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«Anebdu», la saison des errances de l’être indéfini Par: Hassan Banhakeia (Université d’Oujda) Traverser la Méditerranée, c’est caresser capricieusement la Douleur d’un être rêveur qui peut mourir d’un moment à l’autre. Cela est bien clair dans les yeux de ceux qui partent et qui gardent le regard sur l’azur quitté. Ils ne pleurent pas, ils ont beaucoup de choses à raconter de ce voyage au pays qui, à cause de quelque chose d’indéfini, est devenu un Cauchemar. Et les langues de libérer le même refrain: «Si seulement je n’étais pas rentré… Je ne voulais pas venir, mais je ne sais pas où je…» Rentrer, venir, c’est bien entre ces deux mouvements que ces vies errent infiniment. Est-ce là une fuite devant l’indéfini? me dis-je. Au fait, il y a plusieurs formes de fuite pour l’Amazigh errant: -il échappe à l’enfer économique en choisissant l’Exil; -il échappe à l’enfer du discours établi (investi d’autres modes) en choisissant l’Acculturation; -il échappe à l’enfer métaphysique (embrassant d’autres credos) en choisissant l’Aliénation; -il échappe à l’enfer sociopolitique en choisissant la Marge; -il échappe à l’Histoire en choisissant l’Effacement. Certes, il est difficile de résister, mais facile de fuir. Les dangers sont ainsi multiples, et plus importants que ceux laissés derrière; mais il y a une seule issue portant un même nom: l’Aliénation. Est-elle alors un paradis à venir? Non, elle n’est qu’une solution pour toutes ces indéfinitions jamais reconnues. Voilà, l’origine de ces êtres démunis. L’errance continue. Le bateau, vieux et sale, vogue dans un champ de vagues indomptées. Il peut dire beaucoup de choses sur ces êtres qui ne cessent de hurler de bonnes choses à leur propos, et de réciter tant de malheurs qui les entourent. Ils se disent alors courageux, bons et solidaires. Ils ont marié un cousin, ils ont construit une maison pour un frère, ils ont payé la facture X de monsieur X, ils ont acheté ça pour que X travaille, ils ont… ils ont… ils ont… Mais, ils ne cessent de fuir car là-bas rien n’a changé. Et par vengeance, ils ne se lassent de pousser les jeunes (rêveurs et naufragés) à les rejoindre, à les accompagner dans leur fuite vers nulle part, récitant que là-bas, chez nous, tout est bien. Facile. Communiquant. Simple. Lumineux. Propre. Organisé. Puis arrive un moment où ces êtres confessent leur lassitude de la vie tiraillée entre l’ici et le là-bas qui se hissent pour eux, vases commniquants. Là, des pleurs, des cris et des lamentations explosent et font mal au cœur… Là, ils n’ont rien. Rien. Et ici, rien aussi. Triste paysage offre cette traversée aux mille odeurs, aux pieds nus, aux toilettes sans eau, aux fauteuils éclatés, aux cris infinis et aux poulets rôtis et déchiquetés. Et un doute persiste: qu’apportent ces âmes fatiguées au Maghreb amazigh? Peuvent-elles résoudre les difficultés politiques et économiques d’un pays? Que leur réserve l’État? Une banque. Des bateaux comptés. Des lots de toutes sortes. L’État oublie de leur exprimer notre chagrin à les voir partir «pour toujours et ailleurs» et son désir de les récupérer un jour «chez eux». Et ces âmes déchirées savent maintenant la profondeur de cet oubli, qui, un jour, se métamorphosera en exil définitif. A qui la faute? Cette maudite colonisation… Loin d’en être une conséquence directe, cette blessure demeure l’antagonisme historique à l’indépendance des pays amazighs. Sachons que l’occupation (dans toutes ses formes, elle veut dire négation) active irréversiblement la migration. Au Maghreb amazigh, zone des traversées et des incessantes invasions, il ne peut y avoir qu’un déclenchement migratoire intarissable. Tous ces siècles, qui connaissent le génocide et la persécution, préparent en conséquence la fuite vers nulle part. Enfin, cette migration infinie et indéfinie, je ne sais pas, me rappelle l’âme des premiers Imazighen qui erre, et en partant ne réussit pas à s’accaparer un corps à soi: libre, propre et entier. Elle serait l’image de cette femme jeune qui met au monde tant d’avortons qu’elle rejette loin du regard aveugle de Cronos qui désire les dévorer. Sans amour, les avortons partent très loin. Rêveurs d’un amour, ils rentrent dans le règne de Cronos toujours affamé, encore dévoreur d’âmes. Déçus, ils repartent, rêvant de s’installer nulle part. Ils vivent et meurent, partagés entre l’oubli et l’exil.
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