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Quelle langue pour le Maghreb amazigh? Par: Hassan Banhakeia (Université d’Oujda) Tout commence par la langue, tout se fait par la langue et tout se défait par la langue. En Afrique du nord, cela est palpable davantage dans un système qui repense l’emplacement des langues. Différentes scènes, qui peuvent traduire le degré de la démocratie, l’efficience de la Constitution et la proximité Institutions-Citoyen, sont fondamentalement déterminées par la pratique linguistique. Seulement, au sein de cette société dite plurielle, il y a un rapport particulier à la langue et à son fonctionnement. Deux faits, à ce propos, sont à rappeler hâtivement. En premier lieu, l’on a étrangement l’habitude de s’enorgueillir en public (et le locuteur et l’auditeur) à la fin d’un discours qui n’informe pas, et le souci de communication se trouve mis de côté, sans aucun intérêt. Le parlant est alors vu comme quelqu’un qui s’exprime parfaitement… comme si la perfection était tributaire de l’incommunication. La langue s’embellit-elle alors quand elle n’exprime rien? N’y est-il pas précisément question d’un conflit de langue si intériorisé ? Deuxième fait: l’on se presse à parler la langue des autres et à approcher autrement le savoir. L’on arabise le nord-africain, sans se dire que c’est un processus qui va à l’encontre du mouvement de l’authenticité nord-africaine, et sans se préparer plutôt à amazighiser l’arabophone afin de réconcilier le citoyen avec l’Histoire qu’on rêve de récupérer… comme si ce processus fuyait facilement sur les replis de l’effacement du Temps… comme si on essayait de sonder l’Histoire à partir d’une vision idéologique réductrice… Que disent donc les Constitutions des pays amazighs? Quelle place pour tamazight dans cette partie du monde? Il est primordial, pour mieux analyser le phénomène de la langue, de définir les politiques relatives: avons-nous justement une politique d’assimilation ou une politique de non-intervention (du laisser-faire)? Précisément, quand on dit politique, on se réfère à l’intervention et à la pratique sur le réel (physique et métaphysique) par le biais d’un discours. Cet article a pour objectif principal de répondre à ce conflit linguistique, créé toutes pièces par les politiques linguistiques, et mis en scène par les illusions qui tentent de réifier le réel. Diverses sont les difficultés présentées par cette étude à mener autour de la place de la langue dans les milieux institutionnels de l’Afrique du nord. I. Une question de langue complexe et urgente… Le complexe des Maghrébins est de nature langagière: il caractérise leur expression de la pensée, leur conception de la communication, leur mode d’être et leur vision des choses. Cette essence «à récupérer» est derrière le fait de forger des caractérisations étrangères, des symboles déplacés et des traces confondantes. Mais, que disent les mystérieuses données démoliguistiques du Maghreb amazigh qui puissent résoudre un tel complexe? Connues ou inconnues, elles doivent demeurer le grand secret fondateur de l’État. Si hic et nunc la tradition est l’arabe, et la modernité le français, quelle place doit-on donc réserver à tamazight, langue-culture autochtone? Cette dernière est incontestablement l’être premier, mais faut-il la rattacher à la tradition (conçue à partir du VIIe siècle) ou à la modernité (accolée à la colonisation des temps modernes)? A leur confusion? Au juste milieu qui ne peut s’investir ni de discours ni de sens / pouvoir? Quelle glottopolitique faut-il appliquer pour un consensus entre ces trois langues?(1). De quel discours particulier investir une telle politique? Comment apparaît le conflit linguistique dans la structure plurielle de l’Afrique du nord?(2). Y a-t-il une politique de gestion des langues, objective et positive?(3). Non. Ce qui existe, c’est bien une politique linguistique entamée depuis 1960 par la création «indispensable» de «l’Institut d’études et de recherches pour l’arabisation», et accompagnée de politiques antidémocratiques (anti-amazighes: décrets, lois, règlements).(4) Partout, dans les différents pays, l’on nourrit une utopie du faux unilinguisme qui dévie en un déséquilibre constant: tantôt vers l’Occident, tantôt vers l’Orient, mais sans aucun regard humain sur le hic authentique, sur l’Histoire. L’on sait bien que la politique linguistique est une série de décisions prises afin de déterminer les comportements linguistiques dans la vie sociale et administrative et de les gérer positivement, elle se manifeste comme gestion des langues, notamment dans les Institutions où il est facile de palper le nombre des langues d’un État, leur intérêt et leur fonctionnement. Et les appareils de l’État (qui se veut démocratique) entendent incarner le haut degré de la conciliation de la Citoyenneté avec le Réel. Car la citoyenneté se mesure avant tout par cette totalité qu’on appelle langue-culture. Qu’est-il alors de la totalité nord-africaine? Elle n’est pas une citoyenne à part entière: absente et effacée dans les appareils de l’État. Alors peut-elle être une autre totalité corrélée à la totalité exogène dominante? Non. Cette négation est défendue même par ceux qui disent que la diversité est l’état naturel de l’univers. De ce fait, la politique linguistique au Maghreb amazigh ne peut être qu’un échec: elle ne parle que l’unicité de l’homme «arabe», du peuple «arabe» et du destin «arabe». Exclure l’homme et l’éradiquer de l’Histoire, et parler de l’homme et de sa langue-culture! Une question se pose d’emblée: Que dire alors des ouvertures sur l’amazighité en Algérie et au Maroc? Peut-il l’IRCAM (l’Institut Royal pour la Culture Amazighe fondé en 2001, comme résultat de la montée en puissance du mouvement amazigh, notamment avec la composition du Manifeste amazigh (01/03/2000) ou sa version algérienne HCA (Haut Commissariat à l’Amazighité fondé le 07 juin 1995, comme conséquence de la grève des cartables en 1994) incarner cette gestion et la mener à fin? Non. Ces établis ne peuvent point rétablir tamazight, car ils ne constituent pas une réelle politique… Il y est question d’une création «innécessaire mais antidotique» qui répond par pure «réaction» antalgique. Ces établis considèrent l’héritage amazigh comme une totalité brisée, sans intérêt (voire inutile). Pourtant, l’on parle généralement de réhabilitation et de promotion et d’introduction de l’amazighe (dans une autre totalité), mais sans aller jusqu’à fonder tout cela sur une autocritique des appareils de l’État. Il y a même intention de créer une situation chaotique pour prouver que la désorganisationt peut être la conséquence au moment de la résurrection de tamazight dans le Maghreb amazigh. II.- Le Chaos linguistique créé Qu’entend-on par chaos? Il est cette corruption de la société dans la mesure où il pervertit les individus, et la collectivité. Il détermine l’homme, cet être qui vit en corrélation avec les autres dans ce milieu, doté d’une langue de communication, et par ce moyen connaît une culture (partagée avec les autres). Le Chaos des langues est là, indéfiniment difficile à représenter. Il touche non seulement les langues mises à l’écart, mais aussi celles enseignées dans les écoles. En outre, cet état est visible dans les médias. Dans les foyers et les rues, la présence de l’Égyptien est si importante que le Maghrébin peut être défini linguistiquement comme égyptien. De même, l’arabe dialectal, entre amazighophones de différentes zones, qui est la lingua franca, va perdre progressivement ce statut en faveur de l’égyptien. Cette succession des métamorphoses de la pratique langagière est un chaos qui ne peut se greffer sur le centre, la base… Cet état dérive d’une diversité mal exploitée, c’est-à-dire négativisée. Au Maroc, tout comme en Algérie, en Libye et en Tunisie, depuis l’Indépendance, le plurilinguisme est davantage ignoré, et l’arabisation se trouve comme le seul projet commun de ces systèmes (républicain et monarchique) pour la régulation linguistique, d’où l’idée du Grand Maghreb Arabe. Les textes officiels parlent simultanément de l’acceptation de la pluralité et de sa négation. Arabisation totale. S’arabiser, c’est survivre. Ici, nous sommes dans la Survie. Reniement de l’amazighité en deuxième étape. Et la première? C’était au début: Si l’Afrique du nord n’avait pas été riche et luxuriante pour ces bédouins du désert, les Conquérants auraient détruit l’amazighité. Au commencement, les butins étaient innombrables et appétissants… et le symbolique allait venir par la suite… En outre, ce Chaos est le résultat d’une situation qui ne se rattache ni à l’avenir ni au passé. Les langues présentes au Maghreb amazigh sont diverses, et des faits historiques représentent le rapport entre eux. C’est un rapport d’extermination (mot plus juste et précis que «compétence» ou «substitution») entre l’Arabe (arrivé explicitement au VIII siècle) et l’Amazigh, et entre le Français (XIX siècle) et l’Arabe. Afin de remédier à cette dialectique sans issue, il est nécessaire de construire une nouvelle situation basée essentiellement sur l’autocritique et l’objectivité historique. Ni l’autocritique des musulmans conquérants (des arabes envahisseurs) ni celle des français colonisateurs n’ont jamais été faites. Non plus une analyse objective de l’Histoire. Tout cela dérange: il peut annuler le Chaos nécessaire. Aussi ce chaos est-il l’incarnation de cette confusion entre langue et idéologie (créant une certaine «languisation» du peuple (francisation, arabisation, castellanisation). NNN Ici, la religion et la langue ont une même source, elles font inextricablement un même corps (indéfini). Quand elles s’entremêlent, la répression devient double, sinon totale. Et dans cette situation où tout est soit inversé, soit renversé, l’amazigh choisit l’écart et la marge pour refuge afin de survivre. Cette langue autochtone est dite tantôt incapable de véhiculer un message divin, inapte d’expliquer le métaphysique (face à l’arabe), tantôt incompétente à véhiculer la Science (face au français). Et du fait qu’elle est rattachée au quotidien, à l’immédiat et au physique, elle est alors mondaine et peu utile. Ce chaos est à relire, en plus, comme une confusion des choix faits à travers l’histoire tourmenteuse où le politique parie incessamment sur l’exclusion. Les classes aisées et puissantes choisissent le français, et la plèbe l’arabe. Depuis le XIX siècle, le Maghreb amazigh, comme en temps des Grecs et des Romains, optent pour l’apprentissage de la culture étrangère. Apprentissage de la trace. Cette civilisation européenne crée une situation linguistique complexe, et en conséquence l’hétérogénéité linguistique préexistante se trouve alors plus aigue. NNNN Arrive l’indépendance des pays maghrébins, qui est alors synonyme de la négation de l’existence amazighe (culture, langue et homme), ce qu’on appelle purification linguistique. (5) NNNN Le discours institutionnel se trouve, en définitive, partagé entre l’arabisation (arrivée de l’est) et la latinisation (arrivée de l’ouest). Particulièrement, les modèles suivis dans cette politique sont l’arabisme et le jacobinisme. (6) nnnnn Subordination des langues, hiérarchisation et inégalité linguistiques, survivance linguistique, déficit linguistique, équilibre linguistique et d’autres concepts corrélés à la langue sont à poser et à définir, de là à déconstruire. La démocratie linguistique se trouve comme un concept détesté, rejeté dans l’oubli et l’effacement. Elle est le Mal. Qu’est-il du consensus linguistique si démocratie est à venir selon les promesses et les projets nourris par ces nouveaux États? Et une impression surgit au fin fond de nous: Que dire de ceux qui prétendent mélanger le «légal» et le légitime, serait comme faire de l’artificiel un élément naturel? Face à ces arabistes qui réfléchissent «par rumeur» en criant: nous sommes arabes, nous avons l’arabe langue officielle et nationale, que faire d’autre chose? Le mouvement amazigh, timide et assumant une infériorité intériorisée, n’utilise pas les rumeurs à sa cause, et s’accroche à la rationalité et à la prétendue scientificité de ses droits et à leur solide légitimité. Peut-être attend-il aussi la pitié des autres. (A suivre)
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