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Mots et choses amazighs: De quelques proverbes et de leurs contextes originels Par: Ali Amaniss Dans un texte que nous avions publié il y a quelques mois dans le présent journal, nous avions donné une suite de proverbes. Nous ajoutons à la liste précédente quelques proverbes dont nous avons reconstitué le contexte originel qui leur avait donné naissance. Ce contexte est très utile dans la mesure où il donne un sens complet au proverbe. Dans la pratique, lorsque quelqu'un nous dit un proverbe que nous ne comprenons pas, habituellement nous lui demandons de nous l'expliquer. Souvent, il nous donne le contexte qui avait conduit à l'apparition de ce proverbe. C'est ainsi que j'en avais retenu certains que je reproduis dans ce texte. La phrase en entête de chaque paragraphe est le proverbe amazigh et la phrase en italique en bas du paragraphe est un essai de sa traduction en français.
Inna yas ugherday: Bu yan imi iteqqen as t Rebbi Un serpent affamé voulait attraper un rat pour en faire son premier repas de la journée. Dans cette course où la mort est en faction, le rat n'avait pas d'autres choix à envisager que de chercher refuge dans sa tanière. Dans sa poursuite du rat, le serpent s'était dit que la solution serait sans nulle doute de le coincer au fond de son trou qui sera pour lui une très belle tombe. Mais le rat avait déjà pensé à un tel scénario et il avait été contraint, à la suite de ses expériences, de doter sa tanière de sorties innombrables. Une fois au fond du trou, le serpent fut stupéfait et se demanda où pouvait bien passer le rat alors qu'il était sûr que celui-ci avait rejoint sa tanière. Le rat de son côté après avoir pris une autre sortie avait jeté un coup d'œil au serpent et lui avait lancé: Qui fait une tanière avec une seule sortie, que le bon Dieu la lui ferme. Le proverbe souligne l'importance d'envisager de nombreuses solutions à un même problème et de savoir reculer au bon moment lorsqu'une solution ne semble pas aboutir au résultat attendu.
Meqqar yuyella taghghat ayega Un jour, deux hommes partaient en voyage. Au cours de leur route, ils avaient aperçu, de loin, une silhouette noire. Ils ne savaient pas de quoi il s'agissait et ils auraient aimé le savoir car les pillards et les coupeurs de route étaient nombreux à cette époque-là. Ils avaient pris peur, alors ils se sont retranchés dans un coin sûr et attendaient. A un moment donné, la silhouette en question s'approcha pour devenir finalement assez perceptible et l'idée de pillards fut finalement écartée. L'un des deux hommes prétendit qu'il s'agissait là d'un corbeau, l'autre rétorquait fermement que non, il soutenait que c'était plutôt une chèvre de couleur noire. L'animal s'approcha pour devenir assez visible et il s'agissait en fait d'une chèvre. L'homme au corbeau était entêté et ne voulait pas renoncer à son idée qu'il s'agissait là d'un corbeau. L'autre lui dit de bien voir mais l'homme au corbeau ne voulait pas renoncer à son idée. Agacé et vexé par l'autre, il lui dit: [Tu sais] même dans le cas où il avait pris son envol, [je persisterai à dire que] c'est une chèvre. Le proverbe souligne l'obstination et l'entêtement.
Bu usidd ay rezzvan irukuten Jadis, quand la vie était encore simple et qu'on se servait de chandelles et de torchons pour éclairer l'obscurité nocturne, deux hommes étaient partis au fond d'une pièce pour chercher quelque chose. L'un d'eux tenait la chandelle à la main et l'autre le suivit. Le premier exhortait le second d'être prudent pour éviter de casser le matériel domestique qui se trouvait sur leur chemin. Puis à un moment donné, quand il parlait encore à son compagnon en se retournant pour mieux l'apercevoir, il accrocha des pieds un objet qu'il fit tomber et l'objet se cassa. L'autre lui avait alors dit: C'est toujours celui qui porte la chandelle qui casse le matériel. L'idée va plus loin évidemment et en général elle englobe l'homme de l'action et ses erreurs contrairement au spectateur (le théoricien) qui regarde les choses de loin.
Yiwiy zar s ayeddagh yiwiy ughiyul s tisent Un homme qui voulait transporter des blocs de sel gemme demanda à son âne de l'accompagner pour l'aider et le mettre sur son dos. L'âne aimait lécher le bloc de sel que son propriétaire plaçait non loin de lui dans l'étable. Par conséquent il avait accepté de bon cœur d'aller avec lui pour l'aider à chercher davantage du sel. Il était donc très content et une femme qui le voyait dans cet état d'euphorie lui posa la question: -Aghiyul makk yaghen, mas teddit ? (Où vas-tu comme ça, cher âne ?) -Ddigh ad awiyegh ka n tisent attes ghifem ig Rebbi. (Je vais aller chercher du sel que le bon Dieu t'en ajoute en beauté.) Le sel était lourd et l'âne ne savait pas qu'un tel fardeau lui serait échu pour le mener à destination. Il ne savait pas qu'il devait souffrir autant et aussi longtemps. Au retour la même femme l'apercevant, cette fois, dans un état qui donne à désirer et très triste, lui posa de nouveau la question: -Aghiyul ma k yaghen, mayed tekkit ? (D'où viens-tu, qu'as-tu, âne ?) -Kkigh d aneccif n wul ak m yariy Rebbi. (Je viens d'une misère que le bon Dieu t'en préserve.) Alors on dit à celui qui est tout content de faire une chose sans en connaître les tenants et les aboutissants, sans savoir où il va et comment cela va se passer: Il est content tel l'âne qui était allé chercher du sel [gemme].
Zun ur djin izveri udera tiyeni Dera (Drâa en arabe) est une région de la province de Zagora. Un habitant de ces régions s'appelle en tamazight U-dera (ou Udera comme dans u-temazirt, dont le féminin est ut, ut-temazirt, et le pluriel ayt, ayt-temazirt). La région de Dera est connue pour l'abondance et la qualité de ses dattes. Un Udera est, a priori, une personne qui ne doit pas être trop attiré par les dattes étant donné qu'il vit dans la région. Lorsque quelqu'un tombe avidement sur une chose (nourriture ou autre) comme s'il ne l'avait jamais vue, on lui dit: Comme si Udera n'avait jamais vu les dattes. Le proverbe exhorte à la civilité et à la modération.
Ku teonnut teghiy i w-aggura nnes C'était l'histoire d'une famille où les parents parlaient du mariage de leur fille assise un peu plus loin en train de les écouter. A un moment donné le père suggéra que finalement elle est une jeune fille qui n'est pas encore capable d'assumer les responsabilités du mariage et que le gars qui demandait sa main était trop âgé pour elle. La fille en entendant son père ainsi argumenter n'était pas contente du tout de ces idées car il aurait pu au moins lui demander son avis à elle. Le soir de la même journée la fille s'occupa de la préparation du couscous pour le dîner. Elle avait sciemment pris un grand couscoussier (aggura) et l'avait mis sur une petite marmite. En pénétrant dans la cuisine, la mère fut étonnée que le grand couscoussier qui sert d'habitude à des occasions exceptionnelles soit placé sur la petite marmite qui n'apparaît presque plus sous son poids. Elle demanda alors à sa fille de lui expliquer son geste et celle-ci de répondre: Chaque marmite est capable de supporter son couscoussier. La mère comprit immédiatement qu'il s'agissait de son mariage et elle alerta le père qui accepta de la donner en mariage. Quelques jours plus tard la cérémonie fut célébrée.
Da imerriy ka s uzveru ittecan day, qqimin gin am ssedvel Chez-nous, il n'y a pas si longtemps, ma mère s'en souvient encore, une femme était assise dans un coin ensoleillé et se lavait tranquillement les mains en utilisant une pierre et de l'eau bien sûr. Une autre femme passa à côté d'elle, elle lui avait dit bonjour et elle était allée quelque part. En revenant, cette dernière femme avait retrouvé la première toujours en train de se laver ses mains avec acharnement et elle s'était étonnée qu'elle soit encore là. Elle avait alors prononcé à son encontre le poème ci-dessus qu'elle avait composé elle-même: Quelqu'un se gratte vainement à l'aide d'une pierre, Une pierre qui ne fait que lui causer des blessures, Puis la peau de ses mains reste intacte tel un seau.
Da tekkat zzvreb i Ocic Ocic est une vaste région au sud du Maroc. Construire un mur à cette région, à l'image du mur de chine, est une idée mégalomane. Lorsque quelqu'un a des idées exagérées qui frôlent la mégalomanie, on lui dit, pour souligner que ses idées et ses projets sont utopiques et qu'ils ne sont pas de l'ordre du possible: Tu es en train de construire le mur d'آchich.
Ad teqqar, nisil as C'était deux amateurs d'ahidus. Ils étaient en train de confectionner une timbale (igedm, agenza) pour célébrer les cérémonies qui s'annonçaient. Ils utilisèrent une peau de chèvre pour ce faire. L'un des deux s'acharnait dans le travail pour faire le plus possible une bonne timbale qui résonnera le plus loin possible au cours des festivités. Mais l'autre le critiquait constamment et lui suggérait des idées qui ne lui plaisaient pas. Une fois la timbale terminée, le confectionneur sentit une profonde satisfaction et disait à son copain que c'est du bon travail qu'il venait d'accomplir. Cependant, l'autre n'était pas content du tout et continuait à suggérer de changer ceci en cela, de mettre ceci ici plutôt que là-bas car sinon une fois la timbale desséchée, elle sera de très mauvaise qualité. L'autre s'obstinait et refusa les idées de son ami et disait qu'elle résonnera comme il faudra puis dit à son ami : Une fois [la timbale] sèche, nous l'entendrons.
Tiheddarin ayeddegh yad a tili Un jour, une brebis avait une bonne idée. Elle s'était dit que ce chacal qui ne manquait jamais une seule occasion de les effrayer méritait une bonne leçon. Alors, elle se procura une peau de lévrier et la porta puis partit à la recherche du chacal. Celui-ci voyant une silhouette de chien avait pris peur. La brebis-lévrier s'approcha de lui pour le harceler en le poursuivant autour d'un arabe du jujubier sauvage. Le chacal voyant qu'il était trop coincé n'a pas pu se retenir et il avait lâché ses excréments partout sur le sol. A un moment donné, la peau du lévrier que portait la brebis accrocha les épines du jujubier et tomba par terre. Le chacal constata avec stupéfaction que tout ce qui le rendait ainsi malade jusqu'à la diarrhée n'était finalement autre chose qu'une simple brebis. Il s'approcha d'elle tranquillement en la regardant fixement dans les yeux. Dans cette impasse, la brebis avait trop peur et voulait lui présenter des excuses. Elle lui expliqua que ce n'était qu'un jeu pour se lier d'amitié avec lui. Le chacal ne l'entendit pas de cette oreille et la tenant par la patte-avant, lui fit faire le tour du jujubier en suivant la trace de ses matières fécales et en pointant de l'index de la main: Regarde ça [Mademoiselle] brebis, c'est un jeu ça ? [Ce que tu vois par terre,] brebis, c'est un jeu ? Ainsi naquit ce proverbe.
Tiseodar n bu w-uzvalim Un homme avait jadis cultivé des oignons dans son champ. A un moment donné, il était allé voir l'état de ses cultures. Il était surpris de trouver dans son champ un voleur en train de déterrer tranquillement les oignons et de les ranger dans un sac. Le voleur en voyant le propriétaire ne pensait pas qu'il était d'urgence de fuir ou de se dissimuler. Il avait plutôt accueilli le premier avec un grand sourire. -Qu'est-ce que vous êtes en train de faire là? Dit le propriétaire. -Rien de spécial, j'ai simplement un petit problème. Lorsque je me mets debout je ne peux pas m'empêcher de tomber par terre. Par conséquent, je m'accroche aux oignons et ils se déterrent. J'ignore exactement pourquoi ils se déterrent aussi facilement. Je pense personnellement que c'est parce que la terre est mouillée qu'ils se déterrent aussi aisément, qu'en pensez-vous? Dit le voleur, sans reproche. -Et ça là-bas, qu'est-ce que c'est? Répondit le propriétaire. -Ca, c'est un sac. -Et pourquoi mettez-vous les oignons là-dedans? -C'est exactement la question que je me pose. Malheureusement, je n'ai pas encore trouvé de réponse moi-même, et vous, auriez-vous une petite idée là-dessus? Ces prétextes sont insensés comme argumentation, alors on dit à celui qui nous présente des arguments semblables et hors-contextes: Les prétextes de l'homme aux oignons. Il est probable que cette histoire est réelle.
Bertv baretvutv nnek a Ishaq! Pendant le XIXe siècle quelque part dans la région des Ayt-Atta (le centre-sud du Maroc) des juifs amazighs vivaient encore dans cette région. Il y en avait un qui s'appelait Ishaq et qui vivait avec sa mère. Un jour Ishaq voulait aller aux toilettes et à l'époque les dites toilettes étaient les champs d'à-côté, on faisait ses besoins naturels là on se sentait le plus en sécurité. Ishaq avait peur des combattants des Ayt-Atta qui furent très réputés pour leur férocité, alors il avait demandé à sa mère de l'accompagner dehors et celle-ci accepta. C'était une nuit de pleine lune et il faisait très clair à l'extérieur. Au moment où ils étaient en chemin, Ishaq dit à sa mère: Ah! Maman, quelle belle lune, j'aurais envie d'aller chercher tous les Ayt-Atta et les faire tuer un par un. Sa maman fut étonnée parce qu'il vient de lui demander de l'accompagner pour ses besoins alors elle répondit: A bertv baretvutv nnek a y-Isehaq (Fais ta crotte mon Isehka, fais [et tais-toi] !)
Proverbes supplémentaires Tenna yas tefullust i yiwes: Uwet aghenbu nnek, ur ghuri ili bbuc. trad. La poule avait dit à son poussin: Picote, je n'ai pas de mamelle (sensibilisation à la responsabilité.) Iruwel i timeqqit yaghen ameda. trad. Il voulait éviter la goutte et il est tombé dans la marre (trop d'intelligence nuit.) Ini yi mayed tekkit inigh ak mayed tesghit. trad. Dis moi où tu étais, je te dirai ce que tu as acheté. Mun teget. litt. Fréquente et tu seras. trad. Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirais qui tu es. Mek ur tezedimt ur terghit. trad. Ne se chauffe que celui qui bûche (sensibilisation à la responsabilité.) Ureda d ittawiy Rebbi ibawen xes i war tughemas. trad. Seul l'édenté a la chance d'avoir des grains de fève. Igedem nna ikkat ka, ar tekkat. trad. Toute timbale que l'on bât, tu chantes à son rythme (manque de conviction.) Didda ged zedemgh aged ttassiyt tikuchchat. trad. C'est là où j'ai bûché que tu ramasses les chutes. Ureda ittelegh aqemu nnes xes azeger. trad. Seul un bœuf se lèche le visage (excès de soins, frivolité.) Tarewa nnes ad xef itsetta lluz ighurcan. trad. C'est à cause de sa progéniture que l'amandier est battu (le rôle des parents dans l'éducation de leurs enfants.) Ur ak yulli imettvawen nnek xes tvitv nnek. trad. Ne pleure tes larmes que ton œil. Asif ifestan ay ittawin. trad. C'est toujours le fleuve calme qui emporte. Ku teddut, tteddut s iwerinn. trad. Plus tu t'avances, plus tu t'enfonces (l'inefficacité.) Akk ur issekened y-ighed, afella isemmitv as, agenesu inewa y-as. trad. Ne te laisse pas leurrer par la cendre, en dehors c'est le froid, au-dedans c'est la fournaise. Ureda irezzva gar feceku. trad. L'ustensile laid, ne se brise jamais. Ad ur tennit tecigh abaw ared ikk agertv. trad. Ne prétend pas avoir mangé les fèves avant de les avoir avalés. Ou bien: Ne vends pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué.
Ali Amaniss
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