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Abehri, le connaisseur et le pédagogue Hha Oudadess (Rabat) Je n'ai pas connu Abehri pendant plus de six ans; et, au début, je ne le voyais que rarement. Je crois me souvenir de l'avoir vu, pour la première fois, chez le Professeur M. Chafik, lors de l'une des visites de courtoisie que nous rendions à cet ami commun. Je ne savais pas du tout qu'il souffrait d'une quelconque maladie. Au fur et à mesure des rencontres, j'ai, petit à petit, découvert des aspects d'une personne hors du commun. C'est que Abehri n'avait, à ma connaissance, aucune prétention. Il a vécu et c'est bien tard que je l'ai compris -selon des principes sains inspirés par l'amazighité et de tendance universelle. Il ne voulait rien imposer à personne mais, de son côté, il n'admettait pas de faire de concession en ce qui concerne le fond. Et, tout cela, avec le sourire et la décontraction. Si tension il ressentait, il faudrait, ne serait-ce que pour ça, lui rendre hommage; il n'en laissait rien voir. Et c'est là un grand enseignement. Nul doute que si la vie lui avait accordé encore quelques années il aurait fini par être reconnu, par tous, comme un maître de sagesse. Cette note «Abehri, le connaisseur et le pédagogue» n'a pour but que d'apporter un témoignage bien succinct sur l'étendue des connaissances d'Abehri et sur son ingénieuse manière de communiquer avec des personnes de tout âge et de tout niveau d'instruction; et aussi avec des «analphabètes». A ce titre, je me souviendrai toujours et avec tendresse de ses longs palabres avec ma mère. Ils pouvaient durer longtemps. On les voyait, parfois chacun à sa besogne, en train d'échanger avec sérieux ou pouffant de rire après une bien bonne que l'un d'eux avait sortie. Ils ne se connaissaient que depuis peu mais, à les voir, on aurait juré qu'il s'agit d'amis de très longue date. Et ce qui est encore plus étonnant c'est qu'il pouvait dialoguer avec ceux qui sont supposés être ses adversaires ou même ses ennemis. Il y a longtemps que je n'accepte plus de discuter avec des adversaires en ce qui concerne tamazighet; en ce qui concerne l'authenticité du Maroc. Je postule que, vu toute l'activité déployée par le mouvement amazigh, des adversaires sincères et intelligents doivent savoir le minimum avant de se lancer dans des controverses; à défaut de ce minimum, les intéressés ne méritent pas le statut d'interlocuteurs. Sur ce point, mon ami Abehri, je n'ai, auprès de toi, rien appris. Je t'en demande pardon. Mais ta pédagogie est autre. Dans Agraw Amazigh n°111 (du 15 Septembre 2003) paraissait ta nouvelle «Allah avait tout entendu». C'est encore l'une de tes trouvailles. Tu parles, à la fin de celle-ci, du marocain amazigh (je devrais dire «amazighophone») qui se réveille avec trois jambes (!). Tu ne dis pas lesquelles. Il est permis de penser que l'une d'elles est l'amazighité. Mais comment est-ce que ceux qui, parmi nous, considèrent qu'ils sont arabes vont-ils, s'il le lisaient, comprendre ton message? On n'en finit pas de mesurer l'étendue de tes connaissances. Tu n'es pas de ceux qui s'empressent d'étaler ce qu'ils savent afin d'impressionner. C'est au hasard des discussions et bien à propos que tu sors l'information qu'il faut. Et l'on se rend compte que tu sais bien de quoi tu parles. Et l'on est étonné que tu aies pu toucher à des domaines aussi divers: des abeilles et du miel, de l'histoire, des ordinateurs, de l'agriculture, des lois, du journalisme, de la politique, etc.. Ta pédagogie est efficace. En plus du raisonnement strict, tu uses, avec discernement, de l'anecdote et de l'exemple simple. A te voir à l'œuvre, on ne peut s'empêcher de penser à l'un des grands tel Socrate en train d'appliquer sa maïeutique. Il m'est souvent arrivé de voir en toi, portant plus que ton âge à cause de la maladie, un grand père paisible assurant, avec finesse et délice, son rôle de guide et de fédérateur. Avec toi, ce n'est jamais un étalage de connaissances pour briller en société. Quant au raisonnement, on ne sent jamais que tu tentes de piéger. C'est une suite d'idées que quelqu'un un tant soit peu entraîné et sans préjugés peut avoir lui-même construite. La limpidité, la sincérité et la transparence sont les armes imparables du grand homme que tu es. Quand tu as parlé, on est sidéré par l'évidence de la conclusion. Et tes projets toujours nombreux et nouveaux, étaient-ils ta façon de dire que tu ne renonçais pas, que tu tenais toujours à la vie ou encore une façon pédagogique d'alléger la peine de ton entourage en leur signifiant «Vous voyez bien, j'ai des projets et donc je suis vivant; et je vivrai encore longtemps»? C'est comme ce projet de passer quelque temps peut être quinze jours- près d'asif n Wirin sous une tente où à bord d'une caravane. Tu en a parlé à H. Yakoubi et à moi-même. Nous l'avons sérieusement envisagé. Et c'était possible. Malheureusement, ton état de santé ne le permettait nullement. Même le fait d'aller auprès de cet asif n'était pas possible autant que nous l'aurions souhaité. Mais je retiendrai cette matinée passée avec toi et notre ami L. Oulhaj en ce lieu où souvent nous partagions le silence à cause de la chaleur mais surtout de ton besoin de repos. Tu as parlé des plantes, des animaux et surtout des oiseaux. J'appris ainsi que l'un des plus petits de ces derniers passent son temps à tester les branches sur lesquelles il se pose afin d'en trouver une convenable avec laquelle il compte administrer une bonne bastonnade au chameau auquel il se doit de rendre la pareille. Et je me souviens que, cette matinée là, la cigale, au dessus de nos têtes, avait plusieurs fois chanté dans le peuplier blanc de l'Atlas. Au moment du déjeuner, tu voulais encore rester auprès de l'eau et sous les arbres. Nous avons dû revenir en vitesse car il s'était mis à pleuvoir. Tu avais, malgré ta fatigue, fait le ménage; tu avais ramassé la natte et les couvertures et les avais rangées dans un bosquet. Tu marchais, un bâton à la main, au bord d'asif. Quand nous sommes arrivés, je t'avais lancé «Et si la rivière (crue) arrivait, que ferais-tu? La frapperais-tu avec le bâton?». Abehri, mon ami, malgré tes connaissances, ta pédagogie, ta sobriété, ton endurance et ta patience je t'ai connu une souffrance que tu ne pouvais cacher; elle se voyait physiquement sur toi. C'est quand des imazighen s'en prennent, entre eux, les aux autres ou diminuent l'un des leurs; et surtout pour des futilités. Là, tu voyais, plus que tout autre, le gouffre qu'il y a encore à combler. Et cela te faisais très mal psychiquement et même physiquement. Cela est incommensurable avec ta maladie et tes finances toujours titubantes. Que cela serve de leçon à tout amazigh, fort de ses convictions, qui se prend pour le meilleur (!) parmi les tiens. |
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