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Tamazight
entre l’oral et l’écrit. Par:
Lahbib Fouad Contribution
aux travaux de la conférence organisée par l'Association Culturelle Ilmas
sur l'écritre de Tamazight, les 5 et 6 Janvier 2002 à Nador Introduction: Pourquoi Tamazight est considérée comme un
ensemble de “dialectes” qui n'ont jamais pu accéder au rang de langue?
Est-ce pour des raisons seulement politiques et idéologiques que Tamazight
reste exclue et négligée? Est-ce pour des raisons propres à cette langue ou
par manque de volonté des auteurs, intellectuels et chercheurs en domaine
amazigh? S'il est vrai que l'idéologie arabe
dominante - au Maroc comme partout en Afrique du Nord - est responsable de
cette situation d'exclusion. Il ne faut pas non plus considérer que c'est le
seul prétexte qui fait que tamazight ne soit pas encore reconnue comme langue
d'enseignement. Est-ce que Tamazight a vraiment réuni les conditions nécessaires
pour être admise à l'école comme une langue à part entière? Dans cet exposé, je souhaite examiner
certains aspects propre à l'état actuel de la langue et à son écriture, en
soulevant quelques questions fondamentales qu'il faudrait élucider avant même
de prétendre introduire la langue tamazight dans les cycles de
l'enseignement. Parmi ces questions: - Est-ce que l'écriture de tamazight a réuni
les critères nécessaire pour un enseignement compétitif à l'école? - Laquelle des graphies est adéquate pour
écrire tamazight? Pourquoi cette graphie et pas une autre? - Comment faut-il écrire et enseigner
tamazight? - Quelle tamazight faut-il enseigner, et à
qui faut-il l'enseigner? Bien que seule une académie de langue
tamazight soit capable de juger et de trouver des solutions rigoureuses à ces
questions épineuses, je souhaite néanmoins contribuer par des réflexions
personnelles à ce débat. 1- L’état actuel de l’écriture
de tamazight La notation actuelle de tamazight est caractérisée
par une anarchie presque totale aussi bien au niveau de la graphie utilisée
qu'au niveau de la transcription adoptée. Trois graphies différentes sont
employées selon les auteurs, et chaque graphie est utilisée différemment
d'un auteur à un autre. En plus, les auteurs adoptent presque
toujours une transcription phonétique dialectale et aléatoire selon les
parlers régionaux. Les graphies utilisées sont soit la graphie
arabe, soit Tifinagh, soit la graphie gréco-latine avec des signes
diacritiques. Ces alphabets phonétiques, utilisés pour
transcrire tamazight ont tous une particularité commune qui consiste à
attribuer un signe particulier à chaque son donné. Et, comme il existe plus
de 46 sons différents dans le système phonologique de tamazighte, on est
amené par conséquent à créer de nouvelles lettres munies de diacritiques,
ou emprunter des lettres d'un autre système graphique (latin ou grecque).
Mais, ces alphabets phonétiques ont tous l'inconvénient d'être non
pratiques, inefficaces, archaïques et inadaptés au matériel standard
universel et aux technologies modernes. La notation dialectale phonétique adoptée
aujourd'hui par la plupart des auteurs, a était utilisée par les
ethno-linguistes européens dés la fin du 18eme siècle pour noter fidèlement
toutes les variantes sonores d'un parler donné. Ils ont créé pour cela un
système de notation composé de 56 signes. Ce système est conçu pour transcrire tout
les parlers, en particulier nord-africains (tarifit, taqbaylit, tamacaqt..)
mais, également pour transcrire les parlers arabes (hassania, darija, misria...)
ou les parlers du Sahel (swahili, toubous...). Cette Transcription phonétique
n'a jamais été destiné à un usage scolaire, mais plutôt à des fins
colonialistes qui consistaient à étudier et apprendre les particularités
des parlers indigènes pour mieux contrôler les populations en question, en
vu de les soumettre. Actuellement, bien qu'il ne soit pas suggéré
aux auteurs amazighs de cesser de fixer l'oral en utilisant la transcription
phonétique, celle-ci présente cependant des sérieux inconvénients quant à
l'enseignement de tamazight à l'école. Et, quelle que soit la graphie utilisée
pour transcrire phonétiquement tamazight, les conséquences sont les mêmes:
ambiguïté, anarchie, simplisme et blocage. Les principaux dangers que représente
la transcription phonétique sont les suivants: a. Le risque de dialectaliser tamazight En pratiquant la transcription phonétique,
les auteurs utilisent - au choix - les trois graphies phonétiques citées
plus haut. Or une langue digne de ce nom ne peut s'écrire correctement
qu'avec un et un seul système de notation... La graphie utilisée est nécessairement
conforme à une orthographe grammaticale préétablie qui ne saurait être
respectée en passant d'un système de notation à un autre. Cette transcription phonétique, qui note
fidèlement toutes les particularités sonores d'un parler donné, sans tenir
compte des autres parlers de tamazight, renforce les dialectes en fixant les
accents d'une même et seule langue, et par conséquent participe avec le
temps à sa désunion et sa fragmentation en plusieurs dialectes ou langues
distincts. b. Le risque de sémitiser tamazight La transcription phonétique conçue pour
noter les dialectes, à été appliquée à tort pour transcrire tamazight
comme étant une langue sémitique (comme l'arabe ou l'hébreux...). C'est
alors que les sémitisants ont appliqué la grammaire arabe pour transcrire
tamazight: Les verbes conjugués sont liés aux éléments
grammaticaux (comme les pronoms personnels, les auxiliaires, les préverbes...).
Les noms sont notés sans distinguer les articles (qui sont variables en
tamazight, alors qu'en arabe, “al” ne saurait être considéré comme
article puisque il est invariable et ne détermine ni le genre ni le nombre).
En plus, la racine des substantifs devient méconnaissable en passant du
singulier au pluriel (comme en arabe)... Et, les éléments grammaticaux sensés
être stables (comme les préposition, les conjonctions, les adverbes...) sont
notés au gré des transformations qu'ils subissent par la seule contrainte
phonétique... Il est évident que cette notation toute sémitique, valable
pour la langue arabe, ne doit pas être appliquée pour enseigner tamazight. c. Nécessité d'une longue durée
d'apprentissage L'enseignement de tamazight sur des bases
phonétiques, nécessite une très longue période d'apprentissage par coeur
d'un nombre indéterminé de variations et de cas particuliers... Les verbes
ne sont pas classés en groupes selon l'orthographe de leur infinitif, ce qui
nécessiterait des années d'apprentissage de la conjugaison propre à chaque
verbe, indépendamment des autres. En plus, le pluriel d'un nom ne se déduit
pas de l'orthographe de son singulier, et par conséquent il faudrait
apprendre le pluriel et les variations presque de chaque nom... L'analyse grammaticale d'une phrase
transcrite phonétiquement devient quasi impossible, et pour remédier à
cette insuffisance, nous serons obligés d'introduire des notions étranges à
la grammaire universelle (comme l'annexion, les particules, les indices
sujets, l'état libre, l'assimilation...) et tout un ensemble de notions qui
compliquent l'analyse grammaticale jusqu'à la rendre absurde et incompréhensible
pour l'esprit critique des écoliers. d. La lecture contextuelle La transcription phonétique propose une
notation aléatoire des substantifs. Par conséquent, dans un texte transcrit
phonétiquement, il est très souvent difficile de distinguer un nom d'un
verbe. La lecture et la compréhension deviennent difficiles, et il faut
souvent déduire le sens d'une phrase du contexte général du texte
(comprendre avant de lire). En plus, il est presque impossible de retrouver un mot dans
le dictionnaire, puisque la racine des mots est toujours altérée et méconnaissable.
Par conséquent, il est impossible d'espérer concevoir des outils modernes
aussi indispensables pour le développement de la langue qu'un logiciel
correcteur d'orthographe ou vérificateur de grammaire... Première conclusion: -La transcription phonétique anime la déstabilisation
des élément grammaticaux par une notation simpliste de toutes les
particularités dialectales (la spirantisation, l'assimilation, la vélairisation,
l'annexion...). En classe, cette notation phonétique ne peut engendrer que
des ambiguïtés, des complexités d'inter-compréhension et par conséquent
la divergence et le divorce entre les parlers d'une même langue. -La transcription phonétique ne peut
contribuer à la standardisation de tamazight. Au contraire, l'enseignement de
tamazight sur des bases uniquement phonétique est le moyen le plus redoutable
pour renforcer son caractère dialectal et donc son morcellement. -Enfin, en officialisant dans les écoles ce
caractère dialectal de tamazight, il serait impossible par la suite de la
reconnaître comme langue nationale et officielle. Car une langue officielle
est supposée être standardisée et partout uniforme. Ainsi, un document
officiel (administratif par exemple) doit être interprété de la même manière
partout où il est consulté. Or le transcrivant phonétiquement, un document
peut-être interprété différemment selon les régions. D'où la nécessité
de standardiser la langue pour ensuite espérer sa reconnaissance comme langue
officielle. La transcription dialectale phonétique utilisée par les spécialistes
pour décrire et comparer les dialectes, ne peut être pratiquée en classe,
car elle ne sort pas du cadre de l'oral. Cette transcription ne saurait être
considérée comme une écriture. 2-Comment faut-il écrire et
enseigner tamazight? Pour écrire et enseigner tamazight à l'école,
une seule écriture est efficace, c'est l'écriture orthographique gérée par
des règles conformes à la grammaire universelle. Pour cela, une seule
graphie est disponible: L'alphabet latin (de A à Z). Universelle, stable,
pratique, économique, et adaptée au matériel disponible et aux supports
actuels de communication. C'est le seul alphabet qui permet de créer des sons
nouveaux par des doublets de lettres. C'est le seul alphabet qui permet de
former des diphtongues (ae, ee, oe...) nécessaires pour orthographier les
homonymes, et respecter les règles grammaticales standards. Pour enseigner tamazight, il faut d'abord
standardiser son écriture, c'est à dire fixer à l'écrit les règles
grammaticales, orthographiques et phonétiques qui gèrent cette langue. Pour cela, une simple réforme de l'écriture
est nécessaire: - Il faut d'abord abandonner cette règle
toute simpliste qui stipule d'attribuer un signe à chaque son particulier, - Il faut aussi ignorer à l'écrit la différence
graphique entre un son occlusif et son correspondant spirant, et noter les
deux sons par une même lettre. - Ensuite, il faut abandonner à l'écrit
cette vélarisation qui est une réalisation régionale, voire même locale. - A l'écrit, il ne faut pas tenir compte
non plus des variantes emphatiques de [r] et de [s]... Ces sons, ne sont
emphatiques que par influence d'un son réellement emphatique ou au contact
des sons [qh] ou [q]. -Il faut aussi considérer la voyelle
“e” comme une voyelle entière et fixe dans le mot. -En écriture orthographique, il est nécessaire
de: • distinguer entre un article (qui doit être
détaché du substantif) et une voyelle initiale (liée au radical). Les
articles changent en passant du singulier au pluriel, alors que les voyelles
initiales radicales sont, quant à elles, stables et invariables. Exemple:
awal / awalen, a mazigh / i mazighen...
• dégager les éléments grammaticaux
signifiants et accompagnant les verbes conjugués (comme les pronoms
personnels, les auxiliaires, les préverbes...) 3.Queques avantages de l’écriture
orthographique Une écriture orthographique de tamazight
permet un enseignement accessible et pratique en un temps raisonnable, car
entre autres: • Les verbes sont classés en groupes: il
suffit d'apprendre les règles de conjugaison d'un représentant du groupe
pour conjuguer tous les verbes de ce groupe. L'orthographe d'un verbe indique
sa classe et par conséquent toutes les caractéristiques de sa conjugaison. • D'autre part, l'orthographe d'un nom au
singulier, indique la marque de son pluriel selon les règles préétablies. • Dans un dictionnaire pédagogique,
l'orthographe permet de classer les vocables par ordre alphabétique, selon
leurs formes les plus simples: verbes à l'infinitif et noms au singulier, à
coté de l'ensemble des mots invariables. • L'écriture orthographique respecte la
grammaire et écarte le risque de confusion et du tâtonnement du sens selon
le contexte. • L'écriture orthographique nous permet
de concevoir des logiciels correcteurs d'orthographe et vérificateurs de
grammaire. • Une langue standard, permet une
inter-compréhension entre les locuteurs de différentes régions,
l'enseignement de la langue devient partout uniforme, et c'est alors que la
reconnaissance du caractère national et officiel de tamazight devient évidente. 4. les variations phonétiques
dialectales -Le caractère oral, la grande étendue géographique
et l'absence de moyens de communications, ont très longtemps accentué les
différences phonétiques entre les amazighs éloignés, ce qui a engendré
plusieurs dialectes et accents régionaux. Ces parlers gardent cependant la même
structure morphologique et syntactique, et utilisent tous le même fond
lexical. L'existence de ces différents accents régionaux
est un phénomène naturel à toute les langues. C'est grâce au dynamisme de
l'école et de la communication que les différences phonétiques déjà très
fragiles entre les dialectes amazighs s'estomperont progressivement pour
finalement disparaître. -Les variations phonétiques
interdialectales se manifestent essentiellement par l'évolution ou par la
permutation de certains sons. On peux classer ces variations phonétiques en
deux classes: Les variations principales et les variations secondaires. Les
variations principales sont des variations qu'il faut faire ressortir en écriture
par le moyen des diphtongues (doublets de lettres). Exemple: c/k, (ackal), dt/t
(a dtar)... Les variations secondaires sont celles qui se rencontrent à l'intérieur
d'un même dialecte. Ces variations dialectales doivent être ignorés en écriture
standard. Exemples: ll/dj (a fellah), l/r (awal), g/y (Iger)... -Il est évident qu'il ne faut pas se baser
uniquement sur les réalisations phonétiques dialectales pour enseigner
tamazight à l'école. Il est plus académique d'orthographier les mots selon
leur prononciation la plus pan-amazighe possible, sans supprimer les lettres
phonologiques ni altérer la racine des mots. D'où la nécessité de
standardiser la langue et stabiliser son orthographe pour pouvoir élaborer
les supports scolaires indispensables à un enseignement moderne de tamazight. Conclusion L'écriture orthographique régie par des règles
grammaticales rigoureuses est la seule capable d'estomper les réalisations
phonétiques dialectales, et garantir la normalisation et le succès de
l'enseignement d'une tamazight unie, structurée, orthographique et digne
d'une langue d'enseignement. J'ai la conviction que Tamazight ne cessera
d'être considérée comme un dialecte que si elle est doté d'une académie
propre qui décidera d'un système de notation unique, d'une orthographe
grammaticale standard et d'un dictionnaire général. Et, j'ai par ailleurs la
certitude que tamazighte restera dépourvu du statut d'une langue à part entière
et en marge de l'école tant qu'elle continue a être noté par trois graphies
différentes et selon une transcription phonétique dialectale et aléatoire.
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