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Précisions
et rappels insolubles autour de cette culture sans discours Par:
Hassan Banhakeia (Université d’Oujda) Pour
S.Y. «Les
peuples, après tout, ont les mythes qu'ils méritent. Et aussi les classes
sociales.» Jean Cazeneuve, Bonheur et civilisation, p.25) st-ce le hasard qui commence tout? Cette
interrogation me revient toujours à l'esprit quand il est question de la
culture amazighe conçue habituellement comme un héritage sans origine, sans
histoire et sans discours propre. Et avant de parler, je sais déjà qu'on
m'objectera ce qui suit: Tamazight n'est pas une culture comme il faut, ni une
langue comme il faut, ni un discours comme il faut. Il y a également ceux qui
prétendraient avancer l'impossibilité à définir l'amazighité, qui n'est
à leurs yeux qu'une structure de modèles hétérogènes, par conséquent un
ensemble de formes hybrides qui ne peuvent point véhiculer des sens complets
(intègres). Là, pour eux, il est plutôt question d'un mot absolument indéchiffrable
ou vide. Mais, qu'est-ce qu'un mot vide? Est-ce plutôt, dans ce cas, un signe
vidé ou évidé? Qu'est-ce qu'un mot indéchiffrable? N'est-ce pas cette
tendance allergique à ne pas voir ces choses dans leur juste manifestation? Là
encore, il s'agit toujours d'une interprétation… Pour les autres, le deuxième groupe, c'est-à-dire
nous, ceux qui sont mis au second plan, pouvons-nous manifester librement nos
positions? Maintenant, oui. Très bien. Néanmoins, cette émersion
d'affranchissement a pris beaucoup de temps pour les amazighistes. Et pour
atteindre l'émersion totale, il reste encore beaucoup d'espace. L'amazighité
se construit-elle donc d'un temps «de démocratie» et dans un espace «d'autonomie
totale»? Le mot «amazighité», à l'encontre de trop de mots importants et
illuminants, ne veut rien dire, rien que parce qu'il signifie beaucoup… A ce sujet, voilà alors mes précisions «caduques»
ou déplacées.
I.- Le temps des rappels insolubles
Tout d'abord, dans le monde «globalisant»,
on s'intéresse énormément aux cultures expansionnistes, aux cultures
modernes, aux cultures artificielles qui renferment l'idée du Pouvoir. Mais,
point aux cultures dominées, aux cultures millénaires, aux cultures qui
renouent avec l'homme «primitif»; c'est bien dans ce groupe que se trouve
mise tamazight. L'intérêt nul ou négatif ressenti vis-à-vis de tamazight
est ostensible, donc explicable: on a automatiquement envie de rire (mépriser)
à l'émission d'une de ces manifestations «primitives» (qui dénotent
l'absence du pouvoir). Secundo, la culture amazighe est un héritage
qui vit en confrontation, elle survit face aux incessantes invasions. Ses
blessures et ses faiblesses sont multiples. Précisons, par ailleurs,
qu'il n'y a pas deux sortes d'invasions en Afrique du nord: la première
de cohabitation et la deuxième de substitution (comme le prétendent de
nombreux historiens ou anthropologues). L'invasion, tissée de terreur et de
destruction, a une seule forme et un contenu net: occuper la terre et l'homme
sur tous les plans. Point d'accord. Point d'échange. Point d'équilibre. La
culture dominée est appelée à souffrir continûment: ses jours courent le
risque de s'éteindre. De même, autre précision relative aux
ressorts de la culture. Selon Jean Dubuffet qui réfute toute construction de
la culture, elle a deux ressorts: «le premier, la notion de valeur et, le
second, celle de la conservation.» (Asphyxiante Culture, Minuit, 1986,
p.62).Valeur de l'amazighité?! Conservation de l'amazighité?! Une série de
mots reviennent automatiquement au rappel de ces deux ressorts: ( pour Valeur = bêtise, vanité, folie, racisme… et pour
Conservation = sous-développement, déracinement, élagage, mal…) qui
apparaissent plus justes pour traduire cette culture «primitive». Et
l'impact sur le citoyen sera désastreux: la culture en tant que point
d'attache devient plutôt un kaléidoscope pour entamer l'errance... Se valoir, se conserver dans d'autres corps
insufflés par l'âme amazighe
demeure la fin de cette errance. La
masse amazighe, à travers l'Histoire, contribue à l'expansion des autres
cultures. Cette tendance à
habiter d'autres aires, à embrasser le quiproquo comme identité, à imiter
les autres et à louer l'altérité s'avère systématique pour le
nord-africain. Pourquoi? C'est pour survivre en recherchant la mort définitive
(culturelle)… A pour quand la propension à se rechercher force à être, à
se valoir et à se conserver? Notons en dernier lieu que l'être amazigh
se trouve en crise: ses rapports avec soi-même demeurent, en plus de
complexes, ambigus. L'amazighité ne peut pas vivre en paix avec soi-même
(qui se renie), non plus avec son contexte (qui la renie). Que faire? Là surgissent le problème de la culture,
et l'absence d'un discours propre et fixe. Et que tamazight apparaisse comme
une culture sans discours! Il ne sera pas question ici de théoriser sur la définition
du discours ou de la culture, mais plutôt d'expliquer les rapprochements de
l'amazighité du culturel et du discours sous forme de précisions.
II.- L'enjeu culturel et ses métamorphoses
Etre soi ou être autre, voilà
l'ambivalence dont souffre continûment le marocain ou le maghrébin. Pire
encore, il y a ceux qui veulent être soi et être autre! Autrement dit, ils
ne sont ni soi ni autre. Là, une précision psychologique à «se poser»
afin de rechercher une catharsis personnelle. La tendance à être autrui est
voisine de celle à mépriser son Ego; il s'agit de deux mouvements simultanés,
mais faits de la même force et
matière qui rejoignent les deux pôles de l'existence. Nullité, médiocrité,
faiblesse, platitude, errance et bêtise on ne sait quel autre signe pourrait
traduire l'impression ou l'idée de l'être amazigh quand il réfléchit son
essence. C'est pourquoi, la formule «sois toi-même» devient urgente;
l'individu maghrébin pourra ainsi se réconcilier avec son Histoire. Et cette
autre formule est d'un grand recours: «il faut avoir appris à s'estimer
soi-même pour échapper à la résignation.» (Jean Cazeneuve, Bonheur et
civilisation, Gallimard, 1966, pp. 25-26), sorte de principe fondamental à la
catharsis. Mais avant d'entamer un tel exercice, il appert que l'amazigh
a besoin d'une catharsis «identitaire» (culturelle) afin de fonder
dans son for intérieur, et par là assurer un certain équilibre, l'estime de
soi. C'est vrai que l'amazighité que nous
portons en nous, ne peut point se définir, car le subjectif y est d'une
grande portée et force, mais elle est là comme quelque chose de fixe et
d'essentiel qu'on pourrait reconstruire objectivement. Et là, il y a ceux qui
fuient les précisions pour rechercher des réponses solubles derrière des
questions vagues: Le Maghreb est-il biculturel? Triculturel? Pluriculturel?
Monoculturel, jamais. Comment expliquer cette contradiction insoluble? Précision sous forme de tentative de réponse:
A force de voir l'amazighité effacée, tronquée et altérée, l'amazigh
s'habitue alors à cette image (normale). L'anormal serait de voir une
amazighité mise en relief, définie et précisée. Respectée, enseignée,
institutionnalisée. C'est bien l'anormal (ou le créé), point de définition,
qui nous déstabilise, pas le normal (ou le naturel). De là, il faut parler
au sein de ces institutions exogènes qui organisent le contexte, de la
difficulté voulue à préciser la personnalité marocaine. De pures surdéterminations
contextuelles. A juste titre, Jean Dubuffet écrit: «La culture est en quête
de norme, est en quête d'adhésion collective, pourchasse l'anormal. La création,
à l'opposé, vise à l'exceptionnel, à l'unique. Il y a lieu d'observer que
le groupe auquel il est proposé d'adhérer, dont la norme
la culture devra être chérie,
peut avoir différente extension.» (ibid., p.93). Où sont ces normes de la
culture? Quelque part, jetées dans le domaine de l'anormalité (de
l'invention). Là, précisément des questions capitales
s'il en est, autour du discours sur la culture qui, au fond, mérite toute
l'attention depuis l'effervescence positive, parfois négative, des lectures,
des interprétations, des hypothèses et des discussions autour de l'amazighité
du Maghreb. Aussi, après les discours royaux et présidentiels en faveur de
tamazight, tout remue par-ci par-là, pour déterrer le passé, revoir le présent
afin de retracer la voie à venir tant recherchée. Enfin, nombreux sont les
discours qui veulent ceindre la question d'une culture millénaire, moutonnant
dans les sept cieux, traversant les océans de la marginalisation, de
l'effacement construit, pour atteindre le panthéon d'être vivant qui ne
meurt… Que se passe-t-il alors? Ces métamorphoses
(point des changements) peuvent-elles assurer à l'amazighité une mise en
valeur, et à tamazight une renaissance? Tamazight est hélas toujours là:
pour dire combien on pense à elle, on la rejette dans les tiroirs de l'oubli!
Pire encore, n'importe quel «intellecturel» se sent obligé de dire son
dernier mot (sorte d'oraison funèbre «machiavélique»): d'une part ceux qui
hurlent: «culture sans langue propre, premier dialecte défini, lexique à
trois cents mots, syntaxe hybride, culture qui mène à la scission du Maghreb
arabe et des pays islamiques, etc.» et ceux qui s'empressent à monter des
structures de sauvegarde de cet héritage national, de cette culture de nos aïeux,
de ce dernier maillon pour instaurer la démocratie, etc. en perfectionnant
les plans d'asphyxie et de destruction. Et voilà encore des bribes de
discours, des arguments et des réflexions qui remâchent des concepts
(arabisation, identification, récupération de l'être, concentration, hiérarchisation,
catharsis du peuple, l'évolution passéiste, malaise généralisé,
politisation orientaliste, etc.) pour fonder la logique de ceux qui préparent
l'extermination légale. Et des philosophies politiques qui veulent assurer le
futur en massacrant le Temps: Uniformiser pour unir! Uniformiser pour fixer!
Tuons l'Histoire! crient-ils toujours ces «intellecturels» homériques:
visionnaires-aveugles. Quelles sont alors les définitions de cette
identité culturelle?
III.- Amazigh
(être) et / ou folklorique (paraître) Quand il est question de l'héritage amazigh,
il est souvent nommé populaire
ou folklorique. Un folklore amazigh? Un art populaire? Tamazight un folklore,
pas une culture! Tamazight un héritage
populaire, mais pas du peuple! Ce sont là les différentes interprétations
qu'il faut faire du discours officiel (des télévisions, des documents, des
archives…). Là encore, les
marocains (par juste extension les maghrébins ou par naturelle extension les
Imazighen) forment des castes, des espaces, des temps, des ethnies, des
appartenances, des… D'une part, nous avons les maîtres, les seigneurs, les
civilisés et les «chorfas» qui possèdent une culture dotée d'un discours
cohérent et puissant, et d'autre les esclaves, les démunis, les sauvages et
les … sans culture, sans discours et sans langue (car incompréhensible pour
ces maîtres). Les institutions reproduisent ce rapport séculaire. Racisme in
absentia, car la répulsion ne se déclare pas ouvertement… Si démocratie l'on construit, halte aux
temps folkloriques! Ces temps fous! Les Imazighen ne sont plus des paysages
morts ou des manifestations superficielles, ils ont une voix, une mère….
Tamazight est, qu'on le veuille ou non, une culture, une langue et une
civilisation. Accepter maintenant l'amazighité du Maroc
(en 'asservissant' tamazight à l'école, en émettant des films bidons ou des
chansons «no comment», en scindant la langue en trois tranches dans des
flashes d'information 'révisée', en interdisant le prénom, en altérant les
toponymes, en instituant des structures où elle se recherchera infiniment,
etc.) s'avère insuffisant, il faut plutôt avancer la reconnaissance de
tamazight en la faisant précéder
d'une autocritique sincère et détaillée. Que cette culture manifeste réellement
enfin ses discours? Et une bonne part des amazighistes sont, hélas, plus intéressés
par le signifiant de l'amazighité que par ses signifiés ou formes
d'organisation et par ses tâches d'accomplissement (de réalisation). C'est
en faisant que tamazight peut se réaliser. Par exemple, si le président
Bouteflika entend insérer
tamazight dans la Constitution algérienne comme langue nationale, c'est bien.
Mieux encore, s'il le faisait comme couronnement d'une autocritique objective
de l'Histoire de l'Afrique du nord. L'on sait bien que formes et
significations vont ensemble: si
tamazight est présente dans les médias, à l'école et dans les
institutions; elle ne peut pas survivre aux surdéterminations contextuelles
qui lui tendent d'autres discours de «négation». Ses formes et
significations sont là, bien définies, et c'est en faisant qu'elle existera.
Par exemple, l'IRCA essaie de procréer tamazight afin de lui ramender ses
failles, ses parties effacées…, c'est bien. Mieux serait si l'IRCA déterminait
ces structures qui font défaillir… Rappelons qu'à cause de ce constant reniement (de
l'amazigh, de soi) à travers l'Histoire du Maghreb naissent des interdits,
des complexes, des malaises, des maux d'être. L'on sait bien que la
personnalité marocaine, qui est naguère construction d'interdits et
difficile à cerner dans ses scissions, retrouve le jour car à l'histoire
elle appartient, mais pas l'espace car son soubassement est vu avec rancune.
Sans son espace, elle ne pourrait point croître naturellement, tout le monde
le sait. En faisant ce savoir, en le réalisant, la voie à venir (démocratie)
est assurée. La peur meut tragiquement l'histoire,
surtout la peur de l'autre, emmène l'homme à détruire les autres, en
ignorant qu'il s'autodétruit. Là une sorte de propension qui émane de
l'instinct de la mort (Freud). Nnn L'istinass naît d'un remords (à entendre
comme rancune) historique, d'une philosophie sophiste et d'un désir primitif
qui ne peuvent développer la négation définitive de tamazight. A travers
les lignes de «Almithaq Alwatani», l'on peut déchiffrer des passages d'anxiété
nationale, de frustration partisane et de déformation continue. Chaque réforme
de l'enseignement au Maghreb renouvelle les stratégies de destruction
identitaire. Peut-on avoir un projet sensé pour l'éducation qui développe
comme finalité une horrible destruction? Le statut: indéfini, et le rôle:
nul.
IV.- Tamazight et le problème des concepts définitoires
A une ethnie correspond une culture, et à
une culture correspond un discours. Quel serait l'emplacement de tamazight au
sein de ces concepts / valeurs? Revenons en arrière, définissons les
concepts. Qu'est-ce qu'une culture? Quels sont ses
contenus? Quel est ce discours qui lui est propre? Comment meuvent-ils les
paradoxes de l'essence de la culture? Citons la traduction castellane de
l'essai de l'anthropologue Edward T. Hall, Beyond Culture, qui apporte des réponses
judicieuses: «la propia cultura consiste en una serie de modelos
situacionales de comportamiento y pensamiento» (édition GG, Barcelone, 1978,
p. 20). Quels sont ces modèles dans tamazight? Là, nous aurons la réponse
à: Qu'est-ce que le système définitoire de cette culture? Ce sont ces éléments,
critères et structures (tout un système) qui éternisent la culture en tant
que discours autonome, mesuré et
authentique. Chaque culture possède une identité spécifique. On ne pourra
jamais faire de la culture amazighe une identité nordique, non plus
orientale. La langue, la communication non verbale, l'histoire, les rites, la
vision du monde qui sont les traits de toute identité ne sont pas les mêmes.
Elle demeurera historiquement nord-africaine, toute spéculation autour d'une
autre origine serait pour renier l'ethnie, la culture et la discours amazighs..
Pour nous, le dernier maillon de cette
longue spéculation est «l'istinass» qui entend aller à l'encontre du
mouvement de l'Histoire? Il serait complètement erroné d'appliquer à
tamazight un autre modèle culturel pour découvrir son système définitoire.
Ce serait là un travail réalisé pour des raisons idéologiques, mais point
pour des critères objectifs. Par
ce coup final, l'origine est redéfinie autrement, loin de ses spécificités,
versée fusion dans d'autres corps-cultures. Certes, il serait intéressant de définir
toutes les spécificités du discours de la culture amazighe qui puissent le
distinguer des autres discours. Là, une tâche pour les chercheurs et les idéologues
de l'amazighité. Et que dire de l'ethnie? Elle n'est pas la
race, cette illusion des hommes à prétendre l'alliage tacite entre l'humain
et le divin pour administrer d'autres «hommes». Dans les sociétés modernes
et démocrates, cet alliage est du pur mensonge. Si l'ethnie est définie comme un groupe
d'individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation,
notamment la communauté de langue et de culture, l'ethnie amazighe englobe le
marocain, l'algérien, le tunisien, le libyen, le nigérien, le malien, le
burkinabé et des millions d'émigrés en Occident; là l'amazigh devient une
entité universelle. Seulement, elle demeure universellement anonyme, chez soi
et ailleurs! A ce propos, une simple conscience de l'amazighité de tous en
Afrique du nord (ce qu'on appelle l'Union du Maghreb Arabe) ferait dissoudre
toutes ces fameuses tensions politiques et économiques. C'est pourquoi, il
s'avère l'urgence et la nécessité à fonder un discours d'appartenance
ethnique capable d'unir ces pays errants à la guise des idéologies exogènes
afin d'approfondir l'errance totale. Tout discours «aspire» ou tend à une cohérence
et à une différence. Différence et cohérence paraissent des antonymes,
mais elles sont deux entités qui meuvent l'histoire du discours. Est-il le
discours amazigh, porteur d'une cohérence? Ou bien est-il structuré par une
illusion de cohérence? C'est-à-dire que ce discours vit dans une
discontinuité irréversible où
l'aspect fragmentaire construit au jour le jour son histoire. La culture meut sans se métamorphoser, croît
(ou décroît) sans altérer sa nature (essence), se multiplie au contact de
la réalité, se fortifie au contact d'autres cultures par le processus de
l'emprunt (ou de l'imitation). Les anthropologues énumèrent trois caractéristiques
de la culture: elle n'est pas innée (mais apprise, reçue ou enseignée), définie
(car elle détermine les spécificités de chaque groupe), et multiple de
nature (car elle partage des points communs avec d'autres cultures de
l'humanité). Tamazight renferme une série de spécificités. «La cultura es
el medio de comunicacion del hombre; no existe ningùn aspecto de la vida
humana que la cultura no toque y altere.» (ibid., p.23). Là, dire: que
m'importe ma culture? devient une interrogation posée par
un suicidé! Le discours amazigh est de nos jours moderne
à un tel degré qu'il est extrêmement inconcevable de discuter la démocratie
en Afrique du nord sans s'y référer explicitement. C'est bien dans le «discours
de culture» qu'apparaît toute la charge de la démocratie. En outre, le
propre du discours amazigh est de projeter une lumière révélatrice sur
l'histoire de l'Afrique du nord depuis les phéniciens jusqu'à la révolte «de
conscience» des kabyles. Quant au concept «discours», il se définit
communément, comme un ensemble
de manifestations verbales,
orales ou écrites, tenues pour significatives d'une idéologie ou d'un état
des mentalités à une époque. Et qu'a-t-il été du discours amazigh à
travers l'Histoire? Quelles sont ses significations? Tamazight, en tant que
projection culturelle, a sans doute son propre discours. Ses structurations
(ou constructions) l'investissent de significations. Ce discours naît des
significations du contexte nord-africain. Il n'existerait pas dans une
autarcie, il ne serait pas s'il n'y avait pas d'autres cultures méditerranéennes
qui à travers l'Histoire développent
des échanges de culture et de civilisation. Par ce contact, il se définit
davantage… L'on rapporte l'argument de l'oralité pour
dire combien tamazight est incapable de produire un discours! C'est précisément
ce trait «oralement vivant» qui rend cet héritage riche et vivant. Simultanément,
la culture orale est plus vive que l'écrite, mais aussi moins vivante. Les expériences de l'Histoire montrent que
la culture dominante (exogène à l'Afrique du nord) ne laisse pas d'espace
pour le discours amazigh (endogène). Le maghrébin agit, tel un masochiste,
à l'encontre de son être, recherchant l'autodestruction. Car le bonheur, le
paradis, le progrès n'ont pas un nom amazigh. Ce monde idéal, pour tous les
amazighicides, ne peut pas être de nature amazighe. Et si, par hasard, le maghrébin ose un jour
redécouvrir sa littérature orale, les créations autochtones, se déclarer
citoyen africain… Aussi bien qu'il soit doté d'un esprit clair et objectif,
il ne pourra pas ne pas comparer cet héritage tronqué à la culture
dominante, et montrer ses dangers… Le discours, à l'encontre de la culture qui
de par sa nature n'est pas étanche, ne s'approprie que par la systématisation
du «faisant» où le positif et le négatif sont nettement définis. Pour
nous, cette définition ou cette distinction mettent à nu les velléités qui
écartent l'être de l'histoire. Et, s'il y a quatre millions de langues dans
le monde, y a-t-il également le même nombre de cultures? Plus? Moins? Qui
sait! Mais combien de discours parlent? et combien est le nombre de ceux qui
se taisent?
V.- De la terreur à l'instauration de la culture
Afin de propager la culture, l'Etat a de
nombreux appareils, institutions et employés. Jean Dubuffet écrit: «La
culture s'identifie à l'institutionnalisation. Il faut se garder de le perdre
de vue et de prendre illusion qu'elle consiste seulement dans un système donné
de jalonnement de la pensée, lequel il y aurait à améliorer. (…)
L'institutionnalisation est quelles
que soient les positions qui en sont l'objet- ce qu'il faut sans répit
combattre, car elle est la force opposée à celle de la pensée individuelle
et donc de la vie même; elle est proprement la force contre laquelle la pensée
se constitue» (ibid., p.88). En plus de tuer l'individuel (création),
l'institution classifie mécaniquement l'univers en camp des utiles (positifs)
et camp des inutiles (négatifs). Cette classification se construit à partir
de constructions symboliques (qui ne sont au fond qu'idéologiques). Au Maghreb, ces institutions sont de négation.
Alors, rien n'est plus nuisible à l'esprit démocratique que l'élimination
symbolique et culturelle d'un peuple inutile, c'est le rendre muet alors qu'il
balbutie des choses, c'est le considérer aveugle alors qu'il a une perception
de l'univers, c'est le juger idiot, le jauger inutile alors que ses capacités
d'être ont toujours été annihilées. De par sa tyrannie, l'institution
condamne tout au déséquilibre. Ce qui tue tamazight, ce
n'est pas le pouvoir qui l'ignore, mais plutôt son utilisation qui la
négativise. Ignorer (ou renier) une culture est un exercice sain (naturel,
neutre), mais faire (appliquer un programme) pour renier est malsain (non
naturel, effice). Par exemple, l'oubli monstrueux de l'école marocaine de
l'existence d'une culture et langue autochtones n'est pas aussi grave que
l'application de «l'istinass» qui essayera d'employer tamazight pour la nier
structurellement et scientifiquement. C'est-à-dire de manière éduquée et
polie. Ce n'est jamais l'école qui est dangereuse, mais le maître, de par
ses sanctions, qui montre à l'élève (petit enfant, à l'étudiant (jeune)
et au professeur amazigh (adulte) que la langue dans laquelle sont répartis
les cours est la plus valable, à l'opposé de la langue de ses aïeux (parlée
au foyer et dans les cimetières) est incapable de véhiculer les
connaissances, les savoirs et la «culture» du civisme.
VI.- Tamazight, politiquement incorrecte…
Le politique maghrébin est aussi indifférent
aux affaires du peuple que l'historien l'est des réalités qui meuvent ce
bout de monde; ses cris pour fonder la démocratie sont encore loin de l'écho
démocratique. Du chemin à tracer, avant de le parcourir. Et le point de départ,
qu'on le veuille ou non, c'est tamazight. Et qu'est-ce qu'on fait pour parler
de ce bout de terre nord-africaine et de ce peuple bien défini, l'on brandit
l'épouvantail du nationalisme, confondu totalement avec patriotisme, au
moment où le discours tend à la germination dans une voie d'expression (où
l'exogène prédomine)! Par exemple, le seul point de convergence de l'UMA est
l'amazighité tronquée; et le seul point de divergence au sein de cette
institution et l'arabité déplacée. C'est pourquoi les échecs sont là. Et
c'est pourquoi le grand conflit est le problème posé par les
pseudo-sahraouis arabistes. De même, incongrue est l'idée que les
intellectuels maghrébins se font de l'héritage amazigh imaginé sans
discours propre. Ils ignorent heureusement les significations et les formes
des voies d'expression de la pensée autochtone. Sont-ils alors des
intellectuels d'autres pays vivant dans ce pays? Ils vivent à l'ouest quand
ils s'acharnent à défendre le discours en tant que manifestation et
structuration d'un entassement de livres, d'architectures, de monuments
artistiques, de peinture… Ils vivent à l'est lorsqu'ils s'imaginent
l'univers du discours comme un prolongement métaphysique où le bien et le
mal, le permis et l'interdit sont intelligemment fixés. Une chose est sûre:
ils ne vivent pas ici et maintenant où s'enchaînent l'histoire tronquée,
l'individu brisé, la parole interdite, le monument effacé… La faute est
aux destructeurs de l'est et de l'ouest. L'intellectuel d'ici et de
maintenant, à lui de récupérer tout et de reconstruire, en ouvrant les yeux
sur le milieu pour voir l'histoire… En général, politiquement parlant, le lieu
du discours amazigh est: fixe (naguère fixé par le mouvement amazigh),
mouvant (l'émigré conscient de son appartenance culturelle) et mutant
(changeant de forme et de pensée). Par ailleurs, tamazight n'a pas besoin de
sentiment de pitié; elle a besoin de ses droits. Car les prétendus projets
qui prennent soin de tamazight sont au fond des initiatives radicales pour
mater ce sol authentiquement amazigh de son authenticité. Par conséquent,
une culture qui reçoit d'autres discours d'autres cultures fragmentées sans
penser à les récupérer comme siens, et qui les emploie en interaction avec
ses éléments de charge, prend la bonne voie. En définitive, bien qu'elle apparaisse dans
un état chaotique, la culture amazighe est un mouvement continu, et son
discours incarne ces manifestations continues et homogènes, dotées
positivement ou négativement de significations spécifiques. Souvent l'on
pense que le chaos pousse l'univers en avant, vers le meilleur, est-ce le cas
pour le discours? Non. Le discours évolue cherchant une autre forme dotée
d'un autre contenu qui peut améliorer le présent à venir. L'uniformisation,
implantée par des voies d'expression de plus en plus vidées d'authenticité,
apparaît le discours. Par ce discours, comment définir l'histoire des
Imazighen? Est-ce un ensemble d'omissions délibérées et d'hiatus construits
avec un esprit étranger? Est-ce le passé déterminant un sujet nord-africain
vivant tous les siècles comme une tranche de l'humanité?
En conclusion…
Conclusion simpliste qui, heureusement, ne
prétend être exhaustive ni définitive. Il n'y a pas des discours bons et
des discours mauvais, même chose pour la culture, la civilisation, la langue,
l'ethnie… Toute ethnie doit posséder un discours, le sien, qui émerge de
ses origines culturelles et historiques. Pour nous, la culture amazighe, faut-il le
dire, doit revenir sur ses conceptions, abstractions et visions pour les
refonder (définir, préciser et assumer). Ce sont bien ses concepts qui
structurent la culture dans ses spécificités. Tout comme la culture n'existe
que dans une constante mobilité, le mouvement de l'amazighité est une évolution;
elle va au-delà des limitations de sens, elle est tout et partout. Va-t-elle mourir ou survivre (ce qui est au
fait la même chose)? Ce qui est extraordinaire dans une réflexion de l'échéance,
c'est qu'on entr'aperçoit tamazight disparaître en un instant court et
fatidique ou agonir tout au long des millions de milliards de siècles!
Posons-nous alors cette interrogation rhétorique: «Y a-t-il un maghrébin
qui, en vie, ne passe pas par la mort culturelle de son amazighité?» Pensons l'amazighité dans sa globalité,
jamais dans sa linéarité. Car les lacunes ou failles (produites par l'exogène)
sont fréquentes et profondes. C'est la démocratie seule qui est
constructive. Car la démocratie apparaît comme la voie qui mène les peuples
maghrébins à la survie générale. Finalement, chez l'amazigh, il y a
curieusement la difficulté à dire non. Et pour la construction d'une
personnalité, dire non en est le premier pas ou signe…ت!
Comment savoir ce qu'on ignore depuis la naissance? Juste faut dire: La société
amazighe a besoin de son propre discours. Là, nous aurons explicitement
la représentation de ses préoccupations, de ses ambitions, de ses rêves…
H. Banhakeia
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