Uttvun 78, 

Mrayûr  2003

(Octobre  2003)

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Hommage à Moha Abehri: Adieu l’ami

Par Hassan Aourid (Centre Tarik Ibn Zayad

 

Ecrivain, journaliste, Moha Abehri, né en 1950 dans les montagnes de l'Atlas, vient de décéder. L'hommage que lui rend Hassan Aourid reflète l'immense vide que laisse cet inlassable militant amazigh. (Le Matin du 13/09/2003)

Je ne savais pas que ton dernier appel te séparait de quelques heures du grand départ. Tu m'avais pris au dépourvu. J'étais à Imilchil et j'ai grommelé quelques phrases promettant de passer à Beni Mellal où à Aghbala, là où tu te trouverais.

Je savais que la mort rôdait autour de toi, mais qu'enfin elle t'avait accordé un sursis. Un sursis qui te permettrait et nous permettrait de régler tes affaires. Enfin ton affaire.

Tu n'en avais qu'une: tes écrits. Il a fallu t'arracher ton roman «Etre ou ne plus être. Séquences de vies de petites gens exilées dans leur peau…» quand tu as fais ta première crise. Je voulais une trace, un témoignage. De tous les intellectuels amazighs, tu es celui qui tout en empruntant une langue étrangère, est resté authentique. A te lire, on a l'impression de lire le monde amazigh dans le texte. On a l'impression d'écouter un Anechad clamer des Izlan, ou Tamghart raconter des Tinezzra. Friand du détail significatif, tu insufflais âme à un monde aux prises des convulsions du changement obérant. Tu réussissais le double exploit de retracer fidèlement des histoires anodines, et de leur imprimer une charge émotionnelle, voire idéologique.

On ne sort pas indemne quand on te lit. Ta nouvelle «Odeur de sainteté» demeure un chef-d'œuvre, non pas parce que tu as réussi à décrire le monde de la campagne en bute aux turpitudes de la ville, mais parce que tu as pu systématiser dans un texte condensé plusieurs problématiques.

On n'est intellectuel que si on donne un sens au réel. On n'est écrivain que si on sait bonnement le rendre. Le beau est inhérent au métier d'écrivain. On ne se fait pas violence en te lisant. Tout au contraire.

Le soir à Imilchil, on devait feindre avec la nouvelle de ta disparition. Abdelwahed , jovial d'habitude n'as pu se contenir. Ses sanglots s'entrechoquaient dans une triste scène. Mounir se contenait tant bien que mal. Youssef, Youssef qui devait affronter le grand public ce soir, ne savait où donner la tête. Stoïquement, il monta la scène, et clama bonnement et hautement en tamazight, (oui tamazight était l'auréolée ce soir, la belle parée, comme elle ne l'a jamais été depuis belle lurette). «Ce soir, un écrivain, un des nôtres, qui a immortalisé les petites gens de tamazight n'est plus, vivons son deuil, comme il le voulait dans la joie», laissa échapper Youssef. Bassou lui emboîta le pas. Tu aurais aimé être parmi nous ce soir. Tu aurais aimé écouter les badines des Aït Hdidou, leurs anecdotes comme toi seul sait les dire et les conter. Ils ont bien chanté ce soir. Ils ont bien dansé parce qu'ils ont retrouvé leur fierté. Akouray en vieil aède fredonnait ses poèmes en tamazight, sur tamazirt, fustigeant le terrorisme. La nation marocaine est réelle, sinon rien n'aurait pousser quelqu'un de Tounfiyt, dépourvu de tout, à vibrer aux tourments qui ont secoué Casablanca. Bouwghanim fait le pitre, il était heureux de se produire sur scène, lui qui n'a connu que Lhelqa. Et Taws clamant ses poèmes, d'un air solennel, créant déjà une koiné sur l'amour, sur la réconciliation, sur Timmuzgha.

Tu aurais aimé être là ce soir, voir ton œuvre. Car c'est l'œuvre d'intellectuels résolus et déterminés qui ont porté la flamme de l'amazighité au milieu de bourrasques. Que de sacrifices, que de privations, dans un combat donquichottesque et presque surréaliste, tels les artisans de l'arche de Noé qu'on tournait en dérision. Que de déchirures pour ceux qui connaissent l'envers du décor. Des carrières brisées, des ménages déchirés. Un jour, un intellectuel me confia qu'il lui arrivait de douter de son combat, n'eut été le discours d'Ajdir du 17 octobre 2001 de Sa Majesté le Roi Mohamed VI. Reconnaissance par l'Etat et rétribution par son sommet pour ceux qui ont maintenu la flamme. Pour ceux qui ont refusé la mort de Tamazight.

Tamazight ce n'est pas uniquement une langue, c'est aussi et surtout des êtres. On ne peut dissocier la langue de ses locuteurs. Tamazight c'est un dispensaire, c'est une route, c'est de l'électricité. Et c'est bien sûr la dignité. La dignité de se sentir bien chez soi, la dignité de parler sa langue sans complexe, la dignité qui provient du sentiment d'aimer, de pleurer, d'aspirer dans sa langue.

Quand d'autres épousaient de grands thèmes qui font sensations: peuples autochtones, constitutionnalisation du tamazight, paix linguistique, toi tu as choisi le plus simple mais le plus dur, parler des petites gens. Ce monde décimé par (le protecteur)-excusez l'euphémisme- livré pieds et poings liés à une doxa qui s'est faite sur le dos de tamazight (entendons Imazighen).

 Biqcha le personnage du roman est la porte-voix de ce monde. Fille d'un résistant, elle finit, p... irrespectueuse dans les b... de Oued Zem, Casablanca. Biqcha la réelle, était embarquée par le protecteur dans sa magnanimité suprême en Indochine pour assouvir les désirs de braves goumiers. Rendons grâce au protecteur pour ses bienfaits incommensurables. Biqcha, la vraie, qui est toujours en vie, qui fume des Casa-Sport, qui exhibe son corps tatoué sans gêne, qui a tenu à se rendre à Aghbala pour te rendre hommage, a tenu grâce à l'amour. Biqcha, c'est Mririda n'Aït 'Atiq. Ce sont toutes les femmes dont les cris n'ont pas trouvé d'échos. J'allais oublier Aïcha Mekki . Qui s'en souvient? Qui s'en est soucié? Je l'ai connue grâce au livre de Lahjoumri: «Pleure Aïcha, tes chroniques égarées». Ce beau livre est un mea culpa , un cri de cœur. Il a une histoire, quand un natif du pays, Michel Jobert a parlé à un mécène bourgeois des chroniques de Aïcha. Elle prenait le pouls de la société marocaine, comme seuls le savent celles et ceux dotés d'une grande sensibilité. Aïcha mourra dans le dénuement et la solitude. Quand je t'ai parlé du livre, tu me parlas de la personne, car tu l'avais connue. Tu t'es empressé à lui rendre hommage au centre Tarik Ibn Zyad, un soir de 31 janvier 2002. Serions-nous incapables d'apprécier les vrais talents, de rendre hommage aux meilleurs de nos fils? Enfin.

L'amazighité n'est pas une affaire ethnique, comme ses détracteurs veulent faire croire. Elle est affaire de justice sociale et de dignité humaine.

Par un soir de mai, nous veillons à Ourtan, toi, Houssa, 'Asid, Mounir, mon frère Mohammed et moi. Les femmes étaient dans Takhamt. Nous dormions à la belle étoile. Le lendemain nous recevions l'onction du lien indélébile. Ce soir est pour moi à jamais immortalisé.

Je voudrais cher ami, en ton nom remercier Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l'assiste, qui a pris en charge les soins de ta médication, comme il a pris en charge la préservation et la promotion de la langue et culture amazigh, dans le cadre d'un Maroc uni dans sa diversité. Adieu l'ami. Où vous vous trouvez, il y a la face de Dieu, dit le saint Coran.

(Source: ‘Le Matin’ du 13/09/2993)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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