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AMAZIGITÉ ET INTELLECTUELS MAROCAINS Hha Oudadess (Rabat) Il y a actuellement des écrivains, des journalistes, des penseurs, etc. qui considèrent qu'ils peuvent parler au nom des marocains. Certains poussant même jusqu'à considérer qu'en dehors d'eux il n'y a pas d'autres dignes représentants de notre pays. Ceci, du reste, est vrai aussi en ce qui concerne des politiciens; mais là n'est pas mon propos. Revenons donc aux intellectuels. Chacun est libre de penser ce qu'il veut et de rêvasser à satiété tant qu'il ne se prend pour le porte-parole unique et patenté de tout un peuple; un peuple dont il ignore ou veut ignorer l'essentiel et qu'il tient à faire absolument rentrer dans les moules de ses préjugés. Levons d'abord une ambiguïté. Ne sont pas interpellés, ou juste en passant, les faux intellectuels; ceux qui pour des raisons historiques, politiques ou autres ont fini par acquérir une certaine notoriété. Ce sont des produits d'une société dans laquelle l'ignorance règne en maître; et où des soutiens obscures font, des vedettes, de médiocres incultes. Sont mises en cause les personnes qui ont une formation valable ou tout au moins ont suivi un cursus qui les rend aptes à penser. Beaucoup d'intellectuels, de pays sous-développés, trompent leurs concitoyens. Et à force de rabâchage, ils finissent par se tromper eux-mêmes. Surtout que s'en mêle un élément exogène; le soutien d'intellectuels, ou même d'autorités, étrangers. Il peut s'agir d'anciens esprits colonialistes repentis et qui essaient maladroitement de se racheter, de progressistes qui soutiennent aveuglément des gens qu'ils croient du même bord car ils broient le même vocabulaire qu'eux ou de maîtres qui croient soutenir des disciples convaincus. En bref, il s'agit d'un marché, d'idées plus ou moins digérées, où les dupes et les dupeurs sont loin de se reconnaître. Etre, pour des raisons économiques ou autres, titulaire d'un doctorat, auteur de livres ou d'articles, ne fait pas nécessairement de quelqu'un un véritable penseur. La caricature en devient parfois réelle; on peut entendre des docteurs déclarer pompeusement qu'ils sont des autorités dans leurs domaines. Ils donnent ainsi la preuve qu'ils ne savent pas ce qu'est un doctorat ni ce qu'est une autorité, Oh! combien rare, s'il en existât. Certains intellectuels ont acquis une notoriété nationale , parfois-même quelque peu internationale, de penseurs libres et universels; mais alors, ils étonnent et détonnent par leur silence complice vis-à-vis d'aberrations évidentes et qui portent atteinte à la logique élémentaire, aux droits humains primaires, aux principes universels supposés admis par tous; et qui ne peuvent pas passer inaperçus pour des esprits avertis. On ne peut pas comprendre que, à l'ère de la communication, ils restent sourds ou n'accordent pas leur attention et leur soutien à des voix, pourtant claires, qui dénoncent des injustices flagrantes. Voici maintenant des impressions et remarques présentées de manière lapidaire et en vrac. Des études et discussions sincères et approfondies sont nécessaires. Malheureusement, les conditions n'en semblent pas remplies. Pour commencer, disons que, à part l'ivraie, il y a le grain. J'ai été enchanté, comme collégien, de tomber sur «le fils du pauvre» de M. Feraoun. Je ne savais pas que la Kabylie est amazighe. Ce qui m'a fait vibrer, c'est le description de la vie quotidienne. Quand il parle de vannerie kabyle, je voyais le roseautier, de mon quartier Tizi à Azrou, à l'oeuvre avec des gestes qui, à force de répétition en étaient devenus de l'art; et les produits finis, étincelant neufs et sentant le frais, accumulés entre notre entrée et notre sortie de l'école. Et, Oh!, quand il parle du métier à tisser, j 'entendais la caresse des mains de ma mère passant entre les files, le coup d'archer du roseau qu'elle relevait et descendait; et le son sourd et doux du fer qu'elle maniait avec maîtrise et élégance. Avec «Agadir» et « Résurrection des fleurs du mal », M. Khaireddin, l'enfant terrible, est déchaîné. Il se défoule et se défonce; il est vrai. Assagi, il nous revient avec la délectable et rafraîchissante «Légende d'Agounchich ». Sur l'insistance d'un ami, je parle ici de A. Aljabri que j'avais l'intention de totalement ignorer. C'est le type même d'intellectuel surfait. Son attitude, vis-à-vis de Tamazight, est entachée d'irrespect; ce qui le rend indigne d'un quelconque statut d'interlocuteur. Quant à ses prétentions démesurées de penseur, nous renvoyons le lecteur au livre «Nathariyatou ai âaql» (Dar ai saqi, 1996; 376 pages) de G. Trabichy où sont relevées d'innombrables (et certainement pas toutes) tricheries, faiblesses, mensonges, etc. qui discréditent les écrits de celui dont certains tiennent encore à faire une sommité. Et ce qui est risible c'est que, quand on leur rappelle la critique de Trabichy, ils répondent sérieusement(!) que les orientaux savaient tout cela (depuis longtemps) mais ils ne voulaient rien dire car Aljabri était au mieux avec les progressistes-arabistes; mais, maintenant qu'il flirte avec les islamistes, ils le dénoncent! Un certain T. Lâelj, qui aurait (parai-il) fait des étincelles en adaptant une pièce de Molière, joue maintenant au grand ponte et à Mr. sait-tout. Dernièrement, lors d'une émission de télé (2M), sur la musique marocaine, il passa beaucoup de temps pensif, la tête baissée, l'air absorbé, en attendant son tour. Questionné, il se redressa théâtral, remercia mielleusement l'animatrice de sa question et se mit à distiller pompeusement une réponse où il nous apprit l'existence d'une oreille arabe(!) dont il serait faux de dire qu'elle ne comprend pas notre chanson marocaine car supposée écrite en une langue arabe malmenée. C'est le type même d'un intellectuel qui se surévalue. En tout cas, il est loin de celui qui, dans les années 70, a parlé de l'artiste qui doit viser l'universel et l'éternité. D. Chraïbi, dans la mère du printemps, nous décrit un Azwaw chefton Amazigh, inculte, archétype du bon sauvage; et il ne rate pas l'occasion de lui coller l'inceste allant jusqu'à dire que, à un moment donné, il passait la nuit à aller de la chambre de sa fille à celle de sa femme (la mère de sa fille). C'est d'une désinvolture à un moment crucial où imazighen ont commencé, de manière sérieuse, à parler d'eux-mêmes et à réclamer la reconnaissance de leur identité. Quand feu A. Lahbabi critique les intellectuels européens, en particulier E.Renan, en faisant valoir, entre autre, qu'ils comparent des civilisations (l'européenne et l'arabomusulmane) à des époques décalées dans le temps, ce qui est au désavantage de la deuxième, il a mis la main sur un argument valable; mais il occulte totalement le même problème en ce qui concerne la civilisation amazighe et, en cela, il est bien fautif. On est en droit de se demander en quoi les deux livres «L'idéologie arabe contemporaine » et «La crise des intellectuels arabes », de A. Laroui, qui ont dû demandé un grand effort et dont le style est voulu ardu, ont-ils contribué à éclairer la situation au Maroc? En quoi ont-ils aidé à envisager des solutions à nos problèmes marocains? On aurait attendu une position franche et positive, en faveur de Tamazight, de la part d'un penseur qui tient à une aura d'objectivité. On ne trouve dans «Maghreb pluriel », de A. Khatibi, que des affirmations communes qui n'engagent en rien leur auteur; un discours bon pour les cours de philosophie. Parlons d'un peintre. F. Belkahia est en retard, d'au moins quatre décennies, en ce qui concerne la compréhension de la société marocaine. Non seulement dénie-t-il l'amazighité, comme tant d'autres, mais encore continue-t-il à le faire de manière impertinente et qui plus est vulgaire; en contraste total avec la superbe qu'il croît se donner. Ainsi s'est-il permis de traiter de malade et de dangereux un interlocuteur amazigh; tout en ajoutant que «de toute façon, il est trop tard ». Voici un spécimen de marocain, supposé artiste et donc, en principe, à l'esprit ouvert, qui est englué dans des phantasmes contractés on ne sait où. Le véritable danger, c'est bien lui. Aucun amazigh n'oblige un autre marocain à se déclarer amazigh; mais que chacun s'en tienne à ses limites. Quant au fait qu'il soit trop tard, que le mentor se livre à des méditations sur l'histoire avant de donner des jugements a priori sur le Maroc. Car, sans cela, le choc risque de lui être mortel. En guise de conclusion, nous disons que n'est pas amazigh qui veut. L'amazighité n'est pas une affaire d'ethnie. Le peuple amazigh est riche en couleurs, au sens propre. Nous comptons des noirs, des blancs et des blonds en passant par tous les métisses possibles. Etre amazigh est une attitude d'esprit et un comportement. Il y a évidemment des signes civilisationnels observables; celui qui en dérange plus d'un et qui reste le dénominateur commun, par excellence, est la langue Tamazight. Mais revenons-en à «n'est pas amazigh qui veut». C'est de la dernière imbécillité de sortir le «Moi aussi, je suis amazigh» ou «je suis moi-même amazigh» afin de se permettre et de vouloir donner de la consistance à des propos diminutifs ou péjoratifs sur Tamazight et/ou Imazighen. On se demande ce que les tenants de cette ligne ont appris sur les bancs de l'école. En effet, c'est un argument qui n'est même pas bon pour la rédaction au lycée (ni au collège); que dire alors d'un essai? Une autre astuce consiste à vous asséner le «Je suis d'origine berbère ». Mais enfin, qui croît-on avoir en face? Et à quoi rime ce jeu d'enfant? Chaque marocain sait, qu'il le reconnaisse ou non, que les marocains sont tous (d'origine) des imazighen. Mais là n'est pas la question. Le problème est d'ordre pratique. Il s'agit de savoir, ici et maintenant, qui est pour et qui est contre la reconnaissance officielle de l'amazighité du Maroc; avec tous les corollaires et sans exception aucune. A dénoncer aussi l'attitude scientifiste de certains. Ils sont, certes linguistes ou sociolinguistes et se disent amazighs. Mais cela les autorise-t-il à porter des jugements globaux et négatifs quant à l'existence d'une langue amazigh à enseigner? Pour eux, une telle langue est à créer. Tout d'abord, ils font fi de l'avis et des efforts d'autres spécialistes qui pensent le contraire. Ensuite, leurs arguments avancés sont futiles; celui souvent avancé concerne le phénomène de la prononciation qui est observable dans toutes les langues, même celles enseignées depuis des siècles. En fait, une telle attitude ne peut dénoter que l'ignorance de ses défenseurs ou la surestimation de leur propre valeur. Encore une fois, n'est pas amazigh qui veut. L'ama.zighité n'a que faire de parasites malsains. Le temps du flou et de l'ambiguïté est fini. Bien que tard, les hésitants peuvent encore se déclarer. D'ici peu, les jeux seront faits. Et que ceux qui font la fine bouche sachent que c'est l'amazighité qui ne veut pas d'eux; car aujourd'hui l'amazighité se mérite.
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