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III.- LE SIBA DANS TOUTES SES MISERES A aucun moment, Loti ne s’interroge sur sa manière de parcourir l’Afrique, d’interroger le peuple et de s’immiscer à lui. Ses interrogations autour de l’ethnicité, de la langue et de la culture ne vont pas au-delà d’un simple regard curieux et plein de préjugés sur une plèbe misérable et des tribus apitoyantes. Il n’a pas besoin d’information, il possède déjà des réponses historiques pour fonder l’identité du pays à conquérir. Du grand Maroc Loti ne voit aveuglément rien que ce qu’il rêve de voir, il voyage parmi des images préconçues. Il cherche (ou peut-être crée-t-il) des tribus sauvages (ces berbères indomptés), et il en «découvre» partout. De simples caricatures, changeant d’état et de signification à chaque scène du roman. De cet espace «siba», qu’il fréquente réellement peu, collé qu’il est aux palais et aux cortèges, il ne fait que réitérer les dangers qu’encourent les administrateurs marocains. Il ne s’aventure point à le visiter, ces hauts lieux de barbarie. Le peuple marocain est vu dans sa bizarre hétérogénéité, mais pour le définir l’auteur se plaît curieusement à le caser dans l’univers oriental: «Des gens de toutes les tribus se mêlent et se croisent: des nègres du Soudan et des Arabes blonds; des Berbères autochtones, musulmans sans conviction, dont les femmes ne se voilent que la bouche; et les Derkaouas à turban vert, fanatiques sans merci, qui détournent la tête et crachent à la vue d’un chrétien.» (p.183) Le multiethnique est alors né au Maghreb de par le biais du vestimentaire et de la couleur de la peau. La dimension religieuse, plutôt que l’identitaire, est évidemment mise en relief dans le cas des berbères. Cette taxinomie va servir les ethnographes et les savants occidentaux du début du XXe siècle pour parler des origines du peuple maghrébin! L’autre taxinomie, stéréotype qui revient pour parler des «timazighin», est bien le port ou le non port du voile parmi les femmes berbères, ce en quoi elles s’opposent aux arabes! (p.247) AM dévoile comment le peuple existe indéfiniment selon son rapport, complexe et variable, au Makhzen. L’auteur décrit les mouvements du sultan dans sa réaction contre l’espace du «siba». L’armée part à la reconquête du pays. (29) Les tribus berbères sont clairement dites “siba” marocain. Les Zemours et les Rifains incarnent le siba dans le récit. Les Zemours, selon l’auteur français, sont des tribus «pillardes et dangereuses». (AM, p.87) Ils pillent Mekinez. (p.237), et s’empressent à détruire toute naissance de civilisation orientale ou occidentale. Ils seraient ces barbares de l’antique Rome. Dans le territoire du siba, les caïds se plaisent à prendre tous les hommes valides pour combattre les tribus rebelles qui règnent dans les montagnes et les zones impénétrables. (p.247) Alors caïds et pachas partent en régiments les combattre. (p.218) Ces «terribles Zemmours, fanatiques intransigeants, pillards, coupeurs de têtes, et, depuis plusieurs années, en rébellion ouverte contre le gouvernement de Fez.» (p.93) montrent au voyageur occidental combien la pénétration du territoire marocain est dangereuse. Seulement, l’auteur n’explique point les raisons d’une telle «anarchie», il s’attarde à réitérer les préjugés confondants… Le peuple apparaît totalement misérable; et une telle description se fait une série de préjugés, mais point des explications ou des expositions de comment le pouvoir politique appauvrit le peuple dans son économie. Certes, l’auteur se veut un sociologue et un historien: «Il y a des quantités d’enfants sur des ânons, quelquefois deux ou trois sur le même, en brochette comique; il y a des vieillards à béquilles, des éclopés, qui courent tout de même; des mendiants, des idiots, des saints illuminés qui chantent.» (AM, p.63) Ce passage est intéressant: il résume les misères de toutes sortes. La plèbe souffre de mille misères, mais l’auteur tergiverse au moment d’en expliquer les origines. Lors de son périple vers la terre de Fez, l’auteur retrace, dans un ton hautain, un Maroc victime de famine, de maladies, de rapine et de corruption. (AM, p.66). L’atmosphère picaresque prédomine, et l’auteur s’attache à représenter, de manière impressionniste, une telle réalité. Le grossier montre clairement combien le Maroc est condamné à être pauvre. (AM, p.71) En fait, l’auteur avance des propositions pour éradiquer la misère du pays: «si l’on savait même, à la saison, emmagasiner les récoltes, il n’y aurait point d’affamés dans ce pays – et des pauvres vieilles n’auraient pas besoin de venir, comme hier, ramasser les grains rejetés par les mulets.» (AM, p.75) L’on pense alors que l’auteur ignore le système d’emmagasinage local («tasraft» -le silo) et d’autres procédés de produire, de préserver et d’être chez ce peuple millénaire. Mais, dans un ton de contradiction inexplicable, il en parle quelques pages plus loin, où il se réfère au silo, avec la seule fonction de «cacher du blé ou de l’orge en cas de guerre ou de famine.» (p.117)! Le territoire du siba marocain est donc non seulement un espace de guerre continue, mais également une aire démocratique de contrepoids politique au système. Les deux systèmes s’opposent dans leur être… Et il revient justement à l’Occidental de savoir ménager ses deux forces totalement opposées, afin de réussir la pénétration du pays africain.
IV.- LES AMOURS FUYANTS DE LOTI Au regard des critiques, Pierre Loti ne voyage réellement que dans son espace intime, en multipliant confidences et songes. Il demeure collé à son enfance qui s’ouvre exotisme infini. (30) Il ne parcourt le Maroc à la fin du XIX siècle que pour parler de soi-même: l’Ennui l’agace; et les inquiétudes blessent furieusement sa sensibilité. Cherchait-il le repos? Fuyait-il quelqu’un, quelque chose ou soi-même? A travers cette fiction maghrébine, l’auteur cherche soi-même. Il se recherche, et il demeure égaré sur des espaces mal définis. Cette quête subjective d’une Raison d’être? S’il se conçoit vraiment perdu dans la cité nord-africaine, (p.232) par conséquent apparaissent équivoques ses multiples références à l’environnement naturel. Par ailleurs, conscient de son ivrognerie héréditaire, l’auteur mène une lutte intérieure pour surpasser cette dépendance. S’il se fait arabe, c’est par tendance épicurienne, pour se frayer des chemins dans le royaume des illusions: «Et ce soir, je cherche à m’amuser de ce costume arabe, de cette pensée surtout que j’habite en pleine ville sainte, dans une inaccessible maisonnette… Eh bien, non la dominante, malgré moi, est une tristesse immense que je n’attendais pas; un regret pour le foyer de la France; un regret presque enfantin, me gâtant le charme de cette étrangeté nouvelle: le sentiment du suaire de l’Islam tombé sur moi de tous côtés, m’enveloppant de ses vieux plis lourds, sans un coin soulevé pour respirer l’air d’ailleurs, et beaucoup plus oppressant à porter que je ne l’aurais cru…» (p.125) L’auteur, en quête d’étrangetés nouvelles, embrasse la nouvelle vie comme une issue à la réalisation de ses rêves. Une vie pleine de déceptions et de désillusions est bien celle de cette enfance narrée dans PM. Loti se fait marin par la force des choses, il se fait militaire-diplomate pour des circonstances qui le dépassent. Aussi son mariage avec Blanche de Ferrière, selon diverses critiques, est-il une affaire d’intérêt et de convenance. Il ressemble là aussi fort bien à Lyautey. Loti demeure continûment cet enfant qu’il dévoile dans «Le roman d’un enfant» (1890). Bon vivant il suit ses désirs sans se soucier de la répression des autres, une fois décédé, il choisit son tombeau également au sein l’espace de son enfance: selon ses vœux il est enterré dans le jardin des Aïeules à l’île d’Oléron où il jouait petit... 1. La Sensibilité du Voyageur Pénétrant le Nu Loti écrit AM pour dire ce qu’il vit et voit. Si le vu est omniprésent à travers l’écriture lotienne, le vécu est rarement exposé dans tous ses détails. Par le sensible il voyage à travers l’altérité, découvrant cultures et visions du monde. Il s’exalte à la vue de l’étranger et du bizarre. Roland Barthes, inventeur du grand Loti qui occupe la place d’un «hippie dandy», tente d’expliquer la grandeur de cet amour précis des manifestations du bizarre. Le critique insiste plutôt sur l’homosexualité de Loti dans une telle vision du monde; et il déconstruit l’image de la bien-aimée Aziyadé comme étant la projection d’un jeune homme… (31) Par ailleurs, selon ses biographes, l’homosexualité naît chez Loti lors de sa formation à l’Ecole Navale de Brest en 1867, ce qui peine le père. Les frères Goncourt disent à ce propos: «Cet auteur, dont l’amante, dans son premier roman, (Aziyadé), est un monsieur...» (32) Rappelons Régis Revenin qui précise l’homosexualité de l’auteur, et il cite Mon frère Yves, (33) histoire d’amour «pur» entre un matelot et un officier de marine. (34) Loti, qui partage curieusement la tendance homosexuelle avec l’autre conquérant du Maroc Lyautey, est fier de son physique – il envoie une photo de son corps nu (excepté le sexe) à tous les académiciens, nous rappelant alors ce passage: «Pierre pose en druide, appuyé nu, sur un menhir… Quand il enlève ses vêtements, on dirait une statue grecque, dépouillant son enveloppe grossière…» (35)Sous le fictif, l’auteur peut simultanément dissimuler et livrer les secrets de sa vie sentimentale, précisément ses rapports homosexuels avec Joseph Bernard et Pierre Le Cor. Physiquement il est petit de taille, il porte alors de grands talons. Le corps le préoccupe tant, jusqu’à devenir une obsession. En outre, il sait se farder: «Et le rouge même qu’il met sur ses joues trahit son effroi devant le spectre de la vieillesse.» (36) Il apprécie le fard pour masquer non seulement sa peur de vieillir, mais aussi son anxiété démesurée. La fiction lui sert, tant bien que mal, d’occasion de confidences, et à ce fard s’ajoutent les vêtements arabes qu’il met continûment dans AM… D’amour en amour, et de scandale en scandale Loti mène une vie de costumes officiels et de travestissements. Le plaisir le préserve de l’errance infinie, et du vide qui l’obnubile. Si de son vivant Proust sait dissimuler son homosexualité, Loti vante son dandysme: il nourrit le culte du corps, évocation explicite dans ses écrits de l’attirance envers le viril et le masculin. L’homosexualité de Loti est fondamentale dans sa création. Elle est implicitement dite par ses critiques: «Un domestique – ancien matelot qui servit jadis sous les ordres du commandant Viaud – me conduisit dans la chambre qui m’est réservée au premier étage, une belle chambre Empire, tendue de soie jaune, avec, au plafond, de grosses abeilles d’or en relief.»(37) Les pulsions sensuelles du marin qui poursuit ses amours sous tous les climats. Rimbaldien, cette quête du sensuel se fait dans le déracinement total. A ce propos, le critique de la marine dira: «Mais je ne vais pas éluder la grande question indiscrète que chacun s’est posée, de son vivant, face à ce petit homme monté sur talons hauts, si souvent déguisé, parfumé, fardé parfois, s’habillant en matelot pour certaines bordées à terre ou revêtant une djellabah pour des virées dans la Kasbah. En un mot ce séducteur de femmes, cet amoureux passionné, a-t-il été aussi un homosexuel? (…) la réponse se trouve dans un passage du premier manuscrit inédit d’Aziyadé de juillet 1876.» (38) L’homosexuel se plaît, généralement, à fréquenter les lieux exotiques et interdits. Il tente d’expliquer une telle sensibilité en allant découvrir l’enfance de l’auteur. (39) Loti est à la fois un officier marin, représentant colonial, patriote invétéré, dessinateur, musicien, photographe, acrobate de cirque... Il mène une vie intense, pleine d’émotions fortes.Gabriel Faure montre nettement la sensibilité de l’auteur auquel il rend un jour visite: «Sans rien me dire, Loti me prend la main et fixe sur moi ces grands yeux où se reflétèrent tant de visages, ces mêmes yeux qui, un demi-siècle avant, regardaient, inquiets mais extasiés, une jeune gitane qui pénétrait dans la grotte, avec des souplesses de félin…» (40) Fuit-il quelque chose en prenant incessamment la mer? Cherche-t-il au Maroc des appétits qui demeurent inassouvis? Peut-être doit-ce expliquer sa déception finale du voyage? L’Ennui, ou la déception radicale, demeure refoulé davantage et s’extériorise par un ton ironique et condescendant. A travers l’histoire d’AM, le nu, se dévoilant à maintes reprises, attire le narrateur. Il signifie, en plus de la force, la vie dans son jaillissement. Le récit renferme des descriptions positives autour de la nudité. Avec le nu surgit le positif, le beau et le bon. La dimension «morale» s’estompe totalement. Cette représentation est de nature précise, elle émane des pulsons libidinales: «Avec résignation, les beaux cavaliers arabes se déshabillent, puis déshabillent aussi leurs chevaux et remontent dessus, les tenant enfourchés entre leurs jambes nerveuses comme dans les étaux de bronze. Sur leur propre tête, ils placent en paquet monumental leurs cafetans de drap et leurs burnous; par-dessus encore, leur énorme selle à fauteuil, leurs harnais de parade, et ils relèvent leurs bras, en anse d’amphore grecque, pour soutenir le tout.» (AM, p.59) L’objet libidinal est dit, cette fois encore, «beau» et excitant. Il s’agit de cavaliers qui attirent l’auteur non par leur force et art à le protéger, mais par la beauté de leur physique. Le cavalier nord-africain est beau non pas dans ses luttes et ses résistances sur le champ de bataille, mais plutôt quand il se montre nu: «Et les beaux bras nus des cavaliers, fauves comme du bronze, sortent de manches larges relevées jusqu’aux épaules, brandissant en l’air, pendant la course folle, les longs fusils de cuivre qui semblent devenus légers comme des roseaux…» (AM, p.40) De cette expérience du purement sensible l’auteur n’en dit pas trop. Il ne peut pas pénétrer cet univers des hommes armés, régis par des caïds inhumains… 2.- A la Recherche de la Femme Perdue… L’auteur ne peut non plus percer l’espace des femmes marocaines. Le harem marocain de Loti demeure alors muet et opaque, ne dévoilant rien au lecteur occidental. Ses amours à Fès ne sont pas pleins comme ceux vécus en Turquie aux côtés de la belle et passionnée Aziyadé en 1877. En son hommage, il écrit Aziyadé (1879) et Fantôme d’Orient (1892). Cette jeune fille, aux yeux verts, fait partie d’un harem, propriété d’un seigneur ottoman. Leur amour va naître grand avec la séparation. A son retour à Constantinople en 1905, le marin français découvre qu’elle était décédée de chagrin. Il «vole» la stèle funéraire de sa bien-aimée, afin de la poser dans son temple à Rochefort, où il construit une mosquée, une chambre arabe, un salon turc… Cette Aziyadé demeure innommée dans le voyage marocain; et si elle pouvait porter un nom maghrébin elle demeure mystérieuse, charmante, «perchée en silhouette d’ombre à l’angle aigu du toit, fièrement campée sur ses jambes, les mains derrière le dos, contemplant je ne sais quoi, en bas, dans le vide…» (AM, p.155). Rêveur insatiable, l’auteur décrit longuement l’univers féminin. (40) Il parle de femmes captives de la coutume ancestrale. C’est par le biais de la femme, croit Loti, qu’on arrive à sonder la culture de l’autre. (p.213) Il contemple les femmes voilées, et tente d’y dévisager le féminin. Il guette de sa terrasse les femmes voisines errantes et mal-aimées, en débridant son imagination pour les faire discourir. Seulement, cette approche se base sur une description de la sensualité orientale: mi-obscure, mi-claire. D’un air égocentrique, allant jusqu’au narcissique, il croit voir des femmes fassies rêver de sa personne: «Là, en général, quand je parais, les petits murs d’alentour se garnissent de têtes de femmes, toujours oisives et curieuses d’examiner le voisin d’une espèce rare que je suis pour elles. Les airs de gazelle effrayée, la sauvagerie des premiers jours, ont disparu très vite; ce qui serait une énormité d’imprudence coupable avec un musulman, semble sans danger avec moi, qui ne le dirai à personne, et qui, d’ailleurs, vais repartir bientôt pour si loin, si loin, pour mon pays fantastique.» (AM, p.174) Ces femmes apparaissent la nuit, derrière des murs, appelant à l’Amour – qu’il croit incarner. En général, la femme indigène n’a pas de langue dans AM. Il revient alors au narrateur d’exprimer ses états d’âme, ses amours, ses sentiments et ses rêves… Ce qu’il regrette le plus de Fez, c’est curieusement d’abandonner l’aire des terrasses, espace réservé aux femmes: «Je dis un adieu pour toujours à toutes les terrasses environnantes, qui sont vides et funèbres; un adieu à tous les vieux murs en ruine d’alentour, derrière lesquels mes voisines dorment encore y compris la belle révoltée, dont je ne saurai plus jamais rien.» (AM, p.207) Les femmes sont toutes claustrées. Les murs cachent ces êtres agréables; et cela représente la partie tragique chez cet auteur néo-romantique. EN CONCLUSION… L’image qui demeure frappante au lecteur, c’est bien la réaction «imagée» des enfants marocains. Le voyageur-auteur méprise ces enfants, vus comme des diablotins, qui ne se lassent pas justement de proférer des insultes contre l’étranger. (p.98) Ceci représente, aux yeux du militaire futé, l’avenir de la France conquérante, qui est sur le point de débarquer au Maghreb. Comme AM survit à son auteur dans sa construction des préjugés autour de l’image du Maroc dans la littérature française, il a une valeur testimoniale des misères matérielles et des faiblesses politiques et institutionnelles. Loti est, à notre point de vue, un témoin «officiel», et en mémoire de qui on organise, à sa mort en 1923, des funérailles nationales. Il peut être alors le grand inspirateur du Grand Lyautey dans son expérience militaire, et de Tranchant Lunel dans son entreprise architecturale, L’académicien marin a de fortes affinités avec le militaire stratège Lyautey et d’autres colons. Ils sont tous gais dans leur partage de cette vision africaine, et ils essayent de fonder la marocanité à travers un système de préjugés. Etre arabe est pour Loti un amusement, un plaisir, en un mot un caprice. (cf. p.176) Il s’agit d’un moment d’évasion de soi-même, mais également d’une nouvelle identification de l’univers marocain. Il vide alors le Maroc de son histoire, de sa culture et de sa civilisation pour la verser dans cette arabité «naissante» chez les voyageurs et militaires occidentaux. Dorénavant, les écrivains ne parlent que de l’héritage arabo-musulman, loin de toute identification authentique. A la nature exubérante qui fait le Maroc, l’auteur lui oppose ce système de préjugés indélébiles qui définit amplement l’Africain damné: il est magnifiquement arabe, et il peut recevoir une autre identité d’aliénation. Enfin, Loti signe dans Au Maroc son rêve / cauchemar infini. Il réfute de discuter les affaires africaines dans leur être, prétexte pour préparer une seconde aliénation: il revient «properly» à la France de les civiliser. H. Banhakeia (Université de Nador)Notes: (29) «Mes nouveaux décors n’avaient plus rien de commun avec la pièce: des dessous de forêts vierges, des jardins exotiques, des palais d’Orient nacrés et dorés; tous mes rêves enfin, que j’essayais de réaliser là avec mes petits moyens d’alors, en attendant mieux, en attendant l’improbable mieux de l’avenir...» (PJ, pp.180-181) (30) cf. Roland Barthes, «Pierre Loti: Aziyadé.» 1971. in Le Degré zéro de l’écriture suivi de Nouveaux Essais Critiques. Paris: Seuil, 1972, 170-87. (31) Goncourt, Journal, tome 4, Flammarion, Paris: 1959, p. 227. (32) Loti, Mon Frère Yves, Calmann-Lévy, 1893, pp.123-124. (33) Régis Revenin, Homosexualité et prostitution masculines à Paris 1870-1918, L’Harmattan, 2005, p.137 (34) Journal Intime, Les Indes Savantes, 2006. (35) Gabriel Faure, ibid., p.19. (36) Gabriel Faure, ibid.,, p.13. (37) Yves La Prairie, Le vrai visage de Pierre Loti, Ancre de Marine Editions, 1995. «Le bébé, choyé, élevé dans du coton, ne va d’abord apercevoir sur son berceau, attentives à chacun de ses gestes, que des figures de femmes, et les robes toutes noires des grand-mères, des tantes, des grand-tantes, des bonnes, et de la mère.» (p.15) (38) Yves La Prairie, ibid., pp.73-74. (39) Gabriel Faure, ibid.,, p.27. (40) cf. Basil B. Rafter, La femme dans l’œuvre de Pierre Loti, Les Presses Universitaires de France, Paris: 1938. Dans la fiction de Loti, nous lisons sur la femme marocaine: «Elles se promènent par groupes, ces femmes; ou bien s’asseyent pour causer sur les rebords des murs, jambes pendantes au-dessus des cours et des rues; ou bien s’étendent, nonchalamment renversées, les bras relevés sans la nuque. D’une maison à l’autre, elles se visitent, par escalade, à l’aide de petites échelles quelquefois, ou de planches improvisant des ponts. Les négresses sculpturales, ont aux oreilles de grands anneaux d’argent; leurs robes sont blanches ou roses, des foulards encadrent le noir de leur visage; leurs voix rieuses sonnent comme des crénelles, en gaietés drôles de singes. Les Arabes blanches, leurs maîtresses, portent des tuniques de soie brochées d’or, atténuées sous des tulles brodés: leurs manches, longues et larges, laissent libres leurs beaux bras nus cerclés de bracelets; de hautes ceintures, en soie lamée d’or, raides comme des bandes de carton, soutiennent leurs gorges; sur tous les fronts il y a des ferronnières, faites d’une double rangée de sequins d’or, ou de perles, ou de pierreries, et par-dessus est posée l’hantouze, dont les bouts pendent et flottent par-derrière, mêlés à la masse des cheveux dénoués; elles marchent la tête rejetée en arrière, les lèvres ouvertes sur les dents blanches; elles ont un balancement des hanches un peu exagéré et d’une voluptueuse lenteur; leurs yeux, déjà très grands et très noirs, sont réunis et allongés jusqu’aux tempes avec de l’antimoine, plusieurs sont peintes, non pas au carmin, mais au vermillon pur, comme par recherche sauvage de l’invraisemblance; leurs joues semblent passées au minimum épais; et sur leurs bras, sur leurs fronts, paraissent des tatouages bleus.» (pp.152-153)
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