|
|
MARCUS AURELIUS OLYMPIUS NEMESIANUS: LE POETE FACE A LA NATURE AFRICAINE Par: Hassan Banhakeia (Univesité de Nador)
Nemesianus fait partie des poètes mineurs latins. (1) Il compose une œuvre pastorale importante où il introduit sentiments, vision du monde et pensée propres à son background africain du IIIe siècle. S’éloignant des sujets communément connus des siècles antiques (PM, p.217), l’écrivain africain va composer une œuvre poétique tout à fait singulière. La critique occidentale va lui réserver une place importante comme étant l’un des écrivains de la décadence latine; et ses écrits sont confondus avec ceux d’un autre poète sicilien nommé Calpurnius. (2) Bernard de Fontenelle va plus loin, optant pour de la comparaison littéraire: il dit préférer les poèmes de l’Africain à ceux du grand Virgile, plus précisément sa Bucolique III à la quatrième de Virgile. (3)Malgré diverses hypothèses autour de l’origine de Nemesianus, les historiens sont unanimes à le qualifier de natif de Carthage. Ils vont jusqu’à avancer des thèses à propos de ses origines africaines: «similitude de nom avec celui d’un jeune martyr africain cité par saint Augustin et celui d’un évêque de Thubuna présent au concile tenu à Carthage en 256 par saint Cyprien. C’est précisément de cet évêque que Nemesianus aurait été le parent.» (4) A-t-il vraiment quelque chose à voir avec saint Némésien, martyr de Numidie qui a vécu au IIIe siècle, honoré le 10 septembre et chanté par saint Augustin comme un «enfant pur»? Notons que l’œuvre poétique de Nemesianus, bien que contemporaine du IIIe siècle, n’englobe aucune référence au Christianisme, elle insiste plutôt sur des références culturelles universelles. (5) Cela peut nous mener à avancer l’hypothèse de la réécriture «posthume» de telles œuvres. Pourquoi Nemesianus peut-il taire les successives persécutions romaines des Chrétiens africains et répandre par contre les voix des maîtres romains et grecs? Comment présente-t-il sa propre lecture de Virgile et de Xénophon? Il lira sans doute d’autres écrivains comme Théocrite et Ovide, mais des doutes persistent autour de sa lecture de Gratius… A l’instar d’autres Africains, bons lecteurs des cultures hellénique et romaine, il va en fait récrire les modèles tout en leur intégrant sa culture locale. I.- L’ŒUVRE CONFONDANTE DE L’AFRICAINLe poète Nemesianus est contemporain des temps difficiles de Rome. Certains critiques verront dans son œuvre des indices du statu quo politique: «le Cynegeticon de Némésien, poète qui conservait encore sous les règnes sanglants et rapides qui précédèrent celui de Dioclétien, quelques restes précieux du génie et du goût des bons siècles.» (6) Le pouvoir politique est incessamment ébranlé: les empereurs Carus et ses deux fils se succèdent vite, et l’Etat romain se trouve menacé dans sa continuité, sombrant dans l’immoralité et le meurtre. Cette instabilité, véhiculant une dictature précise, doit expliquer partiellement la non référence directe de Nemesianus à la réalité socio-culturelle de l’époque. La poésie de prédilection pour l’auteur africain est rattachée au thème de la chasse. Il y représente la vie champêtre. Il écrira: «Je chante les innombrables genres de chasses; je dirai les joyeux exercices, les courses rapides, et les combats qui troublent la paix des campagnes.» (PM, p.213) Le poète africain multipliera les églogues, (7) ces poèmes consacrés à un sujet pastoral. Là, il s’inspire de Virgile; plusieurs études vont loin dans ce comparatisme riche à dresser autant sur le plan des thèmes développés, autant sur le plan stylistique. Virgile, poète latin du Ie siècle av. J.C, a une grande influence sur Nemesianus, notamment son recueil Bucoliques (37 av. J.-C.). La description de paysans misérables, les problèmes de la passion d’un côté, et de l’autre la narration de joutes poétiques sont le sujet central de l’œuvre. Précisément, le poète amazigh s’en inspire dans le traitement dans un jeu intertextuel particulier. Ces deux écrivains sont «les seuls poètes bucoliques connus de nous à avoir écrit chacun la laudatio funebris d’un célèbre pastoureau, il était fatal, par le fait même, qu’il y eut, chez les deux poètes, une «ampleur de célébration» et un «appel à l’apothéose».» (8) L’écrivain africain, en lisant ce chef-d’œuvre, montre quand même un optimisme édifiant par le didactique où il concilie l’homme et la nature. Là se trouve singulièrement le bonheur pour l’homme. Pourtant, sur le plan formel, c’est Virgile qui excelle dans l’alternance des dialogues et des chants, et dans le compte mathématique des vers des pièces: il y a équilibre subtil de l’œuvre.De même, Virgile «a voulu frapper l’imagination par des prodiges sinistres, et qu’il a bien moins cherché à inspirer la pitié que la terreur. Némésien, au contraire, n’a pour but que d’émouvoir ses lecteurs, et il n’avait pas besoin pour cela de faire parler les troupeaux.» (9) Pour quelques critiques, la création de l’Africain est dite autant «récriture constante» de l’auteur romain, autant composée dans un style «médiocre». Ses écrits sont étoilés d’invraisemblances et d’images forcées. Pour d’autres, il y a singularité esthétique de l’écriture africain: son style est fait dans un bon latin accompagné d’images recherchées, et cela peut expliquer pourquoi les textes de l’Africain vont être insérés dans les manuels du IX siècle. Connu pour être un «jongleur de figures», et pour le «pillage effréné» (10) qu’il livre dans l’œuvre de ses devanciers, Nemesianus est, en effet, à titre de rappel, l’auteur de 3 poèmes didactiques: le Cynegeticon (Sur la chasse) dont les temps préservent 325 vers, et quelques vers des autres poèmes: les Halieutiques (sur la pêche) et la Nautique (sur la navigation). Si le premier poème est non seulement parvenu à la postérité dans différents manuscrits mais reconnu comme sien, les deux autres posent encore problème. Raoul Verdière écrit justement: «Si de nombreux arguments ressortissant à l’histoire, à la métrique, à la phonique de même qu’à la langue permettraient d’accorder à Nemesianus la paternité du De aucupio et du De laude Herculis et même de considérer les deux prooemia comme ceux des Halieutica et des Nautica de notre poète, ils ne laissent pas encore insuffisants pour pouvoir le faire avec assurance.» (11) Ce doute, propre à l’histoire des lettres, est à poser, à vérifier et à discuter quand il sera question du style et des idées propres à l’auteur. Non seulement il traite dans ses poèmes des pratiques quotidiennes et des hobbies, mais il apporte également des conseils pour bien mener de telles activités. A propos de Cynegeticon, le lecteur découvre tant de choses à propos «des préparatifs de la chasse, de l’éducation des chiens et des chevaux, et des ustensiles nécessaires au chasseur.» (12) Sur le plan stylistique, il y a, selon les critiques, imitation fréquente de Virgile et d’Oppien, mais sans préciser le nom de l’autre poète bucolique célèbre: Gratius.A ces trois textes, il faut leur rajouter les Bucoliques que l’on attribue à tort à Calpurnius. Cette œuvre se veut amusement poétique qui parle de la nature dans toute sa luxuriance sur l’âme du poète. Citons un autre texte Prière d’Hercule (De laude Herculis) (composé de 137 vers) attribué à Claudien, mais qui pourrait être l’œuvre de Nemesianus. En définitive, les écrits de Nemesianus sont complexes à définir, tout cela est le cas de sa biographie. Pour les critiques, il est également difficile de «préciser à quelle école philosophique Nemesianus a appartenu.» (13) La perte de ses écrits en est pour quelque chose: les seuls poèmes qui demeurent de cette œuvre ne traduisent que sa vision poétique de découverte devant les éléments de la Nature. La description des situations de la vie pastorale dit beaucoup de la nature africaine, comme elle est représentée dans l’imaginaire de l’écrivain. II.- POETE-CHASSEUR INSPIRE PAR XENOPHON Le thème de la chasse abonde dans l’écriture poétique des premiers siècles du Christianisme. En effet, il y a la composition de manuels sur la géographie, le climat, la pêche, la chasse… L’œuvre de Nemesianus sur la chasse abonde de références locales car il y a approximation de comment se présente cette nature nord-africaine. Tout en approchant les mœurs des bergers, il décrit longuement cette pratique. (14) Bon lecteur de Gratius Faliscus, (15) Nemesianus imite également l’historien grec Xénophon (-Ve à IVe siècles). Ce dernier parle longuement de la chasse et des coutumes afférentes dans ses traités (La Chasse, L’équitation & L’Hipparque) à portée scientifique et documentaire. Elève de Socrate, il voit dans la chasse, en plus d’une invention des dieux, une branche de l’éducation: «j’engage donc les jeunes gens à ne pas mépriser la chasse, ni tout autre branche de l’éducation. C’est le moyen de devenir de bons soldats, et d’exceller dans tout ce qui exige le talent de bien penser, de bien parler et de bien faire.» (Xénophon, La Chasse, chapitre 1) L’écrivain africain développe généralement la même réflexion en ce qui concerne l’art d’éduquer servant à développer la personnalité du chasseur, mais pour le Grec, connu comme un chef militaire mercenaire, la chasse sert à s’initier aux arts de la guerre. Il parlerait alors plus de soldat que de trappeur. Force est de noter que Xénophon est un fin pédagogue lorsqu’il s’agit d’élever l’individu et de l’initier à l’art de se maîtriser et de commander. Ayant constamment ce souci, il écrit: «Et d’abord il convient de se livrer à l’exercice de la chasse au sortir de l’enfance, avant de passer aux autres parties de l’éducation, et aussi en consultant sa fortune: celui qui en a une suffisante les cultivera en raison de leur utilité; quant à celui qui n’a rien, il pourra toujours montrer du zèle et ne rien omettre de ce qui est en son pouvoir.» (LC, chap. 2) Le domaine de la chasse est complet: il est question d’intelligence, d’intuition et de flair. Tous ces atouts permettent à l’individu de bien comprendre la réalité environnante… Il est fort probable que Nemesianus, au moment de composer son Cynegeticon, reprend autrement une telle philosophie afin de faire l’éloge de la chasse… Tout comme le précise Xénophon dans son texte (LC, chap. 1), Nemesianus affirme que les divinités protègent le chasseur: «Ô déesse, conduis ton poète dans les bois solitaires: je te suis; découvre-moi les retraites des bêtes sauvages. Accompagnez-moi, vous tous qui, épris de la chasse, détestez la chicane; vous qui fuyez les agitations du commerce, le bruit des villes» (PM, p.219) Cet appel, propre d’un païen, est digne d’un auteur romantique, non seulement épris de la beauté de la nature, mais faisant l’apothéose des dieux qui sauvegardent la Nature. Selon l’auteur de Cynegeticon, le temps adéquat de la chasse est le matin, temps propice pour débusquer les traces laissées par les animaux durant leur errance la nuit. Il va également décrire en ces termes la préparation pour la chasse: «Arme ta main d’un arc, suspends à tes épaules ton brillant carquois rempli d’inévitables traits; attache à tes pieds rapides des cothurnes de pourpre; revêts ta robe chamarrée d’or et à plis froncés; ceins ton baudrier enrichi de pierres précieuses, et retiens avec une bandelette les tresses de ta chevelure.» (PM, p.219) Cette préparation à la chasse dit beaucoup des armes qui sont utilisés par les chasseurs. Et ces armes présupposent un art de créer, de fabriquer, de battre le fer et de travailler le bois... Par ailleurs, le terme «cynegeticon» veut dire en ancien grec ancien: conduire un chien, cela est pour signifier évidemment l’art de la chasse. Cette pratique quotidienne «offre la plus grande utilité aux partisans zélés de cet exercice: ils y développent leur santé, apprennent à mieux voir et à mieux entendre, et oublient de vieillir, mais c’est avant tout pour eux l’école de la guerre.» (LC, chap. 12) Non seulement la compagnie d’un chien est importante pour réussir la chasse, mais la race du molosse choisi. (16) «Choisissez une chienne de noble race, de Laconie ou d’Épire, qui parte et revienne à votre voix, qui ait les jambes hautes et fermes, une large poitrine, de fortes côtes arrondies avec grâce, le ventre mince, et grêle, les reins amples et vigoureux, les cuisses bien arquées, les oreilles souples et pendantes.» (PM, p.221) Cette description physique est identique à celle de l’écrivain grec (cf. LC, chap. 4) Le dressage de la noble race est, par conséquent, facile tout en soulignant la morphologie. Cette pratique est fortement soulignée dans le texte. (17) Nemesianus prétend avoir de l’expérience dans l’éducation des chiots, mais il ne fait que lire d’autres manuels d’éducation. Pour lui, le poids des chiots a un rapport avec la vigueur. Il parlera également de l’instinct maternel des chiennes qui sert à distinguer entre chiots généreux et moins généreux, tout en narrant un ensemble d’expériences concrètes. A propos de l’accouplement, l’écrivain africain écrit: «Pour obtenir des produits parfaits, prenez un mâle de quarante mois, et une femelle de deux ans: cette règle est la meilleure à suivre.» (PM, p.221) Ces conseils «vétérinaires» sont similaires à ceux exposés dans le quatrième chapitre de De la Chasse de Xénophon. Et Gratius d’écrire: «Ayez soin d’assortir les couples (…) Avant tout, n’accouplez que les races dont l’ardeur vous est connue; ensuite choisissez des espèces qui se conviennent, et dont l’extérieur ne provoque aucun refus. Tête haute, oreilles droites, grande gueule, dents menaçantes, souffle ardent, ventre ferme et serré, queue courte, flancs allongés, cou suffisamment velu pour braver le froid, épaules vigoureuses, poitrine élevée, qui permette de prendre et de soutenir de vastes élans; tels sont les attributs d’un bon chien de chasse.» (PM, pp.173-175) Les sources d’inspiration (de formation) de l’art «vétérinaire» pour Nemesianus sont multiples, en plus de la «science» locale pour traiter les animaux et leurs maladies. L’hygiène des chiens est primordiale; l’auteur africain avance des recettes à base de plantes et de produits naturels pour laver les animaux, les prévenir d’affections.: (cf. PM, p.227) Cet art d’un bon vétérinaire n’est-il pas pris de la tradition africaine pour traiter les chiens? En outre, la guérison de la rage, souci grandissime par la socialisation du chien, est proposée par le poète amazigh: «Prenez de la castorée fétide, et amollissez-la en la broyant avec un caillou; mêlez-y de l’ivoire pulvérisé ou concassé, et triturez longtemps ce mélange pour l’épaissir; ajoutez-y par degrés quelques gouttes de lait, afin de pouvoir; au moyen d’une corne, faire avaler ce médicament aux malades, et de les délivrer de leurs funestes accès en leur rendant leur douceur ordinaire.» (PM, pp.227-229) Cette formule médicale traduit la «science» locale pour traiter les maladies d’animaux – représentant un danger pour la population. Par contre, Gratius va proposer un autre remède: « La rage est terrible chez les jeunes chiens. (…) Elle s’attache aux racines de la langue sous le nom de vermisseau. C’est un ennemi redoutable et cruel. Lorsque, pour étancher son éternelle soif, il a desséché les vaisseaux en y allumant une fièvre brûlante, il s’enfuit, et abandonne sa place de prédilection. (…) Dès que le tubercule sera formé, vous y répandrez un sel pur, et vous le frotterez légèrement d’huile.» (PM, pp.181-183) Il serait intéressant de comparer les différents remèdes proposés par les auteurs anciens, tout en menant la comparaison entre ces différentes cultures au moment de «traiter» de l’animal. Quant aux équidés, l’auteur en parle non seulement comme des compagnons pour l’homme, mais comme des éléments importants de la civilisation. Le cheval fait partie du quotidien, en contact continu avec l’Africain, et les peintures rupestres témoignent d’une telle grande présence. Les dompter s’avère une science prise au sérieux par le poète Nemesianus. Son hippologie s’inspire amplement du texte de Xénophon: L’Equitation (400 av JC). L’auteur africain, à son tour, va avancer sa vision vétérinaire autour de la beauté (morphologie), de la force (éducation) et la domestication de l’animal. Le cheval sert à la guerre, au transport, à l’agriculture et au commerce. C’est pourquoi leur choix est primordial: «Procurez-vous encore des chevaux de Mauritanie qui aient conservé toute la pureté de leur sang, ces coursiers infatigables que les Mazaces basanés nourrissent dans leurs déserts. Ne reculez pas devant leurs grosses têtes et leur ventre difforme. Ennemis du frein, ils aiment à balancer sur leurs épaules leur flottante crinière; mais, souples et dociles, ils obéissent au plus léger coup de baguette qui frappe légèrement leur cou folâtre. Ils s’élancent et s’arrêtent à ce signal. (…) Les chevaux de Mauritanie acquièrent tard le talent de soutenir ainsi leur course; niais ils conservent après de longs services cette vigueur de la jeunesse, et les qualités précieuses qu’ils ont fait briller dans la maturité de l’âge, ne s’usent qu’avec leurs corps.» (PM, p.231) Cette longue description dit du bien d’un cheval nord-africain (amazigh) – qui est de nos jours altéré sur le plan onomastique: dit avec les français «barbe» pour devenir par la suite «arabe».Xénophon entame la description du cheval par les pieds: «On jugera du pied en examinant d’abord la corne. Si elle est épaisse, le cheval aura de bien meilleurs pieds que si elle est mince.» (Equitation, chapitre I) Cet animal, qui sert en tant de paix et de guerre, sert beaucoup l’homme quand il est fort. En tant qu’homme de guerre, l’auteur grec propose des conseils d’entretien. Comme à l’époque on ne ferrait pas les chevaux, Xénophon conseille de faire marcher les chevaux sur des pierres en amas pour durcir le sabot: «Le meilleur moyen d’arranger sa cour pour lui fortifier les pieds, c’est d’y verser pêle-mêle quatre ou cinq tombereaux de pierres rondes, grosses comme les deux poings et du poids d’environ une mine, que l’on enfermera dans une bordure de fer, pour qu’il ne les éparpille pas. Le piétinement sur ces cailloux aura le même effet que s’il marchait sur une route pierreuse tous les jours pendant quelques heures.» (Xénophon, Equitation, chapitre IV) Cette même expérience est la recette pour fortifier les pieds d’un cheval. (cf. Xénophon, L’Hipparque, chapitre 1) L’entretien des chevaux est présenté tout au long des quatre saisons dans le texte de Nemesianus: «Donnez leur au printemps un tendre fourrage, et saignez-les pour dégager leur mauvais sang et leurs humeurs vicieuses. (…) Ensuite, quand les ardeurs de l’été auront durci les tiges verdoyantes, desséché les sucs laiteux du chaume, et hérissé le blé d’épis, donnez-leur de l’orge et de la paille légère. Séparez avec soin les immondices du bon grain, et formez-leur une fraîche litière. Ils seront sensibles à cette attention; ils reposeront avec plus de plaisir» (PM, p.231) Cet entretien, différent, continu et précis, peut être parfait. Une telle maîtrise des équidés traduit la fonction pratique du texte.En général, le didactique prédomine dans l’œuvre de Nemesianus: il décrit et explique le monde des chiens, des chevaux… A travers l’art de parler de ces animaux domestiques qui sont au centre de l’intérêt des textes de Nemesianus, nous avons une description «in vivo» de la réalité africaine. III.- NEMESIANUS, UN POETE A PART La présence du «biographique» est moins importante. Dans Bucolique I, Raoul Verdière voit la présence de l’a1uteur surtout qu’il est question de l’organisation d’une joute poétique: «Thymoetas était Nemesianus lui-même. (…) Thymoetas s’entend rappeler avec éloge une victoire remportée sur un certain Mopsus, alors que Thymoetas lui-même était l’arbitre de la joute poétique et que le vieux Meliboeus, qui y assistait, ne ménageait pas ses compliments (vv. 15-18)». (18) 2 Cette joute est quelque chose de déterminant dans le cours de sa vie, précisément le fameux épisode avec l’empereur Numérien. Ce dernier est «éloquent, au point qu’il prononça des harangues en public. (…) Il faisait, dit-on, si bien les vers, qu’il l’emportait sur tous les poètes de son temps: il disputa même la palme à Olympius Némésien (…) et que son talent avait rendu célèbre dans toutes les colonies.» (19) 3 Un tel rite: réciter des vers de manière instantané, et défier d’autres poètes sur le champ de la joute est une tradition encore vivante en terre des Imazighen: l’éloquence et l’inspiration sont mises à l’épreuve. L’histoire littéraire garde quelques fragments, notamment les 325 hexamètres dactyliques du Cynégéticon. (20) 4 Dans son œuvre poétique Nemesianus choisira pour héros Mélibée. L’on lit, sous forme de comparaison, dans la traduction de Virgile par Langeac: «Némésien n’a pas montré plus de jugement dans le choix de son héros; son Mélibée est un vieux berger, et cette idée n’est pas heureuse. Le berger de Virgile est beaucoup plus intéressant; sa jeunesse moissonnée répand partout la désolation et le deuil.» (21) 5 Après l’incident de la joute poétique, par voie de conséquence, l’écrivain africain va perdre la grâce dont il jouit, et le statut de protégé. L’autre amitié importante dans la vie de l’Africain est celle entretenue avec un autre poète mineur latin: Calpurnius. Certains historiens verront Nemesianus comme le protecteur du poète sicilien. (22) 6 Enfin, il verra tôt les deux Espaces qui gouvernent l’Univers, et entend chanter les guerres qui y règnent. «Bientôt, magnanimes enfants de Carus, (…) l’Orient et l’Occident soumis à votre pouvoir, deux frères réunissant sous leur sceptre glorieux les peuples qui boivent les eaux du Rhin, du Tigre, de la Saône et du Nil, dont les sources sont si éloignées. (…) Ma muse vous consacrera ses vers, bienfaisantes divinités de la terre, lorsque j’aurai eu le bonheur de contempler vos traits sacrés. Déjà mon imagination avide et impatiente jouit d’avance de la félicité qu’elle attend» (PM, p.217) Ce paganisme tourné vers l’Autre rend compte d’un écrivain imbu d’idées ‘universelles’ de l’époque.EN CONCLUSION… Bien que Nemesianus demeure un poète anonyme, et que son œuvre soit partiellement perdue, nous avons le témoignage de Flavius Vopiscus dans son Histoire Auguste qui affirme que ses textes poétiques sont fort appréciés de son temps. L’on sait aussi qu’à l’instar d’autres écrivains nord-africains, il fréquente la cour romaine. Il vit tantôt dans la cour de l’empereur romain Carus, tantôt il entretient des rapports conflictuels avec l’empereur Numérien. De son vivant, il est le plus estimé des poètes, apprécié pour ses poèmes en temps des empereurs ‘meurtriers et vicieux’ de Rome: Carus, Carin, Numérien... Mais que reste-t-il de cette œuvre? De ce qui reste de ses vers, il est difficile d’expliquer une telle réception positive. Ou bien ces poèmes, probablement de thématique érotique, ont été oubliés et gommées par la postérité –dominée par l’Eglise. NOTES: (1) Les poètes mineurs latins sont; Sabinus, Calpurnius, Gratius Faliscus, Nemesianus, Fracastor, Paulin de Nole, Valerius Caton, Vestritius Spurina, Sulpicius Lupercus Servastus, Arborius, Pentadius, Euchérie. Le texte qui en parle est composé par M. Cabaret-Dupaty, Poetae minores, Paris: Panckoucke, 1842. (Bibliothèque latine-francaise. 2nde série). Dorénavant, nous citons la même source pour étudier les écrits de l’écrivain nord-africain, indiquant l’abréviation: PM.(2) The Eclogues and Cynegetica of Nemesianus, edited with an introduction and commentary by Heather J. Williams, Leiden, E.J. Brill, 1986. «Since the sixteenth century, as a glance at the list of the editions will show, the vast majority of editors have taken the view that the eleven Eclogues assigned to Calpurnius in all the V manuscripts are really the work of two different poets, and that the last four poems are in fact by Nemesianus.”(p.nnn) (3) Bernard de Fontenelle, Traité sur la nature de l’églogue, p.18 «Ici, je prendrai encore la liberté d’avouer que j’aime mieux le dessein d’une pareille églogue que nous avons de Nemesianus, auteur contemporain de Calpurnius, et qui n’est pas tout à fait à mépriser. Des bergers qui trouvent Pan endormi, veulent jouer de sa flûte, mais des mortels ne peuvent tirer de la flûte d’un dieu qu’un son très désagréable. Pan s’en éveille, et il leur dit, que s’ils veulent des chants, il va les contenter. Alors il leur chante quelque chose de l’histoire de Bacchus, et s’arrête sur la première vendange qui ait jamais été faite, dont il fait une description qui me paraît désagréable. Ce dessein-là est plus régulier que celui du silence de Virgile, et même les vers de la pièce sont assez bons.» (4) Raoul Verdière, Prolégomènes à Nemesianus, Brill Archive, 1974, p.1 (5) En plus de s’écarter du Christianisme, le poète africain fuira la thématique de la mythologie. «Moi, je ne chante ni les dons empoisonnés par la puissance magique de Médée en courroux, ni le feu qui consuma la belle Glaucé, ni le cheveu de Nisus, ni la coupe de la cruelle Circé, ni la tendre Antigone dérobant, la nuit, le corps de son frère. Une foule de grands poètes ont déjà traité ces sujets, et rien n’est plus répandu que ces récits des siècles antiques.» (PM, p.215)(6) Pierre Louis Guinguené & Francesco Saverio Salfi, Histoire littéraire d’Italie, publié par Michaud Frères, Paris, 1819, p.66 (7) De nos jours, il y a confusion entre églogue et idylle. Mais, les critiques posent la distinction suivante: si les églogues sont des poèmes pastoraux sous forme de dialogue, les idylles sont des poèmes où prédominent le récit et la description. (8) Raoul Verdière, Prolégomènes à Nemesianus, Brill Archive, 1974, p.6. (9) Virgile, Les bucoliques de Virgile, traduction de Langeac, publié par L. G. Mi chaud, Paris: 1819, p.163. (10) Raoul Verdière, Prolégomènes à Nemesianus, Brill Archive, 1974, p.91. (11) Raoul Verdière, Prolégomènes à Nemesianus, Brill Archive, 1974, p.61. (12) Ouvrage rédigé par une société gens de lettres,Biographie universelle, ancienne et moderne, 1822, p.56. (13) Raoul Verdière, Prolégomènes à Nemesianus, Brill Archive, 1974, p.14. (14) «Je parcours les bois, les vertes prairies, les vastes campagnes; je porte partout mes pas rapides, et, à l’aide d’un chien docile, je cherche à saisir différentes proies. Je me plais à percer le lièvre et le daim timides; j’aime à prendre dans un piège le loup audacieux et le renard rusé; j’aime à errer le long des bords ombragés d’un fleuve, à chercher sur ses paisibles rives, dans une forêt de roseaux, l’ichneumon et le chat sauvage, à planter dans le tronc d’un arbre de longs javelots, et à emporter chez moi un hérisson dont le corps épineux se replie sur lui-même. De tels amusements charment mes loisirs» (PM, p.217) (15) «Aucun poète, avant Gratius, n’avait traité le sujet de la chasse. Pour diriger son libre essor, il n’eut que Xénophon; car Némésien et Oppien parurent deux siècles après lui. Osons donc de dire, en rendant à chacun ce qui lui est dû: Xénophon, dans son Traité sur la chasse, brille par sa vaste érudition; Némésien et Oppien, dans leurs poèmes sur le même sujet, se distinguent, l’un par son imagination exubérante, l’autre par l’élégance et la pureté de son style; mais, auprès de Gratius, on les trouve parfois prolixes, froids et languissants.» (PM, p.153) (16) Nous lisons: «ne vous bornez pas à entretenir la race de Laconie ou d’Épire. La Bretagne, séparée de notre continent, nous envoie des chiens rapides et ardents à la chasse. On n’estime pas moins ceux de Pannonie et d’Espagne. Ceux qui viennent des brûlantes côtes d’Afrique ont également leur prix.» (PM, p.221) (17) «Apprenez-leur aussi à distinguer la voix qui les appelle, ou qui leur ordonne de poursuivre leur course. Qu’ils sachent également tuer leur proie, sans la déchirer, quand ils l’ont prise.» (PM, p.225) Par ailleurs, cette situation est présente dans le sixième chapitre de De la Chasse de Xénophon.(18) Raoul Verdière, Prolégomènes à Nemesianus, Brill Archive, 1974, p.3 (19) Flavius Vopiscus, Histoire Auguste, p.461. (20) cf. Johann Christian Wernsdorf, Poetae latini minores, et la Collection Lemaire, et a été traduit par l’abbé Guillaume-Jean-François Souquet de La Tour, 1799, et par J.R.T. Cabaret-Dupaty, 1842. (21) Virgile, Les bucoliques de Virgile, traduction de Langeac, publié par L. G. Mi chaud, Paris: 1819, p.163. (22) M. Cabaret-Dupaty, Poetae minores, Paris: Panckoucke, 1842. (Bibliothèque latine-francaise.2nde série). «Dans ces poèmes, Calpurnius s’occupe souvent d’un protecteur qu’il a à Rome, et qui, au temps où la pauvreté avait inspiré au poète de se rendre en Espagne, lui procura une place à la cour impériale. On croit communément que ce protecteur fut Némésien» (p.43)
|
|