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Coup de coeur pour TÉRENCE
et le théâtre Amazigh
Par: Dr Abdelkrim Moumen (Médecin
libéral)
Invité parmi un public nombreux au théâtre Mohamed V de
Rabat le 08 avril 2005 pour assister à un première présentation d’une pièce
théâtrale originale.
Cette pièce intitulée tamawayt n’oudrar (chants lyriques de montagnes) est
interprétée en Amazigh (Langue nationale du pays au demeurant) et ayant
notamment bénéficiée du soutien logistique du ministère de la Culture, ce qui
est un fait plutôt rare. Constatons seulement que le ministère de Tutelle a eu
la bonne volonté de se mettre en conformité avec la lettre et l’esprit du
discours Royal d’Ajdir de 2001 concernant la promotion de la langue et de la
culture Amazighes et de ses différentes expressions artistiques.
N’étant moi même ni critique littéraire ni encore moins celui de théâtre, je
souhaite humblement vous livrer mes impressions de spectateur.
Certes les oeuvres théâtrales visent par définition à provoquer émotion et
réflexion mais également à divertir et à transmettre des valeurs morales et
politiques.
Concernant le côté Divertissement de Tamawayt n’oudrar, cela serait
certainement différemment apprécié par le public et par quelques scènes
d’humour de circonstance, la Satire ou comme d’aucuns aimerait l’appeler
Tabakchicht /Lbsat , celle-ci n ‘’y était pas mise en exergue de manière
importante; ce qui n’enlève en rien la qualité artistique de la production.
Constat presque évident, puisque le thème est un tant soit peu sérieux et on est
même tenté de dire que la pièce est initialement conçue et destinée à un public
essentiellement «intellectuel» au fait déjà acquis à la sa thématique.
La présentation est plus que satisfaisante, voire réussie et ce grâce à
l’effort louable et conjugué de toute l’équipe tant au niveau de la dramaturgie,
la scénographie, la mise en scène qu’au niveau des costumes, de la décoration et
de la l’éclairage.
Quant à la réflexion suscitée par la thématique de la présentation, on y relève
la question lancinante et assaillante de la Mémoire et de l’Identité: En effet
M.Essafi ali, qui en est l’auteur, s’est évertué à travers les deux personnages
-pivots, de soulever les problématiques existentielles qui l’angoisse tant:
D’une part la Terre/Patrie représentée par la Mère/Tamazight et d’autre part son
fils symbolisant la perpétuité de la mémoire d’où la signification de son non
issoul/Eernel.
En décrivant leurs forces de résistances, leur lutte digne du mythe de Sisyphe,
le désir manifeste de réappropriation de la mémoire et ce contre toute tentative
exogène visant l’aliénation (et non l’acculturation), la déchéance, voire
l’extinction de la mémoire et par ricochet, de l’identité.
Certaines tournures de situations sont particulièrement significatives et
notamment celle de la destitution de la Reine/Tamazight/Terre-patrie de son
trône par les conquérants étrangers (Tafinikt/la Phéniciennes).
IL importe de mentionner l’aisance des acteurs sur la scène et mettre
particulièrement l’accent sur l’excellente prestation de Fatima SOUSSI dans son
rôle principal de la Mère/tamazight.
Une attention doit être également portée sur le costume de mère/ TAMAZIGHT qui
est apparenté à l’Égée: cette peau de chèvre rasée garnie de frange et teinte
en rouge que portaient les Libyennes d’antan dont les grecs ont tiré le mot
Égée, «c’est ce costume et l’égide qu’on voit en Grèce Aux statues d’Athéna qui
sont inspirés des vêtements des libyennes» ainsi rapportât le célèbre
chroniqueur d’Histoire Hérodote dans son Livre IV de l’Enquête pourtant peu
tendre avec les peuples issus du monde extra hellénique.
Loin d’établir un parallèle entre le théâtre amazigh moderne qui est encore à
ses premiers balbutiements et la Dramaturgie Antique, mais les deux idées
saillantes de tamawayt n’oudrar (Identité et mémoire) m’ont fait plonger dans le
temps en pensant à TERENCE: ce grand dramaturge latino-amazigh et néanmoins
méconnu et que cette terre d’Afrique du Nord a vu naître au 2éme siècle avant
J.C.
S’imprégnant de l’environnement culturel du monde méditerranéen de l’époque; il
ajouta à sa propre culture originelle foncièrement amazighe, une excellente
éducation classique latine (comédie, danse, musique) et s’inspirait d’oeuvres
grecques, notamment celle de Ménandre.
Ses comédies au goût hellénisant demeure une importante source de référence pour
ses contemporains et pour d’autre théoriciens classiques de la Renaissance et
des Lumières (Rabelais, Diderot,..)
Comment ne pas s’enorgueillir puisque notre dramaturge latino-amazigh fut
l’inspirateur des comédies raffinées, spirituelles et vertueuses telles que l’Andrienne,
les adelphes (les frères), l’Hécyre (la belle mère), l’Eunuque...
Et ses comédies ont même influencé le père de la comédie le grand Molière qui
reprend dans l’écoles des maris le sujet des adelphes dont l’histoire met en
scène deux frères discutant de la question de l’Éducation.
Promouvoir le théâtre amazigh revient à réhabiliter un grand pan de notre
Culture Nationale, malheureusement marginalisée, afin de valoriser notre
patrimoine culturel à nos yeux et aux yeux de nos enfants.
Formons le voeu pour que tous les efforts soient consentis dans ce sens et que
d’autres créations culturelles et artistiques de qualité voient le jour et
surtout encouragés par l’appui soutenu des différents ministères de tutelle
(Culture, Communication, LA Jeunesse et Sport..); pour peu que la fusion des
volontés et la synergie des talents soient au rendez-vous.
Vouloir, c’est pouvoir, aimait dire Balzac.
Dr Abdelkrim Moumen(Médecin libéral)
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