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(Août 2003)

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Paroles “en marge” du vendredi 16 mai 2003: Faut-il rechercher Hassan Sabah?

Par: Hassan Banhakeia (Université d’Oujda)

«Si une cause vous séduit, bâtir un empire ou préparer le règne de l'imam, vous n'hésitez pas à tuer pour la faire triompher. Pour moi, toute cause qui tue cesse de me séduire. Elle s'enlaidit à mes yeux, se dégrade et s'avilit, aussi belle qu'elle ait pu être. Aucune cause n'est juste quand elle s'allie à la mort.»

(Amin Maalouf, Samarcande, JC Lattès, 1988, p.139)

1. Ici, nous n'allons pas parler des victimes de ces ignobles actes de terreur, ni de ces terroristes «aliénés», assoiffés par le sang des «impies» et aveuglés par le «lejjihad», ni de ces énormes dégâts économiques causés.

Si l'on observe, sans son ni commentaire, ces images horrifiantes à la télévision, cette scène du 16 mai devient alors une tranche vive de la Palestine, du Liban ou de l'Irak. Confusion des lieux, confusion des histoires, confusion des noms, confusion des visions et confusion des sens (directions). Tout se passe, répétons-le, au Maroc, et dans les rues de la métropole Casablanca! L'on se demande alors: n'avons nous pas là les fruits d'une fausse identification qui crée tant de confusion? Ah, combien cette ouverture confondante sur l'Orient est douloureuse! Ah, non! Ce n'est pas une ouverture, mais plutôt une imitation confondante! Ici n'est pas ailleurs: les deux bouts s'interpellent, mais sans jamais réussir à cohabiter, à «faire même corps» dans l'harmonie.

Ici, nous allons juste nous satisfaire d'expliquer les éléments latents qui sont derrière cette genèse de «violence orchestrée»; tant de motifs peuvent être à l'origine de tout cela. Ils disent tout du chaos car ils émanent du chaotique, ils font mal au cœur car ils découlent d'une douleur profonde d'être, ils embrouillent les idées car ils malmènent les esprits pour leur répartir les enseignements de la confusion afin de se définir.

2. Comment peut-on expliquer ces horribles événements? Y a possiblement des hypothèses à faire, des explications à avancer et des vérités à formuler. «Parler de ce qui peut être évité», «se référer à ce qui fait maintenant mal au cœur» et «débattre ce qui résulte de tant de raisonnements erronés» a lieu d'être car ce «quelque chose de dangereux» est, que l'on veuille ou non, préparé institutionnellement et historiquement dans cette société tellement malléable et absorbatrice de toutes les influences car d'elle elle ne sait rien, elle ne veut rien saisir et elle ne recherche point. Elle essaie de s'ignorer pour continuer à vivre! Aux marocains, il leur est difficile de ne pas tomber dans la confusion. Aux marocains, il leur est facile de retrouver les autres voies pour errer, et leur antique nomadisme y est pour quelque chose…

3. Y a des gens qui s'ingénient à comparer cette tragédie nationale à un fait lointain… Comparer New York 11 septembre 2001 à Casablanca 16 mai 2003 serait comparer les deux cités incomparables, les deux univers dissemblables et les deux systèmes distincts. C'est de l'incomparable. Vrai, n'oublions pas que les deux villes se trouvent à l'ouest. A l'Ouest (dans toutes ses significations symbolico-éthiques), l'Occident est le mal. Il engloutit la lumière, il dévore le soleil, il fait errer les nomades, il mène vers l'obscurité. Là, il faut détruire ses murailles, ses forts, ses maisons, ses familles, ses corps… et posséder ses richesses. Vrai encore, il y a dans les deux situations-tragiques des morts déchiquetés, mais juste le sang et les débris les assemblent… Casablanca ne peut pas être New York. Les tours de Manhattan n'ont jamais reconnu les valeurs de l'Orient, ni essayé de les intégrer dans sa manière de voir et d'expliquer le monde jusqu'au point d'en faire une raison d'être aux dépens de son identité…

 

4. Cela est, au fin fond des terroristes, fait au nom de l'Islam, comme le prétendent possiblement les plus enthousiastes à la vue du feu, des flammes, des débris et surtout du sang coagulé sur les surfaces. De quel Islam s'agit-il au fait? L'Islam, en tant que religion monothéiste, ne tue pas mais apprend aux gens à s'aimer et à bien faire l'avenir de l'humain sur terre. Et que dire de la dénomination «Islam politique» tant exploité par les politiques et les démagogues afin de s'assurer à eux le pouvoir et la direction de l'avenir de l'humain sur terre? Ce concept devient alors quelque chose de malséant qui fait une mauvaise publicité à la religion monothéiste, et ces associations et ces partis qui défendent des thèses où le mal est à mater, et le bien n'a qu'une valeur et le parfait est recherché tantôt pour réaliser des ambitions mondaines, tantôt pour posséder le pouvoir effectif, se trouvent maintenant dans une situation inconfortable: ils ne remplissent plus leur rôle social et humain. De la religion ils sont loin, et du religieux ils ignorent tout.

5. A ce propos, à titre de curiosité, nous nous exclamons au moment du déchiffrement de la date: quelle drôle de coïncidence! Soixante-treize ans après, jour par jour, mois par mois, une violence arrive à boucler la boucle d'une société qui continue à s'ignorer, à perenner des complications complexes et profondes avec l'identitaire et à alourdir le pas dans sa marche vers la démocratie. Le commencement était là, par un jeu intégriste aveugle, portant le nom de «dahir berbère» (seize mai 1930) concocté par la main française et déchiffré faussement par l'œil arabiste, surtout ces manipulations «d'aliénation et de tromperie» pour tout un peuple, et la fin tant recherché, cette «violence symbolico-physique aveugle» de 2003. Là, l'étranger y est pour tous les maux. Pas cet étranger physique, mais cette part exogène que nous enfouissons en nous, sans jamais se poser de questions à propos de sa particularisation.

Le Maroc est un pays qui souffre d'absence d'identité; et cette situation de confusion  n'engendre que des extrémismes incontrôlables. Car des traditions, des rites, des leçons d'histoire, des idées, des concepts, des systèmes et des symboles de ce vaste pays, rien n'est retenu. Vrai, ils ne font pas des cadavres, mais des corps «desalmados». Vrai encore, ils posent un ensemble de questions complexes autour de la personnalité historique marocaine. Tout a été bafoué, effacé et méprisé. La Mémoire a été violentée, terrorisée, déformée, défigurée, refaite autrement, méprisée… Que l'on veuille ou non, ces actes sont quotidiens, et aux institutions de les remédier.

Et l'on se dit instinctivement: L'amazighité se hisse sur la tolérance. Et, tamazight est la stabilité de ce bout de monde qu'on appelle de tous les noms, mais jamais du sien. Elle est le système immunitaire de cette terre.

6. Dans ces scènes sans voix ni commentaire, l'on voit de la terreur partout se coller à l'écran. Ces actes font-ils partie de la tradition marocaine? Quel est le soubassement idéologique de ces actes? Pour nous, la violence est de nature exogène. Elle a son ressourcement par l'introduction de l'étranger et de l'exogène dans un corps sain et stable organiquement; et de le considérer comme une partie intégrante, tant de maladies germent pour apparaître un jour. Les idéologues, les politiques, les intellectuels et les écrivains marocains s'ingénient à défendre cela, à sonder cet «être étranger» comme une partie de soi et à la glorifier aux dépens du «propre» qui est souillé par tous les qualificatifs dépréciatifs. De l'introspection est fortement nécessaire. Ils oublient que  le corps est vie, mais c'est la mort ou ses symptômes (maladies), cet élément externe, qui l'affaiblit, le brûle, le met bas, l'enterre… Si cette introduction est tolérée, voire encouragée, qu'elle ne remplace pas la «présence» du propre. Sinon, les résultats sont des fruits donnés par l'aléatoire.

Ces attentats sont alors le résultat d'un rapport hyperbolique avec l'Orient.

7. Faut maintenant définir cette terreur. Y réfléchir même présuppose surmonter une douleur: tant de vies peuvent être épargnés pour une simple raison de «droits collectifs», d' «objectivité historique» et de «clairvoyance de gouvernance». L'absence de tout cela engendre la terreur qui se réalise par le flux des cauchemars qui, en prenant de l'ampleur, met au monde une angoisse insurmontable.

Par la terreur qui est un enchaînement d'actes violents, on brise la résistance d'un corps (d'un individu) ou d'un groupe collectif. On essaie de créer, de par le moyen du sang et de la poudre, un soubresaut inimaginable. A un abus du pouvoir correspond un abus de la force. C'est ainsi que naît la logique du terrorisme.  Et, si la violence est l'antonyme de la démocratie, la terreur est à lire comme l'opposé de la liberté. La terreur n'est autre chose que la négation totale, irraisonnée de tout ce qui existe ou de ce qui est «existant». Elle mate le réel pour le remplacer. Ainsi, irraisonnée magnanimité des intégristes: en voulant purifier l'homme, ils décident de s'exploser physiquement en parsemant des corps et des âmes qui n'ont rien «fait» pour mériter une telle fin.

8.- Toute société forge la personnalité des bons, tout comme elle martèle et cisèle celle des méchants… A ce propos, Michel Foucault écrit: «La société pourrie vous apprend la manière de tuer sans vous donner les moyens de vivre.» («Le poster de l'ennemi public n°1Ê», in Ecrits et dits II,  p. 254). Ici, si la maternelle est intégriste, si l'école est intégriste, si le collège est intégriste, si le lycée est intégriste et si l'université est intégriste, pourquoi devons-nous nous étonner de tels actes? Qu'attendre de tout cela? Des intégristes. De nos jours, de l'Afghanistan ils arrivent enthousiasmés pour détruire, de l'Arabie excités ils se bousculent pour tout exploser et de l'Europe occidentale ils se disent déçus de ce monde matériel. Et le Maghreb attend, une autre fois, qu'on le reconnaisse comme aire d'identification ou d'expérimentation. Toutes ces institutions, en harmonie avec d'autres, fabriquent l'intégrisme «polychromatique» et aux faces infinies.

D'autres concepts sont à greffer dans cette société aux institutions «peu soucieuses du réel», comme la différence et l'identité. Le respect de la différence est la négation de la violence, et par conséquent il y a renforcement de l'identité. De même, l'irrespect de la différence est l'instauration de la violence, et en conséquence il y a affaiblissement de la stabilité symbolique.

9. En conclusion, ici la pauvreté, matérielle et symbolique, peut tout expliquer: elle explique la prostitution, elle raisonne la confusion, elle légitime l'errance. Ce terrorisme, faut le définir, est recherche du pouvoir, pour cela il parsème la culture de l'insécurité. Afin d'y remédier, la société authentique est appelée à montrer les fastes de la vie d'ici sans point se rattacher aux enseignement de la mort qui arrive de l'extérieur.

                                    H. Banhakeia

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