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L'amour dans la poésie
amazighe: étude sémantique
Par: Ayt Assou Salh
«Ces fleurs sont vos fleurs et vous dites que vous ne les
reconnaissez pas!» (Paul Claudel)
L’amour constitue une thématique abondante dans la littérature amazighe. Il a
toujours en lui cette magie mystérieuse qui fait que les aèdes le chantaient
depuis des millénaires, ainsi que les romanciers, les nouvellistes et les
cinéastes… C’est pourquoi l’on se demande: peut-on, en amour, dépasser le simple
nominalisme: l’utilisation magico poétique d’un verbe au sens indéchiffrable?
Que serait l’amour sans l’assistance de la rhétorique? et «combien de gens
seraient amoureux s’ils n’avaient pas entendu parler d’amour?» (Baldine saint
Girons). Du reste, n’est ce pas que nous savons de ce terme/sentiment à partir
des dires et écrits beaucoup plus que de nos expériences plus ou moins utiles?
Où débute l’amour et où s’achève s’il avait des frontières palpables? En fin,
Freud écrivait, «l’on doit se mettre à aimer pour ne pas tomber malade, et l’on
doit tomber malade lorsqu’on ne peut aimer.»
Le but de cette modeste étude et d’essayer de m’approcher de la vision de l’amedyaz
amazigh à ce mystère de Tayri, un vocable polysémique en amazigh autant que dans
n’importe quelle langue! Mon champ de travail sera la littérature amazighe et
spécifiquement l’idylle classique qui est déjà assez vaste et diversifiée. Une
poésie qui déborde d’amour profond; loin encore, pour un poète amazigh: celui
qui ne sait parler tamazight est incapable d’exprimer son amour! (iniyas i wenna
ur issin tamazight, awal n tayri ur-ten tessinm). Ce sentiment est présenté par
«imdyazen imazighen» sous diverses facette et qualificatifs; tantôt il est tel
un venin qui rend la vie insupportable, au bien un impitoyable sentiment qui
laisse la personne affectée à jamais, tantôt il se manifeste comme le seul
remède, à l’effet d’une baguette magique sur l’amoureux, ou bien, il se présente
comme une fatalité inévitable, une condamnation pour la personne qui le
ressente…
À signaler que la poésie amazighe classique, orale qu’elle soit, est une poésie
lyrique. Et c’est ça à notre avais qui l’a épargnée de la disparition totale
face à «l’absence» de scribes. Le fait qu’elle soit chantée ne veut dire qu’elle
perde de son rayonnement, de sa poéticité ou de sa profondeur. «La poésie, c’est
le chant intérieur» disait de Lamartine, c’est ainsi vue aussi par les aèdes
amazighs. Cette caractéristique ne nous permet aussi de la qualifier d’une
simple romance de facture simple à l’instar des chansons avec d’autres langues.
Elle est variée et se distingue par une forte présence de l’image et analogie;
avec un style lyrique plein de rhétorique et métaphore. C’est pour cela qu’on va
procéder à la sémantique pour saisir le sens et la relation significative
souvent tacite entre les élément, parfois éloignés, formant ce qu’on appel
l’image poétique. Cette idylle classique se compose souvent d’un refrain et des
vers «izlan», leur nombre se varie d’un poème à l’autre. Chaque «izli» comprend
deux hémistiches dont le deuxième apporte la suite ou une réponse au premier,
ils sont très liés sémantiquement qu’on ne peut les séparer ou remplacer l’un
des deux. Il se peut aussi que ces izlan ne se joignent pas au sens annoncé par
le refrain, et traitent en revanche des sujets disparates; par exemple, donner
des enseignements, images et adages diverses à partir des situations données.
Cependant, on trouve aussi souvent des poèmes classiques où les vers s’unissent
autour d’un seul thème, où chaque izli retrace un sentiment, une situation
vécue, ou bien il donne une image de l’état dans lequel se trouve le poète. Une
autre caractéristique, celui de l’anonymat des poètes amazigh qui ont laissé ce
legs considérable qui reste à présent sans auteurs. Pour cette problématique, le
professeur M.Chafik donne une explication; la poésie chez imazighen est
considérée comme un bien partagé et publique, ajoutons à cela leur humilité et
leur réserve à toute prétention et allégation.
Tout d’abord, il y a un phénomène curieux qui nous interpelle depuis un certain
temps dans cette poésie et qui mérite d’être médité. Ce fait est la présence du
mot «foie» (organe volumineux connu), sa signification dépasse la fonction
digestive et métabolique pour s’étendre et recouvrir le sentimental, avec ou
sans le cœur, ce dernier comme tout le monde sait se présente comme le siège
imaginaire des désirs, des sentiments et des pensées secrètes dans la culture de
beaucoup de civilisations, jusqu’à ce qu’il devienne même le symbole de l’amour,
chez imazighen aussi. Mais à cela s’ajoute le foie, et parfois c’est au sein de
lui que l’amoureux/le poète amazigh sente le bonheur ou, surtout, la douleur de
Tayri, Amaryg, Taghufi, Tawda…etc. une simple comparaison avec d’autre
littératures, en l’occurrence Arabe et française, révèle qu’il s’agit là d’un
trait caractéristique singulier de la culture amazighe. Donner des raisons à
cela me dépasse, c’est à l’anthropologie d’en porter les réponses convaincantes.
En tout cas, l’emploi du «foie» dans cette culture comme concept à connotation
sentimentale est très abondant.
Voila à présent quelques exemples qui montrent cette confusion faite chez
imazighen entre le foie et le cœur concernant les sentiments:
-Tamawayt: Awa ad allegh ayenna yulla ugyujil xef mays yuâer ucewwadv n tasa
nebdva d usmun inu.
-Tamawayt: Ata niwey ayuggu nnagy n taddart ira usmun tawada lla tewabbay tasa
inew.
-Tamawayt: Iwa yac a yema ur da tsalt digyi ur ac icewwidv umaryg inew tasa, ur
digi theyyirvt.
-Izli: Itvfar wul agheddar, awa mghar agh zrin, tasa new tsul trat.
-Izli: A yayed ibbin tasa yagelttent g ca g-tsufa, a yahyudv nna itvffurn unna
ur-ten irin.
-Izli: Ur i nfiâ ughrib a yemma mghar da trugh, tasa tezrid irzvan i yezvri inew
qqa’d iâmun.
En fait, les démonstrations sont nombreuses, il suffit d’être un peu attentif en
écoutant les chants classiques, surtout, ici au Maroc ou bien en Algérie pour
que vous en entendiez abondamment. Les marocains et algériens, qui ont perdu
l’usage littéral de leur première langue, dits «arabophones» emploient «lkebda»
aussi dans leur Darija pour exprimer la même chose, précitée, en amazighe dans
leur chant comme dans leur vie sociale. Ce qui prouve, et les exemples ne
manquent point, que si même l’on arrive à substituer les mots d’une langue par
ceux d’une autre, on arrivera jamais à décharger ces mots de leur charge
émotionnelle et culturelle première. Une langue quelconque est une œuvre
humaine, elle restera à jamais marquée par son initiateur et son milieu.
On signale, enfin, que ces idylles, que nous analyserons, sont recueillies et
transcrites par nous même à partir des enregistrements audio. Voici à présent
une partie d’un poème pour débuter notre analyse:
Awa max a yul-inew ad tetvfurt unna ur-c irin
Iwa a tittv-inew cemm ayd issaghen digyi lâafit
Cemm ayd-as iteggan abrid i ssem ad ikcem s-ul.
Le poète reproche à son cœur d’insister sur un amour inutile de quelqu’un qui le
rejette, un amour qualifié de lâafit (feu) et puis de ssem (venin), pour lui,
c’est son œil qu’en est le responsable, ce sont ses yeux qui permettent
l’infection de son cœur brûlé et cautérisé. En fait, le choix de ssem et lâafit
pour designer son amour non réciproque devenu tout simplement une souffrance
insupportable n’est pas stochastique. Pour le poète nul ne peut décrire sa peine
à part ces deux termes, et si on les examine on va comprendre bien ce que dont
il souffre:
-Ssem: substance, toxique, mortelle, dommageable pour la santé, perturbant…
- Lâafit: combustion, destructrice, flamboyante, dommageable, douloureuse…
L’on dit souvent que l’œil est la porte par laquelle l’amour entre au cœur, ce
dernier une fois occupé ne peut distinguer entre un amour réciproque et ce qui
ne l’est pas. Le poète éprouve un amour non réciproque donc douloureux,
impossible, mort de naissance, épuisant et nocif qui porte préjudice à son
porteur, tel un poison pris par quelqu’un ou bien comme le feu qui enfante des
brûlures et douleurs intenses et insupportables que ressent un être cautérisé.
Il s’agit là en fait d’une métaphore à travers laquelle le poète espère exprimer
sa peine à l’auditoire.
Dans un autre lieu le poète devient très vulnérable, une proie face à l’amour ou
plutôt à «Amaryg» de son bien aimé absent. À signaler d’abord que «amaryg, pl:
imurayg» (imuriyg aussi) signifie deux sens au moins; imazighen de Souss
l’emploient pour désigner le chant/ la chanson. Et la deuxième qui nous
intéresse ici est la nostalgie ressentie envers quelqu’un loin/absent, qu’on
aime beaucoup, (chawq, pluriel achwaq en arabe). Même la nostalgie comme
traduction de amaryg ne semble pas exacte de fait que l’emploi de ce mot et lié
souvent au quelque chose du passé en français, et ce n’est pas le cas en
amazigh.
1-Yac ighezzif wass ghifi, hat ighezzif yidv ghifi
Iwa teddut a’yma tezrit imurayg nnec ar-i neqqan ul
2-Awa ayd ac-ican imurayg inew akk-i semraran righ ad taremt a wa ynhubba-new
aya ur tannit
3-A yatbir mghar ac ighuda lhal iherra yac
Iggulla lbaz kkat-nec a dday-c annin gher acal.
Les souffrances et les douleurs rendent le temps plus lent, au contraire des
joies. C’est le cas de notre poète ici qui se plaint de la longueur inhabituelle
de ses jours et surtout les nuits. La raison est bien «imurayg» de son «imiri»(aimé),
qui est parti, apparemment indifférent, en laissant son partenaire seul
tourmenté par l’amour et beaucoup d’imurayg. C’est pourquoi le malheureux poète
souhaite et aime bien le voir à sa place pour qu’il déguste un peu de sa peine.
Cependant ce poète a touché l’apogée et le charme de la poésie au dernier ver
quand il a réussi à personnifier son état en procédant à l’analogie à travers
l’image poétique, avec le pigeon et le faucon (amedda en amazigh). Expliquons:
d’un coté il y a le poète et amaryg, de l’autre, en parallèle, se présentent le
petit pigeon et le faucon:
-Le poète: être animé, Homme, adulte, amoureux, délaissé, vulnérable, victime…
-Amaryg: sentiment, omniprésent, tristesse, irrésistible, inévitable…
-Le pigeon: être animé, oiseau, pacifique, vulnérable, proie…
-Le faucon: être animé, oiseau, rapace, redoutable, dévorant, impitoyable…
Si on procède maintenant à l’analogie, on pourra constater facilement que le
poète est incarné par le pigeon, et imurayg par le faucon!
Cet amoureux qui est le poète est sûr d’une chose - même s’il oublie un jour ses
douleurs et même s’il faisait mine de bien être - à savoir sa vulnérabilité face
à sa nostalgie et son amour devenu une fatalité à vivre avec. Pareillement au
pigeon qui se reconnaît éternellement comme une proie de l’épervier. Le poète
condamné d’aimer à jamais, a bien réussi à personnifier l’abstrait, en le
sortant de ce qui est sentimental relevant de l’inaperçu, au monde de
sensualisme en le matérialisant sous forme d’un élément de son environnement
sauvage. Le but en était en premier plan d’émouvoir son aimé qui, semblablement,
n’imagine pas la délicatesse de la situation (righ ad taremt aya ur tannit).
Lequel élément choisi avec précision est bel et bien le faucon avec tout ce
qu’il symbolise; à savoir la force, la cœrcition, la hauteur et le pouvoir, qui
survole au ciel en épiant ces proies au sursol, face à un être terrestre,
faible, paisible et liant ce qui est le pigeon représentant le poète.
La loi inchangeable de la nature a fait que ce dernier reste un point de mire
préférée pour le premier. De ce fait, ce pigeon n’a qu’un seul choix; à savoir
réadapter sa vie avec cet état de chose imposé à lui. Alors, le poète n’a aussi
que de vivre et s’habituer, à vie, avec l’amour qu’il porte à un quelqu’un qui
l’a abandonné. Rousseau disait que «La seule punition de s’être aimé est
l’obligation de s’aimer à jamais», c’est vrai, en moins, pour l’un des deux. Ce
qui est frappant de plus, dans ce choix d’épervier est le fait que ce dernier,
selon ce que l’on dit s’attaque en premier lieu au cœur de sa proie comme le
fait exactement le sentiment d’amour ou d’amaryg qui fait mal au cœur d’un amant
(tezrit imurayg nnec ar-i neqqan ul). À mon avis, le poète, par ce ver, atteint
le paroxysme de l’éloquence et la métaphore.
1 Hawel i-weghrib a wa-nn yallan,
Awa tessecktit-id unna ira wul.
2 Iwa gyigh tin ughanim ur digyi adif,
A yazwu ur digyi may tessergyigit.
3 Bu ttaksi d-iddan as’in wa-enhubba,
Urack samhegh is-i tgyit d-awujil.
4 A yasmun ur id is-ik yurew baba,
Ul-inew ac iran ul-inew ac ihubban.
Le poète ici (dans le premier ver qui constitue le refrain) implore celui qui
sanglote prés de lui comme une madeleine, de s’arrêter, car ça lui rappelle son
aimé qu’il l’avait abandonné dans un état déplorable dessiné dans le deuxième
ver avec un joli style lyrique sublime. Il est tel un roseau impuissant sans
(moelle) face au vent.
Voyons d’abord les éléments employés dans cette image:
-Le roseau: une plante à haute taille qui pousse sur les rivages des rivières,
des rigoles ou tout simplement au bord de l’eau stagnante ou courante, parce que
cette plante a besoin toujours de l’eau. Il arrive parfois avec la sécheresse
que cette plante s’endormit comme si elle est morte, mais une fois la pluie
tombe, et l’eau s’écoule de nouveau, elle renaissait et s’épanouissait.
Cependant la chose qui caractérise beaucoup le roseau est sa nature creuse
dedans, il n’a pas de moelle. De se fait il vacille par le moindre courant
d’air, à fortiori un vent, ou plus encore, avec une tempête. Et si il peu tenir
les coup c’est grasse à l’eau dont il puise l’énergie minimum afin de résister.
Malgré cela il ne peu pas rester debout droit.
-La moelle: une substance très riche, précieuse pour son rôle vital, car elle
assure l’immunité des être en tant qu’appareil producteur de globules pour le
système immunitaire du corps. De ce constat, adif (aduf) reste indispensable
pour la survie des êtres; un corps sans immunité devient une proie faciles pour
les maladies de toutes sortes jusqu’au son anéantissement totale, au contraire,
bien sur, des corps qui jouissent de leur immunité car leur moelle n’est pas
affectée.
-Le vent: courant d’air en mouvement horizontal souvent violent et ravageur, qui
emporte ou bouleverse tous ce qu’il trouve sur son chemin. C’est une force
naturelle que l’on ne peut pas contrarier. Mais qu’on peut éviter on se mettant
à l’abri. Ça veut dire pour le roseau être immunisé, et pour l’être, il faut
avoir de la moelle! Question: qui ce que tous ça peut avoir avec notre poète?
Voilà la combinaison:
Le poète compare explicitement son état à celui du roseau (gigh tin ughanim). Ce
roseau est dépourvu d’immunité et ne peut pas se tenir debout en constance
devant les vents par manque de moelle. Alors, le poète également est fragile
dans une état critique puisque son aimé l’a laissé (vers 1 et 3). Donc,
sa»moelle» est bel et bien son amour et la compagnie de son aimé. Sans lui, il
devient incapable, il est seul et faible face à son chagrin, et impuissant face
à l’abandon, pire encore, face aux souvenirs et nostalgie qui le tourmentent tel
ce que fait le vent au roseau. C’est pourquoi dans le deuxième hémistiche, du
même ver, il implore le vent en s’incarnant le roseau de s’arrêter. Déjà
angoissé par les souvenirs, il ne supportera, de plus, que «Taghufi» et «amaryg»
le malmènent.
Suite à cette analyse on peut mettre les éléments se conformant de cette image
en schéma suivant:
-la1iere synthèse: Le poète = le roseau; (le poète a perdu son chéri + le roseau
est sans moelle) = objet qui subissait l’acte.
-la 2ème: Taghufi/amargy = le vent; (amargy, le résultat d’un changement de
rapports/ l’abandon + le vent, le fruit de changements climatiques) = acteur
occasionnel, agissant qui fait subir l’objet, influant.
-La 3ème: Le bien aimé = la moelle; (l’aimé est parti, il est le seul remède
pour le poète + la moelle est l’immunité pour le roseau qui ne l’a pas) =
immunité/»asafar», indispensable pour l’objet.
De cela, on peut déduire facilement les alternatives suivantes:
-l’état normal/ le bonheur = l’objet (1iere) +l’immunité. (3ème).
-l’état anormal/le malheur = l’objet + l’acteur qui fait subir. (2ème).
-l’immunité, sa présence présupposée être évidente = la disparition de l’acteur
considéré comme occasionnel, et vice versa. Ça veut dire que l’existence du
deuxième dépend de l’absence du premier.
Le poète, bien sûr, aspire à la première alternative, mais apparemment, loin
d’être réalisée. Alors il ne s’y peut rien, que de se résigner en faisant des
reproches au automobiliste qui l’a privé de son copain vers une destination
inconnue, en l’abandonnant tel un orphelin dépossédé d’amour et compassion.
Quant au dernier ver il s’agit d’une déclaration d’amour originale; un cri de
coeur dans lequel il donne la raison de l’intense amour qu’il éprouve pour lui;
ce n’est pas de tout par un lien du sang, mais, tous simplement, par un coup de
foudre de son cœur.
1 Awera yawa gher s-amalu n-uxlidj inghac irifi,
Qqim cey hat twalft azal nekk at-ttawigh ccili.
2 Ul-inew iqqendv awi’ssen ma’gga lhal iwenna righ,
Meck as tgya amm unna gyigh taghi nekkin-its.
3 Izem aberbac rreâb a’gga uraâa nnec ghuri,
Ddagy d-ihezza alenn digyi hrurigh s tasa.
4 Idda lwezz gher aman nna g-itrewwah ku yass,
Ahyud nna idvmmeân ad-asen yaley gher âari .
5 Gigh-ttent gg’ul i-wehbib inew ursar-i yannay,
Ddagy ur ihenna wul nnes ad as-en ittu lhsibat.
Là, il s’agit d’une partie d’un très bon poème nostalgique, chanté
mélancoliquement et en toute douceur. Ce qui est remarquable dans ces vers est
l’emploie intense d’éléments de la nature liée à l’environnement du poète. À
commencer d’abord par le refrain (le ver1), dans lequel ce poète supplie sans
cesse son adoré qui passe «izalen» (les moments les plus chauds du soleil) loin
de lui, à le rejoindre à «amalu n-uxlidj», à sa foret intense afin de se
délecter de l’ombre frais. En fait, la signification n’est pas aussi simple que
ça. Voyons; les deux amoureux se sont éloignés, ou bien l’un a abandonné
l’autre, c’est pourquoi ce dernier l’appel en l’adjurant de revenir à lui. Pour
le convaincre/ le fasciner, il lui présente l’amour qu’il éprouve à son égard
comme un vrai paradis; «axlidj» qui donne «amalu». Cette mise en parallèle entre
tous ses éléments et la relation sémantique implicite qui les lie, s’expliquent
et se résument par le schéma suivant:
-»Axlidj»: ombre+ fraîcheur + détente + abreuvement…
-L’amour: sentiment + tendresse + bonheur + bien-être…
-»Azal»: touffeur + peine + malaise + soif…
-l’abandon: nostalgie + désespérance + peine + malheur…
Vivre à «axlidj, se délecter de son ombre fraîche, ses denses arbres et le
bruissement suave de son eau coulante, est un vrai paradis semble-t-il. Surtout
en été; quand les gens fuient aux coups de soleil, aux journées ou plutôt «izalen»
vachement chauds et longs, ils regagnent la forêt. Seul l’aimé du poète refuse
de y aller aussi. Il semble qu’il s’est habitué avec «azal» et tous ce qui s’en
suivent de peine, touffeur et autres souffrances, malgré sa grande soif/ «irifi»,
en moins, ce que le pauvre poète pense. Ce dernier se voit contraint de
supporter tout cela (a’ttawigh ccili). De ce petit aperçu, dont le fin indice se
révèle, et que le poète tolère dans cette sublime métaphore afin de permettre à
l’auditeur averti de comprendre le sens implicite et décomposer l’image. De ce
petit aperçu, cet indice, donc, nous conduit à la déduction suivante:
-»Axlidj» = l’amour: le poète souffre de l’abandon et aspire à vivre l’amour.
-»Azal» = l’abandon/ la séparation: L’aimé s’est habitué avec la séparation
malgré sa «soif» à l’amour.
- «Axlidj»/l’amour» # "azal/la séparation. Deux situations opposées, vivre une
d’elles rend l’autre forcement au néant.
Donc vivre au paradis de «axlidj»/l’amour ne se réalisera qu’avec les
retrouvailles en retournant à la maison, avant qu’il soit trop tard. Car a
l’autre coté de l’image il y a l’enfer; «Irifi»(la soif et l’envie)/ la
souffrance et la désespérance enfantées par «azal»/ l’abandon et la séparation.
Un enfer avec lequel l’un des deux protagonistes semble s’est habitué, ce qui
fait beaucoup de peine à l’autre.
Mais le fait que l’autre se montrant indifférent rend le poète plus angoissé.
C’est pourquoi en insistant sur sa désespérance «aqnadv» et l’accablement de son
cœur (dans le ver 2), il se demande sur son aimé, habitué à «azal», s’il partage
ses peines ou non. Si oui, dit-il, alors, ils sont tous tombés dans la même
galère. Ils sont tous, malgré la séparation, atteints de la maladie d’amour,
selon l’expression de Michel Sardou.
Un être aimé pour un lion?! Tout à fait. Et c’est une habitude chez les poètes
«naturels» d’incarner leurs sujets aux éléments de la nature et de leur milieu
champêtre (les démonstrations ne manquent pas; atbir, tafullust n-waman, amedda
(lbaz), tamlalt, ajdao, awudjji…) le choix d’une telle ou telle incarnation et
soumis aux conjonctures et l’état psychique de poète face à l’autre. Ici le
choix de lion (izem aberbac: lion à couleur marron, le plus dangereux des lions)
dans le troisième ver, n’est pas pour personnifier la bravoure de l’être adoré.
Loin de ça, ce sont ses yeux en revanche, Et quels regards lancent-ils! Des
regards irrésistibles face auxquels le poète mollit d’émotions (ihrurey s-tasa)
et ne se contrôle plus!
Pour le poète, l’effet émotionnel que subit des regards de son aimé, n’a d’égal
que l’effet de la proie face aux yeux fatals d’un dangereux lion. Voila à
présent le schéma:
-le lion: être animé + animal + carnivore + musclé + dévorant + effrayant….
-la proie: être animé + animale + victime + impuissante + butin de carnivore…
-l’être aimé: être animé + Homme + adulte + objet d’amour + influant…
-le poète: être animé + Homme + adulte + amoureux + objet influencé…
Donc: le lion = l’être aimé. Et le poète = la proie. De cela résulte logiquement
la déduction suivante: les regards du lion = les regards de l’être aimé. Et
l’effet subi par la proie = l’effet ressenti par le poète.
Il s’agit là d’une belle métaphore ou le poète se trouve en face à face avec un
lion. Un lion qui ne le dévore pas avec ses canines, mais le fait mollir avec
ses beaux yeux et son irrésistible regard devant lequel le poète se fige tel une
proie bloquée qui perd toute chance de s’échapper au carnivore.
Si cet être aimé lancent les regards d’un lion, il aura aussi la beauté et la
coquetterie d’un canard, (le ver 4) (tafullust n-waman, exprimé par le mot «lwezz»
emprunté de l’arabe). C’est curieux! Aussi, chez les francophones on emploie
«canard» pour désigner son chéri.
Un canard aime bien se réjouir coquettement dans un lac tout frais. De ce fait,
il est inimaginable de le trouver un jour escalader et faire face à un «âari»
(montagne) avec ses pattes toutes palmées en endurant l’insupportable qu’elle
qu’en soit la raison! C’est pourquoi le poète en se parlant avec soi, considère
qu’une telle espérance relève de délire et folie (l’adjectif: ahyudv). Il semble
bien dans ce ver que les conditions où vit le poète ne sont pas adéquates pour
son adoré. D’un coté il y a le lac et de l’autre se montre le «âari».
Expliquons:
Les données:
-Le lac: nappe d’eau + doux + frais + confortable….
-âari: montagneux + raboteux + dur + inconfortable…
Le lac symbolise la luxuriance, la prospérité et l’aisance dans les conditions
de vie. Donc, et forcement, le caractère de ceux qui y vivent sera un peu mêlé
de suffisance et vanité, un caractère qui ne leur permet pas que de dédaigner ce
qui n’appartient pas à leur majestueux milieu, c’est ce que pense le poète de
son canard:
-Le poète habit «âari», espace qui envoie à l’infini, la nature sauvage et le
calvaire… bref, les conditions de y vivre sont tout simplement inconfortables et
incommodantes.
-la résidence de petit canard et bien la lac (amda ou agelmam en tamazight), un
milieu plaisant et propice. Maintenant on peut achever à ce qui suit:
-Le canard = l’être aimé.
-le lac = le genre d’amour ou du mode de vie que veut l’aimé.
-»âari» = l’amour du poète ou ce que dont il est capable d’offrir à l’autre.
Conclusion: l’être aimé n’est pas prêt à laisser son paradis où il est gâté,
choyé, lui qui ouvre ses yeux chaque matin sur les caresse toutes douces «du
lac», pour aller «être malmené» aux montagnes! Donc, nulle éventualité de
retrouvaille. Ce qui fait que le poète éprouve un amour non réciproque, inutile
et impossible, d’où vient son grand chagrin.
Ce chagrin d’amour et exprimé explicitement dans le dernier ver. Cependant, ce
poète déçu et vaincu va plus loin quand il annonce la rupture définitive, en se
jurant, dans un ton de désespérance et mélancolie, qu’il disparaîtra, à jamais,
de la vie de son «canard/lion» tant que ce dernier n’essaye pas d’assouplir et
adoucir un peu son cœur, et tant qu’il ne veuille pas oublier les rancunes et
les malentendus du passé.
Voila à présent un autre extrait ou la douleur de l’amour et dessinée autrement
de ce qui est habitué chez les poètes de l’idylle amazighe:
1 Wa tezdayi tayri, awi tenghay tayri, iwa tegr-ayi tayri g wafa,
Ghas amm-i nella g labrigad, kwu idv da ttuqlagh,
Kw yidv da ttucwadvegh amm uhebbas n jadarmeyya.
2 Ullah ar itejra ta lligh ijran i tadvut iqwercal lla iskhazzan,
Ku d-iyneqqa zzman ameddakwl ira’gh yamez, awi ghas nghati tepennam.
3 I wa âenda n-bu tayri ilaq adas run iweâras addag t-ezrey ca,
A ta tehlit a lixra yuf rebbi mec uwin ca, adday ac t’tiks ca ayd ixxan.
Dans les trois premiers vers, qui constituent le refrain, le poète, en guise de
décrire sa peine de tayri, fait appel à l’image. Mais quelle image! En faite,
ici, le chanteur dépasse l’environnement champêtre autour de lui, jusqu’à là,
principale source d’inspiration pour les aèdes amazighs. Les éléments de cette
image poétique sont inspirés d’un autre champ lié a l’histoire de la région du
poète et la représentation du pouvoir inculquée dans sa mémoire. Pour lui, aimer
signifie tout simplement la torture, surtout quand on est abandonné. Pour que
l’auditeur imagine l’ampleur de ses souffrances, cet amoureux se montre tel un
détenu à la brigade de la gendarmerie, qui subit des tortures infernales chaque
nuit. Le 1ier ver représente les formes de sa peine provoquées par l’amour qui
est présenté tantôt comme un moulin, tantôt comme la mort ou l’enfer en
parallèle avec le prisonnier qui subi la même chose mais pas pour la même
raison. Voila les éléments en question:
- l’amoureux: être animé + Homme + adulte + obsédé + torturé + délaissé…
- le détenu: être animé + Homme + adulte + emprisonné + torturé…
- l’amour: sentiment + attachant + obsédant + impitoyable…
- le gendarme: être animé + Homme + adulte + bourreau + impitoyable…
Il est à signaler que l’on se plaigne pas de l’amour comme ça que lorsque le
poète se voit abandonné par son aimé; ainsi ce sentiment se transforme d’un «axlidj»
à un «azal» un enfer qui enfante «amargy» et «taghufi» tous unis et
s’intensifiaient pendent la nuit, déjà symbole de la peur et le désespoir
incarné par l’obscurité. Une nuit qui devient elle aussi longue et
insupportable. Notre poète n’a pu trouver que la brigade de la gendarmerie donc
pour nous faire partager ses souffrances.
Dans l’izli qui suit qui se constitue de deux hémistiches le poète fait un autre
dessin à son cas ; l’image et celle de la laine entre deux cardes/»iqwrcal»
(singulier aqwercal) un à son dessous et l’autre au dessus. En fait, la femme
amazighe se sert de ces iqwrcal épineux souvent en fer pour différencier et
démêler la laine. Carder la laine se fait en la peignant de façon à ce que ces
deux iqwrcal la cardent chacun au sens opposé de l’autre ; un va-et-vient de
deux sens.
Pour le poète, et comme l’indique le deuxième hémistiche d’izli, ces deux cardes
ne sont que «zzman» et «ameddakwl». Il est entre les deux tel la laine entre les
iqwrcal; et comme ces derniers s’attirent sur la laine de tous les cotés, le
poète et aussi malmené entre le temps défavorable pour lui et dont il n’a que
des ennuis (Ku d’iyneqqa zzman), d’autre part il y a l’amour de son aimé qui
l’emporte (ameddakwl ira’gh yamez). Le pauvre poète dans un tel dilemme
revendique la mort qui est son seul soulagement.
Voila maintenant la combinaison de cette image:
- le poète = la laine.
- Le 1ier aqwrcal = zzman,
- Le 2ème aqwrcal = l’amour.
- Le poète, donc, est entre les vicissitudes du temps (zzman) et la douleur de
l’amour.
- la fin du cardage pour la laine = la fin de tout les problèmes du poète = le
soulagement = la mort (ghas nghati tepennam).
Cette désespérance de la part de ce poète est confirmée dans le dernier izli où
il déplore le sort de l’amoureux quelconque surtout délaissé, s’est pourquoi il
vaut mieux mourir pour lui «naturellement», au lieu d’expirer par l’angoisse et
le chagrin d’amour.
Conclusion générale:
Concernant la thématique de l’amour dans la poésie amazighe et d’après les
exemples ci-dessus, on peut conclure que:
-les poètes amazighs chantent un amour passionnel douloureux et nostalgique plus
que l’amour dit «heureux» et joyeux. Et c’est normal, les souffrances sont plus
inspiratrices que les moments de joie. Parfois la douleur enfante la vie et la
création. «Les plus désespérés sont les chants les plus beaux» conclut Alfred de
Musset.
-ces poètes recourent tous à leur environnement champêtre ou social pour y
puiser et y inspirer leurs images poétiques. Oui, le poète est le fils de son
milieu comme l’on dit.
-ils recourent aussi, afin d’impressionner l’auditoire, à l’incarnation de leurs
émotions, situations et sujets par des éliment précis et bien choisis è partir
de leur milieu. Ils transforment des sentiments, et des situations psychiques
données de l’abstrait au monde sensible ou matériel à travers l’image poétique
inspirée de la nature. En recourant aux éléments divers que se soient animés ou
non animés, appartenants aux milieux divers, c’est ainsi que la force de l’image
se crée. André Breton écrivait: «L’image est une création pure de l’esprit. Elle
ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalités
éloignées. Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et
justes, plus l’image sera forte, plus elle aura de puissance émotive et de
réalité poétique»
Par ce risque que nous avons pris d’analyser quelques échantillons, nous
souhaitons atteindre l’objectif, qui consiste à montrer au lecteur combien la
poésie amazighe est si riche et profonde que l’on ne peut imaginer. Les poèmes,
en question, ne sont qu’un petit extrait d’un monumental patrimoine poétique qui
résiste encore au défiguration et dévalorisation dont il est toujours objet,
même par les siens qui ne se rendent toujours pas compte du miel qui coule de
leur langue, hélas.
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