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Y-a-t-il encore des journalistes démocrates au Maroc? Par: Aïcha Aït-Hammou Parce que quelqu'un possède le don de la plume dans la langue de Molière, il s'en donne à cœur joie, sans scrupule ni pudeur, aux dénigrements et aux malversations du Mouvement Amazigh sans auto-critique aucune de ses propres propos qui sont totalement rétrogrades et anti-démocratiques, et qui n'aident pas justement à passer ce qu'il appelle la "transition démocratique". La maîtrise de la langue est certes indispensable pour exprimer des idées, néanmoins le don de la plume ne doit pas être un débouché à l'exclusivisme et une raison de mépris pace que simplement la cause ne sert pas les intérêts de l'auteur. Il aurait pu faire romancier et il aurait du succès en écrivant tout ce qui lui passerait par la tête sans le soumettre à une critique préalable, mais une analyse politique d'un mouvement culturel et social lui pose apparemment des problèmes. Une telle analyse nécessite avant tout de l'auteur qu'il se débarrasse au plus vite, surtout en tant que journaliste, de ses propres penchants idéologiques. Dans son analyse, Abdellatif Mansouri, l'éditorialiste du journal Maroc-hebdo, s'attaque au Mouvement amazigh (Maroc-hebdo n° 472 du 6 au 12 juillet 2001) sous prétexte que celui-ci revendique une appartenance raciale, voire génétique, à l'amazighité. Il n'a donné aucune déclaration émanant du Mouvement, qu'il accuse, et qui puisse soutenir ses déclarations, à savoir qu'il faudrait faire une analyse génétique remontant aux ancêtres en vue de déterminer l'appartenance ethnique des Marocains. Ce mécanisme idéologique qui consiste à accuser ses ennemis de racisme s'apparente à la méthode islamiste qui accuse de néocolonialisme toute revendication amazighe, même la plus élémentaire. Le fait que ce genre d'accusation émane des islamistes, qui sont des exclusivistes par la nature même de leurs dogmes, n'est pas étonnant. Néanmoins, que cela nous vient d'un journaliste ayant pris la plume pour informer le lecteur, et qui a des prétentions démocratiques, est un événement d'une toute autre nature qui doit nous interpeller et nous faire réfléchir sur les dérapages médiatiques de certains "journalistes" dont la mission prioritaire est désormais de faire de la propagande mensongère à l'encontre de tout ce qui ne va pas dans le sens de leur idéologie personnelle. «Sérieusement, qui peut dire aujourd'hui, après des siècles de brassages, qu'il est totalement berbère, totalement arabe?» Personne bien évidemment, mais c'est justement là le problème. Un individu ne se définit pas par rapport à ses gênes, dont il ne connaît souvent pas l'origine, mais plutôt par rapport à sa langue et sa culture. Il n'y a aucune phrase dans le manifeste amazigh, que cet individu attaque, qui fait allusion à la race ou aux origines génétiques. Le manifeste amazigh est exempt de tout exclusivisme et de tout racisme, contrairement à l'article de notre illustre journaliste qui s'est défoulé magistralement sur le texte du manifeste, sur les acteurs de l'amazighité et sur les médias étrangers qui traitent du sujet. «Et puis, franchement, dans l'ordre des priorités nationales actuelles, tels que l'affermissement de la démocratie, le décollage économique et l'atténuation des multiples fractures sociales, quelle urgence y a-t-il à mettre en avant ce genre de slogans déclaratoires?», ajoute-t-il sans tenir compte du fait que cette démocratie ne peut pas être fondée en partant du haut, en mettant en place une équipe de journalistes ou de responsables politiques qui nient complètement les aspirations des citoyens et leurs problèmes réels au quotidien. La marginalisation de la culture amazighe depuis l'indépendance est un fait historique incontestable et ce journaliste "démocrate" n'était jamais là pour dénoncer les exactions quotidiennes et de tout ordre dont les amazighophones faisaient et font encore l'objet. Le dénigrement systématique et moyenâgeux de tout ce qui est amazigh est un vécu quotidien pour des millions de personnes au Maroc qui continuent de souffrir de ses conséquences graves de tout point de vue, social et économique. Si ma mère arrive dans un hôpital ou dans tout autre service, pour se faire soigner et qu'elle ne parle qu'exclusivement le tamazight, elle est systématiquement montrée du doigt telle la peste et dans son PROPRE pays. L'apprentissage des langues chez-nous frôle le délire et la maladie car une personne ne parlant pas la langue arabe est systématiquement prise à parti sans jugement ni procès et la réaction est normale et toute trouvée. A quoi s'attend-t-on dans de telles situations d'humiliation? A une résignation qui perdure et qui n'en finit pas? La "transition démocratique" que ce soi-disant journaliste prêche, ne consiste-t-elle pas et en premier lieu à respecter la dignité des citoyens dont elle fait l'objet? Y a-t-il, pour les Marocains, une priorité plus urgente que de vivre dignement et dans le respect dans leur PROPRE pays ? Le nom que l'on donne à cela importe peu. Le terme démocratie, égalité ou tout autre qualificatif n'est pas ce qui peut changer concrètement la vie quotidienne d'une personne. Ou voudrait-on encore vivre dans une démocratie métaphysique et imaginaire comme nous l'avions déjà fait dans un système officiellement constitutionnel dont Tazmammart illustre bien les résultats positifs? Ce pseudo-journaliste ne doit pas avoir à se confronter à des problèmes quotidiens de marginalisation, il ne doit pas avoir à se confronter à des difficultés de tout ordre qui avaient frappé et frappent encore des citoyens dont la langue s'appelle tamazight. Lui, il doit avoir fait parti des privilégiés ayant la possibilité d'aller faire des études, grâce à des bourses généreuses, dans des universités prestigieuses pour améliorer son français afin d'avoir la capacité linguistique et la possibilité de venir aujourd'hui insulter l'amazighité, chez-elle, en la traitant de tribalisme car la création d'un parti politique par le Mouvement amazigh est «en somme, une belle unité nationale dans une merveilleuse démocratie tribale.» Pourtant, ce sont ces mêmes tribus qui avaient fait la guerre au colonialisme français et espagnol au moment où d'autres fêtaient avec eux des nuits rouges ou oublie-t-on si vite? Ce sont eux qui se sont présentés sur les abattoirs de l'honneur et du martyr pour la patrie. Ce sont eux aujourd'hui encore qui font la promotion d'une démocratie authentique et véritable, celle où tous les droits de tous les citoyens, quelle que soit leur origine linguistique, religieuse, ethnique ou sociale, seront garantis. Ou voudrait-on construire, une démocratie de façade, une démocratie métaphysique où les uns auront la liberté et le droit de disposer des autres pour les exploiter? Où les privilégiés vivent dans leur monde de luxe dégradant tandis que des millions de citoyens se débattent dans la misère, dans le désarroi et dans des difficultés auxquelles ils n'arrivent même plus à envisager des solutions? Quelle démocratie nous prépare-t-on? Celle qui consiste à donner la parole aux uns pour dénigrer et maltraiter les autres ? Je me pose des questions parce que si un journaliste, qui est théoriquement un homme intelligent et cultivé, et un analyste avéré de situations sociales et politiques, se prononce de cette manière sur la démocratie, il ne faut pas s'attendre à mieux chez le citoyen ordinaire qui n'avait pas l'opportunité de faire des études, qui n'a pas accès aux journaux, même pour les lire, et qui vit au jour le jour en souhaitant simplement avoir du beurre pour ses épinards, améliorer sa situation matérielle et avoir une femme et des enfants comme le commun des mortels. Ne dénonçant pas les interdictions successives qui frappent le mouvement amazigh dans ce même article, au contraire il les soutient par omission, ce journaliste nous donne une preuve éclatante de son esprit anti-démocratique parce que la démocratie c'est d'abord et avant tout la liberté d'expression par les moyens légaux, pour tous les citoyens, et parmi lesquels il y a la liberté de rassemblement. Il passe outre ces considérations parce que ces interdictions ne le frappent pas directement. Cependant, la réalité est que ceux qui décident aujourd'hui de ces interdictions seront là demain pour interdire la presse et les autres libertés publiques et ce n'est qu'à partir de ce moment là que notre prestigieux journaliste se mettra à protester. Ainsi, en parlant du rassemblement du Comité du Manifeste amazigh, il dit que c'est «un rassemblement insolite, pas par parce qu'il a eu lieu, mais par son contenu et ses débats.». Parce que c'est insolite pour notre "intellectuel", son interdiction est toute naturelle et ne pose aucun problème de "transition démocratique" et de liberté publique. Parce que c'est un sujet qui ne le concerne pas, satisfait qu'il est sur son fauteuil de crache-feu, il ne voit pas en quoi SA "transition démocratique" est menacée par les mêmes "décideurs" qui le mettront demain en prison pour avoir dénoncé un problème qui lui tiendra à cœur. Une démocratie qui ne prend pas en compte toutes les composantes et toutes les aspirations des citoyens sans exception ne peut être qu'une démocratie partielle, voire démagogique, qui ne sert que les intérêts des uns au détriment des autres. N'oublions pas que les signataires du manifeste amazigh dépassent le million et que cela prouve que les clauses du manifeste traduisent une aspiration réelle et représentative du peuple marocain qui aspire au changement de l'état actuel des choses. Notre problème en ce qui concerne la démocratie et le changement est un problème de générations. La démocratie n'est pas un vain mot que l'on prononce et, grâce à un effet magique, il transforme la société en un pays démocratique et prospère socialement et économiquement. Il faut d'abord et avant tout secouer la vieille génération habituée aux mensonges, à la corruption et aux déclarations gratuites et fortuites qui n'ont aucune incidence concrète sur le terrain social et économique des Marocains. Non seulement il faudrait un renouvellement des générations dans la haute fonction publique qui représente le centre de prises de décisions et qui ont montré, si besoin était, leur inefficacité à promouvoir des changements substantiels dans l'économique et le social, mais des changements de générations au niveau de toutes les institutions, privées et publiques, politiques ou administratives, sont nécessaires; et le journalisme est le premier secteur dont le renouvellement des cadres est une nécessité pour la promotion de la démocratie. Les générations des années quatre-vingts ont suffisamment contribué à la banalisation de l'injustice, de la diffamation, de la corruption et des dérapages à tous les niveaux de la société. Ce n'est pas en leur soufflant aux oreilles qu'aujourd'hui qu'il y a des changements démocratiques dans le pays que ces gens vont magiquement changer leur mode de pensée et qu'ils feront la différence entre ce qui est démocratique et ce qui ne l'est pas. Ils ont assez donné et il faut ou bien les mettre à la retraite ou bien leur attribuer des postes secondaires pour ouvrir ainsi les portes devant de nouvelles générations de journalistes, et les diplômés au chômage se comptent par dizaines de milliers, qui mettront en place des stratégies nouvelles pour contribuer énergiquement à un changement démocratique authentique dont le pays a besoin afin de parvenir à son émancipation. Mais le problème est justement là. Qu'est-ce qu'un esprit démocrate si ce n'est celui qui est prêt à quitter son fauteuil après avoir fait son temps? Notre société à ce niveau doit encore faire du chemin sinon cette "transition démocratique", tant prêchée, doit encore durer aussi longtemps que les vieilles générations seront en vie ou qu'elles entendent encore accaparer exclusivement les leviers du pouvoir à tous les niveaux de la société. Cela veut dire qu'il nous faudra encore des décennies pour apercevoir un soupçon d'une démocratie réelle, c'est-à-dire une démocratie qui touche le citoyen ordinaire. Je ne dirai pas seulement que ce journaliste agit contre la promotion de la démocratie mais j'ajouterai également qu'il est un provocateur qui incite à la haine entre les citoyens en usant délibérément du terme "berbère" à la place de "amazigh". Ce qui donne la preuve que ses intentions n'étaient pas de traiter une question qui l'interpellait professionnellement, en tant que journaliste, mais au contraire il s'agissait pour lui de toute évidence d'un règlement de compte personnel. Aïcha Aït-Hammou, 25 Juillet 2001.
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