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L’épopée de Dhar ubarran, Episode de la guerre du Rif (1921) Transcription, traduction et analyse de fragments (2ème partie) Par: Mohammed Serhoual (Bu-iseghwane) 2. Métrique et syllabisme: Pour ce qui est de la métrique, nous avons fait le découpage syllabique, étant donné que le vers en poésie du Rif s’y prête; nous avons constaté que, dans la plupart des cas, les vers, formés de 12 syllabes, sont des alexandrins, ils donc souvent isométriques ; certains vers peuvent le dépasser d’une ou deux syllabes. La mesure rythmique se traduit par le recours à un instrument de musique, tambourin et/ou flûte, pour marquer la cadence . La métrique, en poésie rifaine, est fondée sur une matrice rythmique qui se réfère à une forme canonique connue dans le chant rifain: a yaralla yarall // a yaralla buya qu’on peut découper ainsi: a / ya/ ra/ lla / ya / rall // a / ya / ra / lla / bu / ya 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 Si l’on considère le vers comme unité de base formée de deux hémistiches, donc deux unités rythmiques, on a la formule suivante: 1 2 3 4 5 6 // 1 2 3 4 5 6 Cette matrice génératrice de vers est dotée d’une coupe métrique ou césure présentée par le symbole //, celle – ci marque la cadence du v Mais avant d’aborder un tel problème, si délicat soit- il, signalons qu’il y a lieu de tenir compte de deux écritures, l’une phonologique appartenant à l’écrit et qui pourrait, le cas échéant être fonctionnelle pour une standardisation de la graphie, l’autre phonétique qui tient compte de la scansion réelle, celle – ci nous intéresse de manière directe. A/ ya / dha/ r u /bar /ran, // a / ya/ ssu /sen/ yx/ san 1 Wi / zza / yk / i / Äa / rren // a / zzay / si / Äarr / ezz/ man 2 [ a / ya / dha / ru / bar / ran // a / ya / ssu / sen / yx / san ] 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 V CV CCV CV CVC CVC V CV CCV CVC VCC CVC [ wi / zza / yk / i / Äa / ren // a / zzay / si / garr / ezz / man ] 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 CV CCV VC V CV CVC V CCVC CV CVCC VCC CVC Le premier et le second hémistiche du vers initial sont marqués syntaxiquement par le vocatif a transformé en ya pour éviter le hiatus, donc la correspondance est biunivoque entre les deux hémistiches. Il est en de même des rapports entre les deux lexies dhar ubarran – ssus n yxsan; même la rime - an marque la fin de chaque hémistiche. On pourrait envisager un dédoublement du vers; ainsi les deux hémistiches en question peuvent – ils devenir avoir une existence autonome et fonctionner comme un hexasyllabe; donc, l’alexandrin, vers noble et unité métrique de forme isochronique de 12 syllabes, est dédoublée. 3. La rime: a. Structure de la rime: En poésie, les sons jouent un rôle essentiel, il convient alors de souligner l’importance de la rime pour l’oreille tant attendue et appréciée par l’auditoire. La qualité de la rime improvisée, instantanée juge du talent de l’aède, ce dernier doit faire ses preuves devant le public. Plus il en trouve, plus c’est intéressant encore; selon J. Molino (1975), nous avons affaire à des stratégies perceptives (que doit prendre en charge l’esÃétique), c’est la dimension esthétique du message poétique perçu en tant que tel par le destinataire. Les 33 vers du texte sont formés de trois rimes réparties inégalement de la manière suivante: 16 vers en – an, 12 vers en – a et 4 en – ru; La rime en – an peut être répartie en sous – ensembles en fonction du changement de la consonne d’appui: – m –, – s – , – r –, – z – , – d –: • 7 pour – man avec Temsaman répété deux fois • 4 pour – san avec ixsan répété deux fois • 2 pour – ran • 2 pour – zan • 1 pour – dan On peut la trouver à l’intérieur du vers – refrain: A yadhar ubarran, a yassus n yxsan 1 ------------------- an ------------------- an Nous sommes en présence d’une rime dite interne ou brisée (Cf. Morier 1981: 961), elle marque aussi la fin du premier hémistiche. Au cas où elle serait généralisée, tous les vers seraient des hexasyllabes, et le rythme en sera plus allégé. La rime en – ru apparaît dans quatre vers: ufiru29; duruÇ1; hellalaruÇ2; ÃuruÇ1; une syllabe ouverte (de la forme CV ou VCV). Les trois premiers termes sont des noms, le dernier, un verbe. A l’intérieur de cette rime, on peut dégager la structure suivante: ABBA puisque, même si elle se présente sous forme d’une la syllabe ouverte – ru, il y en deux qui sont d’une qualité comme – uru avec Ã- et d- respectivement comme consonnes d’appui La rime a non seulement une fonction esthétique, mais elle ponctue le vers pour en marquer la frontière métrique, d’autant plus que nous avons affaire à une poésie chanté, foncièrement orale. Elle contribue également à la création du rythme. C’est une rime pour l’oreille; une fois réussie, elle fait la joie de l’auditoire puisqu’elle satisfait l’attente du public. Le mot juste trouvé pour la rime est une véritable réjouissance collective; l’allégresse domine l’ambiance festive. Bien perçue en tant que telle, elle doit charmer l’oreille; inattendue et faisant image, elle a un impact au niveau de la réception. Ces réjouissances sont couronnées de youyous entonnés par les femmes et les jeunes filles. Ceci relève de la dimension esthétique du texte au niveau de la réception. La rime suivie en – an s’apparente aux rimes qu’on trouve dans les versets coraniques ou dans la poésie arabe traditionnelle; les sonorités se présentent de manière continue sans alternance de genre (masculines et féminines) et sans disposition particulière en strophes par manque de typographie; de ce point de vue, les langues sémitiques comme tamazight et l’arabe présentent quelques similitudes; contrairement à se qui se passe en poésie française la rime est variée, avec un jeu au niveau de la disposition: elle peut être croisée ou embrassée, etc. La rime peut servir comme point de repère pour un autre découpage possible du texte en trois sous - ensembles puisque, comme nous l’avons déjà signalé, nous, avons affaire à trois types de rimes. La première en – an, elle est dominante, avec un nombre élevé d’occurrences est dans le texte. Le second type de rime n’est constitué que de 12 assonances en – a; elles apparaissent dans les termes suivants: – ammya 17 – xemsa 18 – aziyza 19 – iwÑa 20 – Ãerqa 20 – baba 22 – àarraqa 23 – ametta 25 – iwÑa 26 – rebda 27 – Ãiniyba 28 – isuÑa (r) 29 Ces termes en – a appartiennent à des catégories grammaticales variées: verbales comme iwÑa 20 «il est tombé», Ãerqa 21 «elle a croisé, rencontré», adjectivales aziyza19 «bleu»; et adverbiale rebda 27 «toujours». Les vers assonancés en – a donnent au poète une marge de liberté pour puiser dans le stock grammatical de la langue, d’où la variété d’items lexicaux appartenant à des catégories grammaticales différentes. Ces assonances en fin de vers dites codées sont enrichies par d’autres dites libres; elles parsemées à l’intérieur du vers. Il n’en demeure pas moins qu’elles soient perceptibles et repérables . âarreken d Ayà WaryiÄel di ÃenÇašar ammya 17 Sont montés à l’assaut les Ayt Waryaghel au nombre de douze cents Les combattants des Ayt Waryaghel se sont mobilisés au nombre de douze cents Umi d Äa Çaqben, a Çaqbend di xemsa. 18 Lorsque sont retournés, ils sont revenus à cinq A leur retour, ils ont ramené cinq dépouilles de leur camp A àemmu n rhaj Çisa, a bu – yis aziyza ! 19 Ô hemmou, propriétaire d’un cheval bleu à dos de cheval Hemmou fils d’El Haj sur un cheval bleu
A ya ššix Çmar x sserk I ywÑa! 20 Ô cheikh Amar tombé du fil de fer barbelé Ô Cheikh Amar, du fil de fer barbelé a succombé
Rabbi mammeš Äar ggeÄ I Fettouš xmi Äar Ãerqa 21 Ô mon Dieu comment je vais faire pour Fettouch lorsqu’elle croisera Ô mon Dieu comment pouvoir faire face à Fettouch ? Khminni Äar Ãini Çzizi ma ykka baba? 22 Lorsqu’elle me dira Oncle ! Où est parti mon père ? Ô mon Dieu que faire lorsqu’elle m’interrogera Oncle ! Où est mon père ?
–- Baba – m d amjahed ÃenÄ – ià àarraqa. 2Ç Ton père est un Combattant l’a tué par la mitraillette – Ton père est un Moujahid , il a été criblé par la mitraillette L’assonance étant une rime faible, cette faiblesse rimique est compensée par une certaine variété sur le plan grammatical et par le recourt aux rimes intérieures.
La rime en – an est une syllabe fermée, de la forme VC; syllabe polyvalente, ayant plusieurs fonctions grammaticales, elle joue, avec l’initiale vocalique i- le rôle de formant de schème du pluriel externe des nominaux (noms et adjectifs): i-----an Exemple: firu, pl. ifiran «fil»; ameqqran, pl. imeqqranan «grand». Ce même formant de schème, plurifonctionnel, est suffixé à des adjectifs comme abarran «de l’extérieur», asebàan «joli, beau», ces deux adjectifs dérivent respectivement de barra «extérieur» et de isbeà «être joli, beau»; la structure grammaticale de ce morphème grammatical peut être formulée ainsi: a-----an On le trouve également comme marqueur nominal dans un lexème comme aturjman «interprète», terme intégré, avec a – comme initiale vocalique; d’autres emprunts comme rqebtan «capitaine» n’ont pas d’initiale vocalique, ils se présentent avec la vibrante [r] en tarifit qui provient de la liquide [l]; la structure lexicale de ce type de noms est donc: r + radical -----an Nous voyons donc que la polysémie en tarifit en particulier, et en tamazight de général, n’est pas l’apanage du lexique, elle caractérise même aux morphèmes grammaticaux, il s’agit donc d’une polysémie grammaticale; ce qui prouve que tamazight est affectée d’un haut degré de grammaticalisation. La polysémie est nécessaire pour les langues de manière générale, mais elle s’en trouve accentuée en langue amazighe compte tenu du statut de son statut d’oralité. La polysémie lexical, tributaire de la situation de communication, peut basculer, et c’est le cas limite d’un tel phénomène, vers l’antonymie, exemple: ttumubin Ãruà 1. «la voiture est partie, elle a pris le départ». 2. «La voiture est complètement endommagée,elle foutue ( à cause d’un accident)». On peut ainsi récapituler le fonctionnement de ce morphème: • - an morphème lexical: nominal et adjectival • - an morphème grammatical Si la rime en - an est récurrente dans le texte, elle se limite à la catégorie des nominaux, alors que l’assonance en – a est faible par rapport à la première, mais elle s’en trouve diversifiée en embrassant d’autres catégories du discours comme il a été signalé auparavant (verbe, adverbe et l’adjectif de couleur comme aziyza < azegza «bleu, vert»). 3. Analyse du texte: Cette poésie présente des analogies avec la chanson de geste, dans la tradition française, la chanson de Roland de l’époque médiévale en le texte le plus connu en littérature française. C’est un texte anonyme, appartenant à la tradition orale, composé de longs paragraphes strophiques nommés laisses si l’on se réfère à la dénomination du Moyen – âge. Nous sommes en présence de laisses, par manque d’organisation strophique. Les rimes, les allitérations, les assonances et les parallélismes lexico – syntaxiques sont mis en œuvre pour le repérage des articulations majeures du texte. Même si la structure du texte a l’air d’être simple puisque à chaque vers, qui est une parole versifiée, correspond une idée. Nous proposons un troisième découpage en dix unités de sens; il se justifie par des éléments formels pour le repérage des articulations du texte. Parmi ces éléments, nous relevons d’abord le refrain A yadhar ubarran, a y ssus n yxsan 1 qui revient comme un leitmotiv au début des trois premières unités sémantique sous forme couplet. Ce refrain permet une délimitation strophique; ainsi le découpage est – il facilité puisque nous avons affaire à un texte du patrimoine oral. L’idée centrale sur laquelle se focalisent les trois vers est celle du leurre et de la tromperie, de l’illusion exprimée par le verbe Äarr qui se rend en français par un ensemble d’équivalents dénotant le sens de «appâter, séduire, tenter, attirer, tromper, leurrer, illusionner, éblouir». Les vers 2 et 3 sont liés et se complètent , comportent les trois éléments de la comparaison: le comparé est Dhar ubarran, le comparant, aÄarrabu « bateau» et l’outil de comparaison am «comme». L’analyse suivie est empruntée à l’approche linguistique de la poésie . La démarche adoptée permet d’envisager trois niveaux: la syntaxe, le lexique et les sonorités. Pour ce faire, les configurations syntaxiques seront mises en évidence afin de dégager les structures prégnantes ayant trait aux parallélismes syntaxiques; à l’intérieur de ces parallélismes, les relations lexico – sémantiques de synonymie, d’antonymie seront examinées; l’accent sera mis sur les termes qui font image. A à partir de l’étude du lexique, les sonorités qui contribuent à la cohérence du texte sont dégagées; ainsi la syntaxe, le lexique et les sons convergent vers le sens. La forme et le contenu sont liés; le texte forme un tout indissociable; la séparation des niveaux est imposée pour des raisons de méthode. 1ère unité sens : Elle est formée de quatre vers: A yadhar ubarran, a y ssus n yxsan 1 O Dhar ubarran, ô carie des os Ô Dhar ubarran (litt. Ô Mont du perdrix mâle, oronyme), c’est la carie des os ! Wi zzay- k iÄarren, a zzay – s iÄarr zzman 2 Celui induit – toi en erreur, est lui – même victime de désillusion Celui qui t’a induit en erreur il a lui – même des déboires Amen iÄarr uÄarrabu sennej i waman 3 Comme est trompé un navire monté au – dessus de l’eau Tel un gros navire qui navigue au – dessus de l’eau. Wellah àama iwqeÇ i baba – ak am wi yaÇdan 4: Par Dieu ! Tu verras bien il arrivera à ton père ce qui est arrivé à ceux qui sont passés(Je jure) par Dieu que ton sort sera semblable à celui de ceux qui sont passés L’idée – maîtresse du passage est la supercherie dont Dhar ubarran, personnifié, est victime; sa présomption est semblable ( am «comme») à celle d’un navire, altier et impérieux, personnifié lui aussi. Cette personnification est soulignée par les trois indices: - le vocatif a au moyen duquel le rhapsode interpelle Dhar ubarran - le verbe Äarr dont les traits sémantiques correspondent à ceux de l’humain - le pronom affixe de 2ème personne du singulier – k utilisé agglutiné à la préposition zzay –. Avec la personnification du lieu et son apostrophe, on est proche de la prosopopée. L’accent a été mis sur la densité sémantique du titre, à la fois riche et polysémique; une signification tripartite en est dégagée. L’interprétation soulignant l’idée de récit est retenue, celle d’un récit qui nécessite la présence d’un auditoire à l’écoute, qui suit les péripéties du récit pour introduire l’image forte et pénétrante. La configuration syntaxique a yadhar ubarran, a yassus n yxsan 1 est une métaphore appositive de la forme X est Y qu’on pourrait rendre par l’expression O Dhar ubarran, ô (la) carie des os (litt.), Dhar ubarran est (la) une carie des os. Cette métaphore a une valeur perlocutoire notable; lorsqu’on y prête attention, on se rend compte qu’elle influe l’imagination; le mont fut le théâtre d’évènements inopinés, impensables; ce évènements sont tellement vrais que le récit prend une dimension extravagante, une histoire qui fait dormir debout. C’est la fonction apéritive, selon une formule de Roland Barthes. L’aède nous donne l’envie de suivre les péripéties du récit de l’écrasante victoire remportée par Abdelkrim et ses partisans sur les Espagnols; victoire inattendue puisque la balance était en faveur de l’envahisseur, compte tenu de la lourde logistique militaire dont il dispose, face à une poignée de Rifains démunis qui ont pris le maquis. L’image est renforcée par l’alliance lexicale mise en métaphore appositive entre déterminant ssus «carie, pourrissement, effritement» et un déterminé ixsan, pluriel de iÄes «os». L’ossature, la partie solide et résistante du corps humain est atteinte. Une expression imagée similaire se dit en tamazight pour exprimer l’effet produit par la parole sur la pierre: Äar – s awar (< awal) itarezza yazru ( Rif ) cette expression est passée en dialectal marocain sous la forme de: Çendu lkelma ka t-herres laàjer «il a une parole qui casse les pierres, en parlant d’une personne influente» C’est pour dire que la parole a du poids, elle a de la valeur dans les sociétés à tradition orale , elle engage la personne à s’acquitter de sa tâche, de tenir ses engagements. Cette image est renforcée par les parallélismes syntaxiques mis en vedette par le vocatif a dans le refrain qui se répète en tête de certains passages: A yadhar ubarran, a yassus n yxsan Le schéma grammatical de ce parallélisme serait le suivant: Vocatif + N. + prép. (effacée) + N. Néanmoins, si l’identité formelle des deux séries est absolue, elle ne l’est pas sur le plan sémantique: la première renvoie à un oronyme (Dhar) imposant et manifeste; par contre, la seconde renvoie à une maladie généralisée qui ronge les os; d’où la réussite de la métaphore puisque le rapport entre l’oronyme ( Dhar ubarran) et l’état morbide des os ( ssus n ixsan) est imprévisible. Le mont, mis en apostrophe, est personnifié, il est pris comme interlocuteur par le troubadour; il est témoin d’évènements révolus, ancrés dans la mémoire collective. Même s’il mont semble être mis en accusation du fait qu’il est tombé dans le piège, il n’en reste pas moins que l’aède le prend à témoin d’avoir connu de tels exploits et en fait une page de bravoure. Tout ce qui est dit du mont est une allusion aux Espagnols induits en erreur. Il convient de souligner que les images utilisées, dans cette poésie, en plus de leur force évocatrice, sont familières; elles dénotent la couleur locale du milieu ambiant. L’ interprétation se lit en filigrane ayant trait à l’évocation du monde maritime sous forme d’une image du romantisme classique, ne peut passer inaperçue; c’est l’image du bateau ( aÄarrabu sennej i waman»Litt. le bateau sur ( à la surface de ) l’eau») qui prend le large, sans attache, ni appui, sans aucune garantie de sécurité contre vents et marées, exception de quelques moyens de sauvetage. Exposé aux périls, il peut faire naufrage à n’importe quel moment. Avec tout son poids, ses bâtiments, bref, le vaisseau malgré toute son allure majestueuse, demeure toujours exposé aux périls de mer. Il est soumis à des aléas imprévisibles: tempête, houles, défaillance mécanique, etc. Une image est alarmante et hostile – et pour cause – à l’égard du bateau puisque c’est lui qui a servi de moyen de transport des troupes espagnoles avec leur logistique en armement et en équipement pour leur embarquement. Soumise aux écueils et exposée aux périls, l’embarcation peut éventuellement faire naufrage. Tout le poids du navire est supporté par les eaux de la mer; c’est l’élément liquide, donc fluide et sans consistance qui contient l’élément solide; ainsi les rapports sont – ils inversés, c’est le liquide qui supporte le solide, d’où le risque, la gravité et la précarité de la situation dans laquelle se trouve le navire. Pour extrapoler, on peut citer le cas de l’avion qui vole, il se trouve dans une situation similaire à celle du bâtiment flottant, à la merci des eaux. C’est pourquoi le poète en veut au bateau de l’agresseur et le diabolise; une animosité se lit en filigrane. Encore faut – il rappeler que faire naufrage n’est pas un fatalité collée à tous les navires. Un bon nombre de bateaux sont arrivés, – arrivent et arriveront toujours – à bon port. Le poète ne vise donc que le navire qui a ramené le contingent espagnol. L’allusion faite aux Espagnols, à travers le mont, devient une menace: Wellah àama iwqeÇ i baba – ak am wi yaÇdan Par Dieu ! Il arrivera à ton père ce qui est arrivé à ceux qui sont passés (Je jure) par Dieu que tu n’échappera point au sort réservé à tes prédécesseurs. Ce vers, chargé d’invective et de défi, atteint le degré de la menace. Ce ton injurieux est exprimé par le terme de parenté baba – k. Evoquer les procréateurs, paternels ou maternels, attaquer les parents, dans la civilisation amazighe rifaine – et bien d’autres – est un grave outrage, un tort irrémissible, une atteinte à l’identité même de la personne visée par l’injure, un sacrilège presque. La menace se traduit par une riposte violente, une offensive militaire, semblable à celle infligée aux prédécesseurs, à ceux qui ont osé violer l’enceinte du territoire national. Le poète a une mémoire d’éléphant, il nous rappelle que Le Maroc et les pays du Maghreb en général – TamazÄa, toponyme endogène – ont connu des invasions étrangères, ils ont fait l’objet de convoitises européennes depuis l’Antiquité jusqu’aux Temps Modernes: Phéniciens, Carthaginois, Romains, Vandales et Byzantins, n’ont pas échappé aux conquêtes arabes au VIIIème siècle, ni à la colonisation franco – espagnole, au début du XXème siècle . Ces agresseurs aussi proches ou lointains soient – ils sur le plan chronologique, ont été expulsés du territoire national . A l’époque contemporaine lorsque les Espagnols ont attaqué les côtes riveraines du Rif, les Rifains ont fait leurs preuves par une levée en masse; les autochtones ont toujours riposté, ils ont lutté d’arrache – pied pour refouler le colonisateur espagnol, sous la bannière du Combattant Cherif Amezziane en 1889; ce dernier tombé au champ d’honneur, a connu une mort héroïque. Cherif Amezziane est le précurseur de la résistance armée rifaine du 20è siècle; Mohammed ben Abdelkrim qui a pris la relève de Cherif Amezziane . Le sort qui attend les agresseurs sera semblable à celui que ceux qui les ont précédés. 2ème unité de sens:**** (Suite dans le prochain numéro)
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