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La
toponymie est une science récente qui s’intéresse aux toponymes et tente
de comprendre le sens et la signification des noms des lieux. Elle joue un rôle
important chez les peuples qui recherchent leur histoire, du fait qu’elle
est considérée comme l’un des éléments qui aident à restituer la mémoire
collective et à reconstruire l’identité culturelle d’un peuple. Elle
permet d’enrichire le lexique des langues altérées. C’est un aspect,
parmi d’autres, qui traduit l’originalité d’un pays et de son identité
et l’une des spécificités qui peut le distinguer des autres pays. L’intérêt
de cette science est de faire appel aux autres sciences pour expliquer
la signification d’un toponyme. Parmi ces sciences, on cite la géographie,
l’histoire, la linguistique, la sociologie rurale, l’archéologie, la
botanique, la géologie, l’architecture…En effet, Les chercheurs
d’histoire et de géographie peuvent faire appel à la toponymie pour
expliquer le mouvement des populations. Pour un géologue, les toponymes
peuvent refléter la nature géomorphologique, le type de sol et la nature des
roches et des minéraux. Pour un Botaniste, il peut connaître les espèces végétales
d’une région et peut même reconstituer le couvert végétal disparu.
Malgré
le passage de plusieurs cultures étrangères au Maroc (phénicienne, Romaine,
Vandale, Arabe, Française et Espagnole), elles n’ont pas pu effacer les
toponymes amazighs originaux, ce qui montre l’enracinement de la culture
amazighe dans la société et le rattachement de l’homme à sa terre.
Cependant, certains toponymes ont été légèrement transformés pour les
adapter à la prononciation des langues étrangères, alors que peu de noms
ont été remplacés, ce dernier siècle, par les noms arabes. Ces derniers
peuvent être compris par les Marocains, mais la majorité des toponymes,
d’origine amazighe, sont très peu ou pas connus aussi bien par les
arabophones que par les amazighophones. Dans cette contribution, ils seront présentés
les toponymes de la région Meknès-Tafillat les plus connus. Etant donné que
98% environ des toponymes marocains sont amazighs, l’étude de la toponymie
du Maroc, en particulier, et celle de Tamazgha (Afrique du Nord) en général,
nécessite une bonne connaissance de la langue amazigh. Ainsi, afin de mieux
comprendre l’origine et la signification des noms, il est intéressant de
donner quelques règles concernant cette langue.
Les
noms masculins commencent par l’article A
(Exemples : Afus : la main, Adar : le pied, Amour : le
pays) et les noms féminins commencent par l’article Ta et se terminent souvent par T
(Exemples : Tamazight, Tawtemt : femelle, Tawnat : la
haute). Un nom féminin, dépourvu de la lettre T de l’article, désigne une chose plus grande et un nom masculin
féminisé, par ajout du la lettre T au début et à la fin, désigne une
chose plus petite (exemple : Tamart : la barbe, Amar : grande
barbe, Afous : la main, Tafoust : petite main). Pour problème de
prononciation (en arabe et en français), l’article A disparaît chez
certains toponymes (Afas : fas, Ameknas : Meknas, Anadour :
Nador…) ou être précédé par w (Azzan : Wazzan, Alili : Walili ..).
Les
noms des lieux en amazigh comportent les préfixes suivants : M
(M’ibladen) et BOU (Bouyzakaren) qui veulent dire « qui
a », THIN (Thindouft) qui veut dire « celle de », AN
(Anrar) , AS (Aswen) qui veut dire « où ». Pour les deux
derniers cas le A peut disparaître (Nador : Anadour, Sayes : Asayes).
Pour
problème de phonétique, la lettre S
se prononce parfois Z et inversement.
La lettre K peut se substituer par Ch
et la lettre G par Y
ou J. La transcription utilisée pour les termes amazighs est la même
que celle du français ; cependant, les lettres Z, D et T deviennent
emphatiques à côté d’une voyelle avec un accent circonflexe.
Meknès :
le nom originel est Meknas ou Ameknas. Le dérivé de ce nom se rencontre dans
la Darija marocain : « mkenhâlou » qui veut dire « il
l’a lui donnée » ou « il l’a frappé ». Ce n’est
qu’une phrase amazigh, adaptée à la Darija, qui se dit « imeknast »
qui a le même sens. Ameknas veut dire l’agresseur ou le provocateur.
C’est un nom lié à la tribu zénète connue par ses agressions sur les
autres tribus. Dans
la ville de Meknas, il y a des noms amazighs tel que : Agdal :
prairie privée (du Makhzen), Lehdim : Ahêddim : le socle, Wislan :
Islan pluriel de Isli : fiancé, Tizimi : plante de graminé (sorte
de gazon sauvage). Zerhoun :
Azerhoun désigne le granite. Cependant cette roche est absente dans la région
de Zerhoun, mais une autre roche, qui lui ressemble, se rencontre dans la région
connue sous le nom de Grès de
Zerhoun. Il est constitué d’éléments qui proviennent de l’érosion du
granite altéré.
Zeggouta :
Izgouten : pluriel de Azgou ou Azwou : le vent. La région désignée
est un col.
Walili :
Alili : laurier rose qui se développe dans la rivière Khouman. Ce
dernier provient du mot khwaman (Khefwaman) qui veut dire sur l’eau (Khef :
sur, aman : l’eau). La lettre W est introduite souvent chez certains
noms masculins pour les adapter à la prononciation arabe. Exemples :
wislan :Islan, Wazzan : Azzan : chêne Zen, Wargha : Awragh :
jaune (couleur de l’eau chargée de particules de marnes jaunes).
Toulal :
Tilal, pluriel de Talalt : support (madrier). Ce qui veut dire «
sur qui on peut compter. On retrouve le masculin de ce terme (Alal) chez le
nom suivant.
Aït
Wallal :
Ait Allal : les gens sur qui on peut compter.
Agouray :
Igouray :
pluriel de Agra. Provient de verbe iger : jeter. Agra veut dire l’étranger.
Boufekrane :
mot composé de Bou : « qui a » ou « lieu de » et
ifekran pluriel de Ifker qui veut dire la tortue. Il a donné le mot « Lfekroun »
dans la Darija. Le toponyme veut
donc dire lieu des tortues.
Tawejdat :
Colonnade ou le poteau. Le pluriel est « Tiwejda » qui a donné le
nom d’Oujda. Il y a un autre terme très proche : Tagejdadt (masculin :
agejdad) qui désigne les animaux à queux coupée.
Ifrane :
pluriel de Ifri ou Afri qui signifie grotte ou caverne. C’est de ce nom que
provient le nom Afrika ancien nom de la Tunisie qui a été donné par la
suite au continent africain. Le « ka » de la fin est introduit par
les latins pour l’adapter à leur langue, comme c’est le cas pour certains
noms qui se terminent par « i ». exemple : libi - libyka,
Azrou :
roche ou rocher. Nom tiré d’un grand rocher qui se trouve au centre ville.
Le pluriel de Azrou est Izra, duquel vient le nom Mizra puis Misra le nom de
l’Egypte parce que la civilisation pharaonique est marquée par la taille
des roches et les constructions en pierres (pyramide, sphinx…). Mizra est
composé de « M» qui veut dire « qui a » ou « le lieu
de » et Izra qui désigne les roches ou les pierres. Plusieurs toponymes
amazighs se rencontrent en Egypte. Le toponymes « Misra » se
rencontre au Maroc, notamment près de la ville de Sefrou (vers la sortie de
Tazouta), qui nomme une région rocheuse.
Ben Smim : Aït Asmim. Asmim
est composé de As (lieu de) et mim ou Amim : le sucré. Asmim veut dire
un « lieu agréable ».
Khnifra :
Akhenfer qui veut dire Catch. C’est un jeu très répandu au Moyen Atlas
jusqu’au années 60. Le toponyme désigne le lieu ou se déroule le jeu. Il
y a aussi une histoire qui dit que quelqu’un prenait les gens (Ikhenfer)
pour les faire traverser la rivière de Oum Rbià (M’rabàin : qui a
quarante c-à-d sources). Il veut dire selon cette anecdote lieu de traversée.
Mrirt :
mot qui provient probablement de Tamrirt : chanteuse, ou poétesse.
Cependant, les vieux de la région pensent qu’il dérive du mot Timrireyt :
lieu de la mort (par le lion).
Lakbab :
provient de Akebbab : le menuisier.
Krouchen :
Ikerrouchen : pluriel de Akerrouch : chêne vert.
Aguelmous :
capuchon. C’est un nom géomorphologique qui traduit la forme du relief.
M’ichlifen :
mot composé de « M : lieu de » et Ichlifen : pluriel de
Achlif (nom rencontré en Algérie : Chlef) qui veut dire le tas. Le
toponyme veut dire « lieu des tas » (c-à-d de la neige).
Aguelmam
Azegza :
le lac vert
Timehdît :
la protégée. On y trouve la racine du verbe îhdâ : surveiller.
Aït
Oufella :
Afella veut dire le haut. les gens de l’altitude (de la montagne).
Itzer :
du verbe izra : il a vu. Itzer veut dire qui est vu. Il signifie :
visible
Boumia :
mot composé de Bou : « qui a »
et Amya : rien. (qui n’a rien) : c’est à dire le pauvre.
Zayda :
Sayda ou Asayda : mot composé de As : lieu de et Ayda masculin de
Tayda : le pin. Zayda veut donc dire « lieu du grand pin ».
Aghbalou
iserdan :
Aghbalou : la source ; Iserdan : pluriel de Aserdoun : le
mulet.
Midelt :
provient du nom timdelt : le couvercle. Il veut dire « lieu fermé »
parce que le village était protégé par les remparts avec une porte.
M’ibladen :
mot composé de « M : lieu de » et ibladen, pluriel de Ablâd qui
veut dire pierre ou minéraux.
Rich :
Arich masculin de Taricht : la selle. Il veut dire grande selle.
D’ailleurs, la ville se situe dans une plaine encadrée par deux rides
verticales donnant la forme d’une grand selle. C’est un toponyme géomorphologique.
Mdeghra :
provient de Imdeghren : ancien nom d’Errachidia ou de Ksar Souk. Adghar :
veut dire la place ou le lieu. Imdeghren veut dire les propriétaires ou les
maîtres de la région.
Tamerrakecht :
c’est un lieu qui se situe entre Errachidia et Rich. C’est le féminin de
Merrakech : ancien nom du Maroc. Les noms que connaît actuellement le
Maroc sont tous des noms étrangers. Maroc (Français), Morroco (Anglais),
Maruecos (Espagnol) Mourrakouch puis Al maghrib (arabe). Le nom arabe qui veut
dire ouest a été donné par les orientaux parce que notre pays se trouve à
l’ouest des pays du moyen-orient. Les autres noms dérivent d’un nom
originel composé de Amour et Akouch : Amourakouch. Amour :
la terre ou le pays, masculin de Tamourt : la terre. Akouch signifie
Dieu. Dans l’antiquité il y avait plusieurs dieux ; Dieu de la lune (Ayour),
Déesse de la pluie (Tanite ou tanyite), Dieu monothéiste : Amoun
(l’unificateur), Dieu de l’enfer : Akouch. Le féminin de ce dernier
est takoucht qui désigne un four plein du feu. D’ailleurs on trouve ce
terme dans la Darija qui veut dire la même chose « Lkoucha ». le
nom Mourakouch ou Amourkouch veut donc dire « Pays du Dieu » ou
« Terre Sainte ». l’appellation arabe (Mourrakouch) est très
proche du nom original. Cependant la question qui se pose est pourquoi a-t-on
ignoré ce nom authentique au profit du nom « Al Maghrib » donné
par les orientaux et qui n’a pas de sens pour nous. Il est peut être temps
de revoir ce nom.
Avant
le nom Amourakouch, le Maroc s’appelait aussi Mauritanie (en Français) et
Mauritanya (en Arabe). Le nom originel est Amouridâne. On retrouve le terme
Amour : Terre ou pays et idâne pluriel de Îd : la nuit. Le nom
veut donc dire pays des nuits ou Terre des ténèbres puisque le soleil se
perd chez nous. Les imazighens orientaux, notamment de Tunisie, qui ont appelé
notre pays ainsi. Cependant, pour les Marocains, le soleil se perd dans l’océan
atlantique. Ce dernier est connu dans la littérature arabe par « la mer
des ténèbres. Le nom Atlantique serait d’origine amazighe. En effet, il
est un nom masculin puisqu’il commence par l’article A. Le soleil est
considéré depuis longtemps comme étant l’œil du Ciel. Le soleil en
amazigh s’appelle Tafoukt ou Tafoucht et Îttij (nom encore utilisé chez
les Algériens). Ce dernier est composé de « Îtt » masculin de Tîtt
(oeil) et veut dire grand œil. Ij diminutif de ijna ou iyna qui veut dire
ciel. Ittij veut donc dire : l’œil du ciel. Les Marocains considèrent
l’océan comme étant l’abri du
soleil (îtt) puisqu’il se perd dans l’océan. Le nom Atlantique
proviendrait du nom « Antal n tît » (antal : camouflage, du
verbe intel : camoufler). Il a été légèrement transformé comme
c’est le cas pour les autres noms (Amouridân, Amourkouch..). Le nom veut
donc dire « l’abri du soleil ». Le nom a été transformé pour
être adapté à la langue latine, ce qui a donné atlantica comme afri (afrika)
libye (libika).
Imi
lchil :
composé de Imi qui désigne la bouche ou et veut dire l’entrée (du lieu).
Lchil qui provient de achal ou Akal : achat des grains. Probablement
l’ancien nom de Challa (achal) qui veut dire lieu de la vente des grains. On
retrouve ce terme dans la Darija : Keyel (en tamazight le K et le Ch
peuvent se substituer : tafukt /tafucht (soleil). Probablement, c’est
de ce nom que dérive le nom de Asala, par prononciation, qui veut dire le
comptoir (lieu de la vente).
Guelmima :
Iguelmimen : pluriel de Aguelmam : le lac.
Tinjdad :
mot composé de Ijdâd : les oiseaux et « Thin » qui veut
dire ici ausi lieu de. On le trouve chez d’autres toponymes par exemple :
thindouf : Tindouft : lieu de la laine. Thinirif : Tinirifi :lieu
de la soif.
Arfoud :
déménagement. Lieu du campement provisoire.
Tafilalt :
signifie la jarre en amazigh et désigne la cuvette plus moins profonde.
Oued
Ziz :
Asif n Ziz. Asif : fleuve, Aziz : le mâle de la gazelle.
La région de Meknès-Tafilalt
est à cheval sur plusieurs domaines structuraux : la plaine de Sais, le
Moyen Atlas, le Haut Atlas, et le Sahara.
Saïs :
Asayes : mots qui provient de Asayis composé de « As » qui
veut dire lieu. On le retrouve chez plusieurs toponymes comme par exemple
Smara :Asmara : lieu de la misère, Sefrou : Asfrou : lieu
de l’abri (verbe iffer). Ayis ou Iyis : le cheval. Le nom veut donc
dire lieu du cheval (pour la course) est désigne la plaine. La plaine en
amazigh est donc Asayis, ou asayes.
Moyen-Atlas :
le terme Atlas est un nom masculin (il commence par l’article A). Les
occidentaux l’ont emprunté à la langue amazighe pour désigner des grandes
choses. Selon une légende amazighe qui dit que la Terre est supportée par la
corne d’un grand taureaux (Atlas). Quant il la transfère sur l’autre
corne, il provoque le tremblement de la terre. Atlas désigne donc le
taureaux. Le nom Atlas est donné aux montagnes, elles étaient considérées
comme les cornes qui supporte le ciel, à l’image des cornes du grand
taureaux qui supporte la terre. Le Moyen-Atlas s’appelle aussi Fazaz.
Haut
Atlas :
Dren qui est un diminutif de Adrar idraren qui veut dire la montagne des
montagnes.
Anti-Atlas :
Ankis
En guise de conclusion on peut dire que la majorité des toponymes de la région Meknès-Tafilalet est d’origine amazighe. L’attribution des noms aux lieux est liée principalement à la géologie, à la géomorphologie et aux végétaux. Il est donc important de préserver l’originalité des toponymes pour qu’ils puissent être porteurs d’un sens pour traduire les caractéristiques, la spécificité et l’identité des régions.
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