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Lorsque les langues se sacralisent.
Par: Aziz CHELLAF
Les hiérophanies et le
sacré
La première définition dd sacré c’est qu’il s’oppose au profane, c’est à
dire ce qui est étranger à la religion. Cependant, certaines choses sont liées
au sacré au point d’un panachage entre les deux. Dans la pratique de notre pays
par exemple, le sacré se mêle au profane sans modération. Le Marocain lors d’une
visite à un mausolée -ou plus largement à tout monument funéraire- baise d’abord
le seuil de la construction dont il est enterré un saint. Cela dit que la
construction devienne elle-même digne de tout respect, voire même sacrée. Il ne
le devient que par le fait qu’un saint y repose. Ainsi, se fait cette confusion
entre la raouda et la sacralité de ce saint qui est elle-même due, le plus
souvent, à son appartenance à la famille de prophète et donc dit un charif, un
salih, un waliy et ainsi de suite.
Dans tous ces cas, il n’est question d’une vénération ni de la pierre, ni de la
construction ou encore de l’homme que par le fait qu’ils mènent tous vers une
autre chose, le sacré. Cette confusion entre le vrai sacré et ce qui y mène est
habituel dans la mesure qu’il est difficile de sectionner l’un de l’autre. Par
ailleurs, cette confusion n’est pas le simple fait des personnes mais aussi des
institutions. Cette constatation est évidente si on entend les propos de ce
Procureur du roi qui, lors de l’affaire du jugement de journaliste A. Elbrabet
pour outrage aux institutions du Royaume, a dit qu’une pierre reste une pierre
mais dès qu’on construit un palais ou une mosquée avec, elle devient sacrée. La
sacralité de la pierre passe d’abord par ce qu’elle représente. Autrement dit,
la pierre ne reflète enfin de compte que ce qui se manifeste à travers elle, car
dans tous les cas elle reste une pierre comme les autres. Tous ces
intermédiaires sont des hiérophanies, mais elle y’a une autre d’une différente
nature.
Une hiérophanie de plus
Il n’est pas rare d’entendre dans notre société des confusions aussi
flagrantes sur cette question de la relation entre la langue arabe et le Coran
ou l’islam en général. En Europe notamment, une méconnaissance de cette langue
est assimilée à une distance vis-à-vis de la religion. Certains se prévalent
qu’ils n’ont pas commis de pêché parce qu’ils ont profité leurs enfants de
parler cette langue contrairement aux autres. Le discours même de la mosquée le
jour de vendredi va dans le sens de cette confusion. Pire même, un
embrouillement entre la race (en l’occurrence être ‘arabe’: nous les ‘arabes’;
nos régimes ‘arabes’…) et la religion musulmane. Beaucoup de personnes parlent
d’eux-mêmes en se disant ‘arabes’ comme synonyme du musulman. Ces individus sont
des amazighs et parlent encore cette langue. Leur conception est indissociable
de celle de leurs semblables au Maroc.
Tel est le cas de la langue pour le fait religieux. La langue n’est sacrée dans
nos esprits que par le fait qu’elle montre le vrai sacré à savoir le Coran. Une
pierre ‘sacrée’ reste une pierre dans la mesure qu’elle n’est que cela et
pareil: une langue ‘sacrée’ reste une langue dans la mesure qu’elle n’est que
cela. Cette relation est bien relatée par l’affaire Elmrabet précitée.
Pourquoi alors une telle confusion entre les deux questions, celle de la langue
et celle du sacré? Lorsqu’on se penche sur la nature des personnes qui
véhiculent cet amalgame, des personnes avec un niveau intellectuel capable de
saisir de telles relations, on peut se demander effectivement quel est le revers
de la médaille?
Cette idée est généralement celle des milieux panarabistes et islamaouistes qui
sur cette question- celle de la langue- sont les deux faces de la même médaille.
Leur fin est de servir une idéologie, faire passer un message politique sous une
connotation religieuse, et dans ce cas tous les coups sont permis pourvu que le
résultat soit atteint. On est surpris de voir des intellectuels soutenir une
telle sacralité de la langue arabe sans nous fournir une seule preuve qui tient.
Pour eux, sacrée cela va de soi. Or, qu’est ce qui fait que cette langue est
sacrée? L’est -t-elle toute seule ou avec d’autres langues? Et l’est-t-elle
depuis quand; depuis la révélation du Coran ou avant? Autant de questions qu’on
peut se poser sur cette question.
Pour eux, il suffit que celle ci soit la langue de Coran pour l’être. Rien ne
soutient une telle affirmation y compris dans le Coran lui-même. En effet, rien
dans le Coran ne dit que cette langue occupe une part au-dessus, ou au dessous,
des autres par le fait qu’elle est la langue de saint Coran. Si cela est vrai,
on peut en déduire qu’avant cet évènement cette langue ne l’est pas. Dès lors la
sainteté n’est pas celle de la langue mais celle du Coran, ce qui est évident.
Encore, faudrait-t-il savoir comment ce qui n’est qu’une création humaine soit
sacrée, alors que le sacré est d’abord ce qui est inviolable, intouchable et
donc parfait?
Deuxième chose, cette langue est la langue du Coran. Or, avant cette religion
d’autres langues ont été le moyen de la révélation de d’autres livres (Bible,
Evangile…). Par conséquent, étaient-t-elles également des langues sacrées?
Qu’est ce qui fait qu’aujourd’hui, elles ont perdu leurs sacralités (si on
suppose qu’elle est acquise)? Pour les musulmans que nous sommes, la langue
arabe n’est pas ce que nous lui prétendons être sans ce fil direct vers le vrai
sacré: la parole de Dieu. Le poids du Coran se trouve manifesté dans cette
langue qui n’est qu’une porteuse d’un message sacré. On peut ne pas être
d’accord mais posons la question aux 20 millions de Chinois musulmans, aux
Indonésiens, aux Iraniens… sur la sacralité de cette langue.
Pourtant répondent, in fine, ceux qui soutiennent cette thèse, et à qui veut
l’entendre, wa kha tart maâza (même si elle a volé, c’est une chèvre).
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