|
|
La misère des Ait Abdi: Un fonds de commerce pour 2M Par; Anaruz SAADANI - Khénifra
On naît, je deviens (Julia Kristeva) 2M a diffusé et rediffusé un reportage sur la sage femme traditionnelle chez Ait Abdi pendant le mois de mars 2009 illustrant le calvaire de l’accouchement dans les montagnes inhospitalières du Haut Atlas. Par ce reportage signé «L’autre visage»-comme pour dire le visage de la honte- 2M est l’une des rares chaînes de télévisions qui ont bravé les montagnes des Imazighns soumis à cette forme subtile de la violence que constitue l’oubli par le gouvernement et par l’histoire. Je m’inscris ici dans l’interrogation critique de l’objet de ce reportage, de son contexte et de ses implications. Une telle entreprise audacieuse est aussi étonnante qu’intrigante surtout lorsqu’on connaît la vocation folklorisante de 2M qui siffle sur des airs étrangers à la réalité marocaine et encore plus au vécu des montagnes amazighes. Car depuis quand cette chaîne se soucie - t-elle des conditions des déshérités, et depuis quand a-t-elle fait du journalisme une mission noble pour éclairer l’opinion publique? Et depuis quand un appareil d’Etat est-il armé de l’honnêteté de la bonne intention pour dénoncer les tares de la politique de celui-ci? Et pourquoi cette chaîne ne mobilise ses journalistes que lorsque les cris de détresse des Imazighns retentissent en dehors des frontières de ce Maroc ingrat? En 2007, lorsqu’une quarantaine d’enfants ont trouvé la mort dans les montagnes, 2M est partie, certainement sur les instances de ceux qui décident du sort des marocains, à un Anfgou pour faire croire que l’Etat est sensible au malheur des montagnards, pour leur donner de faux espoirs et surtout pour véhiculer la version makhzeniène des faits. En réalité, 2M cherche à manipuler l’opinion publique en présentant le drame des montagnards comme un fait divers anodin résultant d’un déterminisme plutôt géographique que politique et qui peut se produire dans n’importe quel point du monde. En outre elle contribue à instaurer la sottise en grandeur en présentant la misère des Ait Abdi comme un produit exotique à ses téléspectateurs vautrés dans l’opulence et l’insouciance et qui affectionnent des scènes mélodramatiques atroces pour savourer leur bien-être. La misère des montagnes des Imazighns devient un fonds de commerce mis à profit pour augmenter les chiffres d’affaires comme elle est déjà une mine d’or pour l’exploitation politicienne. Qui a dit un jour que la misère et l’ignorance n’ont pas d’impact positif? Elles sont les garants de la réussite politicienne et le vecteur de l’essor des entreprises médiatiques mercantilistes à outrance. 2M peut aujourd’hui se targuer d’avoir percé non seulement les mystères des montagnes redoutables mais aussi l’intimité profonde des femmes amazighes. Elle a réussi à montrer à quel point Imazighns sont apprivoisés et dociles et qu’on peut envahir leur sphère privée et leur intimité et tourner le dos à l’accouchée pour la filmer dans une position quasi bestiale. Aujourd’hui, Imazighns viennent au monde sous les lumières des caméras de 2M alors qu’avant l’invasion française, leurs territoires étaient inaccessibles. Imazighns ont abandonné leurs positions et ont cédé le terrain aux explorateurs, aux aventuriers, aux curieux, aux corsaires et aux escrocs sans scrupules. 2M prend le relais pour renforcer les images et les représentations négatives et injustes que l’idéologie arabiste a forgées sur le compte de l’amazigh qui ne peut être à ses yeux qu’un primitif sans histoire, sans civilisation et sans personnalité spécifique. 2M prend à son compte ses préjugés arrogants et méprisants pour contribuer à justifier le génocide culturel qu’endure l’amazigh désarmé.
|
|