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Communication du professeur
Mimoun Charqi sur la guerre chimique dans le Rif au Congrès espagnol le 26
juillet 2005
(La traduction du texte
déposé par les députés ERC et publié au Bulletin officiel des Cortès le 7
septembre 2005)
M. le Président, Mmes et MM les députés, chers amis;
En mon nom personnel, au nom du Comité scientifique du suivi de la guerre
chimique contre le Rif et des victimes de la guerre chimique dans le Rif, je
souhaite vous remercier vivement pour l’accueil et le soutien que vous nous
faites. Ceci est le témoignage, la preuve que partout de par le monde il y a des
hommes et des femmes dignes, honorables, de bonne foi et de bonne intention.
C’est la preuve qu’il faut garder espoir dans le genre humain.
Nous sommes réunis, ici, aujourd’hui, au Congrès des députés espagnols, au sujet
d’une question qui durant longtemps a été gardée secrète et considérée tabou,
autant de par l’Espagne que la France, voire le Maroc. Il s’agit de la guerre
chimique contre le Rif, au
début du siècle passé. Aujourd’hui, la question des armes chimiques de
destruction massive a fait l’actualité avec l’Irak.
Chacun a pu suivre les arguments développés par les puissances occidentales,
avec à leur tête les Etats Unis d’Amérique, pour intervenir militairement en
Irak.
Au Maroc, par deux fois, des rencontres scientifiques au sujet de la guerre
chimique espagnole contre le Rif ont été interdites par les autorités. La
troisième tentative aura été la bonne, avec cependant moult difficultés. Un
colloque international s’est ainsi tenu à Nador en février 2004 autour du thème
de la guerre chimique contre le Rif, avec la présence et le soutien de plusieurs
experts étrangers et marocains. Les actes de ce colloque sont aujourd’hui
publiés en langues arabe et française, et en cette occasion nous vous présentons
ce travail.
Comme vous le savez, le monde ne découvre pas aujourd’hui pour la première fois
le problèmes des armes chimiques de destruction massive. Déjà lors de la
première guerre mondiale il en a été fait usage. Ce qui a conduit les Etats
européens concernés à signer des Traités interdisant tant la production, le
stockage, la commercialisation que l’utilisation des armes chimiques. Plusieurs
Traités internationaux sont depuis venus prohiber les armes chimiques et
biologiques de destruction massive.
En dépit de l’illégalité, il a été fait usage d’armes chimiques de destruction
massive, de type ypérite (gaz moutarde), phosgène et chloropicrine contre le
peuple rifain entre 1924 et 1927, principalement par l’Espagne et accessoirement
par la France.
L’Espagne s’était retrouvée, au début du siècle dernier,
embarquée dans une affaire qui n’était pas la sienne, à savoir l’agression
militaire et l’occupation d’une partie du Maroc, en l’occurrence le Rif. Le
peuple rifain était un peuple de paysans libres, fort attaché à son ndépendance
et à sa terre. Les agressions de l’armée espagnole contre le Rif ont donné lieu
à des contre offensives et offensives des rifains, notamment, avec le Président
Mohamed Abdelkrim El Khattabi. Contrairement, à ce que certains peuvent penser,
Abdelkrim n’a jamais été l’ennemi du peuple espagnol. Au contraire, il avait
parmi les espagnols des amitiés fortes et sincères. Il croyait fermement en la
nécessaire amitié et coopération entre les peuples espagnol et rifain, en un
véritable partenariat entre les deux parties, dans l’intérêt bien compris des
deux peuples.
Malheureusement, il n’aura pas été compris. Abdelkrim est un homme de paix qui a
été poussé à la guerre.
Devant les désastres subis par l’armée espagnole dans le Rif, de nombreuses voix
se sont élevées en Espagne, y compris parmi des députés, au sein même de ce
Congrès, pour que des armes chimiques soient employées contre les rifains. Tout
comme de nombreuses voix se sont élevées en Espagne, et tout particulièrement en
Catalogne, pour mettre fin à la guerre et se retirer du Rif.
L’Espagne ne disposait pas de ce type d’armes. Comment dès lors se les procurer?
C’est là que la complicité de la France apparaît avec la société Schneïder. Tout
en condamnant les armes chimiques, la France ne s’est pas privée de les vendre à
l’Espagne et même de former des techniciens. Par la suite intervient le Dr.
Allemand Stolzenberg et la société du même nom. Mais l’achat de ce type d’armes
n’est pas suffisant, et c’est pourquoi il est décidé de les produire sur place.
Cela s’est fait à Madrid même, dans la fabrique de la Maranosa, puis dans le
Rif, entre Melilla et Nador. Le secret est tel que les concernés ne parlent pas
d’armes chimiques, on parle plutôt de «gaz», de bombes x… Et ce n’est que
récemment que les recherches ont remis l’histoire à l’ordre du jour.
Les victimes ont été nombreuses. Il y en a eu aussi du côté des techniciens et
militaires espagnols suite à des accidents de manipulation. Les victimes de ces
armes chimiques de destruction massive ne sont pas seulement les guérilleros
rifains, engagés dans le combat. Ce sont aussi et en grand nombre, surtout, des
populations civiles, les animaux, la végétation, l’environnement, l’eau…
D’ailleurs les cibles étaient essentiellement des cibles civiles, le lieu et le
jour, celui du marché où les populations allaient pour acheter et vendre et se
retrouvaient ainsi réunies. Les victimes ne sont pas seulement celles qui
moururent dans
l’immédiat. Les victimes des armes chimiques de destruction massive on les
retrouve encore aujourd’hui parmi les descendants des victimes d’hier.
Des rapports sérieux, officiels, faits pour le compte de l’Organisation des
Nations Unies, par des experts de renommée internationale, tel que le Pr.
Christine Margaret Gosden, titulaire de la chaire de médecine génétique de la
«Royal university of liverpool», confirment les effets mutagènes et cancérigènes
des armes chimiques employées. Les statistiques officielles des hôpitaux
marocains attestent que 80% des patients atteints de cancers du larynx sont
originaires du Rif. Le rapport de cause à effet entre ce type d’armes et les
cancers n’est plus à prouver et a été démontré scientifiquement, de même que les
effets mutagènes, sans parler des conséquences psychologiques. Et d’un point de
vue strictement juridique, il y a dans cette affaire, primo, une faute en raison
de la violation de la légalité, secundo, un préjudice énorme qui se poursuit
dans le temps et, tertio, un rapport de cause à effet entre la faute commise et
le préjudice subit.
Force est de préciser que faute d’hôpitaux dans le Rif même, les concernés
doivent se rendre jusqu’à Rabat et que tout le monde ne peut pas se le
permettre. Les rifains et le Rif demeurent pauvres, marginalisés, nclavés, par
leur propre pays, faute d’infrastructures, d’hôpitaux, d’Universités,
d’industrie…
Aujourd’hui, le but n’est pas de pleurer un passé récent ou actuel. Les hommes
font des erreurs, commettent des fautes, d’autres hommes de bonne volonté les
réparent.
Que peuvent demander, vouloir et attendre les rifains des espagnols? L’Espagne
d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle d’hier, elle est devenue une grande
démocratie. Les moyens juridique offerts tant par le droit interne espagnol que
le cas échéant le droit européen sont là, à la portée. Néanmoins, nous pensons
qu’il vaut mieux rechercher un règlement amiable de cette affaire. Et notre
présence ici, et votre accueil dans cette honorable institution est le début, le
premier pas dans la recherche d’une issue amiable et honorable.
- Reconnaître officiellement que des fautes ont été commises, en violation du
droit international, en utilisant des armes chimiques contre les populations
rifaines et le Rif;
- Condamner l’utilisation de la guerre chimiques contre le Rif et demander
pardon;
- Faciliter et faire la lumière sur tout ce qui s’est passé;
- Mettre en place des plans de réparations compensatrices pour le Rif et les
rifains;
- Adopter des plans de véritables partenariats entre espagnols et rifains dans
l’intérêt bien compris des deux parties.
Le fait que des députés espagnols, expriment un intérêt et répondent à notre
demande en soumettant au congrès des députés une proposition non de loi au sujet
de la guerre chimique contre le Rif est un honneur pour ceux qui appuient cette
initiative, et pour le peuple espagnol en entier.
(Dr. Mimoun CHARQI, Groupe de Recherche sur la Guerre Chimique contre le Rif
- Comité Scientifique)
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[texte traduit de l'espagnol au français]. (N.B: Le texte original peut être
consulté sur le site des Cortès: Bulletin Officiel, du sept septembre
2005).
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