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Une légende nommée
Izenzaren
Par: Lahsen Oulhadj (Montréal)
Qui n’a jamais vibré aux rythmes envoûtants de ce groupe
légendaire, Izenzaren? Qui n’a jamais été conquis par la beauté de ses textes
racontant toujours l’Amazigh et ses problèmes? Aucun probablement! Il est
certain qu’à un moment ou un autre, les Amazighs, et même les étrangers, ont été
subjugués par cette troupe musicale pas comme les autres. Nonobstant son énorme
succès, le groupe est resté très discret; ce qui a probablement amplifié le halo
de mystère qui l’entoure.
L’avènement des groupes musicaux dans le Souss n’est nullement une incongruité
qui peut seulement être expliqué à l’aune d’un mimétisme de l’Occident. Ce
concept a toujours été présent dans la culture des Amazighs du Souss. Les grands
rways, Hadj Belàid, Boubakr Anchad, Lhousayn Janti, etc, ont chacun formé leur
propre troupe avec laquelle ils sillonnaient les villages et les villes du Souss
et même d’ailleurs. Hadj Belàid est allé jusqu’en France à titre d’exemple.
Pour autant, le groupe musical, dans son acception moderne, n’est apparu qu’avec
les changements profonds, qu’a connus la société amazighe du Souss à l’aube des
années 60. Une époque caractérisée par une ébullition créative musicale avec
notamment la création d’un groupe moderne et avant-gardiste, tabghaynuzt
(araignée). À en croire Aziz Chamkh, l’un des fondateurs d’Izenzaren: «tabghaynuzt
a été le premier orchestre au Maroc; pour notre génération, elle a été une
première école où l’on a beaucoup appris».
Cette formation musicale et humoristique (un peu à l’exemple d’une troupe tout
aussi mythique, Ayt Lmzar, parce qu’originaires de Lmzar d’Ayt Melloul) a été
fondée en 1960 par des artistes dont les noms ne disent plus rien au commun des
mortels. Parce qu’ils sont tous presque décédés ou vivotent dans l’anonymat le
plus total. On peut citer: Abellah El Madani, Farkou, Brahim n Ssi Hmad,
Bihmaden, Mohamed Bouslam et Jamaâ Outznit.
Ce dernier, paraît-il, était un prodige. Il était un multinstrumentiste
phénoménal. Pratiquement tous les instruments de musique (l’accordéon, le banjo,
le rribab, la guitare) n’avaient de secret pour lui.
C’est grâce à cette troupe donc que les futurs fondateurs d Izenzaren ont eu
l’idée de fonder en 1970 un groupe qu’ils ont appelé Laqdam (les pas). Une
formation qui n’a pas fait long feu, mais ce n’est que partie remise. Car nos
jeunes musiciens sont bien décidés à donner corps à un autre groupe qui vivra
plus longtemps.
Succès
Après moult appellations, le choix a été finalement arrêté sur Izenzaren. La
naissance de cette formation s’est faite d’une manière tout à fait spontanée, à
la différence d’Usman (éclairs) qui était plutôt une entreprise artistique très
réfléchie dont les fondateurs étaient les premiers militants du mouvement
culturel amazigh (Brahim Akhiat, Moustaoui, Azaykou, Eljechtimi, Amarir…).
Le groupe Izenzaren a été très original à tous les points de vue. Il a même
inventé un nouveau courant musical, «tazenzart», avec ses rythmes, ses poèmes et
sa propre thématique.
Il a cristallisé pendant des années, à l’échelle du Souss, la querelle entre les
Anciens et les Modernes, entre les tenants de «tarrayst». Autrement dit, la
pratique traditionnelle de la musique. Et les tenants de cette nouvelle tendance
de la musique amazighe, «tazenzart».
Si le groupe a eu un énorme succès auprès de la jeunesse, les adultes ont bien
évidemment été, pendant longtemps, réticents à cette nouvelle forme de musique
avec des musiciens rebelles aux cheveux très longs et aux méthodes qui rompent
totalement avec ce qui est connu jusqu’à présent.
Il n’était pas rare que les rways, s’imaginant que le groupe Izenzaren était une
menace pour eux, les prenaient en dérision. Said Achtouk par exemple. Mais avec
le temps tout s’est arrangé, vu que leur public n’était pas le même. Izenzaren
s’adressaient plutôt à un public jeune, souvent scolarisé, et, qui écoutait
plutôt la musique occidentale. On pourrait même affirmer que beaucoup de ces
jeunes ont su apprécier la musique des rways en faisant un détour par les
groupes amazighs modernes. Ce qui est mon cas et tant d’autres amazighs de ma
génération.
La rupture avec les rways est visible à certains niveaux. L’apparence
physique et vestimentaire: une chevelure qui va jusqu’aux épaules, des habits
modernes (des jeans, des chaussures …). Les instruments de musique: le banjo qui
détrône le ribbab, le violon, la basse (agembri),etc. Les chants qui épousent
les soucis de toute une génération de jeunes amazighs, déroutée par les
métamorphoses rapides de la société. Enfin, les rythmes qui ne ressemblent en
rien à ce qui avait cours chez les rways.
La première cassette du groupe a été commercialisée au début de 1974. Le succès
a été fulgurant. C’est devenu un phénomène de société. Une légende a vu le jour
en d’autres termes. Tout le monde ou presque fredonnait, et, même plus,
connaissait par cœur leurs premières chansons culte, teintées de cette nostalgie
et de cette mélancolie qui caractérisent tant la musique amazighe du Souss: immi
henna, wad itmuddun, wa zzin, etc.
Le talent musical d’Izenzaren ne saurait suffire pour faire de ce groupe ce
qu’il est sans l’apport d’un parolier qui a écrit la majorité de leurs chansons,
Hanafi Mohamed. « Un homme de l’ombre et un poète extrêmement timide, mais ô
combien doué», selon l’expression même de Aziz chamkh.
Engagement
Avec Izenzaren, l’engagement dans la musique, une notion peu connue jusqu’à
alors dans les mœurs musicales marocaines, prend toute sa signification. Et cela
pour deux raisons. Primo, le groupe, qui n’a jamais succombé à l’argent - ses
membres ne roulent pas forcément sur l’or -, a toujours eu une grande idée de
l’art musical à qui il a donné ses lettres de noblesse. On peut dire que cette
attitude est vraiment unique dans tout le Tamazgha. Secundo, la chanson
izenzarienne a cette caractéristique particulière de ne pas traiter de sujets
rebattus. C’est vrai que le groupe a traité de l’amour à ses débuts, mais sans
pour autant tomber dans la facilité et encore moins dans la vulgarité. Je dirais
même que leurs chansons d’amour étaient pourvues de ce «je ne sais quoi», ce
mystère qui donne aux œuvres artistiques une vie éternelle. Wa zzin (ô beauté),
tasa ittutn ( le cœur blessé), àawd as a tasa nu (ô mon cœur, raconte), etc,
font désormais partie du répertoire classique de la chanson amazighe.
Chemin faisant, Izenzaren épousent progressivement les soucis concrets du
public. Exit la thématique sentimentale! Désormais, leurs thèmes, caractérisés
par un traitement pour le moins pessimiste voire même noire, tournent autour de
la contestation sociale et politique, la revendication identitaire, la
dénonciation de toutes les injustices, etc. Pour preuve, on a qu’à voir les
titres de leurs chansons: Tillas (obscurités), Gar azmz (mauvaise époque),
lmeskin (le pauvre), izillid (l’orage), tuzzalt (le poignard), tixira ( fin du
monde), etc.
Séparation
Le succès venant, les dissensions n’ont pas tardé à éclater au sein du groupe.
Résultat. Il se scinde en deux parties portant le même nom: la première autour
d’Aziz Chamkh; la deuxième autour d’Iggout Abdelhadi. D’ailleurs tout ou presque
a été dit sur cette séparation. Beaucoup croient à ce jour qu’il s’agit d’un
complot ourdi par ceux-là même que le succès de ce groupe amazigh dérangeait au
plus haut point. Mais, il semble que les raisons soient plus personnelles
qu’autres choses. Incompatibilité d’humeur entre les membres du groupe
certainement! D’ailleurs, pour en savoir davantage, j’ai posé la question à Aziz
Chamkh qui a eu cette réponse éloquente: «mais nous n’étions pas mariés pour
parler de séparation! D’ailleurs je ne comprends jamais pourquoi on m’interroge
souvent à ce sujet.» Belle manière d’éviter de raviver des souvenirs qu’on
préfère taire à jamais.
Si le premier groupe a fait un travail de recherche approfondie sur le
patrimoine musical amazigh en remettant au goût du jour- et de quelle manière!-
le répertoire classique des grands rrays, notamment Hadj Belâid, et en créant de
temps en temps, le deuxième groupe a toujours fait dans la création pure. Il est
d’ailleurs le plus apprécié non seulement à cause de la personnalité rebelle,
marginale et anticonformiste, de son chanteur vedette, Iggout Abdelahadi, mais
aussi à cause de cette façon unique à manier le violon et surtout le banjo.
D’aucuns l’appellent volontiers le magicien de cet instrument, voire son plus
grand spécialiste dans tout le Tamazgha. Il faut dire que ses compositions sont
inimitables. Jusqu’à présent personne n’a pu l’égaler, même si nous avons
assisté à l’avènement d’une multitude de groupes, aussi divers que variés, et
qui ne manquent nullement de talent: Archach, Titar, Izmawen, Laryach, Oudaden,
Ibarazen, Igidar…
Les influences musicales d’Izenzaren sont pour le moins nombreuses. Pourvu qu’on
y prête bien l’oreille, cela peut aller du patrimoine musical amazigh présenté
par l’Ahwach, l’ajmak, l’ahyad, l’ismgan ou l’ignawen, les rywas, des rythmes
afro-sahariens et même du Country américain.A quand du nouveau?
Izenzaren, avec leurs textes caractérisés par une langue des plus recherchées et
leurs arrangements originaux, resteront toujours un mythe qui a marqué toute une
génération d’Amazighs. Jusqu’à présent, à chaque spectacle du groupe, ce sont
des milliers de fans qui se déplacent pour y assister, et, souvent, tout le
monde reprend collectivement les paroles de leurs chansons.
Cette formation musicale est souvent plébiscitée comme le meilleur groupe
amazigh. Mais on regrette presque le fait qu’il n’ait pas produit aucun album
depuis 1990.
En 1998, dans l’un de leurs concerts à Agadir, le public entonnait
collectivement à l’adresse du groupe: «Nera amaynu! » (Nous voulons du
nouveau!). La réponse d’Iggout Abdelahadi a été pour le moins cinglante: « il
faut déjà que vous compreniez les anciens albums pour en exiger un nouveau»,
lâcha-t-il.
En effet, ce n’est pas donné à tout le monde de comprendre la poésie
izenzarnienne souvent qualifiée d’«ésotérique», mais en tant que public amoureux
de ce groupe, du nouveau est toujours le bienvenu. Même si on ne se lasse jamais
d’écouter leurs anciennes chansons qui ne perdent jamais de leur magie. Bien
plus, elles sont carrément des repères identitaires pour une jeunesse amazighe
assoiffée de reconnaissance et, surtout, à la recherche de symboles. Ce qui peut
aisément se vérifier de visu à chacun de leurs spectacles.
Longue vie donc à Izenzaren et merci à eux! Car ils nous ont donné, en plus de
l’émotion, la fierté d’être amazighs.
La seule nouveauté du groupe reste cette chanson,
«izd ghik ad a tram?»
izd ghik ad a tram?
ghik ad ran?
a ggisen ukan iligh
izd ghik ad a tram?
ghik ad ad ran?
ad yyi nit ittjrun
ar temtatent
ayt ma-k gh iswak
ur lsan, bbin asen wadan,
ilih asen asafar
lkem yyi-n s ugharas!
zund nekkin, zund keyyin
zund keyyin, zund nekkin
yan iga lhsab
yan ay iga w awal
war lmal igh gguten
amya ur sis llin
izd ghik ad a tram?
ghik ad ran?
wa ad yyi nit itjrun
* * * *
wa f yyi-d afus!
anmun gh ugharas
nffagh kem, a tamazirt
nfl tt i wiyyadv
wa nstara gh tmizar
tilli lligh ur nlul
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