| |
Entretien avec le
webmaster de tifawin.com
Lahsen Oulhadj (Montréal)
Féru de culture amazighe depuis son plus jeune âge, Azdine
L., ingénieur de formation, n’a pas hésité à mettre ses connaissances au profit
du tifinagh. Il a créé à cet effet www.tifawin.com, un site avant-gardiste
destiné à l’apprentissage simple et ludique de cet alphabet ancestral dont la
symbolique, comme vous le savez, n’est plus un secret pour personne. Il a bien
voulu se soumettre à notre jeu de questions-réponses.
Question: pourquoi le site tifawin?
Réponse: Tout simplement pour remplir un vide. L’idée était «comment donner
accès à l’apprentissage de l’alphabet tifinagh à un maximum de gens, d’une
manière interactive et par Internet?»
Q: Décrivez-nous un peu votre site Internet ?
R: Il y a l’outil proprement dit qui est divisé en plusieurs sections:
présentation, mémorisation et application. La présentation donne un aperçu des
tifinaghs classés par voyelles puis par groupe de lettres ayant une ressemblance
graphique ou sonore. Chaque lettre est accompagnée du son correspondant. La
mémorisation consiste en des exercices de reconnaissance de lettres générées
aléatoirement. Un score permet de s’auto-évaluer. L’application consiste en un
clavier tifinagh virtuel et des exemples basés sur des proverbes, en plus d’un
moteur de recherche de vocabulaire amazigh en tifinagh. Les autres sections du
site comportent les chansons de la chorale de l’IRCAM accompagnée des paroles et
bientôt une présentation illustrée des animaux.
Q: C’est vrai que c’est un outil on ne peut plus complet, mais en termes de
fréquentation, qu’en est-il?
R: Et bien, le bilan n’est pas mauvais, le site est en ligne depuis un mois et a
déjà reçu plus de 2000 visiteurs. La majorité provient de France et du Maroc.
Q: Combien de temps avez vous pris pour réaliser votre site? Est-ce que vous
avez été aidé?
R: C’est un peu difficile à estimer, je m’y suis consacré quand mes obligations
professionnelles me le permettaient. Mais, estimé en journées complètes de
travail, je dirais quand même plusieurs mois. Il y a eu la préparation
conceptuelle, graphique, la programmation informatique, la compilation de
plusieurs années de glanage de vocabulaire et leur encodage…. et j’ai travaillé
seul. Le site est libre d’accès et nécessite sûrement des améliorations, toutes
les idées et remarques sont les bienvenues!
Q: Au-delà du côté symbolique très fort du tifinagh, pensez-vous vraiment que
cet alphabet est l’idéal pour la langue amazighe, eu égard à son retard et à la
situation même des Amazighs?
R: Il est clair que la solution de facilité aurait été d’adopter l’alphabet
latin comme d’autres peuples (vietnamiens, albanais, …). Les expériences
d’autres pays montrent bien que ce n’est pas l’alphabet qui est important, mais
le fait qu’il soit soutenu par une politique d’État et c’est là justement le
talon d’Achille du tifinagh. Reste que je le considère comme un «catalyseur
identitaire», c’est-à-dire qu’il induit une réaction d’identification culturelle
que l’alphabet latin n’aurait pas pu engendrer. L’autre avantage du tifinagh est
qu’il pourrait marquer de façon très claire la présence du tamazight dans
l’espace public. Nombre d’enseignes d’hôtels et autres établissements
commerciaux portent déjà des noms amazighs, mais ne sont pas ressentis comme
tels. Car ils sont écrits en lettres latines ou arabes. La lettre tifinaghe
devient militante et porte-parole du tamazight par sa seule présence. Le
problème est que cette langue doit faire face à un État on ne peut plus hostile
et que les symboles ne seront peut-être pas suffisants. Il faut donc assurer les
arrières. Rien n’empêche d’utiliser le tifinagh et l’alphabet latin en même
temps. C’est d’ailleurs ce qui se passe. Pour résumer, je dirais que le tifinagh
sert à fertiliser un champ qu’il faudra peut-être semer avec le latin.
Q: Vous avez touché au point sensible, à savoir l ‘État, qui malgré ses beaux
discours et malgré l’Ircam, continue toujours à exclure et même dans certains
cas à combattre la langue amazighe. D’après vous, que doivent faire les Amazighs
pour remédier à une telle situation?
R: D’abord, ils ne doivent pas perdre courage, leur lutte est légitime et juste.
Un jour, ils récolteront les fruits de leur combat. Les militants doivent
continuer à sensibiliser la société civile qui reste bien souvent ignorante du
problème. Une bonne communication est plus efficace que dix manifestations.
Ensuite, il ne faut pas jouer le jeu du Makhzen qui divise pour régner, il y a
beaucoup d’énergie qui se perd dans une critique continuelle de l’IRCAM. Cet
institut a un rôle de production et de recherche, même si hors de ses murs, son
action reste très limitée. Il n’est pas exempt de critiques, mais il faut
prendre du recul et se demander de quelle façon l’on pourrait créer des
synergies pour avancer. Il y a toujours possibilité de trouver un élément
positif et l’exploiter. Le site tifawin a été créé dans cette optique et le
nombre de possibilités d’actions n’est pas négligeable.
Q: L’IRCAM, comme vous le savez, a un site Internet. Mais il est surprenant de
remarquer que le tifinagh n’y est absolument pas présent. Par quoi
expliquez-vous une telle situation? D’après vous, c’est technique?
R: Et bien, je viens de lire une interview d’un membre du département
informatique de l’Ircam qui a annoncé une version tifinagh et une autre arabe
pour le mois de juin. On est en plein mois de juin, mais rien n’est encore fait.
Q: Qu’est-ce que vous pensez du CD d’apprentissage de langue amazighe produit
par la société eclisse.com? Est-il bien fait ou non?
R: Il a le mérite d’exister, mais il faut être franc, c’est un travail un peu
bâclé. Le tifinagh y est parfois écrit n’importe comment et la qualité technique
n’est pas à la hauteur du prix auquel il est vendu. Des versions ultérieures ont
été annoncées, espérons que le tir sera rectifié. Encourageons quand même ses
concepteurs, car cela reste une belle initiative!
Q: Les Amazighs sont on ne peut plus présents sur Internet. Mais,
malheureusement, on ne peut que constater leur absence insupportable dans
d’autres médias. D’après vous, comment les Amazighs peuvent-ils marquer leur
présence à la radio et à la télévision que ce soit au Maroc ou à l’étranger?
R: Comme toujours, le nerf de la guerre est l’argent. Je pense que la prochaine
libéralisation du secteur audiovisuel pourrait peut-être débloquer la situation.
Les chaînes arabistes dites nationales sont à oublier, ainsi que l’État qui a
créé 4 chaînes arabophones, mais qui prétend ne pas avoir assez de ressources
pour les Amazighs.
Il faudra alors convaincre les investisseurs que le tamazight peut leur faire
gagner de l’argent. En fait, ce qui les convaincra enfin de compte, ce sera la
possibilité d’attirer des annonceurs intéressés par le public amazigh. On voit
que c’est un système global, tant que le tamazight n’aura pas intégré une partie
du circuit économique, on risquera de tourner en rond.
Q: Est-ce que vous avez d’autres projets en perspective en plus de tifawin.com?
R: J’ai beaucoup de projets, mais ils sont tous présentables dans le cadre du
site tifawin. Il y a énormément de choses à faire, du moins aussi longtemps que
la production de l’IRCAM sera réservée à ses seuls membres...
Q: merci beaucoup!
R: je vous en prie.
|