu’ils
prétendent défendre s’en trouvent gênés.
Oui, pour nous «démissionnaires», si être fidèles à une cause juste, en
l’occurrence la cause amazighe à laquelle nous avons consacré et consacrerons
toute notre vie, relève du nihilisme, nous sommes alors des milliers à être
nihilistes! Si dénoncer une supercherie historique contre cette cause en
renonçant à des privilèges financiers et autres relève du nihilisme, alors les
sept sont doublement nihilistes.
Une année s’est écoulée depuis le départ des sept, et les faits sans équivoque,
leur donnent raison: la situation de l’amazighité est des plus précaires. Ceux
qui le savent parfaitement et affirment le contraire, manient non seulement la
calomnie, mais aussi le mensonge comme personne. Ainsi, quand nous disons
aujourd’hui que la troisième année de l’enseignement de la langue amazighe
n’existe que sur papier, c’est que cela est vrai, et nous défions quiconque
prétend le contraire de nous montrer une seule école où tamazighte est enseignée
en 3e année!
Et c’est normal car la langue amazighe, en tant que matière, n’a tout simplement
pas d’horaire officiel car c’est une langue sans statut! Quant au manuel, il ne
sert à rien de dire qu’il a été distribué dans six Académies seulement, afin de
se dédouaner d’une responsabilité historique: celle de regarder chaque jour de
près la langue amazighe faire la risée de toute l’administration de l’Education
Nationale, et continuer à dire sans vergogne qu’elle s’intègre comme il faut;
celle de regarder chaque jour des milliers d’instituteurs amazighs humiliés par
une administration imbibée d’un esprit arabiste franchement discriminatoire, et
qui a déjà vidé les décisions royales de toute leur substance.
Quant à la télévision et à la radio, le problème est que justement, on ne peut
aucunement cacher quelque chose que tout le peuple regarde jour et nuit.
L’arrogance des tenants de l’arabisme est telle qu’ils ne prennent même pas la
peine de voiler leurs discours et leurs actes. Chaque jour et chaque nuit que
Dieu fait, Imazighen subissent une propagande élaborée par ceux et celles qui
détiennent le pouvoir de décision au sein des administrations, et qui consiste à
falsifier l’histoire, à matraquer à longueur de journée que «nous sommes tous
des arabes!», Si bien que nous avons fini nous aussi par clamer tous les jours,
avec nos propres moyens et à qui veut nous entendre: «nous sommes amazighs,
nous ne sommes pas des arabes! nous ne sommes pas des arabes,»!
Ceux qui ont affirmé que les démissionnaires ne savaient pas de quoi ils
parlaient car «n’ayant jamais assisté à aucune réunion», oublient que trois
parmi les démissionnaires étaient respectivement chef des commissions «des
relations» (Khadaoui) et de la «communication» (Ajaajaa) et de «l’administration
et des finances» (Bougrine)! A ce titre, ils étaient au fait des moindres
détails d’un dossier qui, aujourd’hui, est mieux connu par les militants
amazighs qu’avant notre départ, n’en déplaise à ceux qui ont préféré défendre
leur Parti politique au lieu de défendre les intérêts de l’amazighité!
Alors, si les démocrates et les hommes sensés dans ce pays ne trouvent pas que
cette situation a assez duré, que notre pays va droit à l’irréparable, il y a de
quoi être vraiment inquiet. Comment ne pas penser à l’irréparable quand des
individus normalement responsables déclarent carrément la guerre au plus vieux
fond civilisationnel de notre identité de marocains? Comment veut-on qu’Imazighen
continuent à être sages, à écrire des articles et faire des communiqués, tout en
sachant que l’autre partie ne les considèrent même pas comme des citoyens à part
entière, ayant le droit de décider du propre destin de leur langue, de leur
culture et de l’avenir de leurs enfants?
Et cela veut dire quoi «langue nationale» quant on sait d’avance que ce statut
ne donnera pas le droit à un amazighophone de plaider sa cause devant les
tribunaux dans sa langue maternelle? C’est quoi au juste «l’istiaâmar», et c’est
quoi au juste «l’istiqlal»?
Et c’est quoi au juste, «être dirigé de l’extérieur» quand ceux qui réclament
leurs droits, sont ceux-là même que «l’istiâamar» a détruit afin que des
antinationaux, chantres de causes externes érigées en causes «nationales»,
puissent insulter chaque jour ce pays qu’ils exploitent et qu’ils méprisent.
Autrement, comment expliquer que Mer Sefiani et consort s’occupent mieux des
problèmes des Palestiniens, des iraquiens et autres peuples du Golfe, alors
qu’il ne connaissent même pas ceux des ait Atta, des rifains, des Izayanes, des
ait Baâmrane,etc. Et pourtant, ce sont ces mêmes tribus et d’autres, ce sont ces
«chlouhs» qui ont combattu l’ «Istiâamar» pendant vingt cinq ans, et qui ont
tout perdu depuis, jusqu’à aujourd’hui, car les «nationalistes», ne
reconnaissent pas cette résistance comme nationale, car seule la leur a conduit
à Aix Les Bains.
Le Maroc vient de fêter le 50e anniversaire d’une indépendance qui ne signifie
pas forcément la même chose pour tout le monde: pour nous, imazighen,
l’indépendance demeurera un vain mot, une supercherie, tant que notre langue
demeure non officielle, tant que les citoyens amazighes n’ont pas plein droit à
leur langue à l’école, dans les tribunaux, l’administration, la télévision et la
radio et dans toutes les institutions de l’Etat.
Se taire dans ces conditions s’appelle «compromission», voire «trahison» dans la
mesure où on ne se contente pas seulement de cautionner un génocide culturel
planifié, concerté de longue date, mais dans la mesure où on participe
activement à ce génocide par le silence, le faux témoignage, ou même la fausse
compensation à travers les nombreux festivals et rencontres où des millions sont
engloutis, et où il est question de tout sauf des droits de l’amazighité. Il m’a
été donné d’assister à certains de ces festivals où tous les intervenants
officiels n’ont parlé que l’arabe classique à un parterre d’auditeurs à cent
pour cent amazighophone. Le comble est que ces officiels et apparentés ont parlé
des droits de l’amazighité, de l’amazighité comme composante de notre identité,
etc!
Mais le plus grave dans cette affaire, ce sont ces «berbères», qui sont tout
sauf amazighes, et qui profitent de l’ignorance et de la misère de leur
compatriotes pour servir de «pousseurs de brouette» à leur maîtres, les ennemis
de l’amazighité. Dans ce sens, ces «berbères» sont pires que Abbas El Fassi, car
ce dernier au moins, est fidèle à ses ancêtres et maîtres à penser.
Il est donc temps pour le Mouvement Amazigh de clarifier la situation, en
commençant par la révision de la signification de certains concepts utilisés à
tort et à travers çà et là. Il s’agit en l’occurrence de cette mode qui consiste
à déclarer que «l’amazighité relève de la responsabilité de tous», que
«l’amazighité est un apport», que «l’amazighité est une composante», que
personne n’a le droit de parler en son nom, etc.
La pratique de l’amazighité a montré que l’expression «l’amazighité relève de la
responsabilité de tous» est un piège, dans la mesure où, à partir du moment où
tout le monde est responsable, pratiquement, personne ne l’est.
D’autre part, si on peut admettre que l’amazighité soit l’héritage de tous les
marocains, la responsabilité à l’égard du devenir de l’amazighité n’est pas
ressentie et donc pas assumée de la même façon par tous les marocains. Nous
avons vu comment cette formule est hypocrite dans la bouche de tous ceux qui
sont contre l’officialisation de l’amazighité, ultime revendication commune de
tout le Mouvement Amazighe aujourd’hui. Quant à «l’amazighité est une
composante» de la culture marocaine, c’est tout simplement la politique de
«noyer le poisson» afin de diluer les droits amazighs dans un brouillard
idéologique bien connu du totalitarisme: celui de la culture dominante équivaut
à la meilleure culture, même quand ses adeptes ne représentent même pas 1°/° de
la population. C’est justement cela l’apartheid que le Mouvement Amazighe ne
cesse de dénoncer. Car le plus grave, la plus grande insulte pour tout amazigh
qui se respecte, réside dans le fait que des apatrides puissent se donner le
droit de vie et de mort sur l’amazighité dans sa propre patrie, des apatrides
qui, malgré quatorze siècle passés sur la terre de Tamazgha, continuent à se
réclamer du Moyen Orient.
Il est clair que je fais ici allusion aux propos incendiaires de Mr Abbas El
Fassi qui a déclaré sans embarras que son parti «combattra afin que la langue
amazighe ne soit pas langue officielle». Cependant, le plus grave dans les
positions du parti de l’ «istiqlal», ce n’est pas la position exprimée par son
Secrétaire Général, mais l’argument avancé pour justifier cette position, et qui
a été publié par le journal Al Alam comme suit: «Si la langue amazighe est
officielle, elle sera obligatoire à l’école; ce qui est dangereux pour l’unité
nationale!». Cela veut dire tout simplement que pour le Parti de l’Istiqlal, la
langue amazighe n’est pas enseignée de manière officielle au Maroc, et cela
correspond à la réalité, n’en déplaise à ceux qui affirment le contraire.
Faut-il rappeler que cette argumentation est la même que celle avancée par le
Ministère de l’Education Nationale pour justifier son attitude hostile à l’égard
de l’enseignement de l langue amazighe? On le voit, il s’agit de la position
officielle de la «Koutla» et de tous ses satellites de la société civile à
l’égard de l’amazighité, avec la complicité silencieuse de certaines «harakates»
représentées au Gouvernement. Cette position est claire aujourd’hui grâce à
Abbas El Fassi, Hamid Aqqar, Sefiani et tous les autres présidents des
«associations des droits de l’homme arabe» au Maroc: la langue amazighe ne peut
prétendre qu’à un statut de langue nationale, et par là, le citoyen amazighe ne
peut prétendre aux mêmes droits que le citoyen arabe, mais bel et bien à un
statut de citoyen de troisième catégorie! Dans certains pays du Golfe, il existe
quatre catégories de citoyens.
Autrement dit, la langue amazighe doit mourir au plus vite afin que le projet
politique de ces messieurs soit réalisé: l’unité des arabes du Golfe à l’Océan
Atlantique. Il faut tout de même reconnaître que cette position des partis
arabistes et consorts, et qui se disent «démocratiques» et «nationaux», a au
moins le mérite de la clarté.
Dans cet ultime combat pour la survie de l’amazighité, le discours des militants
amazighes doit être plus clair sur au moins une chose: n’est pas amazighe qui
veut.
Ainsi, en premier lieu, tout amazigh qui va à l’encontre des intérêts de
l’amazighité doit être clairement dénoncé comme ces «amazighes n serbice» qui,
depuis l’indépendance, constituent le paravent d’un makhzen notoirement
anti-amazigh. A ceux-là, il est temps de dire ceci: «le makhzen n’est pas
éternel. Il est temps pour vous de prendre vos responsabilité face à
l’histoire». Ce n’est pas de la morale, mais un avertissement que dorénavant,
vous serez jugés au même titre que les ennemis de l’amazighité.
Ensuite, doit être également dénoncé avec la plus grande énergie, le
paternalisme hypocrite et mercantile de ceux qui ont mis l’amazighité en dehors
de la constitution du pays et qui croient pouvoir encore aujourd’hui, continuer
à jouer les parrains indéfiniment, afin de sauvegarder les privilèges fastueux
et le pouvoir démesuré qu’ils se sont taillés sur mesure. Enfin, il est temps de
dénoncer ceux qui croient que leur «apport culturel» parce qu’il est «le
meilleur», se doit de supplanter le fond civilisationnel marocain amazigh, en
fait par ce qu’il a simplement pactisé avec le colon du temps du Protectorat!
Notre histoire continue d’être falsifiée devant nos yeux, notre patrimoine
s’amenuise chaque jour davantage, nos paysans végètent dans un monde rural dénué
de tout sauf des forces du makhzen qui les terrorisent et les répriment à la
moindre revendication, nos jeunes meurent chaque jour davantage dans le détroit
de Gibraltar, tandis qu’une poignée de charognards continue à détourner des
milliards de dollars sans vergogne.
Personne n’a le droit de nous dicter ce que nous devons être dans notre propre
pays, et par conséquent ce que nous voulons faire de notre langue, ultime
symbole et repère de notre identité.
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