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FERROUDJA,
l'hirondelle du Djurdjura, la messagère de Tamazgha
Par: Dalil
amazigh
Début septembre 2008, je retrouve ma kabylie,
cette région qui me permet d’être fier jour après jour et à chaque fois que je
parle d’elle... Cette kabylie dont on est fiers quand on parle de ses
magnifiques montagnes du djurdjura, de la beauté de Bgayet ou quand on
évoque les noms de nos ancêtres et symboles, les Slimane Azem, Matoub Lounès,
Abane ramdane, Bessaoud Mohand Arav, Si mohand ou mhend, Fatma N’soumeur,
Taos Amrouche et tant d’autres dont nous avons un devoir, celui de continuer le
combat et d’ honorer cette région qui a tant donné pour la démocratie, les
droits de l’homme et bien sûr Tamazight.
Certes la région connait de nombreux
problèmes fraichement importés par les décideurs pour soumettre cette région
frondeuse et en même temps normaliser cette région pour qu’elle soit soumise à
l’image des autres régions... Certes notre entêtement à ne pas s’entendre ne
nous permet pas de lutter convenablement et efficacement contre ces agissements
mais la diversité, l’amour pour cette région, et en espérant aussi que certains
kabyles arrêterent de tirer sur leurs propres frères et d’autres de
se prendre pour le centre du monde, pourra un jour, je le pense, nous
sortir de cette impasse.
Certes il y a des problèmes d’insécurité, de terrorisme, d’orientalisation ou
d’occidentalisation de la société kabyle au détriment souvent de ses valeurs et
coutumes ancestrales mais la vérité sur le terrain est autre que ce que l’on
veux faire croire dans la presse et les médias en général. Matoub Lounès
est toujours en tête des ventes en kabylie et demeure l’artiste le plus écouté
dans la région et cela fait plaisir de voir Mohand Allaoua cartonner et
faire passer ses messages dans ses chansons...
Au milieu de tout cela, on trouve tous les
styles de musiques, avec une tendance, il est vrai, au non stop qui est à
la mode ces derniers temps, mais j’ai réussi à écouter et voir quelques
chanteurs à textes qui se démènent tant bien que mal pour se faire une place
dans la chanson kabyle.
Parmi ces artistes, une artiste à la voix à la fois émouvante et magnifique qui
chante dans sa langue maternelle le kabyle mais aussi en chaoui, m’zab,
chenoui, targui ou le cheulhi de nos frères amazighs du maroc.... une
artiste avec un nom typiquement amazigh qui nous rappelle nos mères et
grands mères... elle s’appelle Ferroudja, un nom à retenir pour les
amoureux de la musique amazighe que Ferroudja a admirablement remis à l’ordre du
jour par l’ adaptation de sa voix aux sonorités et styles musicales des
différents dialectes amazighs de Tamazghra, par ses recherches sur les anciens
chants et patrimoines de tamazghra avec une touche moderne permettant
de faire revivre cette héritage revenu d’outre tombe ou délaissé par les
gouvernants.
Depuis quelques années je ne la connaissais
que de nom, et j’ai été agréablement surpris par Ferroudja lors d’une rencontre
hasardeuse dans son village natale Imezghraren à Frikat, un village marginalisé,
pauvre et déserté par ses enfants mais très connu pour avoir enfanté le
grand écrivain Malek HADDAD, l’inoubliable chanteur Said Hamel et
bien sûr le grand colonel Ouamrane tout près de Boghni et Draa el Mizan.... et à
un kilomètre à vol d’oiseau de Bounouh qui a enfanté les Farid Ali, Moh Said
Oubelaid ou encore Oukil Amar.
J’ai trouvé en face de moi une femme simple «D yillis tadart» issue d’une
famille modeste, une artiste d’une sagesse étonnante, d’une énorme gentillesse
et d’une patience inébranlable, qualités qui lui ont certainement permis
d’affronter les problèmes de la société en général et du milieu culturel en
particulier.
Lorsqu’on discute avec elle on se rend compte qu’à 33 ans, Ferroudja a
déjà un grand vécu et que les obstacles ne lui font pas
peur...... Une femme qui a dû se battre pour s’émanciper et vivre sa vie de
femme libre... Elle me raconte ses périples et ses déplacements dans les autres
régions amazighes et à travers la kabylie avec ses bonheurs et ses déceptions...
Ferroudja a traversé une grande partie de tamazgha avec cette envie et cet
objectif d’échanger, d’être disponible pour cette culture plusieurs fois
millénaire, convaincue que l’avenir de cette langue passe par le travail de fond
à long terme et par des recherches profondes sur l’identité, l’histoire et la
culture de nos ancêtres afin que les futurs générations puissent bénéficier du
travail d’hier et d’aujourd’hui.
Ferroudja n’est pas une artiste comme les
autres, elle est aussi poétesse et militante convaincue jusqu’au bout. Elle nous
parle de tamazghra, de ses rencontres et échanges avec les berbères de toute
l’Afrique du nord, de son amour à chanter dans la langue de Massinissa de Dyhia
ou Jughurta.
Ferroudja est autodidacte et n’a jamais été scolarisé et pourtant elle manipule
les variantes amazighs à merveille avec une facilité déconcertante... et
quand je lui demande comment ca se fait? elle me répond «l’ hmella n’tmazight»
pour résumer c’est son attachement à cette langue et son amour de la kabylie qui
l’ont aidé à ouvrir d’autres portes et l’ont renforcée dans ses
convictions et son envie d’aller toujours plus loin.. Pour elle, avec les
échanges et la communication entre les peuples berbères Tamazight sortira de
l’ombre... et rétorque «il n’y a qu’à voir la réaction et le bonheur d ‘un
chaoui ou d ‘un chenoui quand vous chantez dans leurs langues maternelles».
Elle voue une grande admiration à ces femmes
berbères qui autrefois régnaient ou étaient à la tête d’une armée à
l’image de Dyhia dans l’aurès, de Tin Hinan dans le hoggar, Chemci pour
les Ait Irathen en kabylie sans oublier la Jeanne d’arc du djurdjura Fatma
N’ Soumeur... en ajoutant l’homme et la femme ne faisaient qu’un,
côte à côte loin... très loin de la conjoncture actuelle dans les pays d’Afrique
du nord où la femme joue souvent le rôle d’un objet précieux dans la poche
de l’homme... la femme amazigh est de nos jours plus aussi rayonnante et se
trouve relégué à un statut de citoyen de seconde zone et je rends hommage
aux grandes dames de la chanson kabyle (Nouara, Chérifa, Taos amrouche, Hnifa,
Baia Farah etc...) qui ont fait énormément pour la femme kabyle à travers
la chanson.
Quand j’évoque Matoub, le chantre de l’amazighité, je ressens en elle une grande
tristesse... et me dit «j’étais à Alger dès l’âge de treize ans et je
suivais son parcours... pour moi Matoub était un père, un frère, un ami et un
repère... et quand je lui propose de nous accompagner à l’inauguration de la
nouvelle stèle de Matoub Lounès et Ali Zammoum à Tizi n’tleta, elle n’hésite pas
une seconde et était heureuse de venir... elle avoue aussi avoir un faible pour
Taos Amrouche et Farid Ali qui restera le premier chanteur à avoir utilisé le
mot «amazigh» dans une chanson. Tamazight pour elle reste son objectif
principal, c’est pour cela qu’elle a une admiration particulière pour Matoub,
Mouloud Mammeri et Boulifa qui resteront à jamais dans l’histoire des imazighen.
Elle nous parle de son exil à Alger où la passion pour la chanson la foudroie
dans une maison où la culture berbère était bien ancrée... de ces passages à la
chaine 2 sous la houlette de Medjahed Hamid en tant que poétesse, de son
parcours artistique mais à aucun moment elle fait allusion à une carrière, à la
célébrité, elle met toujours le travail collectif en avant et reste très
sensible à la question amazighe avant tout!! Pour elle tamazight avant tout sans
oublier de nous dire que cela se fera avec tagmats et taddukli. (la fraternité
et l’union). Pour elle son seul souhait est que son message passe et circule
partout où il y a un amazigh....»Tout le monde sait que nous sommes des amazighs
maintenant il faut un réel travail des chercheurs, intellectuels et bien sûre
une volonté politique de mettre les moyens pour cette langue et cette culture».
Puis elle revient sur son parcours avec son
premier album sorti en 1996 avec le célèbre groupe ichenwiyen où elle rend un
hommage au regretté Matoub Lounès bien avant sa mort car pour elle il faut
soutenir et rendre hommage aux militants, artistes et intellectuels de
leurs vivants pas seulement lorsqu’ils meurent... Puis d’un autre album en 1999
intitulé «tulas d lkas» (les femmes et le verre) ou alors tajemarit n-yemcumen
(le conseil des médiocres) avec des textes engagés «vous avez vidé les coffres
et sucé l’Algérie, vous avez servi l’horreur et mis le feu à ma patrie», ensuite
d’ un troisième album en 2004 «ad iruh» ou «Tamazghra» où elle évoque
l’exil et la situation de Tamazghra... bien sûre elle revient sur ces
difficultés de 2003 où son album a été jugé trop engagé par certains
éditeurs pour ses textes virulents suite aux évènements tragiques de 2001- 2002
(on peux citer «Tanekra» (la révolte) ou «D-isseflawen» (les victimes) dans
cette chanson elle parle de l ‘impasse dans laquelle se trouve le peuple, coincé
entre les intégristes et le pouvoir mafieux... oui
Ferroudja est une artiste
engagé, une maquisarde de la chanson berbère comme disait si bien Kateb
Yacine... j’ai eu l’impression de
retrouver en elle la simplicité et le courage de brahim Izri ou d’Ali Zammoum ,
les convictions d ‘un Mohya, la souffrance de H’nifa ou Taos Amrouche, le
courage et la détermination des regrettés Matoub Lounès, Slimane Azem ou
Mohand Haroun. A travers ses textes, elle exprime aussi les douleurs et
les espoirs de la jeunesse, elle parle également du patrimoine ancien et
son héritage et évoque ses rêves et ses craintes pour l’avenir.
Son dernier album, qui devrait sortir prochainement est un véritable
puzzle où elle a su regroupé différents styles de variantes amazighes qu’elle a
travaillé avec des artistes des Aurès, du mzab, de tamanrasset, du chenoua ou de
l’atlas, et en écoutant cet album Ferroudja vous fait voyager dans l’Afrique du
nord en l’espace de quelques chansons pour découvrir ses richesses, ses
traditions et ses sonorités et c’est pour cela qu’on la surnomme «l’hirondelle
du Djurdjura» , une hirondelle qui quitte le Djurdjura pour s’envoler vers siwa,
l’aurès, le chenoua, le hoggar, l’atlas ou le Rif jusqu’aux îles
canaries avec ce message de fraternité et d’union dans cette langue sacré
qui nous est chère... une union de tamazghra que seul le valeureux Massinissa
avait réussi à faire.... elle rend aussi un grand hommage aux reines amazighs
qu’ont été Tin Hinan, Dyhia ou Chemci et me dit autrefois les femmes berbères
étaient des reines aux côtés des hommes sinon devant.. Cet album, fruit d’un
travail de trois ans est un chef d’œuvre avec des textes qui parlent des
problèmes de la société actuelle comme l’échec scolaire ou le chômage, de
l’histoire amazighe, de l’amour perdu ou impossible.
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