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Congrès Mondial Amazigh:
Algérie : les dérives d’un chef
d’État
Dans le cadre de sa campagne en faveur de son projet de «
charte pour la paix et la réconciliation nationale «, le chef de l’Etat algérien
a tenu un meeting le 20 septembre 2005 à Tizi-Ouzou, en Kabylie, au cours duquel
non seulement il n’a apporté aucune réponse aux attentes impatientes de la
population, mais pire, il a eu, comme à son habitude lorsqu’il s’adresse aux
Amazighs et en particulier aux Kabyles, un comportement où se mêlent
l’arrogance, la provocation et le mépris pour le peuple, pour la vérité et pour
la justice.
Sur le thème même de la «réconciliation nationale», Mr Bouteflika a totalement
ignoré la tragédie kabyle de 2001 au cours de laquelle les forces de sécurité
ont utilisé des armes de guerre contre des manifestants aux mains nues, tuant
127 personnes et blessant plus de 5000 autres, dont plusieurs centaines
resteront handicapées à vie. Les promesses de justice et de réparation sont
restées lettre morte et les assassins jouissent toujours de l’impunité et de la
liberté. Ce mépris des règles élémentaires du droit, ce non-respect de la
mémoire, constituent une insulte quotidienne aux victimes, à leurs parents et à
l’ensemble des Kabyles.
Lorsqu’il a évoqué la grave situation socioéconomique que vit la Kabylie depuis
2001, c’est uniquement en terme de «retard de développement», imputé à des
«perturbateurs locaux». Pour le chef de l’Etat algérien, les deux millions de
marcheurs le 14 juin 2001 à Alger, venus lui remettre leur plate-forme de
revendications citoyennes, n’étaient que des perturbateurs. C’est donc le peuple
qui est coupable de ses propres malheurs et non le pouvoir algérien pourtant
responsable de l’instigation et de l’entretien de la crise en Kabylie. Personne
n’a oublié ni n’oubliera que c’est un gendarme qui a assassiné le 18 avril 2001,
Massinissa Guermah, première victime du printemps noir et que c’est le ministre
de l’intérieur Zerhouni, en poste à ce jour, qui a déclaré: «ce n’était qu’un
voyou», excitant ainsi la colère populaire et personne n’oubliera non plus, que
ce sont les «forces de sécurité» de l’Etat algérien qui ont tué et qui se sont
comportées comme «une force d’occupation» en Kabylie. Et les témoignages
abondent concernant les blocages à l’investissement, les entraves et les
harcèlements que subissent les opérateurs socioéconomiques qui ont choisi
d’investir ou de se maintenir en Kabylie. Et la mise à l’index de cette région,
qui réclame un projet démocratique et laïque, ne date pas de 2001 mais a
commencé dès l’indépendance du pays. Tout porte à croire que le pouvoir
panarabiste algérien s’est juré de parvenir à la soumission de cette région ou
d’y instaurer le chaos. C’est cette politique ségrégationniste et d’hostilité
permanente à l’égard des Amazighs qui sème les germes de la division et de
l’instabilité.
Sur la question identitaire, le chef de l’Etat a affirmé «nous sommes tous des
Amazighs mais l’islam nous a arabisés». Notons d’abord que Mr Bouteflika a fini
par rejoindre la position du mouvement amazigh qui a toujours soutenu que les
populations de Tamazgha (Afrique du Nord) sont dans leur écrasante majorité de
souche amazighe et que par conséquent, la question amazighe n’est pas de nature
ethnique. Mais le chef de l’Etat algérien fait dans la contrevérité lorsqu’il
soutient que «l’islam nous a arabisés». En réalité, les Amazighs ne sont pas
plus arabes que les Turcs, les Perses ou les Pakistanais qui ont été eux aussi
islamisés. De plus, faut-il rappeler à Mr Bouteflika que tous les Algériens
n’ont pas été arabisés et qu’un bon tiers utilise quotidiennement Tamazight? Que
les pratiques culturelles amazighes antéislamiques sont très répandues en
Algérie, y compris chez les arabophones? Et que enfin, ce n’est pas l’islam en
tant que religion qui a arabisé les Amazighs, mais bien la politique
d’arabisation forcée, mise en œuvre par le pouvoir arabonationaliste algérien?
La falsification de l’histoire, les interdits et la répression de l’expression
de l’amazighité, l’arabisation de l’école, des médias publics et de
l’administration, sont parmi les instruments utilisés par les instances
Etatiques pour tenter d’éradiquer le fait amazigh et de faire de la terre
amazighe d’Algérie, une terre arabe. Par ailleurs, désigner l’islam comme
responsable de l’arabisation des Amazighs est une grave instrumentalisation de
cette religion, aussi dangereuse que celle pratiquée par les islamistes.
Quant au statut de langue nationale pour Tamazight, il est également faux
d’affirmer comme le fait Mr Bouteflika, que c’est lui qui a décidé
unilatéralement d’octroyer ce statut à la langue amazighe, car en réalité, cet
acquis est le résultat de plusieurs décennies de luttes et de souffrances de
générations entières d’Amazighs, jusqu’au sacrifice suprême consenti par les
martyrs du printemps noir. Et au moment où le peuple amazigh attendait un geste
politique fort du chef de l’Etat algérien concernant l’officialisation de la
langue amazighe, en vue de réconcilier durablement les Algériens avec leur
personnalité authentique et assurer la cohésion nationale, Mr Bouteflika,
silencieux à Tizi-Ouzou sur cette question, donne libre cours à son profond
sentiment anti-amazigh le 22 septembre à Constantine, en déclarant sur un ton
coléreux et agressif, qu’il n’y aura «jamais deux langues officielles» et que
«l’arabe demeurera la seule langue officielle» de l’Algérie! Mr Bouteflika qui
se comporte en véritable despote, prisonnier de ses réflexes archaïques,
assumera seul toutes les conséquences de ses propos irresponsables et indignes.
Nous rappelons simplement au récidiviste Bouteflika qui a prononcé le même
«jamais» à l’encontre de Tamazight en 1999 à Tizi-Ouzou, que la langue amazighe
s’est hissée malgré lui, au rang de langue nationale et qu’elle continuera son
ascension jusqu’au statut de langue officielle de l’Algérie, aujourd’hui ou
demain et quoi qu’il en coûte. C’est une exigence fondamentale, hautement
légitime et conforme aux principes du droit universel et à l’intérêt suprême du
pays.
Par ailleurs, la position du chef de l’Etat montre avec quel mépris il considère
les engagements officiels pris le 15 janvier 2005, par son chef du gouvernement,
concernant l’application de la Plate-forme d’El-Kseur dans laquelle figure en
bonne place la revendication du statut de langue officielle pour Tamazight.
Cette véritable torpille lancée contre le processus de dialogue, illustre une
fois de plus, les luttes d’influence que se livrent sans cesse les clans qui
règnent sur les hautes sphères de l’Etat, au détriment des citoyens. Quel crédit
et quelle confiance peut-on encore consentir à ce pouvoir?
Dans l’ancienne Cirta, capitale du roi amazigh Massinissa, Mr Bouteflika
confirme son aversion pour l’amazighité et en rajoute dans la provocation
lorsqu’il affirme que Constantine est l’une des «rares villes qui a su garder
son identité arabo-islamique». Ainsi, le chef de l’Etat algérien se déclare
«Amazigh mais arabisé» en Kabylie, mais se présente comme le chantre de
l’arabité à Constantine, ville qu’il se permet «d’annexer» au monde
arabo-islamique. Ce faisant, Mr Bouteflika manipule les sentiments ethniques
pour opposer les Algériens entre eux, jouant ainsi un jeu très dangereux
susceptible d’être porteur de conflits à venir et de graves risques pour l’unité
du pays.
Sans jamais avoir ni un mot ni un geste d’apaisement, Mr Bouteflika venu parler
de paix, déclare la guerre aux Amazighs en s’en prenant à leur langue, à leurs
valeurs socioculturelles, à leurs choix fondamentaux comme la laïcité et même à
leurs symboles identitaires.
Nous réaffirmons avec force que c’est l’amazighité, fondement civilisationnel de
l’Algérie et de tous les pays de Tamazgha, qui garantira la stabilité, le
progrès et l’unité auxquels aspirent les peuples de cette région.
Les Amazighs qui constituent le peuple autochtone d’Algérie, n’ont pas
l’intention de changer de pays et n’entendent pas qu’il soit peint aux seules
couleurs arabo-islamiques. En revanche, si Mr Bouteflika, s’est trompé de pays,
il y en beaucoup d’autres de rechange.
Le peuple amazigh, soumis à toutes les violences, aspire plus que jamais à vivre
en paix et en toute amitié avec les autres peuples. Mais la paix et la
réconciliation version Bouteflika, signifient visiblement, le renoncement des
Amazighs à leurs droits les plus élémentaires et à leur dignité. Cela constitue
pour le moins, une provocation inacceptable qui nécessite l’unité des rangs et
une détermination sans faille pour poursuivre la lutte pacifique jusqu’à
l’aboutissement de toutes nos exigences démocratiques.
En tout état de cause, le Congrès Mondial Amazigh appelle solennellement les
Amazigh-e-s ainsi que toutes les Algériennes et les Algériens véritablement
épris de valeurs humaines, à rejeter ce projet de charte et à boycotter
massivement le référendum du 29 septembre prochain.
Ulac smah ulac, pas de pardon sans vérité, justice et réparation.
Paris, le 23 septembre 2005
Le Bureau du CMA.
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