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l’amazighophobie
plane sur LE PAYS DE «TAWIZA»!
Par: Hassan BANHAKEIA
Voilà mon rêve, et voici ma déception!
Quand on rêve de rentrer dans sa ville natale, le rêve est toujours beau. La
vision, de par sa construction onirique, se marie à la vue d’un meilleur monde,
mais combien la déception est forte au moment de voir l’univers des illusions se
faire tout simplement illusoire. Certes, tout s’inverse dans le rêve,
précisément à l’instant de découvrir dans la douleur son propre espace. Cela se
passe effectivement au réveil. Ce doit être là la déception de chaque Rifain qui
«débarque» dans l’établissement (pour ne pas l’appeler faculté, université,
faculté pluridisciplinaire) de Nador. Les proches, d’un ton prémonitoire, vous
répètent: «Que venez-vous y faire ici? Vous allez tant regretter ce retour.»
Au début, et cela perdure, il n’y a ni eau courante, ni électricité, ni bureaux,
ni assez d’enseignants, ni bibliothèque… Ni réelle administration. Tout se fait
dans la précipitation, et les erreurs se multiplient vite. Mais l’on ose dire
que l’établissement fonctionne, qu’il est le modèle à suivre. Cela tient de
l’ordre du fictif. Les murs se hissent au rythme d’un marteau las et d’une
truelle repue, des briques prennent corps sous le poids du ciment, et les fers
ne fléchissent point à scruter les immeubles inachevés. Seule la cafétéria se
tient debout, finie et comblée d’étudiants et de curieux visiteurs. Elle est
unique au Maroc: avec une télévision omniprésente, caquetant toutes les chaînes
paraboliques et une terrasse ouverte sur l’enceinte, elle peut attirer les
visiteurs, mais point des étudiants. De l’esplanade, on peut avoir une vue
totale des rues de l’établissement. En fait, un tel lieu peut étonner tout
visiteur!
L’établissement se fait aussi «structure ambulante»: les responsables, à chacun
son prétexte de fuir cette cité «maudite», ne cessent de reprendre la route
d’Oujda, arpentant quotidiennement plus de 300 kilomètres, loin de ce chaos. Ils
arrivent et repartent avec le soleil. En cela, ils sont fidèles aux éternels
Rifains qui, sur la route d’Oran, repartaient dans le temps, armés de faux, pour
faire les moissons, mais nos ancêtres partaient pour une saison et rentraient
chez eux, pleins de cadeaux, de courage et d’espoir pour les siens. Difficile de
prévoir le lendemain pour une telle institution qui n’existe qu’intermittente
dans l’imaginaire des responsables «migrants». Retenons une vérité courante dans
cette ville: Personne n’ose vivre à Nador, mais oui y exercer le pouvoir. Cela
déçoit vraiment celui qui ose rêver: ce pauvre établissement, fuyant dans sa
nature, peut-il se métamorphoser, un jour, en université proprement dite?
Pas de structures pour faire de la recherche, pas de «mastère» en vue, plus de
contacts avec l’extérieur, plus les 40 hectares prévus pour l’établissement
(actuellement il n’y en a que 11 hectares mordus à moitié par une rivière avec
un lit immense). Nonobstant, le petit établissement rêve à son tour de devenir
grand (comme son confrère d’Oujda), tout un «modèle» dans les papiers. Il peut
l’être, il peut l’être dans les documents, les papiers: avec quatre
départements, une dizaine de filières, deux mille étudiants, une cinquantaine de
professeurs… Au fait, qu’est-il au juste de l’établi? Peut-on imaginer un
département de «Langues et communication» avec un seul enseignant, sans filières
et sans étudiants de spécialité?
En réalité, l’établissement rame dans l’univers des sciences juridiques, de
l’économie, des sciences exactes, des langues et des lettres avec des vacataires
licenciés. Qu’est-il de la qualité de l’enseignement? Est-ce parce qu’on est au
Rif que tout est permis? Qu’un bac + 4 offre des cours à des bacheliers! Un
licencié qui prodigue des cours de spécialité à des étudiants! Cela ne se passe
qu’à Nador. Nulle part ailleurs. De ce fait, les parents consciencieux vont
traverser la plaine de Sélouane pour ramener leurs enfants loin, loin de cet
établissement: les inscrire n’importe où, mais pas tout près de chez eux.
En plus d’être un chaos chaotique, les examens du premier semestre montrent
l’interventionnisme «futile» de l’administration dans les affaires des
enseignants afin de les humilier davantage. Elle planifie, replanifie selon la
guise des étudiants, à l’insu des pauvres enseignants. Ces derniers se sentent
‘surpassés’: Aux nouveaux d’obéir par la force des choses, et aux anciens ne
reste que le choix d’une assomption nécessaire de ce qui est proposé. Rapetisser
l’enseignant, multiplier les embrassades avec les étudiants et lancer des
plannings «de trouble» sont les règles politiques avenantes au chef. Les examens
avortent des tricheurs qui ne passent pas au conseil de discipline. Ils sont
protégés! Par qui? Tricher, hélas, rime avec étudier! Et les revoilà conviés au
rattrapage! Ici, tout simplement ici.
Et le comble c’est que pour diriger l’établissement, les responsables se cachent
derrière des textes quand le bon sens de la loi le permet, mais sans les
appliquer dans le bon sens. L’on babille des articles sous le poids d’un esprit
qui ne voit que «trame» et «méfiance», mais jamais la participation de
l’enseignant. Ce dernier se sent le drop out! Le drop out! Que faire alors de la
visibilité d’un tel établissement qui est appelé à illuminer l’environnement
tant obscurci par la contrebande, l’émigration clandestine et les drogues?
A force de dire que l’établissement pourrait couler si de l’organisation n’avait
pas lieu, et que le projet s’avère vital pour cette région tellement
marginalisée depuis la nuit des temps, des élections «modéliques» arrivent sous
la pression des professeurs natifs de la région. A la tête du département des sciences humaines arrive sous la
suprême bénédiction du chef, un professeur assistant stagiaire et «nomade». Le
chef accepte le candidat «stagiaire» pour gérer l’inconnu! Qui ne voit que cet
acte, pour une part, au moins étonne tout enseignant? Pas le chef soucieux de
l’esprit démocratique des élections, amnésique qu’un jour il était enseignant!
Et que, s’il le veut, cette aberration disparaisse en un instant.
L’établissement se veut donc expérimentation de l’aberrant, approfondissement de
l’inexpérience et non respect de la hiérarchie scientifique pour gérer les
filières actuelles et préparer les filières prochaines. Qu’une page blanche
parle de l’absence de ses mots et de ses épreuves serait tributaire de
l’absurde! Tout est permis dans ce petit bled: les contestations sont prises
comme une parole «tolérée», mais vues comme une interrogation à laquelle la
réponse écrite s’avère de l’impossible! Notre établissement élude l’inscription.
Ici, on n’a pas l’habitude d’écrire: tout se fait dans l’oralité où s’immiscent
promesses, bénédictions, insultes et cris, mais rien ne se fixe. Naïf de moi, je
rédigeai une lettre de contestation, mais jusqu’à cette date pas de réponse.
L’attente de la réponse écrite se fait oralement promesse, mais connotant
l’insulte quand l’écrit tarde à arriver! Ça c’est de l’établissement qui tend à
mater l’écrit «inadéquat et impropre».
Féru naguère d’associationnisme et de syndicalisme, le chef se montre pour
autant contre la formation du syndicat dans l’établissement. Le haut responsable
gère l’établissement en vue d’amplifier la crise structurelle: les professeurs
expérimentés sont mis sur la touche, et les nouveaux sont soit menacés, soit
rassurés de bien obéir et exécuter. Et de cette gestion naît vraiment la crise.
La menace s’annonce «je serai contre votre titularisation», «j’informerai les
autorités locales»… Et ces crises à répétition tuent ce rêve, ce retour chez
soi, parmi les siens. L’on se sent réellement exilé chez soi.
Que l’établissement s’ouvre sur l’environnement humain et culturel s’avère une
autre désillusion. Je présente, et voilà ma seconde bêtise, un projet afin de
créer un atelier de recherche sur l’amazigh en rappelant le dahir royal du 17
octobre 2001 et le «mithaq», et le projet ne connaît pas de réponse écrite. Le
refus est mille fois bénéfique que l’attente. Pire encore: l’on vous renvoie aux
calendes grecques comme s’il ne s’agissait pas d’un projet scientifique,
positif… Quelle spécificité pourra donner cet établissement si ce n’est le
travail sur l’amazighité du pays? Est-ce du discours démagogique le fait de
travailler sur le tifinagh, sur l’écriture amazighe, la littérature orale, la
littérature écrite de la région… En plus de ne pas savoir à quel saint se vouer,
l’on apprend vite à jauger la gradation de l’humiliation.
Ces problèmes sont en réalité faciles à résoudre, la seule difficulté est
d’avoir le courage de regarder en face avec la volonté de changer de mentalité
et de vision que cela nécessite… Ces deux nouvelles dispositions tiennent en
otage l’histoire de notre université et à sa destinée.
Pour conclure, et je le fais de manière cynique, j’espère que cet établissement
ne se hisse pas comme une exception «négative» par rapport aux autres facultés
marocaines! (Hassan BANHAKEIA)
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