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Aza: des Amazighs au pays
de l’oncle Sam
Lahsen Oulhadj (Montréal)
Après leur spectacle au théâtre Coronna à Montréal, le 16
juillet dernier, j’ai eu l’immense joie de rencontrer nos deux mousquetaires.
Toujours fidèles à cette modestie typique qui caractérise tant les Amazighs, le
contact a eu lieu sans chichi et le plus simplement du monde. À dire vrai, on
dirait qu’on se connaissait depuis des années; alors que l’essentiel de nos
contacts se réduisait à quelques courriels.
Sans salamalecs donc, nous sommes sortis du théâtre pour aller discuter dans un
café qui se trouve juste dans le voisinage. Attablés autour d’un verre, nous
avons laissé libre court à notre discussion. Tantôt posant des questions à
Fattah Abbou, le plus extraverti de nos deux musiciens, et tantôt poussant
carrément son acolyte de toujours, Mohamed Aoualou, à prendre la parole; il est
d’une nature très réservée. D’ailleurs ce dernier, dans une pointe d’humour, a
qualifié Fattah, «de ministre de la parole ».
Apprentissage
Les débuts de nos artistes n’ont pas été, comme nous pourrions l’imaginer, dans
un conservatoire ou dans une école de musique. Ô que nenni. Ils ont commencé,
comme tous les artistes amazighs qui les ont précédés, dans la meilleure des
écoles, celle de l’autodictatisme. En d’autres termes, sans vouloir être
ironique, ils ont suivi le parcours classique des artistes amazighs.
« J’ai commencé tout seul et d’une façon on ne peut plus rudimentaire, nous
avoue Fattah tout sourire, en fabriquant moi-même mon instrument à corde à base
d’un récipient de l’huile à moteur, d’une barre de bois et des câbles de frein
d’un vélomoteur.»
Ainsi, a commencé le long apprentissage de «grattage» sur cet instrument on ne
peut plus modeste. Après une pratique de quelques mois, les premières notes
jouées ne peuvent être que celles des rways, ce genre musical traditionnel qui
est, et de loin, le plus présent et le plus répandu dans cette immense région
amazighophone du Sud du Maroc, qui est, selon l’expression de Mohamed une «mine
d’or pour tous ceux qui ont un tant soit peu des penchants musicaux.»
Baigné, depuis son enfance dans l’ambiance d’ahwach avec ses variantes infinies,
Mohamed, qui nous en a donné la démonstration lors du spectacle en esquissant
quelques mouvements chorégraphiques très complexes, n’a pu avoir une véritable
guitare qu’à l’âge de 16 ans. Mais sa prédisposition à la musique et son
auto-initiation grâce, lui aussi, à son instrument de fabrication personnelle,
expliquent le fait qu’il soit devenu, au bout de quelques temps, un virtuose de
la guitare.
«C’est là, nous dit-il avec son flegme habituel, que j’ai commencé à pratiquer
sérieusement et assidûment mon instrument, à l’oreille et sans aucune
connaissance du solfège. D’ailleurs, à ce jour, cette écriture musicale est
comparable à du chinois pour moi.»
Entre temps, nos deux artistes continuent à écumer les «isuyas» et autres «isriren»
- places où ont lieu les fêtes villageoises- de leurs régions respectives
connues pour la richesse incommensurable de leur héritage musical: ahwach,
taskiwin, ahyyad, tahwwarit, ignawen… Avec une écoute appliquée des groupes
modernes: Izenzaren, Archach, Oudaden, Osman, etc ; et des Rways dont bien
évidemment les plus grands : Said Achtouk, Mohamed Albensir, Omar Wahrouch,
Mohamed Amentag, ben Ihya Ou tznaght...
Originalité
Comme nous pouvons le remarquer, nos deux artistes ont grandi dans un milieu où
la fusion des genres musicaux amazighs est de rigueur. De là, on peut expliquer
cette quête continuelle de l’éclectisme qui ne manque pas d’originalité. À ma
connaissance et grâce à eux, c’est la première fois que le luth est utilisé dans
l’expression des rythmes amazighs du sud du Maroc. Le résultat à été tout
simplement épatant.
«La musique est universelle, même si je sais que certains ne seraient pas
contents que je le luth utilise sous prétexte qu’il est un instrument arabe; à
mon avis, il ne faut pas fermer l’horizon de l’amazighité. Il faut l’ouvrir sur
les autres cultures si cela va lui apporter davantage de richesses. Le luth est
un instrument délicat qui demande beaucoup de pratique. Et je pense que son
intégration aux rythmes amazighs a donné quelque chose d’original», nous assure
Fattah qui croit dur comme fer à l’«inter culturalité» qui, prononcé avec un
fort accent américain, revient comme leitmotiv dans ses propos.
Il faut reconnaître qu’il est un multinstrumentiste doué; en plus de la
percussion, du banjo, du luth, du lotar, il manie brillamment le rribab, cet
instrument ô combien amazigh! D’ailleurs, il se peut bien qu’il soit utilisé
dans leur prochain album. On attend impatiemment le résultat.
Effervescence
La première expérience musicale de nos artistes a été avec des musiciens ou des
groupes non moins connus. Dans le cas de Mohamed, cela a été avec le grand
Mellal. « J’ai participé à l’enregistrement de son premier album », dit-il.
Quant à Fattah, cela a été avec Tilila, un groupe très célèbre dans le Souss et
sa région pendant les années 80 et 90.
Le bac en poche, nos deux artistes débarquent à Marrakech pour s’inscrire dans
le département de littérature anglaise à l’Université de Qadi Ayyad. C’est là
qu’ils se sont connus grâce au cousin de Fattah, Bouhcine, qui n’est que le
chanteur vedette du groupe Tilila. Et depuis, c’est la grande amitié. Elle en a
découlé, musicalement parlant, la naissance d’un groupe qui était très connu à
Marrakech et sa région, Imdayazen. Cette formation a enregistré plusieurs albums
qui tournent tous autour des thèmes chers au mouvement culturel amazigh (MCA):
identité, démocratie, universalité….
Nos deux artistes reconnaissent très fièrement qu’ils sont redevables au
mouvement culturel amazigh. Ils se considèrent même comme ses purs produits. Il
suffit d’écouter un laps de temps les compositions d’Aza pour s’en rendre
compte.
Quant à leur avis sur la nouvelle vague de la musique amazighe représentée par
Yuba, Agizul, Masnissa, Tafsut, Mellal…, les membres d’Aza «trouvent que c’est
une très bonne chose de moderniser la musique amazighe. Mais il faut que les
paroles soient accessibles. La complexité et les formules absconses sont tout
simplement à proscrire, surtout en ce moment où le mouvement amazigh a besoin de
s’implanter dans les masses. Il faut parler le langage de la simplicité pour que
notre message soit audible.»
À nous l’Amérique!
Licencié de l’Université Qadi Ayyad, et devant les horizons bouchés, Mohamed a
été le premier à émigrer en 1988. Destination les États-Unis. Au bout de trois
ans, c’est le retour à la case départ, à savoir le Maroc. Mais au bout d’une
année, c’est le départ une fois de plus aux États-Unis avec son ami de toujours,
Fattah. Là, ils s’installent sur la côte Ouest, et plus précisément à Santa Cruz
en Californie.
C’est là qu’ils ont eu l’idée de fonder un groupe musical. Ce qui n’a pas tardé
à se concrétiser avec la fondation du groupe Aza, un nom ô combien symbolique,
qui a produit un premier album très réussi, car très original. Un deuxième est
sur la route. Espérons qu’il soit comme le premier et même mieux!
Et cerise sur le gâteau, Aza a pu, grâce à sa persévérance, décrocher une bourse
du Conseil culturel de la ville de Santa Cruz pour organiser un festival amazigh
avec la participation de l’infatigable anthropologue Hélène Hagan et du kabyle
Moh Alilèche. Un festival qui a d’ailleurs eu lieu. Les échos que nous en avons
sont très positifs. Une deuxième édition a toutes les chances d’avoir lieu
l’année prochaine.
En outre, le groupe est en contact avec le seul Marocain qui travaille à la
NASA, Kamal Al-Ouadghiri, qui, semble-t-il, est un amoureux de la culture
amazighe; et cela afin d’organiser une autre manifestation culturelle à
l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA).
Quant au Maroc, à ce jour, Aza n’a reçu aucune invitation pour participer à la
multitude de festivals qui s’y déroulent chaque année. D’ailleurs, ce serait une
bonne idée si les responsables de Timitar pensent à le programmer dans sa
prochaine édition. Car il le mérite amplement vu la qualité indiscutable de sa
musique. Mais comme l’a si bien exprimé Fattah sous forme d’un adage bien de
chez nous: «ahwach n tmazirt ur a isshdar » (la musique de chez nous ne fait pas
danser). Mais l’espoir est permis même s’il ne faut pas s’illusionner.
En tout cas, le groupe Aza étudiera minutieusement toute proposition sérieuse en
vue de participer à n’importe quelle manifestation culturelle, et même, pourquoi
pas, faire une tournée au Maroc voire en Europe. Pour le contacter, il faut
juste se connecter sur son site Internet: www.azamusic.net
Ils vont probablement chanter ses paroles dans leur prochain album qu’ils m’ont
interprétées a cappella:
Ddan-d irumiyen gin agh d ibarbaren
Ddun-d waàraben fkin agh idurar
Ifdv n tikkal a nsella iw awal a-n
Izd a nalla, ar nsmummiy, ar nettals i tilli zrinin
Ngwin iw attvan negh
Gelb at awa gh ixf nek, a tmdvaram
Ikka-d uhladv aguns n tgmmi lli darngh
Kullu wan-d igan amaynu nazzl sis
Ndver-n, nettu agayyu negh, neskr gis u darngh
Lsagh, ar nsawal, ar nswingim zund nettan
Yak Ibn tumert iga nit u darnegh,
Ura yak Ibn Yassin iga nit u darnegh
Ma yyi iga, ma-d agh isker, ma yyi-d ifl
Is ghad lkemn is nakeren izvuran
Itfar ixsan aylligh gisen skern izakren.
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