Numéro  55, 

  (Novembre  2001)

Amezwaru

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Lettre ouverte à une mère amazighe

Par: Aïcha Aït-Hammou

«Puisque cette maladie de jeunesse l'avait laissée sourde et avec un embarras de la parole, puis l'avait empêchée  d'apprendre ce qu'on enseigne même aux plus déshérités, et forcée donc à la résignation muette, mais c'était aussi la seule manière qu'elle ait trouvée de faire face à la vie, et que pouvait-elle faire d'autre, qui à sa place aurait trouvé autre chose?»  Albert Camus

 

Je sais bien, maman, que tu ne pourras jamais lire ces lignes. Je sais également que tu auras vécu toute ta vie sans jamais avoir besoin d'adresser la parole à qui que se fut dans une autre langue que celle que tu avais apprise depuis que tu avais vu le jour, ta seule langue, l'unique, tamazight. Celle qui avait suffi, non seulement à communiquer aux autres tes intentions, tes besoins, tes émotions, tes sentiments et ton admiration que tu ne manques jamais de témoigner au monde qui t'entoure, mais elle a également été suffisante pour que tu formules, dans ses mots, des poèmes, des chants et d'autres merveilles que tu n'as jamais voulu ou su communiquer à personne d'autres, sauf à tes intimes, dont je suis. Je t'en suis reconnaissante, maman.

Je sais, ma mère, que tu n'as pas besoin que je t'écrive, dans cette langue ou dans tout autre, pour te dire ce que je ressens pour toi, ce que je pense de toi. Tellement nous nous connaissons bien, nous nous passons de la parole, cet artifice dont on use trop pour ne rien transmettre. Nous n'avons pas besoin de la parole, disais-je, pour nous communiquer mutuellement nos émotions les plus profondes. Il suffit d'un regard amazigh, comme tu l'appelles, et nous voilà spontanément en connivence et en harmonie totale, dans nos êtes les plus profonds et avec tout ce qui nous entoure.

Tu sais maman! Tu ne te rendais pas compte, absorbée par ton quotidien que tu étais, préoccupée par tes tâches ménagères qui n'en finissaient pas, que tout un monde de destruction massive et un système sophistiqué de lapidation ont été érigés dans l'intention d'effacer, de corrompre, de dénigrer, cette merveille que tu as su me communiquer dans toute l'étendue de son ampleur. Cette merveille qui me touche encore au plus pré-fond de moi, au plus profond, dans mon intimité la plus intime lorsque j'entends quelqu'un la parler, le tamazight.

La sécurité, la tendresse et l'harmonie, universelles, que je ressens en ta présence avec tes chants et tes poèmes ne peuvent pas être remplacées, ni recherchées ailleurs, dans aucune une autre langue, dans aucun autre coin de l'univers habitable ou non. On aura vainement cherché, par des moyens artificiels, à lui substituer autre chose et je sais que c'est un effort vain dont on ne peut espérer, dans les meilleurs des cas, qu'une adaptation artificielle à un environnement autre que celui que tu as su créer avec les mots amazighs.

Tu as donc fait de moi ce que je suis, tu m'as modelée, dans mes profondeurs et dans mes aspects extérieurs, génétiquement, psychologiquement mais également physiquement. Je te dois tout, ma mère, tu es tout pour moi et je ne suis rien sans toi. Sans toi, on ne pourra pas lire ces agencements artificiels de lettres que je suis en train d'entasser pour voler une parcelle de votre temps, cher lecteur. Pour m'enivrer de la douceur et du plaisir de les voir agencées et accumulées pour en faire, je ne sais moi, un texte publié dans un journal et arrivé enfin entre les mains d'un lecteur généreux de cœur qui, je l'espère, puisera de la douceur que j'ai voulu y mettre, de tout mon être.

Les poèmes que tu me chantais à propos de tout et de rien, à toutes les occasions, me reviennent encore pour raviver ma mémoire afin de lui donner toute l'énergie dont elle a besoin pour continuer à vivre comme il l'a toujours fait quand j'étais encore versé dans cette unique langue dont on a l'intention maintenant d'effacer toute trace. Tu disais par exemple:

A tvitv innew ata fest ad ur tallat.    

            (ش mon œil, cesse de pleurnicher).

Tu t'adressais à ton œil comme s'il était responsable de tes pleurs. Mais tu savais qu'il n'en était rien, c'était que ton œil pleurait sans l'avoir demandé. Tu es poète, maman.

Si je suis une femme amazighe, ma mère, dont ce terme de 'timmuzgha' traduit amplement et parfaitement la signification que tu as voulu faire de mon éducation, c'est simplement parce que tu m'en as donné l'essence et l'énergie de propulsion nécessaire dont l'élan initial et originel était suffisant pour survoler tous les obstacles et toutes les embûches qui n'ont pas manqué de parsemer mon parcours et mon trajet de combattante pacifiste. De la répression intellectuelle incarnée par l'homme qui a su se maintenir dans ses hauteurs sans vouloir rien lâcher de peur de tout perdre, jusqu'à la politique d'assimilation qui a pour objectif de faire de toi un passé oublié, effacé et disparu, je ne manque pas de continuer à constater que le monde est foncièrement cruel sans ces moments de tendresse dont tu as su parsemer mon jeune esprit et ma tendre enfance.

Tu sais bien, maman, que l'amour que j'ai pour toi, même si je te l'exprime souvent maladroitement, est l'amour universel à partir duquel tout amour, vécu dans quelque secteur de la vie que ce soit, dérive.  Sans lui, je sais pertinemment que j'en resterai au même point que lors de ma naissance.

Si j'existe, si je suis ce que je suis, si je suis amazighe, c'est parce que tu as existé et que tu as su me dire, dans toute sa profondeur, l'âme et l'esprit de timmuzgha. Celui qui est généreux par essence pour avoir su accueillir et enrichir toutes les civilisations qui étaient en contact avec lui, sans les mépriser et sans chercher à les envahir. Celui qui, depuis la nuit des temps, a su mettre l'humanité des humains et les intérêts suprêmes au-dessus de toutes les considérations viles, passagères et partisanes. Cependant, je continue encore de me poser cette question dont mon esprit n'arrive pas à se débarrasser et qui est: Timmuzgha n'est-elle pas une victime, toute trouvée, de sa propre générosité? N'est-elle pas en train d'aider, de renforcer, d'alimenter, sa propre destruction en voulant, encore et encore, tolérer et patienter? Sommes-nous masochistes?

Dans ton silence, dans ton apparente résignation, dans ta soumission rebelle, je sais pertinemment que tu es faite pourtant pour autre chose, pour verser dans une colère dont on t'a interdit toute manifestation. Je sais que tant que tu es vivante, et même au-delà, tu m'alimenteras encore de ton esprit naturellement éveillé, vigilant et qui ne laisse rien échapper sans l'avoir préalablement fait observer et analyser. Je sais que ton ignorance de l'écriture et de la lecture n'est en rien un obstacle devant ton épanouissement dans les arts et la science. Je sais, maman, que tu es depuis toujours une artiste, dans l'âme, dans l'esprit. Tu n'avais besoin d'aucune formation, d'aucun titre, pour être ce que tu es, un être merveilleux et savant. D'autres ont pu fréquenter des universités, accumuler des titres et des diplômes, mais ils n'arriveront jamais à acquérir cette essence qui anime ton cœur. Cela ne s'acquiert pas. Ce n'est pas là un simple amour d'une fille pour sa mère, qui est déjà suffisamment puissant pour permettre d'exprimer de tels sentiments, mais il va loin, plus loin, c'est celui d'un sentiment d'une fille ayant vécu et appris sans jamais avoir pu rencontrer une âme aussi amazighe dont ce qu'elle a d'unique et de généreux. 

Je sais, ma mère, que ce sont les circonstances contingentes de la vie qui ont fait que tu n'as pas été scolarisée et que tu n'as pu atteindre les hauteurs érudites dont tu es pourtant capable et que tu mérites. Celles qui sont réservées, dans notre société, à certains hommes qui ne manquent pas de se targuer, de nous narguer, de leur exclusivisme et de leur esprit qui prétend nous construire un univers meilleur, dans lequel ils seront les seuls maîtres penseurs, les seuls à savoir manier les idées et leur donner la significations qui les arrange, celle qui soutient leurs idéologies et leurs penchants, quelquefois même des plus sauvages, dont la violence n'est pas le moindre.

Ceux qui, dans leurs univers conceptuels savamment fortifiés, savent diriger la société là où bon leur semble sans tenir aucun compte de l'autre moitié de cette société qui n'est autre que les femmes. Ils croient, comme au moyen âge ailleurs, qu'elles ne sont pas capables de réfléchir, ni de se doter de moyens conceptuels et intellectuels qui leur sont réservés, à eux. Je ne suis pas 'féministe' car l'être c'est admettre d'emblée une infériorité, une infirmité, qu'il s'agit de combattre, de compenser, en rejetant l'homme lui-même, en le culpabilisant, et en le considérant comme étant l'unique responsable de la situation féminine.

Pourquoi continuons-nous à sombrer dans la résignation, dans la dérision, dans le dérisoire? Il faut dire que certaines d'entre-nous, sont elles-mêmes coupables de ne pas avoir su donner l'élan vital indispensable à notre émancipation. Il faut croire que certaines d'entre-nous, dans leur renforcement des idées reçues, dans leur soutien sans faille à l'hégémonie patriarcale, dans leur éducation de leurs propres filles, le plus souvent sans le savoir, sont responsables de notre propre situation, qui maintenant nous déplorons.

Notre timmuzgha, qui est notre essence, que certaines d'entre nous, fuient, telle la peste, après avoir prouvé à elles-mêmes et aux autres qu'elles sont 'capables' de s'en sortir sans elle, qu'elles sont 'capables' d'acquérir des langages artificiels, comme je le fais ici même, et ne prennent même pas la peine de doter fermement leur progéniture de timmuzgha, est le signe avant-coureur de notre propre échec à s'attacher à notre propre identité dans une société en mutation permanente et en changement perpétuel. Si nous, les femmes amazighes, nous, qui avions constitué, pendant des millénaires, le vecteur de cette langue et de cette culture, nous la fuyons, nous la détestons, nous la méprisons, je ne vois pas qui s'attachera, à notre place, à l'affermir, à la promouvoir, à la généraliser à nos enfants et autour de nous, qui à leur tour, un jour, feront le même travail à notre place.

Si notre timmuzgha nous fait honte, si notre culture nous importe peu, il n'est pas étonnant que nous cherchions la reconnaissance ailleurs, dans l'habit, les bijoux et les Instituts de beauté, pour plaire davantage, et pour toujours, à celui que nous convoitons. Dès qu'il détourne son regard, dès que nous pensons ne plus constituer pour lui son centre principal d'intérêt, nous nous sentons vulnérables, telles de petites filles en quête de tendresse, et dans sa virilité intouchable, il ne trouve aucune raison qui l'empêche de nous mépriser et de nous diminuer.

Je les ais vues dans les villes. Elles sont capables de parler cette langue et pourtant Dieu sait qu'elles ne la parlent plus à leurs enfants de crainte de leur transmettre un virus, une tare, dont elles ont souffert elles-mêmes, paraît-il, et pour laquelle, elles ne pensent plus revenir de peur d'être atteintes, de nouveau, par une contagion qui n'en finira pas. Il est vrai qu'être soi-même, sans aliénation et sans reniement, dans un univers qui vous affiche son mépris sans vergogne,  c'est toujours chose difficile. Mais justement là est l'authenticité, sinon quelle serait-elle?

L'on connaît de ces esprits 'parvenus' qui n'affichent plus, pour leurs origines et leur passé, que mépris, après l'avoir suffisamment insulté, et qui cherchent des compensations en allant se marier à une femme ou à un homme ne parlant plus tamazight afin de prouver aux collègues de travail ou aux voisins que finalement, ils ne sont plus ce qu'ils furent. Qu'ils se sont métamorphosés. C'est là une catastrophe pour le monde de timmuzgha, un cataclysme renforcé par les innombrables exactions subies par ceux qui, eux, osent encore parler tamazight sans rien se reprocher, ou plus, en faire des publications comme le directeur de ce journal qui a eu le courage et la fermeté de nous permettre de nous exprimer dans un monde fermé et exclusif, et qui ne lui pardonne rien.

Il est des fois remarquable de constater que l'esprit de l'être humain a tendance à trouver l'origine de ses maux dans les autres, ce qui est tout à fait légitime et bien fondé en ce qui concerne la marginalisation du tamazight car cela lui vient en effet des autres, à savoir, l'idéologie du panarabisme exclusiviste  et l'islamisme extrémiste.

Cependant, il est tout aussi remarquable, et regrettable, de constater que certains de nos frères de culture et de langue sont eux-mêmes les promoteurs et les initiateurs de la dégradation et de la menace qui pèsent sur notre culture et sur notre langue. Ils sont eux-mêmes coupables de ne pas promouvoir la langue, et je parle ici notamment des femmes, dans les foyers et dans l'environnement des enfants. ةvidemment, si l'homme, une fois parvenu et ayant décroché son ultime diplôme, ne compte pas effacer toute trace de cette langue dans son environnement en allant chercher, le plus loin de chez-lui, une femme qui ne parle absolument pas tamazight, afin de se doter des ailes et de voler au-dessus de ce qui constitua jadis, pour lui, son unique bercail et duquel il ne pouvait pas s'envoler sans l'aide de sa mère; laquelle mère ne fait plus parti de son univers de petit-bourgeois à demi-parvenu, de peur que la pauvre 'campagnarde' ou 'montagnarde' ne souille son fauteuil de cuire de la dernière mode, qui est désormais réservé à son illustre femme 'cultivée' et 'civilisée', et à ses invités de marque. Je dis cela pour avoir connu des cas qui interdisent à leur mères de faire la prière du petit matin parce que cela dérangeait les voisins; la pauvre avait fini par ne plus oser rendre visite à son fils.

Pour finir, je ne peux pas m'empêcher, dans cette perspective, de rendre hommage à M. Mohamed Boudhan, pour le nommer, le Directeur du journal Tawiza, dans ses efforts louables et courageux, dans sa ténacité à défier le temps et les événements, et qui mois après mois, depuis bientôt cinq longues années, il a su, en cavalier seul et avec ses modestes moyens, nous donner l'opportunité de nous exprimer comme je viens de le faire ici. Des hommes de qualité comme lui font encore défaut à tamazight, malgré la vague petite-bourgeoise dont il est question ci-dessus. Des opportunistes, qui ayant, pendant des années, servi avec zèle d'autres causes sans jamais avoir eu en tête la leur, se souviennent subitement aujourd'hui qu'ils sont amazighs et se pointent pour en tirer le maximum d'intérêt et de prestige. La vérité fait mal, mais il faut la dire parce qu'elle est inévitable. Je n'oublierai pas ici ceux qui, même dans les vagues de torture et d'emprisonnement, se sont portés volontaires avec courage pour la défense de notre culture et de notre langue. Ils sont nombreux, je leur rends hommage modestement, à ma manière.

Tout ceci dit, je prie le lecteur attentif, intelligent, et doté même d'un minimum d'ouverture d'esprit, de me croire lorsque je dis que je ne me suis pas déguisée en prêcheuse de vérités absolues, en moraliste, en donneuse de leçons ni en prétentieuse cherchant à épater et à attirer l'attention des passants et des curieux, loin de moi ces idées. J'ai simplement voulu exprimer mon avis, mon opinion, sur certaines questions qui me tiennent à cœur, et je crois y avoir le droit sans être réprimée et attaquée, sachant bien que la réalité a été, de tout temps, différente de la théorie.

Cependant, ce constat ne doit pas nous empêcher d'imaginer un monde idéal, une utopie, qui restera comme une jauge, à laquelle nous nous référons lorsque nous en sentons le besoin et vers laquelle nous tendons de tout notre être afin que la vie ait un sens, pour nous, jusqu'à la fin de nos jours. L'idéal dont il est question ici est de maintenir le tamazight une langue vivante. Son introduction à l'école, quoique c'est nécessaire, n'en est pas une garantie. L'arabe classique et moderne sont à l'école sans que personne au monde, à ma connaissance, ne s'adresse, dans la vie quotidienne, à ses enfants dans ces langues. Ce qui veut dire simplement que ce sont des langues mortes, comme le latin encore enseigné, de nos jours,  dans les écoles en Europe.

Je ne peux pas non plus achever ce texte sans y avoir écrit, un proverbe, une maxime, un dicton, amazigh. A propos des mères dont les enfants sont désormais des 'séides' qui n'entendent plus faire affaire avec elles, il y a un dicton amazigh qui dit: «Unna yirun amegur iket i wul nnes.», «Quiconque a accouché d'un faux jeton, l'assume.» Elle l'assume parce qu'elle  n'a pas d'autres choix, mais elle panse la plaie qui en résulte, la vie agira.

Je ne vous surprendrai pas si je confonds entre tamazight et ma mère. Elles étaient identiques pour l'enfant qu'elles avaient fait de moi quelque temps après ma naissance. Pour finir, merci de m'avoir lue, je suis longue et fastidieuse. A la prochaine.

Aïcha Aït-Hammou

 

 

 

 

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