|
Instance Permanente des Nations Unies pour les droits des peuples autochtones - VI° session, New-York, 14-25 mai 2007 Thème: "Terre, territoires et ressources naturelles" Intervention de Belkacem LOUNES, Président du CMA Mme la Présidente, Mmes, Mrs Tout d’abord j’adresse mes sincères félicitations aux membres de l’Instance Permanente pour leur choix judicieux de consacrer cette VI° session à la question cruciale de la terre, des territoires et des ressources naturelles des peuples autochtones. Comme l’ont dit avant moi plusieurs intervenants, cette question est effectivement vitale pour les peuples autochtones car leurs terres et leurs territoires restent les ultimes socles qui peuvent encore les rattacher à la vie et leur éviter d’être des peuples virtuels condamnés à vaguer avant de disparaître à plus ou moins brève échéance. Avec le phénomène colonial, les peuples premiers ont perdu leur pouvoir, leur souveraineté et leurs institutions. Aujourd’hui, c’est tout simplement leur existence qui est directement visée par la dépossession de leurs terres, l’occupation illégale de leurs territoires et la spoliation de leurs ressources naturelles. Numériquement et culturellement minorisés, économiquement affaiblis, politiquement dominés, les peuples autochtones sont de fragiles proies dans un monde prédateur. Pour nous Amazighs, peuple autochtone nord-africain de plus de 30 millions de locuteurs, comme pour d’autres peuples, nos terres et nos territoires comptent parmi les fondements de notre identité et de notre spiritualité. Dans notre imaginaire collectif, la terre est un être vivant, elle est personnifiée, considérée comme une mère, celle qui donne naissance, qui nourrit, qui protège, qui élève, qui éduque, qui forme, qui fait grandir. Priver un peuple de sa terre et de ses territoires traditionnels, c’est séparer sans raison légitime un enfant de sa mère. C’est la plus haute des violences, c’est un crime. C’est ce qui se passe actuellement dans notre pays, Tamazgha (pays d’Afrique du Nord et territoires touaregs du Sahara), où les gouvernements dépossèdent par la force, les Amazighs de leurs terres et territoires ancestraux et accordent à des firmes souvent étrangères, des permis d’exploiter les terrains et les ressources naturelles sans concertation ni aucun bénéfice pour les populations locales. Il en est ainsi du Maroc où l’Etat a recours encore aujourd’hui, à des lois datant de la colonisation française pour exproprier des paysans amazighs et faire exploiter leurs ressources naturelles (eaux, forêts et minerais) sans rien leur concéder. Lorsqu’il ne peut pas utiliser ces lois illégitimes et iniques, il oblige les paysans à vendre leur terre à vil prix (entre 0,20 et 0,50 dollars le m²) au profit des grands exploitants agricoles et autres spéculateurs fonciers. Les paysans-sans-terre deviennent alors des ouvriers surexploités sur leur propre terre ou sont contraints à l’exil intérieur ou extérieur. Et lorsque les populations protestent, les autorités tentent d’étouffer leurs cris par les intimidations judiciaires et la répression policière. En Algérie, les terres et territoires des Amazighs confisqués par le colonisateur français, ont été récupérés par l’Etat après l’indépendance du pays et n’ont jamais été restitués à leurs légitimes propriétaires. L’injustice la plus visible concerne la mainmise du pouvoir algérien sur toutes les ressources naturelles et en particulier sur le pétrole, le gaz et l’eau, sans que les populations autochtones n’aient jamais bénéficié des fruits de leur exploitation. Les zones d’extraction des hydrocarbures et les barrages d’eau sont déclarés zones militaires et étroitement gardés par l’armée. Les réclamations des populations locales pour un partage équitable des revenus issus de ces ressources et pour leur utilisation en faveur du développement socioéconomique des régions, ne reçoivent d’autre réponse que la répression violente, comme ce fut le cas à Tamanrasset en territoire touareg en 2006, dans la région de l’Aurès en 2003 et en Kabylie depuis 2001. Dans les territoires touaregs du nord-Mali et du nord-Niger, qui recèlent d’énormes richesses potentielles, les Etats soutenus par certaines puissances économiques et militaires du monde, pratiquent la politique du "pousse toi pour que je m’y mette". A chaque fois qu’un gisement est découvert, les populations locales sont priées d’aller planter leur campement plus loin, sans aucun droit à la parole ni même la possibilité de réclamer ne serait-ce qu’un emploi dans les activités extractives. Les populations autochtones impuissantes, subissent ainsi la marginalisation, l’envahissement de leurs territoires, la raréfaction de leurs espaces vitaux et les pollutions comme cela est particulièrement le cas à Arlit, dans le nord-Niger, où la société française Areva qui exploite un gisement d’uranium depuis 30 ans, est responsable de rejets radioactifs qui contaminent gravement les personnes, les animaux, l’air et l’eau. Les taux de radioactivité relevés par un laboratoire indépendant sont de 10 à 110% supérieurs au seuil recommandé par l’OMS. Par ailleurs et pour des raisons économiques et géostratégiques, le pays touareg qui recouvre le Sahara (découpé par les frontières de 5 Etats), est devenu un objet de convoitises de la part des Etats de la région, sous l’œil très intéressé de certaines puissances occidentales. Il en résulte, sous couvert de combat anti-terroriste, une lutte sourde entre les Etats pour le contrôle de ces territoires, où il n’est prévu aucune place pour les Touaregs, sauf un rôle éventuel de supplétifs des armées gouvernementales. Les graves menaces et les injustices qui accablent les Touaregs et l’absence d’écho à leurs cris, les poussent régulièrement à la révolte. La communauté internationale doit-elle attendre l’annonce des drames pour réagir? En Libye, on assiste au pire des scénarios puisque l’existence même des Amazighs est officiellement niée et quiconque se revendiquerait de cette identité est menacé de graves représailles. Dans ces conditions, nul besoin de dire que les ressources naturelles comme le pétrole qui sont dans les territoires amazighs, échappent totalement aux populations locales. L’archipel canarien, territoire historique du peuple autochtone amazigh Guanche, est une colonie espagnole depuis le 15ème siècle. Le pouvoir politique et l’économie de l’archipel sont dominés par les intérêts espagnols et les immenses recettes de l’industrie touristique sont rapatriés en Europe. Il en est de même pour les zones maritimes de l’archipel contrôlées et exploitées par l’Espagne et ses alliés. En même temps, la liberté d’expression autochtone est étouffée et son identité socioculturelle est folklorisée ou marginalisée. En définitive, dans tous les pays où ils vivent, les Amazighs sont privés de leurs droits légitimes à leurs terres et territoires et d’un accès équitable au bénéfice de leurs ressources naturelles. Pour un Amazigh il est possible aujourd’hui d’avoir soif alors que l’eau abonde dans sa montagne ou de vivre dans le plus grand dénuement alors que son sol et son sous-sol regorgent de richesses. Cet état de fait découle de la perte de souveraineté des Amazighs sur leurs terres, territoires et ressources naturelles suite à la colonisation de leur pays par les européens, colonisation qui se poursuit aujourd’hui presque à l’identique mais exercée par d’autres colonisateurs. Et c’est véritablement cela qui met en péril le peuple amazigh. En conséquence, nous recommandons instamment à l’Instance Permanente, d’exiger des Etats: 1.La reconnaissance et le respect des droits des Amazighs à leur terre, territoires et ressources naturelles, 2.La traduction dans le droit interne de toutes les dispositions du droit international, notamment le droit des peuples autochtones, 3.L’abolition de toutes les lois coloniales et post-coloniales relatives aux spoliations des terres, territoires et ressources naturelles des Amazighs, 4.La restitution aux Amazighs, des terres, territoires et ressources naturelles qui leur ont été confisqués durant l’ère coloniale ou post-coloniale. Lorsque cela s’avère impossible, leur proposer d’autres terres de nature et étendue équivalentes ou leur verser des indemnités compensatrices équitables et librement consenties, 5.La suspension de toute exploitation par des firmes privées ou d’Etat, des terres, territoires et ressources naturelles des Amazighs jusqu’à la conclusion d’accords ou autres arrangements constructifs définissant les nouvelles modalités de partage des bénéfices de l’exploitation de ces terres, territoires et ressources naturelles, 6.La consultation de manière préalable, des populations amazighes sur tout projet d’investissement et/ou d’exploitation affectant les terres, territoires et ressources naturelles qu’ils occupent ou ont traditionnellement occupés. Le peuple amazigh doit toujours être préalablement informé pour pouvoir décider en parfaite connaissance de cause, 7.L’évaluation par des experts indépendants, des dommages causés aux populations autochtones et à leur environnement par l’exploitation des ressources minières et l’indemnisation équitable des populations concernées, 8.Le respect effectif et la promotion de l’article 8 de la Convention internationale sur la biodiversité, notamment le partage équitable des bénéfices issus de l’exploitation des connaissances et des ressources naturelles des Amazighs, 9.La mise en place de programmes de sensibilisation des populations amazighes sur leurs droits à la terre, territoires et ressources naturelles, 10.L’alphabétisation des populations amazighes dans leur langue et la valorisation de leur identité socioculturelle ainsi que leurs connaissances, savoir-faire et valeurs spirituelles traditionnelles, 11.La liberté de circulation transfrontalière des Amazighs, sur tous leurs territoires de Tamazgha, 12.La prise de mesures administratives et législatives visant à permettre aux Amazighs toute forme d’auto-gouvernement qui leur assurerait un meilleur accès à leurs droits fondamentaux, notamment le droit à leurs terres, territoires et ressources naturelles. Par ailleurs, le Congrès Mondial Amazigh recommande vivement à l’Instance Permanente et aux différents organes compétents des Nations Unies: 1.D’organiser un séminaire régional de suivi de l’étude du Rapporteur Spécial des Nations Unies, Mme Erica-Irene DAES, sur le thème de "la souveraineté permanente des peuples autochtones sur leurs terres, territoires et ressources naturelles", dans un des pays de Tamazgha, 2.D’organiser un séminaire sur le thème de la prévention et la résolution des conflits en lien avec les droits à la terre, territoires et ressources naturelles, dans un des pays de Tamazgha, 3.De soutenir les revendications d’autodétermination présentées par les peuples amazighs, conformément à la charte universelle des droits de l’homme qui stipule que "tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel", et que "en aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance", 4.De proposer au SG des Nations Unies, l’organisation d’une conférence mondiale sur les droits des peuples autochtones qui pourrait se tenir en Bolivie en 2008, 5.D’agir afin que la prochaine assemblée générale de l’ONU approuve définitivement et sans amendements, la déclaration sur les droits des peuples autochtones telle qu’elle a été adoptée par le Conseil des Droits de l’Homme au mois de juin 2006. La communauté internationale doit affirmer comme fondamental et promouvoir le droit des peuples autochtones à disposer de leurs terres, territoires et ressources naturelles. Un dernier mot, Mme la Présidente, pour saluer les gouvernements, dont la Libye, qui soutiennent financièrement le processus autochtone au sein des Nations Unies. Cela témoigne de leur engagement aux côtés des peuples autochtones du monde. En conséquence, nul doute que la Libye adoptera la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et qu’elle agira auprès des autres Etats africains pour qu’ils en fassent de même. En tant qu’Amazighs, l’attitude positive de la Libye aux Nations Unies soulève l’espoir que les autorités libyennes vont enfin cesser la négation et l’occultation du peuple autochtone amazigh de ce pays et décider la reconnaissance et le respect de tous ses droits. Je vous remercie de votre attention. B. Lounes, Président du CMA
|
|